1942.01.28.De la commission d'enquête sur le naufrage du Lamoricière.Rapport

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Causes de la catastrophe

Trois causes principales : la tempête, le naufrage du Jumièges, le charbon en qualité et en quantité, auxquelles on pourrait ajouter une quatrième cause secondaire : la gîte, en fait, séquelle des précédentes.

- Déposition de M. Lejean, officier-radio du Lamoricière :

L'ordre d'abandon a été donné vers 10 h 15.

Le 9 à 10 h 45, le commandant m'a dit : « Tout est terminé; il m'a souhaité bonne chance ». Vers 11 h 10, nous sommes allés sur le pont des embarcations, à tribord. Après avoir été enlevé par un rouleau, j'ai réussi à attraper un engin flottant. J'ai vu le navire couler après s'être redressé. Le commandant Milliasseau était sur la passerelle à tribord.

- Déposition du commandant Gourion, du "Chanzy".

Renseignements obtenus des rescapés du "Lamoricière" au sujet du maître d'équipage Franzoni.

Lorsque l'ordre d'évacuation fut donné, Franzoni aidé du commissaire, s'occupe de faire embarquer dans un canot, des femmes et des enfants, en particulier, deux du groupe Guynemer au nombre de 17, accompagnés de 2 infirmières. Le canot amené correctement, fut malheureusement plaqué contre la coque et se brisa. Tous ses occupants furent noyés.
Le maître Franzoni aurait réussi à atteindre un autre canot qui s'était retourné, perdant, lui aussi, tous ses occupants.
Franzoni aurait réussi à hisser dans ce canot trois hommes et une femme, mais vaincu par le froid, la fatigue de la nuit précédente, par ces derniers efforts, Franzoni, un quart d'heure avant que nous n'ayons pu accoster ce canot plein d'eau et commencer le sauvetage des quatre occupants, aurait eu une syncope, sans se plaindre, aurait glissé sous un banc et se serait noyé ainsi, sans que ses compagnons aient eu la force de lui porter secours. En effet, un corps sans vie, flottait dans l'embarcation.
Malgré nos efforts pour découvrir la cause réelle de cette catastrophe, l'enquête est pour le moins incomplète du fait de l'absence du chef mécanicien et de ses officiers, des autres témoins rescapés intervenants du service machine sont du même quart Caldora, Varvarande Jean, tous trois seconds-maître mécaniciens, tous savent ce qui s'est passé pendant leur quart. Pour le reste, ils sont moins affirmatifs ; c'est donc à notre connaissance du navire, en faisant appel à nos souvenirs que nous avons cherché certains points restés obscurs dans les dépositions des témoins.
Le "Lamoricière" parti d'Alger, mardi 6 janvier à 17 h avec 122 hommes d'équipage, 272 passagers, 230 tonnes de marchandises diverses, colis postaux, sacs de dépêches, le tout arrimé conformément aux règlements.
Au départ, le navire semble en parfait état de navigabilité : gîte légère à bâbord, a continué à vider les escarbilles du mouillage, dès la mise en route libre, terminé mercredi à 6 h. Vent de N, force 5, tangage et roulis ; passé Bajoli, vers 16 h 30. Moyenne des tours : 70. A partir de Bajoli, route sur Marseille au N 21 ; le vent passe au NNE en fraîchissant. La mer se creuse, le navire se comporte bien, entrées d'eau habituelles par les portes de soute et les escarbilleurs, qui semblent étalées par les pompes.
A 22 h 45, SOS du "Jumièges". Le commandant Milliasseau semble avoir fait part au chef-mécanicien de sa décision d'aller au secours du navire en détresse à 0 h 30. Le jeudi 8 le "Lamoricière" vient en travers. Route au 105.
Dès le changement de route, le navire roule violemment, prend une gîte importante à tribord. Dans la machine, une perte d'huile à la turbine de tribord oblige l'officier-mécanicien, M. Guillemin, à faire appeler le chef-mécanicien ; le second-maître-mécanicien, Caldora, en profite pour lui dire que depuis ce roulis anormal, la chauffe devient difficile. En effet, les escarbilles qui n'ont pas encore été vidées se mélangent au charbon. L'eau de la chaudière, en abord des parquets dans les coups de roulis, fait une entrée impropre au maintien d e la pression.
Dans ces conditions, le chef-mécanicien va trouver le commandant, lui explique la situation, l'engage à redresser la route. Quelques minutes, après : route au 45. Tout rentre dans l'ordre. La chauffe redevient à peu près normale à 2 h. Repris la route sur le lieu présumé du naufrage. Puis le "Lamoricière" après des recherches infructueuses, fait route vers Marseille. Il est 3 h 35. Quarts normaux de mauvais temps.
