1933.11.03.De L'Humanité.Article dockers Worms

Le PDF est consultable à la fin du texte.

Avec les dockers lock-outés de Dunkerque.
Un drame parmi tant d’autres…

Nous discutions avec quelques camarades dockers sur les prétentions patronales et en particulier sur les « garanties » demandées par les entrepreneurs « en vue d’un travail normal sur le port ».
Chacun nous citait quelques faits, sur la violation du contrat par les patrons, sur les dures conditions de travail imposées aux dockers, et tous concluaient en revendiquant des garanties pour les ouvriers du port.
Et voici qu’au milieu de la conversation, un copain se mêle à notre groupe et nous demande si nous connaissions l’affaire de la maison Worms, relativement récente, qui fit grand bruit sur le port comme dans la ville.
Devant notre réponse négative, ce camarade nous relata les faits, que nous rapportons fidèlement aux lecteurs de l’humanité.

Les suites d’un accident

Voici quelques mois, un ouvrier docker fut victime d’un grave accident au cours de son travail. Un de ces nombreux accidents qui se produisent journellement sur le port.
Cet accident empêcha par la suite l’ouvrier qui en fut victime d’accomplir tous les travaux du port. Il ne pouvait faire que du travail de débordage ou d’homme de treuil.
Il y a plusieurs semaines, cet ouvrier fut occupé par la maison Worms en qualité de treuilliste au déchargement d’un navire de graines au « garant ».
Comme c’était son droit, et en application du contrat de travail (page 37), il demanda au contremaître le paiement de la prime prévue pour ce travail, soit 4 francs par vacation.
Le contremaître, qui sans doute avait des ordres, se faisait tirer l’oreille pour payer la somme due. Aussi fallut-il encore que le convoyeur du syndicat unitaire intervienne pour que le contrat soit respecté.

Un drame

L’incident semblait donc terminé. Il n’en était rien.
Une fois le déchargement du navire terminé, l’ouvrier se rendit au magasin pour rapporter les outils. Là se trouvait un certain Alexandre, chef de service de la maison Worms.
Quand notre camarade arriva, cet individu lui décocha une bordée d’injures, mettant le syndicat en cause et termina en déclarant que pour punir notre camarade il donnerait son nom à l’Union maritime et commerciale qui ferait le nécessaire auprès des entrepreneurs pour l’empêcher de travailler dorénavant sur le port.
Cette cynique déclaration avait profondément touché notre camarade.
Rentré chez lui, il réfléchit longuement. Les menaces du chef de service lui firent entrevoir des perspectives noires : plus de travail, la misère…
Ne pouvant y tenir, il saisit un rasoir et s’ouvrit la gorge. Transporté à l’hôpital, perdant son sang en abondance, il resta de longs jours entre la vie et la mort.
Tel est le douloureux résultat des méthodes patronales.
On ne peut trouver de mots pour qualifier de tels actes. Et l’on comprend la volonté des dockers d’arracher des « garanties » pour leur travail, leur volonté de défendre leur puissant syndicat unitaire contre l’offensive de l’Union maritime et commerciale, leur volonté enfin d’obtenir un salaire que leur permette de vivre eux et leur famille.

Ils vaincront !

Petit fait isolé, dira-t-on en lisant ces lignes. Sans doute ! Mais combien d’autres se sont déroulées soit sur le port, soit dans les foyers ouvriers.
Sur le port, avant le lock-out, c’était l’insécurité dans le travail. Quelques centaines de dockers seulement étaient employés quotidiennement sur plus de 4.000. Les autres chômaient. Ils allaient de « comptage en comptage », à la recherche de l’embauche : puis ils rentraient chez eux sans avoir trouvé de travail.
Ceux qui étaient employés au chargement et au déchargement des navires étaient, au cours de leur dur labeur, menacés à chaque instant d’être accidentés. On pouvait lire chaque jour, dans la presse régionale, une liste assez longue des accidents survenus sur le port.
Dans les foyers régnait la misère. Les femmes et les enfants réclamaient du pain, du lait, de la nourriture, des habits… Ce strict nécessaire, le docker ne peut le fournir à sa famille.
C’est un grand drame qui se déroule dans le grand port du Nord. Et l’on comprend, devant ces faits, l’énergie farouche qui anime présentement les dockers lock-outés. On comprend qu’ils veulent vaincre, arracher leurs revendications et maintenir dans toute sa puissance leur organisation de défense et de lutte.
Oui ! Les dockers veulent vaincre. Ils sont prêts, pour cela, à faire les plus grands sacrifices. Mais ils ne doivent pas être seuls dans la bataille présente. Ils doivent être épaulés par tout le prolétariat.
Déjà quelques résultats ont été obtenus en ce qui concerne la solidarité financière. Il faut faire plus encore.
De partout, la solidarité doit s’affirmer largement.
Ainsi, soutenus par toute la classe ouvrière, les dockers de Dunkerque, au passé de lutte et d’action vigoureuses, arracheront la victoire.

R.-G. Radi
 

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