1855.12.19.Au ministre de la Marine et des Colonies.Paris

Origine : Copie de lettres à la presse n°76 - du 25 novembre 1855 au 19 décembre 1855
- page 496

Paris, le 19 décembre 1855
Monsieur le Ministre de la Marine et des Colonies
Paris

Monsieur le Ministre,
Au moment où votre Administration s'occupe de renouveler le Marché pour la fourniture des charbons aux flottes du Levant, je prends la liberté de vous soumettre aussi mes propositions, et de les faire précéder de quelques détails sur l'exécution de ces marchés à commission.
Adoptant pour point de départ que moyennant une commission déterminée, le fournisseur doit faire jouir la Marine de tous les avantages quelconques qu'il peut s'assurer dans le maniement d'une affaire aussi importante, il s'agit de préciser quels sont ces avantages, et si la position de tel ou tel fournisseur peut en étendre le nombre et l'importance.
Ces avantages peuvent résulter : de l'achat des charbons, de l'affrètement des navires - comme prix de fret -, des conditions avouées ou secrètes de la charte-partie.
Je vais examiner ces trois points.
Charbon
Dans le nombre des mines acceptées par les cahiers des charges, il y en a telle ou telle dont les charbons, bien que cotés au prix courant, s'obtiennent facilement au-dessous du cours. La nature du charbon est bonne, mais il rend trop de menus, et le fournisseur peu scrupuleux, qui se garderait bien de l'expédier pour son compte quand il doit subir le criblage, n'hésite pas à l'expédier pour compte de la Marine qui, dans le Bosphore et la Mer noire, reçoit les chargements tels quels gros et menus. Il peut ainsi gagner 6 pence ou 60 centimes par tonne.
La Marine peut donc ou exiger les meilleurs charbons ou réduire le prix pour telle ou telle mine, profitant ainsi de la remise qu'obtient le fournisseur sur le cours général du marché.
Prix du fret du charbon
Cet élément du prix de revient à destination est le plus considérable. Il peut varier de 2 à 3 shillings par tonne selon la position commerciale du commissionnaire de la Marine, selon aussi son expérience et son honorabilité.
Le capitaine ou l'armateur désire fréter ses navires à une maison bien posée, ce qui lui offre toute garantie. Car, si les avances sur fret sont stipulées à 2, 3 ou 4 mois de terme, la maison peut suspendre ses paiements (comme ce fut le cas récemment à Newcastle) ; l'armateur est alors compromis et peut revenir même sur la Marine. Il préfère donc louer son navire moins cher à une maison solide qu'au prix plus élevé que lui offrirait une maison douteuse.
Si les ordres d'affrètement sont confiés à une maison de Paris, de nos ports, ou même de Londres, il faut de toute nécessité que ces maisons s'adressent à un agent quelconque, aux ports de charge, Cardiff et Newcastle, et n'oublions pas qu'elles doivent, en tout cas, faire retour à la Marine de la commission d'affrètement, ne conservant pour elles que la commission stipulée par le marché.
Si cet agent qu'elles emploieront n'est pas un courtier de navires, il faut qu'il trouve quelque part, avoué ou non, son bénéfice ; il le trouvera toujours mais au dépens de la Marine.
Si cet agent est courtier de navires, le fournisseur place les intérêts de la Marine dans les mains de leur ennemi naturel. En effet, le courtier du navire est l'homme de l'armateur dont il gère les intérêts depuis dix ans, et dont il gérera toujours les intérêts parce que le commerce vivra plus longtemps que ne durera la guerre. Le courtier, quoique sous-agent de la Marine, vendra le fret le plus cher possible ; c'est son métier, c'est son intérêt, et par conséquent l'intérêt de la Marine est mal placé dans ses mains.
Et encore, je suppose ce courtier honnête, louant le navire le plus cher possible, mais ne s'assurant pas un bénéfice illicite, tandis que j'ai prouvé, pièces en mains, qu'un des courtiers employés dans ces derniers temps pour la Marine, avait affrété un navire à un prix avec le capitaine, et le frétait à la Marine à 2 shillings par tonne plus cher, outre sa commission acquise.
