1917.12.27.De L’œuvre.Article de Pierre Varenne

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Rouen, porte de l'Occident

L’effroyable malheur contient le germe d'un bienfait. Il a fallu la guerre pour qu’on s’aperçoive que Rouen, par sa situation exceptionnelle, est désormais l’artère essentielle de la France et qu’il peut devenir bientôt le rival victorieux de Hambourg.
Nous avons examiné déjà dans un article de L'Œuvre ce qu’il y avait de fait et ce qu’il y avait encore à faire pour donner au vieux port normand la prépondérance qu'il doit avoir.
A côté de l'État, disions-nous, les initiatives privées françaises doivent s’appliquer à concurrencer l’étranger. Notre vœu a été réalisé. Une société commerciale vient de créer au Trait, près de Duclair, à quelques kilomètres de Rouen, un chantier de constructions navales.
Nous avons visité ce chantier. L'impression est encore celle que donnent ces sortes d'entreprises à leurs débuts. Dans une prairie boueuse, où l'herbe est rare, quelques hangars, quelques baraquements et trois halls gigantesques inachevés, dont les carcasses géométriques se dessinant sur le ciel rose et gris, semblent apporter un « américanisme » imprévu dans ce charmant village de Normandie. La vie est encore là calme et tranquille. Et pourtant, demain, au village qui semble dormir, abrité par les collines boisés, près du fleuve paresseux, succédera une ville nouvelle, tumultueuse et trépidante de cris, de rumeurs grondantes et rythmiques, de sifflements aigus, une ville en qui palpitera un halètement de force et de travail et d’où partiront les bâtiments aventureux qui, à travers le monde, attesteront la grandeur et la richesse françaises.
La superficie totale du terrain acheté par la compagnie est de 80 hectares. On y exploitera dès le mois de juin prochain six cales pouvant construire des navires de tout tonnage, depuis le chalutier jusqu'aux navires de 18 000 tonnes. Ces cales ont de 130 à 170 mètres de longueur. Trois cales sèches, une station centrale de 1 500 kilowatts, des ateliers de construction de coques, de chaudronnerie, de traçage, de scierie, de menuiserie, de montage, de petit ajustage et de forge, une salle de gabarits des ateliers de dessin, des bureaux divers complètent l'installation, qui sera raccordée au réseau de l'État par quatre kilomètres de voies, ferrées.
Les chantiers pourront commencer à fonctionner en mars prochain et les premiers lancements sont prévus pour le début de 1919.
Quinze cents ouvriers seront employés dès le début de l'exploitation. Pour eux et leurs familles, on procède déjà à la construction d'une cité ouvrière de 6 000 à 10 000 habitants, cité qui comprendra un service d'évacuation des eaux résiduaires, une hôtellerie avec salles de lecture et de billard, des magasins de vente, des boutiques privées, un établissement de bains, voire un cinématographe.
Cette cité nouvelle sera construite en un style normand, qui alliera harmonieusement le confortable et le pittoresque. M. Gustave Majou en sera l'architecte.
Le gouvernement ne pouvait se désintéresser d’une telle entreprise. Aussi a-t-il adressé, ces jour-ci, par la voix de M. Lémery et de la Commission de la marine marchande, ses félicitations et ses encouragements à la compagnie, qui témoigne d un superbe acte de foi en la prospérité future de notre France.

Pierre Varenne
 

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