1926.06.12.A Worms et Cie Le Havre.Rapport sur Sovtorgflot

NB : Ce rapport, dont la copie image n'a pas été conservée, fait partie d'un dossier sur la "Sovtorgflot" et la ligne Le Havre et/ou Dunkerque et Leningrad qui fut transmis, en 1978, à Francis Ley par Roland Gada, pour la documentation de l'ouvrage "Cent ans boulevard Haussmann", documentation regroupée dans une reliure sous le titre "Témoignages maritimes".

Particulière

Le 12 juin 1926
Messieurs Worms & Cie
Le Havre

Messieurs,
Ligne de Russie. Les formalités de police et de douane à l'arrivée de Leningrad sont lentes et compliquées. Les nombreux fonctionnaires (ils étaient six sur s/s "Yainville") chargés du contrôle étant dépourvus d'habilité et surtout d'initiative, la moindre irrégularité ou imprécision dans l'établissement des documents peut retarder de plusieurs heures la libération du navire.
Je vous ai écrit à ce sujet le 26 mai, dès notre arrivée, dans l'espoir que ma lettre vous parviendrait avant le départ du s/s "Jumièges".
Le directeur de Sovtorgflot assure que les lenteurs constatées à l'entrée et à la sortie du "Yainville" proviennent uniquement de ce que l'on n'a pas encore, à Leninport, l'habitude de voir des navires français.
Port de Leningrad. L'accès au port de Leningrad est très facile. Les chenaux sont larges, les bassins vastes et la profondeur est partout suffisantes pour nos navires.
Nos vapeurs pourraient aisément, lorsque le temps est calme et le port peu encombré, entrer et accoster par leurs propres moyens, mais l'administration du port exige que l'on prenne un remorqueur pour entrer et sortir.
Les remorqueurs sont généralement fournis par le port au prix de Rs 30.- par heure (voir annexe 1, le tarif des droits, taxes et opérations des navires dans le port de Leningrad). Toutefois, Sovtorgflot possède un remorqueur qu'il utilise lorsque c'est possible pour ses propres navires et ceux qui lui sont consignés et pour lequel il ne compte que 25 roubles ou même, dans certains cas, 20 roubles.
Les quais du port sont spacieux et en bon état. Ils sont abondamment pourvus de voies ferrées. Il y a de nombreux magasins bien construits et bien entretenus. On en bâtit plusieurs nouveaux, en béton, de dimensions impressionnantes.
Le port dispose de 13 grues électriques neuves de trois tonnes. Il doit en avoir 24 d'ici la fin de l'année. Les grues flottantes sont au nombre de 8, pouvant lever respectivement 25 (3), 35, 50, 75, 100 et 200 tonnes. A signaler également deux grands élévateurs à grain, six transbordeurs à blé et six transbordeurs à beurre.
Il n'y a pas actuellement d'emplacement spécialement affecté au débarquement des marchandises dangereuses, la douane désigne, suivant les cas, le poste qui lui parait le plus propre à cette opération (voir annexe 2 - règlement de douane imposé aux navires entrant à Leningrad).
Sovtorgflot possède un atelier de réparation. Toutefois, en cas d'avaries nécessitant le passage en cale sèche, le navire devrait être conduit à Cronstadt, aux chantiers de la marine de Guerre, qui ne travaillent, paraît-il, ni vite, ni bien.
On utilise de préférence à Leningrad le charbon du "Donetz", mais il est presque toujours possible d'obtenir du "Newcastle". Leur prix actuel, à tous deux, est de 65/- rendu soutes. On s'attend à une baisse sérieuse sous peu.
J'ai eu toutes les peines du monde à obtenir un plan du port. On m'a promis de remettre au capitaine de notre prochain vapeur deux copies d'un plan qui se trouve chez Sovtorgflot et qui fera mieux notre affaire que celui que vous trouverez ci-joint (annexe 3).
Pour ce qui est des avaries que les navires peuvent subir ou causer, le règlement s'opère de la manière suivante :
L'intéressé fait appel moyennant paiement de £ 5.- à la "Commission spéciale d'expertise" qui établit les causes et la responsabilité de l'accident et fixe l'importance des dégâts. La Commission doit comparaître ensuite, accompagnée des deux parties, devant le "narsud" (juge de paix) qui confirme la décision des experts.
En principe, en cas d'avarie à un de nos vapeurs, Sovtorgflot ne pourrait nous indemniser, même s'il le voulait, sans faire intervenir au préalable la Commission d'expertise et le "Narsud". Il est probable toutefois que pour des avaries de peu d'importance, il se trouverait des moyens plus simples de régler l'affaire.
