1939.00.De Worms Services charbon.Note sur les contingentements en matière de charbon

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Les contingentements en matière de charbon

L’importation du charbon a été contingentée par le décret du 10 août 1931, le marché ayant été libre jusqu’à cette date.
Le décret fut pris très rapidement et suivant de quelques jours à peine un banquet du Syndicat central des importateurs au cours duquel avait été donnée l’assurance formelle que cette mesure serait évitée.
La véritable raison doit être cherchée dans l’intérêt du Comité des houillères groupant les différentes compagnies minières. Les usines françaises croyaient leur prospérité menacée par les importations de charbon étranger vendu à meilleur prix que le charbon français. Par l’intermédiaire des députés à leurs gages, elles firent jouer la veine sentimentale, la rengaine du pauvre ouvrier qui allait être réduit au chômage. C’est en vain que les importateurs mirent à leur tour en avant le pauvre docker que la restriction des importations allait priver d’une partie de son gagne-pain, les houillères l’emportèrent.
Le contingentement est officiellement fixé à 58,5 %. Mais en fait, il n’est que de 40 %. Comment expliquer la différence ? L’étude du mécanisme des contingentements va nous fournir la réponse.
La protection du marché français contre le charbon étranger est assurée par trois systèmes différents qui sont le contingentement, les certificats d’origine et les licences d’importation.
Le contingentement consiste dans l’attribution à l’importateur d’un certain pourcentage que ses importations ne doivent pas excéder. Le décret de 1931 a choisi comme base les années 1928-1929-1930, chaque importateur ayant dû fournir le chiffre exact de ses importations au cours de ses trois années, auxquelles fut attribué le coefficient 100 les contingentements ne sont actuellement en vigueur que pour les charbons anglais.
Les licences d’importation représentent l’autorisation donnée à un importateur français nominalement déterminé, d’introduire en France une certaine quantité de la marchandise contingentée. Elles sont accordées après examen des documents par le ministère des Travaux publics et le ministère des Finances. La licence d’importation est établie en quatre exemplaires dont est remis au directeur des mines, un autre à la direction centrale des douanes, un troisième à l’importateur et enfin un quatrième à la douane locale. Il s’établit ainsi tout un réseau de contrôle.
Le certificat d’origine enfin est un document remis au producteur et l’autorisant à importer en France, une certaine quantité de marchandises. Ce procédé favorise évidemment le producteur qui ne résiste pas à la tentation de monnayer l’autorisation qu’il possède et majore le prix du charbon. L’octroi des certificats d’origine, de même que celui des licences est placé sous le contrôle de la direction des mines et des douanes.
Voici les outils. Comment fonctionnent-ils ?
Le contingent des charbons anglais est actuellement établi à 58,5 %. La référence anglaise mensuelle étant de 800.000 tonnes, c’est donc un peu moins de 500.000 tonnes qui ont le droit d’entrer en France…
Or, la direction des mines a droit à une part réservataire, c’est-à-dire à un certain pourcentage relevé sur le contingent. Elle a revendiqué cette part réservataire destinée : 1° à fournir un certain contingent aux sociétés n’existant pas encore en 1928-1930 et n’ayant par conséquent pas d’indice-base, 2° à combler la différence entre les charbons et les fines (débris de charbons) destinés à l’agglomération qui sont contingentées à 78 % ; 3° enfin à constituer diverses licences spéciales.
Ces licences sont celles des Chambres de commerce maritimes, d’une part, et des ports normands d’autre part.
Les Chambres de commerce maritimes d’abord ayant fait valoir le relâchement de l’activité des ports, se virent attribuer un certain contingentement prélevé sur la part réservataire de la direction des mines et prise par conséquent à l’intérieur du contingentement. Il leur fut recommandé d’accorder la préférence aux charbons destinés à l’usage domestique. Il faut mentionner ici que la licence de l’Union des Chambre de commerce maritimes (dite licence UCCM) peut être demandée pour n’importe quelle provenance ; elle n’est pas limitée aux charbons anglais comme les autres.
Les ports normands chargés du ravitaillement de Paris (Rouen, Le Havre, Honfleur, etc.) protestèrent alors à leur tour, ce qui leur valut d’obtenir un contingent de 40.000 tonnes par mois, la moitié du tonnage devant être en charbons de Cardiff et l’autre moitié en anthracite. La répartition du contingent entre les différents ayants droits doit être établie de manière à corriger le contingentement ordinaire.
Si nous envisageons par exemple le cas d’un importateur de port normand, nous constatons qu’il peut importer du charbon à un simple titre : en vertu du contingentement ordinaire, en vertu de la licence UCCM et enfin en vertu de la licence port normand.
La part prélevée par la direction des usines pour faire face à ces diverses attributions est variable, tantôt 13,5 % et tantôt 10,8 %. L’administration a en effet établi une distinction entre l’importateur consommateur, c’est-à-dire l’industriel dont l’usine ne peut fonctionner, s’il est privé de la possibilité de se procurer le combustible nécessaire, et l’importateur revendeur. Elle favorise le premier, dont le contingentement se trouve réduit à 47,7 % (58,5 – 10,8), alors que celui du commerçant revendeur n’atteint que 45 % (58,5 – 13,5).
