1893.12.07.De A. E. Monod - Worms Josse et Cie Marseille

NB : La copie image de ce document de très mauvaise qualité n'a pas été conservée.

7 décembre 1893
MM. Worms Josse & Cie
Paris

Messieurs,
Nous nous empressons de répondre à votre lettre particulière d'hier relative à M. L. Guéret. Nous nous conformerons, de la façon la plus scrupuleuse, à vos instructions, d'abord, parce que c'est notre habitude d'agir ainsi, lorsqu'elles sont formelles, ensuite, parce que vous avez, au point de vue de votre maison du Havre, un intérêt majeur à ce que M. Guéret soit satisfait.
Pour ce qui concerne Marseille, tout en admettant qu'il est bien préférable de vivre en bonne qu'en mauvaise intelligence avec nos concurrents, quand ils sont honnêtes, résultat que nous avons jusqu'ici toujours poursuivi, nous croyons devoir mettre les choses en quelque sorte au point en vous déclarant que M. Guéret, tout bien placé qu'il puisse être pour ses expéditions d'Angleterre, n'est pas pour nous le "formidable et redoutable adversaire" qu'il voudrait paraître ! Il a une bonne petite clientèle, entre autres celle de la Compagnie des tramways, et a sur notre place un représentant correct et sympathique. Mais il n'a reçu à Marseille que 1 800 tonnes de charbon depuis le 1er juin, soit une moyenne d'environ 300 tonnes par mois, ce qui n'est pas bien important.
Il y a quelque temps, M. Cartier, ayant terminé son stock, vint nous trouver et nous demander du charbon. Nous le reçûmes très gracieusement tout en lui faisant comprendre qu'il nous était absolument impossible de lui donner satisfaction. En effet, nous nous trouvions dans une situation exceptionnelle, de laquelle il nous paraissait sage, équitable et logique de tirer parti. Nous étions en effet les seuls à avoir en stock du menu gras pour l'industrie, grâce aux précautions d'approvisionnement que nous avions prises, et sauf Savon, qui avait un chargement en route, nous voyions nos concurrents moins importants, mais plus dangereux, à la veille d'être réduits à manquer à leurs engagements envers leurs clients. Il est clair que cela ne pouvait que tourner à notre profit pour le présent et l'avenir (car il est plus facile de garder que de gagner un client) et nous n'avons pas cru devoir fournir à M. Cartier (non plus qu'à tous les autres qui nous avaient sollicités de la même façon) des armes sinon pour nous battre, au moins pour soutenir la lutte contre nous.
Il nous semble qu'à ce point de vue, le commerce du charbon pour l'industrie est bien différent de celui pour la navigation et autant nous faisons volontiers des cessions ou des échanges de ce dernier lorsque l'occasion s'en présente et que nous pouvons le faire sans risquer de nous dépouiller nous-mêmes, autant nous sommes avares et jaloux du premier. Du reste, dans un tout autre ordre d'idées, nous avons malheureusement reconnu qu'en thèse générale, il pourrait être dangereux de laisser des étrangers venir sur nos quais, chargés à nos stocks. Une erreur est bien vite commise, involontairement bien entendu, un charretier peut se tromper dans le nom qu'il indique à la bascule de la douane, il peut oublier de passer sur la nôtre et échapper par distraction à la surveillance. Bref, nous considérons comme plus prudent de n'avoir le plus possible que des hommes à nous sur nos chantiers.
Ce sont ces diverses considérations qui avaient dicté notre réponse à M. Cartier. Aussi, n'est-ce pas sans une certaine surprise que nous l'avons vu revenir ce matin, toujours aimable, mais l'air un peu gouailleur, et que nous l'avons entendu nous lire un extrait de lettre de M. Guéret, en disant en substance : « Adressez-vous au représentant de MM. Worms Josse & Cie, qui vous livrera tous les charbons dont vous aurez besoin. Quant aux prix et conditions, je m'entendrai moi-même avec la maison Worms Josse & Cie à Paris. »
Nous avons compris qu'il y avait eu des pourparlers entre M. Guéret et vous, mais, quand même temps, il y avait évidemment malentendu, ne fut-ce jusqu'au sujet de la fixation des prix à Paris et nous avons répondu à M. Cartier que nous allions en référer à vous et qu'en attendant, nous ne pourrions que maintenir notre première manière de voir.
Votre lettre particulière d'hier, arrivée cet après-midi, éclaircit la question et nous donne des instructions parfaitement nettes et déterminées. Nous allons en conséquence revoir M. Cartier et lui faire nos offres de services. Dès que nous nous serons mis d'accord sur les prix, nous vous les ferons connaître ainsi que les quantités qu'il pourra être à même de nous demander, car nous aurons à en tenir compte dans nos combinaisons d'ordres d'affrètements. Il n'est pas possible en effet que nous risquions pour faire plaisir à M. Cartier et faciliter ses affaires, de nous trouver à court de charbon pour nos clients réguliers et les affrètements paraissent offrir tant de difficultés qu'il y a lieu de nous y prendre d'avance.
Veuillez agréer, Messieurs, nos salutations très distinguées.

P. Pon Worms Josse & Cie
A. Monod

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