Le port est divisé en deux zones réservées l'une aux importations, l'autre aux exportations.
Zone d'importation : (marchandises à l'entrée). Elle occupe la partie nord du port. approximativement limitée au sud par la gare "nouveau port" et la "station électrique". Elle comporte 2.500 à 3.000 mètres de quais.
Cette zone est administrée par la douane qui dispose seule des magasins, des places à quai et qui, par l'intermédiaire de son organisation de transit "Sevzappogrouz" reçoit les marchandises sous palan, les met en magasin, les réexpédie.
La douane fait subir aux marchandises à l'entrée un pointage extrêmement minutieux. Les moindres erreurs ou lacunes dans les marques et numéros des colis provoquent des complications.
Sovtorgflot nous recommande de veiller très soigneusement à l'établissement des manifestes au départ - toute différence dans le nombre des colis pouvant motiver de la part de la douane des amendes parfois très élevées.
Le vapeur "Orne" qui se trouvait à Leningrad en fin de navigation 25, a dû, paraît-il, payer des amendes de douane pour plus de £ 100.
A l'arrivée du s/s "Yainville", heureusement, le nombre des colis pointés par la douane correspondait exactement avec celui du manifeste.
Aucune ligne ne peut avoir, en principe de poste fixe pour le déchargement de ses navires. La douane désigne les emplacements selon son gré et les nécessités de l'utilisation des quais et des magasins.
"Sevzappagrouz" a, pour la marchandises à l'entrée, le monopole des manutentions à quai, mais 4 entreprises lui font concurrence en ce qui concerne le stevedoring. Ce sont :
Transgortorg - Derutra - Russonorze et Portoflot.
Transgortorg : travaille surtout à l'exportation.
Derutra : fait l'arrimage de la plupart des navires allemands et notamment de ceux de la "Neue Stettiner Dampfschiffahrts G."
Russonorze : effectue les opérations d'une partie des navires scandinaves (travaille, paraît-il pour la Bergenske).
Portoflot : stevedore de Sovtorgflot et filiale de Sovtorgflot et de Port (administration du port. Le Port est une dépendance du Commissariat des travaux publics et des Voies et Communications). Ci-inclus annexe 4. La tarif officiel de stevedoring en vigueur à Leninport. Zone d'exportation : Contrairement à ce qui se passe à l'importation ou manutentions, magasinage, réexpéditions sont faites exclusivement par Sevzappogrouz, travaillant pour le compte et sous le contrôle de la douane, les magasins de la zone "exportation" sont exploités par les entreprises de transit déjà énumérées (Portoflot- Transgostorg - Derutra - Russonorze) et par les grands organes de vente à l'étranger, tels que :
Exportkhleb (céréales), Liessvexport - Sevzapliess (bois) - Maslogorstog - Khleboprodoukt (beurres, oeufs), etc.
Ces organisations reçoivent de l'intérieur les marchandises à exporter et les livrent sous palan. Elles se chargent également de l'arrimage en cale lorsque le navire n'a pas d'autre stevodore.
A signaler en passant que les 1.500 tonnes de blé prises par notre s/s "Yainville" et chargées par "Export-khleb", furent traitées d'après charte-partie, à 9/6, moins 1/ de frais d'arrimage (soit 8/6 free in). En principe, l'arrimage devait être fait par Portoflot, agissant pour le compte de Sovtorgflot. Or, nous avons pu nous rendre compte que ce furent les ouvriers de "Exportkhleb" seuls qui firent le travail - d'ailleurs insignifiant - dans les cales.
Aucun pointage n'eut lieu au chargement de la part de Sovtorgflot. Il y avait, par contre, les vérificateurs de l'Office des blés et ceux de Control Co.
D'après le capitaine du "Yainville", le navire aurait reçu environ 100 tonnes de plus que la quantité indiquée par les chargeurs et il nous fut impossible de prendre 50 tonnes de grain supplémentaires que l'on voulait nous donner.
Comme il a été déchargé exactement 500 tonnes de blé à Reval, il sera facile de vérifier à Rotterdam et au Havre.
Ci-inclus (annexe 5) relevé des usages du port de Leningrad en ce qui concerne la vitesse des chargements.
Sovtorgflot : (flotte de commerce soviétique).
Cette organisation travaille pour le compte des commissariats du Commerce et des Voies et Communications qui sont, ce que l'on appelle en Russie actuelle ses actionnaires.
