1941.07.26.Discours de Séry.Ecole menagere du Trait

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Réunion du samedi 26 juillet 1941 à l’occasion du départ en retraite de mademoiselle Séry, directrice de l’Ecole ménagère.
Le Trait.

Allocution de mademoiselle Séry

Monsieur,
Messieurs les directeurs,
Mesdames, messieurs,
Mon émotion ce soir n’est pas moins grande que celle qui m’étreignait, il y a 10 jours, quand je recevais mes élèves. Il s’y ajoute la confusion d’être si honorablement entourée et la peine de me sentir impuissante à exprimer ce que j’éprouve.
Je voudrais dire à monsieur Labbé ma profonde gratitude d’avoir bien voulu se déplacer pour venir représenter près de moi la maison Worms, à monsieur Nitot de l’avoir accompagné, lui près de qui j’ai marché dès le début, qui m’a de suite comprise et tout au long des années m’a avec bienveillance et confiance encouragée à poursuivre ma tâche, à monsieur Abbat qui en toute circonstance me marque sa bonté. Le 17, il abrégeait un voyage à Paris pour présider la réunion des élèves et aujourd’hui il me comble en organisant celle-ci.
Combien je suis touchée de ses attentions, de sa délicatesse en pensant à inviter mon frère et ma sœur, monsieur le chanoine Lethuillier, l’ami de toutes les heures, monsieur le chanoine Quilan à qui je dois d’avoir établi cette œuvre, monsieur le Doyen, notre clergé paroissial, monsieur l’abbé Bance, monsieur l’abbé Coupel, nos curés de guerre, si dévoués pour la paroisse, si paternels et attentionnés pour l’Ecole ménagère.
Si tous n’ont pu répondre à l’aimable invitation de monsieur Abbat, tous sont avec nous par la pensée.
Je suis honorée de voir à mes côtés monsieur le maire du Trait qui dès le premier instant m’a accordé sa considération et son intérêt pour l’Ecole.
Je suis heureux de la présence de monsieur Roy. Je garderai un reconnaissant souvenir de son accueil toujours aimable et bienveillant. Jamais je ne lui ai demandé aide ou avis dans mes difficultés sans qu’il me l’accorde avec empressement prenant à son compte tout souci.
C’est avec une joie émue que je vois là monsieur Dupuich et puis le remercier de la sympathie qu’il m’a prouvée sans aucun fléchissement depuis vingt ans, de sa bienveillance et de sa considération pour l’Ecole en tant que maire, de son aide et de son appui en toute circonstance, de son accueil et de son amitié en juin 1940 quand je rentrais seule ici.
Monsieur Abbat a su réunir toutes les sympathies qui pouvaient m’entourer à l’heure des adieux, messieurs les chefs de service, et ingénieurs, monsieur le docteur Delaeter, Messieurs les Présidents des œuvres sociales, tous ceux avec qui j’ai eu quelques relations d’affaire ou de bienséance, messieurs les directeurs et mesdames les directrices des Ecoles, mademoiselle Pélissier, tous ceux et celles avec qui de près ou de loin j’ai collaboré à la grande œuvre du Trait.
Je suis heureuse de vous voir toutes mesdames qui depuis tant d’années me manifestez votre sympathie, que m’avez pour la plupart confié vos jeunes filles ou même fait l’honneur de prendre mes leçons.
Lorsque je vis Le Trait pour la première fois nous étions en guerre, c’était en 1916. Passant ici par chemin de fer je devais descendre à Saint-Wandrille. Le train n’était pas rapide, j’avais le temps de méditer en contemplant le paysage, et je méditais songeant à l’avenir.
Depuis longtemps je rêvais d’une Ecole ménagère. Je la voyais et je la situais en mon esprit soit dans une cité que l’on bâtirait, soit dans un pays dévasté que l’on reconstruirait. Je souhaitais une œuvre aux idées neuves et qui grandirait avec l’ensemble.
