1940.09.13.De Jacques Marchegay - Comité central des armateurs de France.Paris

Copie de note

Le PDF est consultable à la fin du texte. 

13 septembre 1940

Note au sujet de l'organisation professionnelle

La loi du 16 août 1940 prévoit qu'à titre provisoire et jusqu'à l'établissement du cadre définitif de l'organisation professionnelle, il sera créé dans chaque branche de l'activité industrielle ou commerciale dont la situation rendra cette création nécessaire un comité d'organisation, dont elle définit dans ses grandes lignes le programme.
II m'était apparu que la création d'un tel comité d'organisation n'était pas nécessaire, pour le moment, dans l'industrie des transports maritimes : en effet, le chômage forcé auquel sont réduits plus des 4/5 de nos navires, d'autre part, l'incertitude des conditions dans lesquelles notre industrie pourra s'exercer au lendemain du traité de paix, conduisaient à penser que la besogne d'un comité d'organisation de la Marine marchande, dans les circonstances actuelles, serait plus que restreinte. Au surplus, les termes de l'article 2 montraient que le gouvernement avait surtout eu en vue l'organisation de la production.
J'ai été informé par le contrôleur Sicé, le 6 septembre, que le secrétaire d'État à la Marine, compte tenu d'une conversation avec le ministre de la Production, avait pris position sur le principe même de la création d'un comité d'organisation pour l'industrie des transports maritimes. M. Sicé ne m'a pas caché que les services de la Marine marchande au secrétariat d'État à la Marine réfléchissaient à la question et préparaient un projet. C'est dans ces conditions que j'ai provoqué la réunion, le 11 septembre, des membres du Conseil exécutif présents à Paris ou de leurs représentants. Je tenais à leur faire part de la communication de M. Sicé et à recueillir leurs idées et leurs avis en vue de m'entretenir ultérieurement de la question avec les représentants des entreprises de navigation ayant leur siège à Marseille ou s'y étant repliées.
L'intérêt de cette réunion a été augmenté du fait que le contrôleur Sicé a prolongé son séjour à Paris pour y assister et faire un exposé sur la question. Cet exposé a tout d'abord confirmé officiellement que le secrétaire d'État à la Marine a décidé de provoquer la création d'un comité d'organisation dans l'industrie des transports maritimes et que l'on songe déjà à rédiger un projet. M. Sicé a, d'ailleurs, bien précisé qu'il comptait sur la collaboration du Comité central des armateurs de France  qui, dans son esprit, doit être la cellule autour de laquelle se créera le comité d'organisation. Lorsque celui-ci aura donné des preuves de sa vitalité, le contrôleur  Sicé envisage que le Comité central des armateurs de France pourra s'identifier à cette organisation nouvelle et fusionner avec elle. Sur les tâches du comité d'organisation, M. Sicé a exprimé des idées en précisant qu'elles étaient officieuses voire même personnelles. Il n'est pas entré dans de grandes précisions, sauf sur un point. Il a affirmé que l'organisation devait être faite par la profession elle-même. Il semble bien que, dans sa pensée, toute idée d'étatisme doive être exclue. Il compte qu'une profession évoluée comme l'armement saura se discipliner elle-même. Toutefois, sur un point particulier, il a exprimé que la profession ainsi organisée devait considérer comme une de ses attributions essentielles de mettre en commun ceux des éléments de son activité qui ne consistent pas dans la recherche et le transport du fret et des passagers. Pour préciser sa pensée, M. Sicé a mis en avant l'exemple dé la "base navale" qui constitue, a-t-il dit, les services de l'arrière de la Marine et qui se charge de tout ce qui concerne la vie du navire dans le port - réparations, entretien, approvisionnement, nourriture de l'équipage, etc. M. Sicé estime que l'armement doit mettre en commun ses "services de l'arrière", acheter en commun le combustible, les approvisionnements, tout ce qui concerne, d'une manière générale, l'armement, l'avitaillement et la réparation des navires, la nourriture de l'équipage, la manutention, l'assurance ou la réassurance, etc. en somme traiter en tant que comité d'organisation de l'industrie des transports maritimes avec les industries et commerces organisés de leur côté.
