1873.11.14.A Edouard Rosseeuw.Hte Worms Port-Saïd

Origine : Copie de lettres à la presse du 25 octobre 1873 au 18 novembre 1873

14 novembre 1873
Monsieur Rosseeuw à Port-Saïd

Ma lettre du 31 octobre vous disait que je n'avais pas encore reçu de la Compagnie du Canal la réponse à votre lettre du 8 octobre qui appelait mon attention sur les faits graves qui s'étaient passés pour le "Corromandel" dont on avait fait débarquer le pilote sans vous avoir donné avis. Cette réponse qui porte la date du 8 novembre m'est enfin parvenue. Je vous en remets la copie, vous verrez en lisant son contenu que la Compagnie, tout en regrettant ce qui avait eu lieu, ne me donnait pas une réparation suffisante. J'ai répondu immédiatement à cette lettre. Vous verrez par ma réponse, dont je vous remets copie, que je ne pouvais me considérer satisfait des simples regrets exprimés dans cette lettre et puisque la Compagnie désire être désintéressée dans la question et pour clore le débat, je restais, en ce qui me concerne, avec l'affront qui m'avait été fait et que l'agent qui s'était plaint avec l'expression des termes de votre lettre qui qualifiait sa conduite brutale dans cette affaire.
Cette réponse de ma part a ému M. Lesseps Fils qui est venu en personne pour protester contre le contenu de ma lettre. Après de longues discussions où je me suis efforcé de faire comprendre à M. Lesseps que je ne pouvais me contenter de simples regrets, désirant mettre un terme à toute discussion irritante, j'avais proposé de signer conjointement avec lui un compromis qui devrait donner satisfaction à ma Maison, tout en ménageant la susceptibilité de M. Lesseps. M. Lesseps ayant consenti à cette proposition, j'ai fait rédiger ce compromis dont je vous remets copie, je l'ai envoyé à la signature de M. Lesseps qui, après discussion, consentait à y apposer sa signature, mais à la condition d'effacer le mot blâme que je vous souligne dans la copie. Je me suis refusé absolument à cette suppression du mot blâme et nous nous sommes séparés sans rien conclure et en laissant les choses en l'état. Je crois donc avoir obtenu toute la satisfaction qu'il m'était possible d'obtenir en déclarant que je maintenais les termes de ma lettre du 10 courant. Même avec le mot blâme effacé, ce compromis vous donne encore satisfaction et pour mettre un terme à ce débat irritant, je vous engage à l'accepter. Je n'ai pas voulu le faire sans vous consulter, si vous y consentez, veuillez me télégraphier, et j'en finirai immédiatement. Je ne vous cacherai pas que j'ai été désagréablement surpris de voir qu'après m'avoir exposé les faits par votre lettre du 8 octobre, vous aviez adressé à l'agent D[...] une lettre injurieuse, le traitant de lâche. Sans cette lettre la Compagnie du Canal n'aurait fait aucune difficulté d'infliger un blâme à l'agent.
En droit rigoureux, vous étiez en défaut en donnant un bon de prélèvement sans avoir à votre crédit la somme nécessaire au passage du navire ‘'Commandel'. Il est vrai que votre position près de la Compagnie excusait en quelque sorte cette infraction au règlement établi ; vous n'en étiez pas moins dans votre tort, qui ne saurait en aucune façon atténuer le fait brutal de l'agent, qui aurait dû avant de faire retirer le pilote, vous donnez avis de l'insuffisance de votre crédit à la Compagnie. Votre position était irrégulière et c'est sur ce motif que l'agent se fonde pour palier le tort qu'il a pu vous faire. Il avait été blâmé sévèrement par l'agent général d'Alexandrie ; vous auriez dû, après cette satisfaction obtenue, attendre la décision de la Compagnie à Paris et ne pas lui adresser une lettre provocante.
Maintenant je viens vous conjurer de calmer toute irritation et de vous en tenir à ce que j'ai fait dans notre intérêt et dans le vôtre, personnel. Vous êtes appelé à vivre à côté de tout ce monde, avec lequel vous avez des rapports de chaque jour. Vous prenez en mains une belle et grande affaire, ne la laissez pas péricliter par des susceptibilités irritantes ! Ne perdez pas de vue que vous avez en mains une partie de ma fortune et que vous seriez à regretter si, par des froissements d'amour propre, vous donniez une importance exagérée à quelques mauvais vouloirs que vous pouvez rencontrer chez des agents subalternes.
Votre position honorable dans ce débat n'a souffert aucune atteinte. Restez calme et digne, et n'allez pas, en exigeant une réparation autre que celle qui vous est offerte, mettre les torts de votre côté.
Veuillez...

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