1921.11.29.De Jules Avril - Journal du Havre.Article

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Le Trait, 29 novembre

Créer!

Créer ! Faire jaillir la vie du néant ! Telle est bien l'œuvre réalisée au Trait par MM. Worms et Cie !
Le Trait, petit village de 300 ou 400 âmes, situé sur la rive droite de la Seine, à mi-distance de Caudebec et de Duclair, n'avait pas d'histoire, ne possédant qu'une vitalité des plus relatives. Quelques pâturages en lisière des marais bordant le fleuve et une carrière de sable approvisionnant les environs faisaient vivre, tant bien que mal, ses habitants.
Or, aujourd'hui, Le Trait est à l'orée de la prospérité. Un véritable miracle a été, en effet, accompli. Les pâturages ont cédé la place à une agglomération ouvrière. Des marais transformés sont sortis des ateliers et des chantiers de constructions navales.

La guerre

La guerre, qui a causé tant de dévastations et semé la mort sur tant de points, a autorisé ce miracle, elle a permis au Trait de se transformer, de passer de la passivité à l'activité, en un mot de vivre !
La Compagnie Worms, comme toutes les compagnies de navigation, souffrait des pertes de ses unités et du défaut de réparation. Elle s'adressa aux chantiers navals existants. Ceux-ci étaient surchargés de commandes ou avaient orienté leur activité vers les productions de guerre.
Le problème eut semblé insoluble à beaucoup. La maison Worms ne s'embarrassa point de ces difficultés. Ce qu'elle ne pouvait obtenir des autres, elle résolut de le réaliser elle-même, en créant un chantier, son chantier.

Le choix du Trait

Pour installer ce chantier, la Compagnie choisit la commune du Trait. Ce choix fut basé sur des raisons géographiques : la profondeur de la Seine à cet endroit, la proximité des deux grands ports du Havre et de Rouen, la voie ferrée qui, par Barentin, relie Caudebec - et donc le Trait - à la grande ligne Havre-Paris.
Peut-on ajouter aux raisons géographiques des raisons historiques ? La Mailleraye, située sur la rive gauche, un peu en aval, fut jadis un centre important - important pour l'époque de constructions navales. C'était au début du XVIe siècle. On ne connaissait alors que la construction en bois, et la forêt de Brotonne fournissait les matériaux nécessaires.
Faut-il rappeler que le premier navire armé par les armateurs havrais pour la pêche à Terre-Neuve fut un voilier construit à la Mailleraye ? A cela rien d'étonnant d'ailleurs, puisque M. de la Mailleraye était, à cette époque, gouverneur du Havre.
Faut-il dire aussi que La Mailleraye tenait une telle place au point de vue de la navigation que tout bâtiment passant devant cette commune inclinait son pavillon et tirait trois coups de canon auxquels répondait le château ? Ce salut fut obligatoire jusqu'à la Révolution, et son usage se perpétua jusqu'en 1830, bien qu'à titre gracieux.

Travaux préparatoires

C'est à la fin de l'année 1916, que la Compagnie Worms fit l'acquisition des terrains s'étageant sur une longueur de 3 kilomètres entre la lisière de la forêt du Trait et la rive de la Seine.
Il fallut tout d'abord consolider les terrains marécageux longeant le fleuve. Des matériaux de toutes sortes furent amenés à cet effet et permirent de donner une base solide aux ateliers qui fonctionnent aujourd'hui.
Transformer le sol pour construire des ateliers ne suffisait pas. Il était nécessaire de s'assurer la main-d'œuvre. Et pour se procurer des ouvriers, il fallait songer à leur logement.
Une société immobilière fut fondée. Et chacun résolu à atteindre le but poursuivi, se mit à l'ouvrage. Constructeurs des chantiers et créateurs de la cité ouvrière rivalisèrent de zèle. Œuvre immense, œuvre presque surhumaine, étant donné les difficultés économiques de l'heure ! Toutes les entraves ont été brisées, l'œuvre est réalisée !

Les Ateliers

Conduit par M. Nitot, secrétaire général, j'ai visité les vastes ateliers dont je vais donner ci-dessous une rapide description.

Magasin général, salle à tracer et modelage

Quittant l'immeuble de la direction et suivant une ligne parallèle à la Seine, nous passons devant le garage et le dépôt d'essence et nous arrivons à une première construction en ciment armé. Cette construction, longue de 115 mètres sur 22 mètres, est divisée en trois parties : le magasin général, la salle à tracer et le modelage.
Dans le magasin général sont rangés tous les objets nécessaires à l'ameublement des bateaux, depuis les objets, de métal jusqu'à la verrerie et la porcelaine.
Puis c'est l'immense salle à tracer avec son parquet destiné au tracé des formes et à la confection des gabarits.
Cette salle est consacrée, en outre, aux cours professionnels sur lesquels nous reviendrons plus loin.
Enfin, c'est l'atelier de modelage, avec son outillage perfectionné : machines à bois, scies, raboteuses. Là travaillent de véritables techniciens chargés de faire les modèles en bois de toutes les pièces destinées à la fonderie. Et chacun sait combien ces modèles doivent être exécutés avec précision, notamment pour les pièces de machines.