Je regardais de ma portière ouverte et ici vers la Seine je n’apercevais qu’un grand terrain couvert d’immenses monceaux de matériaux et j’entendais dire aux voyageurs : « C’est un pays nouveau qui va se bâtir ». Et moi, suivant mon rêve, je pensais : « Un jour, peut-être, en cet endroit, je pourrais faire mon école. »
La guerre continua, les années passèrent, années de grande activité dans un établissement que je ne pus quitter qu’après la réorganisation d’après-guerre.
Mon rêve se précisait, j’en préparais la réalisation sans apercevoir où me fixer. J’avais oublié le village entrevu en 1916. Mais la Providence qui tisse si bien la trame de nos vies m’y amenait par des chemins imprévus.
Monsieur l’Abbé Quilan, ami de mon frère, recevait en août 1920 – je crois – sa nomination de curé du Trait et dès sa première visite, avec son âme d’apôtre et d’organisateur vit le champ d’action qui s’offrait à lui et comprit la nécessité d’une œuvre féminine. Il m’appela dès le mois de septembre et m’introduisit près de monsieur Majoux dont le regard scrutateur m’impressionna quelque peu.
Pourtant dès notre premier entretien, le projet de l’Ecole était élaboré.
Je vins définitivement en janvier 1921. Fixée dans le pays j’en parcourais le long ruban et j’examinais. Les amas de sable, de briques et de fer étaient devenus de grands chantiers, c’est vrai, mais quelques maisons seulement étaient construites, d’autres émergeaient de terre qui devaient longtemps rester telles.
La route était noire et poudreuse. L’Eglise au bout du pays semblait reculer quand on croyait l’atteindre. Quelque maigres et jeunes arbres, pas d’ombre. Un petit baraquement en perspective comme école.
Au point de vue moral, le pays fait d’éléments disparates était sans cohésion, sans unité, sans stabilité, sans confiance. Après bien des difficultés, l’Ecole fut ouverte le 1er juin 1921.
Les familles hésitaient à de donner leurs enfants et l’école bien petite était trop grande pour son nombre d’élèves. Moi qui depuis tant d’années songeais à cette œuvre et ne voulais que bien faire, j’avais l’âme en détresse. Tout me semblait éphémère et prêt à s’écrouler.
Sans la crainte de ne pas répondre à ma vocation et aussi la confiance que me manifestait la Maison Worms, sans mon désir d’entrer pour une modeste part dans ses vastes plans de réalisation sociale j’aurais été tentée de repartir.
Jamais monsieur Majoux n’a paru douter de moi. Je regrette de n’avoir pas su lui dire combien une parole que je l’entendis prononcer dans une de nos premières réunions à la salle des fêtes m’avait encouragée, parce que je me sentais comprise : « Mademoiselle Séry est une apôtre. »
Et surtout je m’appuyais sur monsieur Nitot. J’ai trouvé en lui comme aujourd’hui en monsieur Abbat la plus large compréhension de toutes les œuvres et en particulier de la mienne et la même délicatesse.
J’étais désolée d’abuser de sa constante libéralité, d’entretenir un budget pour une œuvre qui « ne prenait pas ».
Monsieur Nitot ne me décourageait jamais. Clairvoyant, il me faisait au contraire espérer en l’avenir.
En effet, par le génie de ses dirigeants, Le Trait peu à peu se transformait et prenait un extraordinaire essor, les maisons se construisaient, les œuvres sociales s’édifiaient.
A mesure que grandissaient les chantiers et que s’étendait le pays l’école se peuplait.
Des fêtes auxquelles nous participions la mettaient en relief. On pouvait juger des premiers résultats par nos Expositions de Travaux de fin d’année toujours très visitées et les récompenses obtenues aux Expositions du dehors.
En décembre 1926, nous fondions l’œuvre du Trousseau qui ajoutait un intérêt à l’école.