Vers 13 h une circumméridienne observée par Cecchini, indique que la vitesse a été surestimée. Vers 14 h il reste 72 tonnes de charbon, avec consommation horaire de 1 T 5. Vers 14h 15 le commandant tient conseil. Y assistent le chef-mécanicien, le second capitaine, l'officier de quart et un passager : le capitaine de corvette Lancelot. En accord avec ces officiers le commandant décide de virer de bord. Il craint de se trouver à court de charbon, si le mauvais temps persiste, pour éviter les frais de remorque à la Compagnie, le "Lamoricière" va se mettre à l'abri vers Minorque en attendant l'accalmie. Ce contretemps permettra de mettre les cales à clair et de régulariser la chauffe.
Vers 15 h, le chef-mécanicien prévient qu'il est prêt pour le virement de bord. Le navire tombe en travers et roule, et malgré la barre à gauche toute, le navire n'abat pas, la pression tombe graduellement.
Vers 16 h, ordre est donné à tout le personnel-machine de rejoindre son poste. L'eau embarque par les panneaux de soute bâbord et les escarbillères. Appuyé par le vent NNE le navire, malgré son roulis, ne revient que difficilement au 0 de l'oscillographe. On isole les deux chaudières-avant car l'eau a envahi le parquet de cette chaufferie, les plaques de parquet en sont déplacées et blessent le personnel. Aux autres chaudières, on fait la chaîne pour envoyer le charbon. Pour évacuer l'eau des chaufferies, le trou d'homme du Water Ballast n°4 a été déboulonné, l'eau s'y engouffre et y est aspirée par la pompe de 200 T du WB tandis qu'on aspire par le flexible, par le collecteur des cales. La pression tombant toujours, le chef-mécanicien demande à la passerelle de stopper pour conserver la vapeur aux auxiliaires et à la dynamo. Le charbon est mouillé et brûle mal. Aussi tout le bois de la machine est utilisé. De leur côté, des matelots font la chaîne et envoient tout le bois disponible.
La pression remonte à la chaudière 5, seule en service. Elle atteint 9 kg. Vers 17 h 30, démarrage de cette chaudière. Malheureusement, le bois se raréfie, et la dynamo est stoppée. Le moteur de secours n'a pu être mis en marche : il est en avarie depuis Alger. A partir de 18 h, une chaîne est établie, qui, avec des seaux, essaie d'étaler les entrées d'eau. La dalle de la cuisine faisant de l'eau est très bien appuyée sur son siège par le personnel civil.
Vers 20 h le maître d'équipage et les matelots confectionnent une ancre flottante avec deux madriers, un pallier et un makaroff.
Cette ancre est filée vers 23h vers l'avant. Il semble que le navire abat d'une dizaine de degrés.
Le navire roule énormément et la gîte s'accentue toujours. On doit supposer que l'eau embarque par les WC de la chaufferie de bâbord.
Vers 9 h, vendredi 9 janvier, pour redresser le navire, il est décidé de faire un déplacement de poids, les cageots de primeurs, cale 2 bâbord sont placés sur le pont-promenade à tribord. Tout le personnel disponible et les passagers font la chaîne.
Le navire se redresse un peu mais s'enfonce toujours.
Vers 4 h 00, la chaîne passe au parc-auto, tous les colis de primeurs sont jetés à la mer ce travail est terminé vers 5 h 30.
Vers 8 h, équipage et passagers revêtent la ceinture de sauvetage.
9 h 15, le "Gueydon" apparaît. Il vient sous le vent. On pense qu'il va prendre la remorque mais il ne peut pas. Il vient alors au vent, sur l'ordre du "Lamoricière" et file de l'huile.
Le commandant donne l'ordre d'évacuation, les femmes et les enfants prennent place dans le canot 2. Lorsqu'il est amené, une lame décroche le palan AR, tandis que celui de l'AV tient toujours. Tous les occupants sont précipités à la mer et disparaissent. A cette vue les passagers des autres canots refusent de partir. Le commandant donne alors l'ordre de se jeter à la mer et d'utiliser les engins, radeaux flottants.
A mesure que la gîte augmente, l'entrée d'eau est de plus en plus importante par les [dabots] et WC-chaufferie jusqu'au moment où la coursive du pont principal sur laquelle s'ouvrent les portes du parc à autos et des aménagements se trouve dans l'eau. Malgré le calfatage de la porte-emménagement la poussée de l'eau est devenue si forte qu'elle la fait céder remplissant tous les compartiments.
Le "Lamoricière" sombre à 12 h 35 par L 40 00 NG : 4°22E.

Fait à Marseille le 28 janvier 1942

La commission d'enquête :
Cdt Monnier
Chef-mécanicien Payra
Lt Le Mouellic

 
 

 

 

 

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