Petit ajustage et forges

Poursuivant notre route, nous trouvons sur le même alignement, un bâtiment de 120 mètres de long sur 18 mètres de large, construit lui aussi en ciment armé. Ce bâtiment est divisé en deux parties, l'une consacrée au petit ajustage, l'autre aux forges.
Dans l'atelier de petit ajustage sont installés des tours de toutes dimensions, des raboteuses, des meules.
Dans l'atelier des forges, nous voyons, outre les forges, des pilons de toutes forces et une machine à fabriquer les rivets.

Parc à tôles

Entre les deux bâtiments que nous venons de visiter et une série d'autres bâtiments, construits parallèlement à ceux-ci et dont nous nous entretiendrons par la suite, se trouve le parc à tôles. L'intérêt de ce parc se concentre sur son portique, desservant le parc dans les trois sens, sens longitudinal grâce à un chemin de roulement, sens transversal grâce à la mobilité de la grue, et sens giratoire grâce au mouvement de rotation complet de la grue.

Grand ajustage et chaudronnerie

Au-delà du parc à tôle et sur une ligne formant angle aigu avec celle des deux bâtiments décrits plus haut, s'élève une construction longue de [...] mètres et large de 35 mètres, [...].
L'atelier de grand ajustage offre une nef principale et deux nefs de bas-côtés. Dans les deux petites nefs sont installés les tours, au-dessus desquels circule un pont roulant d'une force de 5 tonnes. Dans la nef centrale, où l'on procède au montage des grandes machines (actuellement, 4 machines sont en cours de montage), fonctionnent les raboteuses et les grands tours pour les "arbres". Au faîte de cette nef sont placés deux ponts roulants, l'un d'une force de 30 tonnes, l'autre d'une force de 50 tonnes. Ces deux ponts représentent un poids total de 100 tonnes supporté, sans fatigue apparente, par des colonnes de ciment armé.
Passons dans la chaudronnerie où nous retrouvons les trois nefs et des ponts tournants semblables à ceux que nous venons de voir. Là, des chaudières sont en cours de construction. Notre attention est attirée par la machine à cintrer des tôles de 25 millimètres d'épaisseur. L'opération se fait à froid par coups de piston successifs. Les tôles doivent passer deux fois à la presse. Leur cintrage s'effectue en 84 heures.
Puis nous assistons au cintrage des fonds de chaudières. Ce cintrage se fait à chaud. Les fonds retirés de la machine sont placés sur un "marbre de four" où ils sont réchauffés ; et les forgerons leur donnent, à coups de marteau, la courbure désirée.
Enfin, nous voyons fonctionner la machine à percer les tubes de chaudières.

Station hydraulique et pneumatique

Revenant sur nos pas, nous nous dirigeons vers une suite de bâtiments construits sur une ligne parallèle au parc à tôles. Le premier de ces bâtiments est la station hydraulique et pneumatique.
La force hydraulique, réclamée par les machines à tomber les bords et à cisailler les profilés, par les grosses presses à cintrer les tôles des chaudières et par les grosses riveuses de chaudronnerie, est fournie par un accumulateur hydraulique donnant 110 kilo par centimètre carré. Cet accumulateur est alimenté par deux pompes actionnées par un moteur électrique de 100 HP chacune.
La force pneumatique, réclamée par le rivetage, le matage et le burinage à bord, et par les pilons de la forge, est obtenue par deux machines pneumatiques de 30 mètres cubes à la pression de 7 kilo par centimètre carré. Notons qu'il existe une troisième machine de secours.

Atelier de tuyauterie

Poursuivant notre visite, nous pénétrons dans l'atelier de tuyauterie. Les Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime reçoivent les tuyaux bruts. Ces tuyaux sont remplis de sable avant de passer dans les foyers, afin que la chauffe ne réduise point leur diamètre, lorsqu'on leur donne la forme voulue ; et l'on sait quelles formes plus capricieuses les unes que les autres doivent avoir les tuyaux à bord des navires.