Telle serait la situation déjà suffisamment compliquée, si le charbon abstraction faite de son usage industriel et domestique, ne jouait en France un rôle spécial, celui d’instrument d’échange. Chaque fois qu’un commerçant français, que ce soit le marchand de nougat de Montélimar, ou le vigneron du Midi, veut vendre ses produits à un pays étranger qui ne s’en soucie guère, le commerce français lui tient le langage suivant : achetez mon nougat, et j’achèterai votre charbon. C’est ainsi qu’on conclut un accord commercial.
Or, les fabricants de poteaux de mines des Landes et les exportateurs et affréteurs du port de Bayonne s’émurent, voici quelque temps, de voir que l’Angleterre ne leur achetait plus leurs marchandises, préférant se fournir en Norvège, Finlande, etc. où les poteaux de mine sont meilleur marché ; bien que, paraît-il, de plus mauvaise qualité. Ils proposèrent donc d’échanger des poteaux de mines contre des charbons anglais.
Un décret du mois d’août 1934 leur donna satisfaction. L’accord primitif prévoyait l’échange de 120.000 tonnes de charbon contre 60.000 tonnes de poteaux de mines par trimestre. Actuellement ces chiffres sont respectivement 120.000 tonnes et 80.000 tonnes.
Le curieux de l’histoire, c’est que ces licences, au lieu d’être remises aux importateurs français, le sont aux mines anglaises, ce qui met ces dernières dans une situation privilégiée analogue à celle que nous avons eu pour les certificats d’origine et dont elles ne se font pas faute de profiter.
Actuellement, les mines anglaises se font payer une licence poteaux de mines plus de vingt francs la tonne, ce qui leur permet de rattraper et au-delà la différence existant entre les prix français et les prix norvégiens ou finlandais. La vente des licences et certificats d’origine s’avère comme une affaire très lucrative, dont les marchands de charbon français font les frais.
Les marchands anglais ont été si satisfaits de cette modalité qu’ils ont voulu conclure un accord général sur ces bases. D’ailleurs, l’Angleterre jouit par rapport à la France de la clause de la nation la plus favorisée. Juridiquement, elle a donc le droit de revendiquer les certificats d’origine à l’instar des autres pays exportateurs de charbon. Pratiquement, la France a été sur le point de les lui concéder au cours des négociations de l’emprunt français à Londres. On s’est aperçu à la dernière minute que ce serait retourner complètement la situation au bénéfice de la mine anglaise. Provisoirement rien n’a été fait, sans que pour cela la question soit définitivement enterrée.
Mais, il ne suffit pas à la direction des mines de faire supporter par l’importateur français les frais de ces licences poteaux de mines, qui ont pourtant été créées sur son instante réclamation, se donnant à peu de frais un air de générosité, elle a déduit du contingent anglais général le tonnage affecté aux licences PM, soit 5 %. La part des importateurs se trouve ainsi définitivement réduite à 42,7 % et 40 %. L’administration a accordé beaucoup de facilités, ais en retirant d’un côté ce qu’elle a donné de l’autre.
C’est ainsi que le contingentement, officiellement fixé à 58,5 %, n’est en fait que de 40 %.
La réduction du contingentement, sinon en droit, du moins en fait, est évidemment conforme à l’intérêt des mines françaises. Elle s’explique par les bonnes relations qu’entretient le Comité des houillères avec la direction des mines. Le Comité des mines au ministère des Travaux publics, chargé de la répartition du contingentement, est en effet composé de la manière suivante :
M. Galliot, directeur des mines
M. Weil, ingénieur en chef, chargé des licences
M. Parent, du Comité des houillères
M. Charvet, représentant le Syndicat central des importateurs
M. Thouvenin.
Des représentants des grands services utilisant le charbon, et notamment M. Nohel, représentant l’électricité et qui fait partie de toutes les sous-commissions.
Enfin, les représentants du ministère du Commerce, du ministère des Finances, du ministère des Affaires étrangères.
Dressons maintenant le bilan du système.
Les mines du Nord et du Pas-de-Calais demandent à hauts cris les contingentements pour ne pas réduire leurs ouvriers au chômage. En fait, elles maintiennent leurs dividendes, mais ont réduit le personnel de 15 à 20 [%]. En même temps elles vendent plus cher et ont créé des comptoirs de vente florissants qui sont pour elles une nouvelle source de profits.
Les importateurs, eux, protestent bien contre les contingentements, tout en se gardant de crier trop fort. Si le contingentement réduit le volume de leurs affaires, il présente en même temps pour eux un bénéfice incontestable, puisqu’il supprime la concurrence.
Les victimes de cet état de choses sont les armateurs d’une part et la masse des consommateurs d’autre part.
La misère des armateurs français est devenue telle qu’il a fallu constituer une caisse commune alimentée par des cotisations et qui leur assure une sorte de minimum de vie précaire.
Le contingentement a eu sa répercussion sur l’ensemble des consommateurs en provoquant la hausse du prix de vente ou du moins en le stabilisant là où il avait tendance à la hausse.
C’est la masse des consommateurs qui fait les frais de l’opération, dont profitent quelques uns.

[Le document n'est pas daté. Il est classé en 1939 puisqu'il figure avec un document daté du 28 juin 1939]
 

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