Elle est dirigée par un soviet (conseil d'administration) siégeant à Moscou et composé des principaux chefs de service et de délégués des deux commissariats actionnaires.
Le président du Conseil est M. Lenzman, autrefois commandant du port de Leningrad.
Le chef du service étranger est M. Stachewski, homme habile et cultivé, qui, du côté russe, dirige les pourparlers relatifs à la ligne Havre/Leningrad.
Sovtorgflot se divise en 4 succursales. Ce sont :
Sovtorgflot Mer Blanche (Arkhangel)
Sovtorgflot Baltique (Leningrad)
Sovtorgflot Mer Noire (Odessa)
Sovtorgflot Extrême Orient (Vladivostok)
Chacune de ces succursales dispose en propre d'une flotte. Celle de Sovtorgflot Baltique se compose de 24 navires avec lesquels elle assure ou participe à 4 lignes régulières en dehors de la nôtre.
1) Leningrad-Londres (3 navires)
2) Leningrad-Hambourg (5 navires)
3) Leningrad-Stockholm (2 navires)
4) Leningrad-Odessa (3 navires). II y a, en outre, sur cette ligne, 1 navire fourni par Sovtorgflot Mer Blanche, 1 par Sovtorgflot Mer Noire et 1 par Ships Arcos.)
Sovtorgflot Agences générales : Sovtorgflot possède indépendamment de ces 4 succursales, qui constituent son organisation en Russie, 5 agences générales fonctionnant à l'étranger. Celles-ci dépendent directement de la direction de Moscou.
Elles sont établies à Hambourg, Londres, Paris, Milan et Constantinople.
L'agent général de Sovtorgflot à Hambourg travaille en liaison avec "Derutra" qui effectue toutes les opérations de Sovtorgflot en Allemagne. Sa situation est, en somme, la même que celle de M. Kissilev par rapport à notre Maison.
A Londres, Sovtorgflot n'a pas de délégué spécial, Shipsarcos étant à la fois consignataire et agent général.
Sovtorgflot Baltique : Cette succursale, la seule avec laquelle nous nous trouverons en rapport pour l'exploitation de notre ligne Russie, est dirigée par M. Sergounine.
Elle est divisée en deux départements : les transports maritimes et le transit. Nous n'avons eu à faire jusqu'à présent qu'au département transports maritimes, dont le chef est M. Charnel, et plus spécialement à M. Mordcukvitch, qui est en chargé du service fret.
Sovtorgflot occupe, non loin du centre de la ville, sur le bord de la Neva, un immeuble assez vaste, qui semble avoir abrité autrefois les bureaux d'une grande compagnie de navigation (sans doute ceux de la Flotte volontaire - Dobroflot - que Sovtorgflot a absorbé l'année dernière).
Ce local est assez éloigné du port par la route, mais à peu de distance par le fleuve.
Sovtorgflot dispose d'un canot et d'une automobile qui servent aux déplacements des principaux employés, notamment à ceux de l'inspecteur des opérations dans le port. M. Duteil.
M. Duteil parle très couramment le français, mais n'aura que peu de rapport avec nos Maisons.
MM. Chamet et Mordoukovitch connaissent suffisamment notre langue pour la lire, mais nous écrivent généralement en anglais.
On utilise d'une manière courante à Sovtorgflot les codes télégraphiques Scott, Bentley et A.B.C.
Bureau du port : Il est situé à l'entrée du port (côté ville),dans un grand immeuble où sont installés également la douane - Derutra - la poste et le télégraphe - le Port, etc. Sovtorgflot y occupe au rez-de-chaussée une seule pièce très vaste où travaillent une vingtaine d'employés. Les deux chefs de ce bureau sont MM. Ibo et Mordoukovitche.
L'employé chargé des formalités à l'entrée des navires, M. Chostakovski est un jeune homme fort obligeant, parlant assez bien français.
Arcos : (All Russian Cooperative Societies) est un organe de vente et d'achat à l'étranger de l'Union des coopératives russes.
Il est sans doute destiné à devenir un bon client de notre ligne, quoique son activité ait plutôt été jusqu'à présent, limitée à l'Angleterre.
Arcos possède un département transports maritimes appelé généralement "Ships Arcos", dont la siège est à Londres et qui représente Sovtorgflot en Angleterre ; Ships Arcos ne fonctionne pas en Russie où toutes les opérations sont effectuées par Sovtorgflot.
Arcos, par contre, possède un important bureau à Leningrad mais celui-ci ne s'occupe que d'opérations de vente et d'achat de marchandises.