Atelier des Coques

Quittant l'atelier de tuyauterie, nous entrons dans l'atelier des coques. Cet atelier, de 200 m. de long sur 40 m. de large, est divisé, en plusieurs parties, suivant que les opérations doivent être effectuées à chaud ou à froid.
A l'entrée, sont installées cisailles et poinçonneuses.
A gauche, se trouve le four à membrures. Plus loin, nous assistons au "cramponnage" d'une membrure.
Puis, voici les fraiseuses, qui donnent aux trous faits par les poinçonneuses la forme nécessaire pour l'adaptation adéquate des rivets. Nous voyons encore fonctionner les raboteuses de tôles, la "guillotine hydraulique" qui sectionne les barres.
Notons aussi une machine destinée à amincir la bordure des tôles, afin que l'accouplage ne présente point une double épaisseur, mais une seule. Il est à remarquer que, grâce à cette façon de procéder, on arrive à gagner un poids de 15 à 20 tonnes sur un navire. C'est là un résultat qui n'est point négligeable.
A l'extrémité de l'atelier des coques est placée une grande machine non encore en fonction, mais qui est très remarquable à cause des multiples opérations qu'elle effectuera : courbure, amincissement, sectionnement, rabotage.

Menuiserie, affûtage et scierie

A l'extrémité est des Chantiers est édifiée la menuiserie, bâtiment de 80 mètres de longueur sur 40 de largeur, où est réuni l'outillage le plus moderne. Citons, notamment, une machine à quatre faces, actuellement en cours de montage, pouvant en même temps raboter, faire les moulures, etc.
Tous les meubles nécessaires à l'aménagement des bateaux et des maisons ouvrières sont fabriqués et vernis dans cette menuiserie, en avant de laquelle se trouvent l'atelier d'affûtage des scies, le magasin de séchage des bois, la scierie mécanique, et l'atelier de charpente.

Station centrale électrique

[...] Déjà, tous les appareils de ces cales sont arrivés.
La station centrale électrique comprend trois groupes de 500 kw chacun pour la force motrice et deux groupes de 30 kw pour l'éclairage. Des câbles de force et de lumière, indépendants les uns des autres, répartissent l'électricité dans les divers ateliers.
A titre d'indication, disons que l'atelier des Coques exige une force de 450 HP ; la grosse chaudronnerie, 480 ; l'outillage et la forge, 70 ; le grand ajustage, 800 ; les grues et les treuils, 850 ; le portique du parc à tôles, 80 ; la scierie, 50 ; la menuiserie, 50 ; la station pneumatique et hydraulique, 500.

Les Chantiers

Les chantiers proprement dits comprennent six cales de construction. Ces cales sont de deux types.
Les deux premières cales ont 170 mètres de longueur, dont le radier en ciment armé de 8 mètres et un mètre de profondeur établi sur des pieux. Elles peuvent porter 50 tonnes par mètre. On peut y construire des navires de 17.000 tonnes.
Les quatre autres cales ont 135 mètres de longueur et 80 centimètres de profondeur. Elles peuvent porter 30 tonnes par mètre et permettent de lancer des navires de 9.000 tonnes.
En avant des cales se trouve un radier de 60 mètres de long sur 8 mètres de large.
Ces cales sont desservies par quatre grues Titan. Trois d'entre elles peuvent soulever 4 tonnes à 24 mètres de flèche et 35 mètres d'altitude et 8 tonnes à 12 mètres ; la dernière, 3 tonnes à 17 mètres de flèche et 25 mètres d'altitude.
Elles possèdent, en outre, 4 treuils électriques dont la force varie entre 3 et 5 tonnes.
Ces six cales sont toutes occupées ; deux par des bateaux, genre "Listrac", pour la Compagnie Worms ; et quatre par les cargos charbonniers commandés par la Marine marchande. Notons que la commande de l'État comporte deux autres charbonniers, dont l'un remplacera sur cale le "Capitaine-Bonelli", lancé aujourd'hui. Les autres cargos seront lancés de 3 mois en 3 mois.

Le "Capitaine-Bonelli"

Le vapeur charbonnier "Capitaine-Bonelli", construit pour la Marine marchande aux ateliers et chantiers de la Seine-Maritime a les caractéristiques suivantes :
Longueur : 95 mètres. Largeur : 14 mètres. Creux : 7 mètres. Port en lourd : 4.700 tonnes. Tirant d'eau : 6 m. 10. Vitesse : 10 nœuds.
Ce cargo, qui possède une quille plate et deux quilles de roulis et dont les côtés présentent une ligne perpendiculaire, a deux cales à l'avant et une cale à l'arrière. Sa machinerie occupe la partie centrale, avec sa chambre de chauffe et sa chambre des machines. Il est à remarquer que les machines sont déjà placées et en état de marche. Le navire est complètement terminé, et, dès ses essais effectués, pourra naviguer.

[Suite impossible à restaurer en raison des détériorations subies par le journal.]

 
 

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