La confiance doucement s’établissait. Les jeunes filles des communes voisines demandaient à suivre nos cours. Je les acceptais et n’avais qu’à m’en louer.
Les petites du jeudi venant de plus en plus nombreuses, il fallait chaque année reculer l’âge de leur admission et malgré cela agrandir l’école.
En 1929, ce fut la construction de ma maison et de la chapelle. J’eus la grande joie de posséder le Saint Sacrement. A ce souvenir, je saisis l’occasion d’en rappeler l’inauguration, les générosités et les sympathies dont je fus entourée, prélude de celles d’aujourd’hui.
Depuis ce temps, Dieu instauré Maître en la maison et tout s’organisant au mieux pour l’éducation de nos élèves, l’Ecole n’a fait que progresser et la confiance grandir. Le local est trop restreint pour le nombre des élèves, en moyenne 40 grandes et 110 de 10 à 14 ans et le développement qu’il faudrait donner à l’œuvre.
Mais je sais messieurs que votre plan est fait et que vous donnerez une large place à votre Ecole ménagère.
La structure morale existe, c’est l’essentiel. L’œuvre est au point que je souhaitais atteindre. Un pays ne se fonde pas en vingt ans et l’Ecole ménagère est assimilée à la vie du pays. Les individus ne comptent pas. Nous ne sommes que des instruments. Chacun a son rôle et le mien est rempli.
J’ai défriché, déblayé, préparé la voie. Une première étape est franchie, mademoiselle Maillard fera la suivante.
J’ai le sentiment d’avoir achevé ma tâche, la part qui m’était assignée.
J’éprouve une impression de tranquillité de me sentir dans une atmosphère de confiance, d’union et de sympathie. Tous autour de moi reconnaissent l’utilité de l’Ecole ménagère, telle elle est conçue, telle nous la comprenons mademoiselle Maillard et moi pour la formation chrétienne, morale et pratique de la femme. Tout se tient et rien ne se peut construire sans une base solide.
Tout en ayant de la peine de laisser mon œuvre, j’éprouve une joie profonde de sentir l’unité que j’ai toujours désirée et à laquelle je m’efforçais de travailler.
Je vais partir, me retirer dans un petit coin d’un bourg à demi anéanti par la guerre où l’attirent des liens et souvenirs de famille.
Je serai apparemment loin d’ici, mais croyez-le très près par la pensée. Je continuerai de m’intéresser à la vie ascendante du Trait.
Monsieur Dupuich ne manquera pas de m’envoyer le journal et par ma correspondance avec mademoiselle Maillard je serai au courant de la progression de l’Ecole ménagère.
Je viendrai de temps en temps la revoir et en jouirai plus que je jamais je n’aurai pu le faire au temps de mon activité.
Mademoiselle Maillard je vous confie mon œuvre. Désormais elle sera mieux entre vos mains que dans les miennes. Vous êtes préparée à la diriger par une solide éducation, vos hautes vertus morales et vos qualités professionnelles, par votre long stage près de moi au cours duquel – je le dis en passant – aucune ombre entre nous ne s’est jamais glissée.
Vous la dirigerez avec votre âme ardente et riche éprise du désir de dispenser ce qu’elle a abondamment reçu.
L’estime et la confiance de messieurs les directeurs des Chantiers et de tous ceux qui vous entourent vous est déjà acquise. Je leur demande de vous les garder toujours, ils aideront ainsi à votre tâche.
Vos élèves grandes et petites vous aiment et apprécient votre enseignement, c’est un encouragement précieux.
Votre champ est vaste comme Le Trait et ne fera que s’étendre. Je vous souhaite, aidée de vos adjointes dévouées et des professeurs de l’Ecole de le cultiver de nombreuses années.
Vous aurez accompli la seconde étape et pourrez, j’en suis certaine, contempler avec fierté et action de grâces une abondante et riche moisson.

 

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