M. Sicé a fait une allusion à la question sociale qui est visée, in fine, à l'article 2 de la loi du 16 août 1940 et qui, en tout état de cause, doit être une des préoccupations de l'organisation professionnelle. M. Sicé n'a pas soulevé la question de savoir comment les compagnies de navigation contractuelles ou subventionnées pourraient adapter leurs actuels statuts légaux à celui de l'organisation professionnelle.
Compte tenu de la conversation officieuse qui a suivi l'exposé de M. Sicé, il semble que l'on puisse dégager, en se plaçant du point de vue de l'armement, les idées suivantes :
1.- Il est indispensable que, pour le moment, le Comité central des armateurs de France  subsiste dans sa forme et ses attributions actuelles. En effet, l'article 2 de la loi du 16 août 1940 prévoit que les comités d'organisation sont des créations provisoires dont I'activité cessera lors de l'établissement du cadre définitif de l'organisation professionnelle. Par suite et si même ce cadre définitif est calqué assez étroitement sur celui des comités d'organisation, il ne peut être question de démembrer un organisme professionnel qui fonctionne depuis 37 ans et de le remplacer purement et simplement par un organisme provisoire. Il sera toujours temps de prendre une décision lorsque l'organisation définitive annoncée par l'article 2 de la loi du 16 août 1940 sera établie. Cette manière de faire paraît d'autant plus raisonnable que les tâches respectives du syndicat professionnel et du comité d'organisation ne paraissent pas devoir faire double emploi. L'action du comité d'organisation apparaît, aux termes mêmes du programme défini à l'article 2, comme devant s'exercer dans le domaine pratique de l'activité industrielle ou commerciale. Or, c'est un champ d'action que, d'une manière générale, les syndicats professionnels se sont généralement interdit, sauf à créer des organismes spéciaux qui s'en préoccupaient.
2.- Les tâches principales qui paraissent devoir incomber à un comité d'organisation de l'industrie des transports maritimes peuvent se déduire, dans une certaine mesure, du programme établi par l'article 2 de la loi du 16 août 1940. Il semble, en procédant aux adaptations nécessaires, que le champ d'action du comité d'organisation de l'industrie des transports maritimes soit le suivant :
1°- coordonner le fonctionnement des entreprises d'armement et réglementer les conditions générales de leur activité ;
2°- organiser l'acquisition et la répartition d'un certain nombre de produits ou de prestations de services, pour lesquels une commune mesure peut être trouvée entre les différentes branches de l'armement.
3°- Avant d'examiner les moyens d'organiser un tel programme, il importe de voir les écueils à éviter :
a) II convient, tout d'abord, de ne pas faire une organisation trop vaste. Il est un point où une organisation industrielle ou administrative centralisée perd le contrôle de son propre fonctionnement. Faut-il rappeler que l'énorme consortium des compagnies de navigation constitué en Allemagne, il y a quelques années, a dû être dissocié en ses éléments primitifs peu de temps après.
b) Il importe également d 'éviter une superposition entre les services du comité d'organisation et ceux des entreprises d'armement. Le fonctionnement de la direction des Transports maritimes en temps de guerre a pu, à cet égard, donner des enseignements.
c) Sous prétexte d'organiser une profession et de mettre en commun un certain nombre de tâches qu'assument actuellement les entreprises de navigation considérées individuellement, il importe d'éviter d'aboutir à des solutions administratives qui seraient incompatibles avec la nature essentiellement commerciale de l'armement maritime. A cet égard, il est permis de considérer comme entaché d'erreurs un raisonnement qui prend ses points de comparaison dans l'organisation de la Marine militaire.
d) II importe également d'éviter avec soin les solutions qui négligeraient les particularités, non pas de telle ou telle entreprise de navigation, mais de telle ou telle catégorie de navigation. Il ne faut pas oublier que, sous le vocable d'armement maritime, on comprend des catégories d'exploitation très différentes et qu'il n'y a qu'un nombre limité de communes mesures entre un cargo charbonnier et un paquebot de luxe.
