1911.03.03.De Georges Majoux - Worms et Cie Le Havre

Double de courrier

NB : La copie image de ce document n'a pas été conservée en raison de sa mauvaise qualité.

Worms & Compagnie

Le Havre, 3 mars 1911
Messieurs Worms & Compagnie
Paris

Messieurs,
Lorsque C. a quitté Brest, il était peu documenté sur nos projets ce qui ne l'a pas empêché à son entrée dans notre bureau de nous déclarer à peu près textuellement : "On vous propose d'acheter la Brestoise ; j'ai reçu la même offre. On veut nous faire marcher l'un par l'autre. Est-ce que vous êtes réellement décidés à acquérir cette affaire ? Nous n'y sommes pas moins résolus. Entendons-nous, faisons une association." C. avait certainement soigneusement préparé son attaque. Nous lui avons répondu que nos négociations avec la Compagnie brestoise étaient en effet très avancées et que nous attendions d'un instant à l'autre l'acceptation de notre proposition et nous avons ajouté qu'en reprenant cette affaire nous poursuivions uniquement le but d'empêcher qu'elle tombe en d'autres mains ; que nous entendions défendre nos positions, mais non pas faire concurrence à la Maison Chevillotte avec laquelle nous entretenons depuis longtemps d'excellentes relations au profit commun ; que par conséquent nous étions prêts à causer avec eux et que notre intention était bien une fois les choses en règle avec la Compagnie brestoise de nous rendre à Brest pour examiner sur quelle base l'entente entre la Maison Chevillotte et nous pouvait être conclue. Pour nous cette entente ne faisait aucun doute elle était inscrite dans notre programme sur le même rang que l'acquisition de la Brestoise.
C. nous a dit avoir reçu par une tierce personne des ouvertures de Vanhamme. Nous avons alors ouvert un tiroir et nous lui avons mis sous les yeux un document qui lui a montré la foi que la Maison Chevillotte pouvait ajouter aux engagements de la Compagnie des bateaux à vapeur du Nord. C. a reconnu que les procédés de cette dernière ne sont pas corrects et il nous a confirmé ce que nous savions déjà des agissements de V. Puis il a ajouté que ceux qu'il redoutait encore davantage c'étaient Picot & Julia. Comme le trafic qu'il semble avoir le plus à coeur est celui de Bordeaux sur Brest nous lui avons montré que de ce côté là encore il y avait une concurrence possible en Shaki qui exploite depuis peu de temps une ligne entre Bordeaux et Concarneau en concurrence déjà avec Chevillotte.
Nous nous sommes efforcés de faire comprendre à C. qu'il fallait deux services entre Dunkerque-Boulogne et Brest et vice versa et entre Bordeaux et Brest et vice versa et que si l'une des deux lignes actuellement existantes absorbait l'autre une partie de la clientèle brestoise, et notamment certains négociants en vins qui n'aiment pas les monopoles surtout lorsque ceux-ci sont exercés par les Chevillotte susciterait immédiatement la création d'un autre service et nous lui avons démontré par des chiffres que de même que la constitution de la Compagnie brestoise a été avantageuse pour eux bien qu'ils y perdent les capitaux qu'ils y avaient mis il serait de leur intérêt d'aider pécuniairement par exemple Picot & Julia. C a dû le reconnaître. Nous avons alors fait ressortir tous les avantages qu'il peut y avoir pour deux armements qui ont confiance l'un en l'autre et qui sont animés tous les deux du désir de gagner de l'argent à se partager le trafic et nous lui avons suggéré différentes combinaisons. C. nous a déclaré qu'il avait besoin de causer avec son frère ; nous lui avons proposé de vous voir à son passage à Paris et nous vous avons téléphoné en sa présence. Puis nous lui avons fait visiter le port et pendant cette promenade nous nous sommes efforcés de lui faire entrer dans l'esprit ce que nous pensons. C. nous a écoutés avec beaucoup d'attention et à plusieurs reprises il nous a répété qu'il nous comprenait bien et qu'il cherchait à bien se pénétrer de tout ce que nous lui disions afin de le rapporter fidèlement à son frère. Nous n'avons pas grande confiance en sa persuasion ; aussi avons-nous eu bien soin de lui dire qu'une fois les choses en règle avec la Compagnie brestoise nous nous rendrions à Brest.
Pour nous résumer nous nous sommes efforcés de faire comprendre à C. deux choses : que nous sommes résolus à acquérir la Brestoise et qu'en même temps nous sommes décidés à nous entendre avec la Maison Chevillotte.
Nous sommes convaincus qu'une entente est possible. et qu'elle sera profitable à Chevillotte aussi bien qu'à nous sous la seule réserve de n'être pas affrichée ostensiblement. Nous avons bien recommandé à C d'être discret. Le sera-t-il ? Nous n'oserions vous l'assurer. Sur ce point nous redoutons plus son frère que lui : Jean est un paisible, bien qu'il s'en défende, René est rageur ; l'un et l'autre doivent être très vexés de constater que nous avons couru plus vite qu'eux ; Jean en avait pris son parti lorsqu'il nous a eu quittés mais nous ne savons pas comment le frère va accueillir la nouvelle. Ce dont nous sommes sûrs c'est que lorsque nous l'aurons vu il sera également convaincu qu'il a tout à gagner à voir la Maison Worms exploiter à côté de la Maison Chevillotte les lignes Bordeaux-Boulogne-Brest et vice versa et Bordeaux-Brest et vice versa.
Veuillez agréer, Messieurs, nos salutations empressées.

Georges Majoux

P.S. Je vous remets sous ce pli copie de la lettre que je reçois ce soir de M. Alexis Rolland actuellement à Bordeaux.

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