1893.10.01.De A. E. Monod - Worms Josse et Cie Marseille

NB : La copie image de ce document de très mauvaise qualité n'a pas été conservée.

1er octobre 1893
M. Worms Josse & Cie
Paris

Messieurs,
Vous aurez compris par notre correspondance officielle d'hier pourquoi et comment nous avons été amenés à vous proposer de dédoubler par catégories de sujets nos lettres quotidiennes.
Depuis quelque temps, nous nous apercevons que des indiscrétions sont commises, que des étrangers (que cela ne concerne en aucune façon et qui sont en position d'en tirer parti à notre préjudice) sont tenus très exactement et très promptement au courant de divers détails ayant directement et intimement trait aux affaires et projets de la maison, que le copie de lettres réservé spécialement à notre correspondance avec vous est constamment entre les mains de tel ou tel employé de la maison ne pouvant en tirer aucun renseignement utile au point de vue des fonctions dont il est chargé. C'est surtout depuis qu'il est question de démarches à faire en vue de fournitures à faire à l'escadre russe et de renouvellement de contrats que la curiosité paraît excitée.
Il ne nous est pas possible de tenir enfermé notre copie de lettres ordinaires qui contient les articles de comptabilité et certains avis d'affrètement ou autres que divers services peuvent avoir l'occasion de compulser. C'est ce qui nous a donné l'idée de copier dans un registre spécial, qui ne sortira pas de nos mains, tout ce qui constitue l'essence même de nos communications réciproques. Si vous estimez que nous sommes dans le vrai, nous pensons que vous agirez comme nous, que vous voudrez bien écrire sur des feuillets à part, pour être classés séparément, suivant les sujets que vous aurez à traiter.
Comme nous avons pris à tâche de vous renseigner sur toutes choses, il faut que nous vous mettions au courant d'un bruit qui court depuis quelques jours dans certains milieux et d'après lequel M. Guittet prendrait ses dispositions pour nous quitter et s'associer avec M. Masson. Nous commençons par vous déclarer que nous ne croyons pas à l'exécution de ce projet, et cela pour plusieurs raisons, dont la principale est que, d'après nos renseignements personnels, puisés à bonne source, M. Masson, qui a un petit avoir, qui en a mangé une partie cette année et n'a aucune envie de le compromettre davantage, paraît plutôt disposé à abandonner la partie qu'à étendre ses affaires et à soutenir une lutte où il finirait forcément par succomber. Il continuera sans doute pendant quelque temps à servir sa très petite clientèle, mais cela nous surprendrait fort qu'il songeât à se développer de façon à pouvoir offrir une situation sortable à un homme de l'appétit de M. Guittet. Il doit se rendre compte en effet que quel que soit l'appoint que lui apporterait celui-ci, grâce aux connaissances, à l'expérience, aux renseignements qu'il emporterait de chez nous, il lui serait fort malaisé d'en tirer un parti suffisamment avantageux, étant donné la situation exceptionnelle de notre maison et la façon dont se traitent les "coaling contracts". Tout au plus pourrait-il essayer de nous faire quelque concurrence vis-à-vis de la clientèle industrielle, et encore, ne pourra-t-il jamais réussir dans cet ordre d'idées beaucoup mieux que maintenant, car vous serez toujours infiniment mieux placés que lui pour les achats et les affrètements.
Par conséquent, nous ne croyons pas que la chose se fasse et nous en sommes à nous demander si nous devons nous en réjouir ou le regretter ! Nous opinerions assez volontiers pour la dernière hypothèse, car si d'un côté, nous estimons que M. Guittet pourrait nous faire un certain tort, d'un autre côté, ce tort serait bien limité dans les conditions où il se produirait et serait sans doute largement compensé par la solution toute trouvée de la situation que vous connaissez, solution qu'il serait très difficile et très dangereux de provoquer nous-mêmes. Quant aux services que rend M. Guittet par la nature de ses fonctions spéciales, vous n'auriez aucune préoccupation à avoir au cas de l'éventualité de sa démission, car ne voulant pas nous trouver, à un moment donné, à la merci de "l'homme indispensable", nous avons dès longtemps pris nos précautions et dispositions pour qu'il puisse du jour au lendemain être très avantageusement remplacé à tous les points de vue.
Il faut être, en effet, paré à tout événement, si comme nous le disons plus haut, nous ne croyons pas que le projet dont le bruit a couru se réalise, nous ne serions pas du tout étonnés qu'il en eût été question. D'abord, il n'y a pas de fumée sans feu et puis, nous étions préparés à la chose par une impression déjà ancienne qu'une communauté d'intérêts occulte existe depuis fort longtemps entre M. Masson et M. Guittet. Il serait trop long de vous développer les faits nombreux sur lesquels elle se base. Ce qui est certain, c'est une très grande intimité unie M. Viard (gérant de la maison Masson), M. Violle (dont vous connaissez la rapide et extraordinaire fortune) et M. Guittet. Enfin, ce dernier, à la suite des habitudes prises, n'est certes plus homme à se contenter de ses appointements. Or, le 'Casuel' devient trop limité depuis qu'il se sent bridé, surveillé et contrôlé (dans les bornes du possible), depuis qu'il est privé de la complicité de ses créatures, depuis que les choses se passent avec ordre, méthode et honnêteté, en un mot, depuis qu'il n'est plus le maître absolu.
Aussi, paraît-il fort désorienté, découragé et désireux de trouver un champ plus vaste à son ambition.
Veuillez agréer, Messieurs, mes salutations très distinguées.