e) Mais s'il est désirable d'éviter les écueils qui viennent d'être énumérés, il en est un autre qui n'est pas moins redoutable. Ce serait de ne pas chercher sincèrement à réaliser l'organisation professionnelle dans les domaines où elle peut donner des résultats au profit de la collectivité. A cet égard, il ne s'agit pas de raisonner par rapport aux conditions d'avant-guerre, mais par rapport à une économie qui va se trouver transformée. Or, si les industries et les commerces avec lesquels l'industrie des transports maritimes est en rapport s'organisent sur des bases nouvelles, il est indispensable, ne serait-ce que pour tenir compte de ce fait, que l'industrie des transports maritimes se discipline, de manière à pouvoir parler d'égale à égale avec des professions ayant déjà fait leur effort d'organisation.
IV.- Que convient-il donc de faire ? Déjà, dans le passé, un certain nombre de syndicats professionnels ont créé des organisations distinctes pour effectuer des opérations en commun dans le domaine industriel et commercial. Faut-il citer les comptoirs de vente qui gravitent autour du Comité des forges, la coopérative d'achat de poteaux de mines qu'a organisé le Comité des houillères ?
Mais sans aller si loin, on peut rappeler que le Comité des armateurs a, en 1937, créé une commission de coordination qui, dans une certaine mesure, et pour certaines catégories de navigation, sans autres pouvoirs que ceux qui lui avaient été librement consentis, a mis fin à des faits de concurrence qui affaiblissaient des armements sans profit pour la clientèle.
On ne saurait trop insister sur le fait que l'industrie des transports maritimes a déjà réalisé un important effort de discipline. Concentrations d'entreprises, accords de zone ou de fret, ententes avec le personnel navigant, bien antérieures à la législation de 1936 ; toutes ces réalisations en même temps qu'elles montrent les efforts passés peuvent tracer la voie à suivre dans l'avenir.
Ces exemples, ces tentatives et ces réalisations permettent, semble-t-il, de tracer la voie à suivre.
Il paraît, tout d'abord, indispensable que le comité d'organisation soit composé d'un nombre restreint de membres, dont chacun représenterait une catégorie d'armement. Il serait entendu qu'avant de prendre une décision, les représentants de la catégorie d'armement consulteraient leurs collègues sous une forme à déterminer. Les attributions de ce comité d'organisation seraient doubles : c'est lui qui devrait assurer les tâches que l'on a définies depuis quelques années sous les vocables de "rationalisation" et de "coordination". C'est lui qui devrait veiller à éviter entre les différentes entreprises de l'armement des concurrences nuisibles et à présider au regroupement et aux répartitions nouvelles qu'une modification du champ d'action de l'armement français pourrait un jour conduire à déterminer. C'est lui qui pourrait être appelé à se prononcer sur les programmes de construction, sur les moyens de financement, en un mot, sur les conditions générales de l'activité de l'industrie des transports maritimes, sur le statut du navire et celui du personnel navigant.
Ceci dit, le comité d'organisation aurait à examiner dans quel domaine l'acquisition et la répartition des produits ou services nécessaires à l'armement maritime peuvent être utilement réglementées. Peut-on envisager d'avoir une politique commune pour l'achat des combustibles, des objets d'armement et d'avitaillement, la nourriture des équipages, de traiter avec les chantiers de construction et de réparations, les compagnies d'assurance ou de réassurance ? Toutes les fois que le comité d'organisation aurait estimé qu'une politique d'ensemble pourrait utilement être substituée dans tel ou tel domaine aux initiatives particulières, il créerait alors un groupement satellite qui serait chargé de cette tâche. Pour éviter de créer des emplois inutiles et de superposer les services du comité d'organisation à ceux des entreprises de navigation, il conviendrait d'utiliser dans ces organismes secondaires les chefs de service des entreprises de navigation, choisis suivant leurs spécialités, étant entendu qu'en cas de nécessité, des groupements correspondants seraient désignés dans les ports et composés également d'éléments professionnels locaux existants.
Telles sont les idées qu'il paraît utile d'approfondir pour l'étude de la question de l'organisation professionnelle dans l'industrie des transports maritimes.

J.M.


Retour aux archives de 1940