1897.11.06.De Paul Rouyer.Dakar.Rapport d'inspection.Original

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À bord du "Chili", 6 novembre 1897
(la veille de l'arrivée à Rio de Janeiro)

À Messieurs Worms & Cie Paris

Chers Messieurs,
J'ai utilisé de mon mieux mon séjour à Dakar pour y examiner toutes choses de nature à nous intéresser, et pour causer avec M. Lépine, agent des Messageries dans ce port ; malheureusement, un couple passager comme moi à bord du "Chili", et lié d'amitié avec M. Lépine, sinon allié à sa famille, est descendu en même temps que moi, à déjeuner comme moi chez M. Lépine (un joli coup de fusil !) et ne m'a pas permis de l'accaparer complètement.
Toutefois, nous nous sommes expliqués très en détails sur la question des manutentions et des jours de planches, et l'examen des moyens dont ils disposent, comme celui de ses [Livres], conclut au maintien strict de 200 tonnes par jour, sans plus, en évitant avec le plus grand soin l'arrivage simultané de deux colliers ! Vu qu'il n'y a de place à quai que pour un seul.
Pour la plus grande facilité des opérations et le recrutement de la main-d'œuvre, il faut, d'après M. Lépine, que les arrivages commencent en novembre et soit terminé en mai. M. Lépine préfère les vapeurs d'un tonnage relativement fort, comme le ["Glenfields"]...
D'après les livres, la moyenne de déchargement par jour n'a pas dépassé 229 tonnes (steamer "Glenfield"). Le déchargement des charbons s'opère à quai (le long d'une jetée au point marqué A sur le croquis joint et où il y a place que pour un seul bateau) au moyen d'une voie ferrée assez défectueuse qui transporte le charbon sous huit hangars groupés 4 par 4 sur deux lignes.
Il ne me paraît pas qu'on puisse dans ces conditions atteindre les 250 tonnes par jour.
La mise à bord du charbon se pratique comme à Saint-Vincent. Le charbon vient en sacs par chalands le long du bord et est hissé par les treuils. Les nègres m'ont paru mous et maladroits, et, d'après M. L., c'était ses meilleurs hommes. Malgré tout, nous avons embarqué un peu plus de 300 tonnes entre 6 h 35 et 1 P. M. Mais le mouillage est si restreint que nous avons perdu un temps inouï à l'appareillage et que le soleil se couchait que nous étions encore en vue de Gorée.
J'ai vu au mouillage à Dakar :
le "Héron" et l'"Héroïne" (de l'État),
le "Richelieu" (Maurel et Prom),
le "Cordova" (des Chargeurs),
encore la "Durance", [...] transports, à l'ancre,
et, le long de la petite jetée B. intérieure, un steamer "Almant" du port de Marseille qui y faisait des opérations.
J'aurais voulu pouvoir parler avec M. Lépine de la nouvelle charte-partie dont le courrier devait lui porter la traduction qui a donné tant de mal à Mayer mais, malgré toutes ses réclamations, la poste ne lui a rien remis de chez nous. Votre pli aura sans doute fait le voyage de Dakar à Saint-Louis avant de parvenir au destinataire. Il est fâcheux que je ne l'ai pas emporté mais on ne s'avise pas de tout !
Nouveau dépôt de charbon à Dakar.
On m'avait déjà demandé à bord si c'était nous qui allions faire un nouveau dépôt de charbons anglais qu'il était question d'établir à Dakar et le [Comte Vaquier] ne pouvait me dire que très vaguement qu'il s'agissait d'une combinaison anglaise.
À Dakar, M. Lépine m'expliquera un peu mieux qu'il devait s'agir des lignes anglaises du Cap et autre, qui veulent avoir à Dakar une coaling station qui est plus sur la route directe que Saint-Vincent.
Pour obtenir l'autorisation nécessaire, c'est un Français, nommé Langé, qui figurerait comme propriétaire de ce dépôt. Ce Langé a appartenu à la Compagnie française de l'Afrique occidentale. Ce qui complique un peu les choses encore, c'est que l'arrêté du gouverneur général, Chaudié, donne la concession de ce dépôt au nom de M. Aubry qui, d'après M. Lépine, n'est qu'un homme de paille de M. Langé.
Il s'agit d'un dépôt flottant et, d'après ce que M. Lépine m'a dit des effets de l'eau de mer à Dakar, les hulks devront être en fer mais avec coffrage en bois et doublage en cuivre : ils seront sans doute assez coûteux.
Voici au surplus l'arrêté copié dans le Moniteur de l'Afrique occidentale française, 16 octobre dernier.
Saint-Louis, 11 octobre 1897.
Vu la demande formulée par M. Aubry dans le but d'être autorisé à établir un dépôt flottant de charbon en rade de Dakar,
vu la dépêche ministérielle du 24 septembre dernier,
etc.
Arrêté.
Article 1er. M. Aubry est autorisé à établir à Dakar au point indiqué par la carte jointe au présent un dépôt de charbon et d'eau douce pour le ravitaillement des navires de passage dans le port.
Article 2. Cette autorisation lui est accordée aux clauses et conditions du cahier des charges ci-annexé, sous réserve de l'approbation du conseil général de l'exemption des droits indiqués par l'article 6, chapitre 2 dudit cahier.
Article 3. Le directeur de l'intérieur est chargé de l'exécution du présent arrêté qui sera inséré au Journal officiel de l'Afrique occidentale française.
Le directeur de l'intérieur, Th. Bergé
Le gouverneur général, E. Chaudié.
J'ai prié M. Lépine de se procurer le numéro de ce journal, et mieux encore, une copie ou extrait du cahier des charges pour vous les envoyer mais je me demande si cela lui sera possible.
Peut-être pourrez-vous vous procurer ces documents vous-même par les "Colonies" si vous trouvez que cela vous intéresse. J'ai cru comprendre que les principales lignes dont les bateaux vont au Cap sont le nouveau dépôt de charbon. L'affaire est donc surtout intéressante pour les dépôts du Cap-Vert, qui en seront touchés, et aussi pour l'influence que cela pourra avoir sur le ravitaillement du dépôt des Messageries à Dakar au point de vue du fret.
La traversée n'a pas été mauvaise sauf quelques jours de chaleur qui ont fatigué tout le monde mais je commence à trouver que c'est long.
Je suis furieux contre Cabasson qui m'a fourni du mauvais papier noir de sorte que je ne vois pas ce que j'écris et que je suis forcé pour corriger ce que ce papier a de défectueux d'employer 2 feuilles au lieu d'1 sans que ce soit parfait pour cela. Mais, c'est un petit malheur et je verrai à m'arranger autrement une fois arrivé.
Il me tarde beaucoup d'arriver pour avoir des nouvelles fraîches de Madame Worms et de vous tous.
Je compte que vous n'aurez pas manqué de rassurer ma femme par télégramme aux dates d'arrivée dans les relâches comme convenu.
Bien affectueusement à vous.

P. Rouyer


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