A. Monod
1er octobre 1893
MM. Worms Josse & Cie
Suite.

Et à ses appétits. Nous ne serions donc pas surpris qu'il cherchât une autre situation. Ce qui nous surprendrait serait qu'il la trouvât, car il est très connu sur place.
Du reste, sur ce sujet comme sur maints autres, il nous paraîtrait extrêmement utile que nous puissions conférer avec vous et, si vous n'y faites pas objection, nous comptons profiter de notre prochain voyage, qui doit en tout cas nous amener à Lyon et à Genève pour pousser jusqu'à Paris, ce qui entraînera une très petite perte de temps et très peu de frais grâce aux avantages des billets circulaires. Voici donc quel serait notre projet.
Partir pour Toulon le 11 courant. Nos affaires faites, nous poursuivrions sur Cannes, où nous aurons à prendre une décision au sujet de notre dépôt et de notre représentant. Nous croyons que nous aurons tout intérêt à supprimer ce dépôt dont les frais ne sont pas en rapport avec l'importance ; les ventes, pour le premier semestre, n'ayant atteint que 500 tonnes, et à ne conserver qu'un représentant, M. [Sue] ou un autre qui ne sera payé qu'à la commission sur les affaires faites par son entremise. Nous profiterons de notre séjour sur le littoral pour nous occuper de nos affaires de transit et pour visiter les directeurs des diverses usines à gaz de façon à obtenir leur appui auprès de leurs administrations respectives.
Toulon, avec laquelle nous avons un contrat jusqu'en avril prochain mais qui désirerait le renouveler maintenant, Cannes, Draguignan, Antibes et Menton dépendant de la Compagnie genevoise, que nous verrons plus tard à Genève, Saint-Raphaël et Fréjus, que nous fournissons actuellement sans contrat, Grasse, avec laquelle notre contrat va jusqu'en 1896, etc. À Nice et à Monaco, il n'y aura rien à faire en charbon à gaz, les usines étant liées pour plusieurs années encore. Mais, peut-être y aura-t-il moyen de poser des jalons de même qu'à Grasse pour des ventes ultérieures en charbon à vapeur.
Nous n'aurons, au cours de cette première tournée, à traiter ferme la question de prix avec aucune usine. Nous pensons pouvoir être rentré à Marseille le 17 ou le 18 et en repartir presque aussitôt directement pour Paris où nous prendrons vos instructions si vous êtes déjà en mesure de nous les donner en vue des contrats à renouveler ou à solliciter. De Paris, nous nous rendrions à Genève où nous aurons [de bons] aboutissant auprès de la Compagnie genevoise, de là à Lyon [MM. Vautier et Piatou], puis retour à Marseille, après avoir fait, s'il nous reste assez de temps un crochet par Tarascon pour visiter les principales usines à gaz, fabriques, etc., maisons de commerce de l'Hérault et de l'Aude. Tout le voyage ne nous prendra pas plus d'un mois et nous serons certainement rentrés le 10 ou 11 novembre, après avoir tenté tout au moins de faire de bonne besogne.
Nous ne vous parlons même pas de la sécurité absolue avec laquelle nous confierons notre intérim à M. Lefebvre, car vous le connaissez mieux encore que nous et savez par conséquent à quoi vous en tenir.
Nous vous serions obligés de nous dire si ce plan a votre approbation ou si vous désirez qu'il soit modifié.
Il eut sans doute été préférable de retarder notre voyage cette année à cause de l'état de perturbation du marché. Mais, d'après ce qui nous revient de divers côtés, les compagnies, entre autres M. Vautier qui a déjà reçu des propositions, sont désireuses de ne pas laisser arriver le dernier moment avant d'avoir assuré leurs besoins pour l'an prochain.
Peut-être, du reste y verra-t-on un peu plus clair vers la fin du mois, et, dans le cas contraire, nous pourrons toujours offrir un modus vivendi temporaire si les prix du moment le comportent.
Veuillez agréer, Messieurs, nos salutations très distinguées.

PPon Worms Josse & Cie
A. Monod

Cette date suppose, bien entendu, le prolongement dans la région du sud-est, car si nous y renonçons, nous serons de retour bien plus tôt.
Nous sommes très persécutés ici pour le renouvellement de nos contrats industriels, la Grand-Combe étant toute prête à traiter pour 1894. Nous ne réussissons à faire prendre patience à nos clients qu'en leur disant que nous nous préparons à aller vous consulter et prendre vos instructions que, dès notre retour, nous les fixerons.

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