Ships Arcos possède 5 ou 6 navires sous pavillon anglais, dont deux entretiennent une ligne régulière Londres-Leningrad.
Derutra : (Deutsch Russische Transport A.G.) est créé par le Commissariat russe du commerce : la Hapag et Schenker (d'autres participants de moindre importance s'y sont joints depuis). Elle représente Sovtorgflot en Allemagne. Elle possède un bureau et de beaux magasins à Leningrad où elle fait concurrence à Sovtorgflot. Derutra n'a pas de navires. Elle reçoit à Leningrad de nombreux affrètes et a la consignation des navires de la Neue Stettiner et de la plupart des vapeurs allemands.
Derutra a chargé 8 caisses de livres sur notre s/s "Yainville", à destination du Havre et sera, sans doute, un important client de notre ligne.
L'armement Bolten, de Hambourg, qui, en 1925, a envoyé un assez grand nombre de vapeurs à Leningrad, a dénoncé le contrat qu'il avait avec Sovtorgflot et l'on pense qu'il consignera, cette année, ses navires à Derutra.
Trafic de sortie : II est difficile de se faire une idée de ce que sera cette année l'importance du tonnage à destination de la France (voir annexe 6 le relevé des marchandises transportées de Leningrad en France en 1925).
L'absence de traité commercial avec la France et surtout de ligne régulière de navigation avec les ports français ont paralysé jusqu'à présent les exportations de Russie à destination de notre pays.
Les différentes personnes avec lesquelles j'ai causé de cette question, m'ont déclaré qu'il y avait, en sortie de Leningrad, les éléments d'un trafic intense avec les ports français, sans pouvoir toutefois préciser.
Les marchandises sur lesquelles nous devons surtout compter sont : les céréales, le lin, les oeufs (il faut s'attendre à de très gros envois d'oeufs, Sovtorgflot demandant instamment que nous mettions sur la ligne des navires à faux ponts), les douelles, les peaux salées, les soies de porc, l'asbeste, le goudron, le manganèse, les peaux et fourrures. Les taux de fret proposés par Sovtorgflot sont ceux de sa ligne Leningrad-Londres. On nous a proposé, alors que nous avions déjà arrêté notre chargement de douelles et de blé, 200 tonnes de nickel pour Le Havre au taux de 20/- qui seront chargés sur "Jumièges".
A part les douelles, et peut-être certaines qualités d'essence dure, il paraît que nous ne devrons pas compter transporter de bois cette année. Le prix de revient des sciages et même des rondins est trop élevé en Russie, pour que ces marchandises puissent concurrencer les bois de Finlande ou de Pologne et se vendre en France.
Sovtorgflot pense que nous aurons du mal au début, à remplir entièrement nos bateaux pour les ports français, mais il est convaincu que nous trouverons toujours du fret en suffisance pour des ports intermédiaires.
Les marchandises en sortie de Russie sont, sauf pour une petite partie qui est contrôlée par les entreprises de transit entre les mains des grandes organisations de vente, dont les principales sont :

- pour les bois : Sevzpliess - Liessoexport - Gostorg - Mologoliess (concession allemande)
- pour les céréales : Exportkhleb
- pour le lin : Gostorg - Lnortorg - Lnotzentre
- pour les volailles, oeufs et beurre : Khelbprodoukt - Selsoyous - Maslogostorg - Sibtorg - Sevzapsoyous - Ptitsevodsoyous, etc.
- pour les cuirs : Moskwineschtorg
- pour les fourrures : Gostorg
- pour les boyaux salés : Kischpramtorg
- pour les métaux : Roussmetaltorg
Certains de ces "exportateurs" notamment Exportkhleb, sont extrêmement puissants et font un peu la loi. C'est ainsi que pour les 1.500 tonnes de blé chargés sur notre s/s "Yainville", le capitaine dut, malgré mes protestations, aller signer les connaissements au bureau de Exportkhleb et sur les formules de cette organisation.
Sovtorgflot jouit d'un droit de priorité pour l'enlèvement des marchandises à la sortie de Leningrad. C'est-à-dire que les organisations ci-dessus ne devraient charger leurs produits sur les vapeurs d'une autre compagnie, qu'après s'être assurées que Sovtorgflot ne peut le faire à prix égal.
Les avantages que ce privilège peut procurer à Sovtorgflot doivent être bien précaires. Il semble facile de passer outre, et, d'ailleurs, j'ai cru remarquer que Sovtorgflot ne cherche guère à faire respecter son droit de priorité et qu'il n'est...
[La fin du rapport manque.]

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