Un navire peut donc être loué trop cher, mais en outre la charte-partie peut-être faussée et stipuler des conditions apparentes modifiées par des conditions secrètes.
Ainsi, la charte-partie stipule en faveur du courtier une commission de cinq pour cent, qu'il partage par moitié ou par tiers et quelquefois par quart. Mais il peut se faire allouer autres 2 ou 2 ½ pour cent par condition secrète imposée au capitaine. Celui-ci consent, mais, pour compensation, il loue son navire 4 ou 5% plus cher, et ce aux dépens de la Marine. J'ai eu occasion de démontrer ce que je détaille ici.
Enfin, les avances sur fret aux capitaines, donnent lieu à un bénéfice que la Marine peut encore réclamer à son profit.
La charte-partie stipule que le montant de ces avances doit être assuré à la charge de l'armateur, et comme il y a un délai de 2, 3 ou 4 mois pour le cours du voyage, qui entraînerait perte d'intérêt sur ces avances, on stipule 4 à 5% pour la prime d'assurance qui ne coûte que 3%. Or, la Marine remboursant ces avances en espèces au fournisseur, il en résulte pour ce dernier un profit encore assez important.
Il résulte de ces détails que, à conditions égales, et de position commerciale, et d'expérience de ces affaires et d'honorabilité, une maison de Paris, de nos ports ou de Londres, traiterait certainement beaucoup moins bien une grande opération d'affrètements, qu'une maison comme la mienne qui, placée aux deux ports de charge, agit par elle-même et discute les prix avec les courtiers, au lieu de se livrer à eux pieds et poings liés, qui reçoit les offres de tous les courtiers, tandis qu'un courtier, sous-agent du fournisseur, écarte naturellement les offres de ses collègues et favorise les armateurs, ses clients habituels. Enfin, j'ajoute que si la Marine confie ses ordres à une maison étrangère, elle n'aura sur elle aucun moyen d'action en cas de compromission grave de ses intérêts, tandis que je suis ici à Paris, sous la main de l'administration et justiciable des lois de notre pays auxquelles un étranger saura toujours se soustraire.
On peut, sans doute, m'accuser de partialité en ma faveur, mais, au moins, je donne à l'appui de mes prétentions à une supériorité de position des raisons solides et évidentes, et, comme preuve matérielle, je soumets ici la liste des affrètements que j'ai faits depuis le commencement d'août jusqu'à ce jour pour compte des Messageries impériales, à destination du Bosphore. J'ignore quels prix ont été payés par d'autres, mais je réclame la comparaison et ne la redoute pas.
Je termine ce long exposé en vous formulant, Monsieur le Ministre, ma proposition pour un marché à commission.
Je livrerais à la Marine, ainsi que je l'ai toujours fait, les charbons des mines les plus réputées, et que livrent tous les fournisseurs habituels dans les ports où on est obligé de cribler.
Je les fournirai au cours avéré et authentique des marchés de Cardiff et de Newcastle.
J'affréterai consciencieusement, moi-même, c'est-à-dire par mes maisons établies, depuis plusieurs années, à Cardiff et à Newcastle, les navires nécessaires selon les instructions qui me seront données.
Et, je m'engage d'honneur à faire jouir la Marine de toutes les bonifications quelconques que mon expérience de ces affaires d'affrètements me mettra à même d'obtenir des armateurs et capitaines. En un mot, je n'aurai aucun autre profit que celui alloué par la Marine, soit un franc vingt cinq centimes par tonne embarquée, ou bien encore, je vous propose de suivre les conditions qui, depuis cinq ans, sont pratiquées entre la Compagnie des Messageries impériales et moi. L'expérience les a consacrées, et cette Compagnie n'a eu qu'à se louer du résultat.
Je livre les meilleurs charbons au cours des mines. J'affrète pour le mieux des intérêts de la Compagnie. Les commissions d'affrètement sont réservées à mes agents. La Compagnie profite des intérêts et différences sur le taux des primes d'assurance.
Une commission de 6 pence, soit environ 60 centimes par tonne, m'est allouée, mais je reste assureur de la valeur du charbon, et, comme la Marine ne fait pas assurer ce risque, la commission de 60 centimes qu'elle aurait à me payer se trouverait ainsi réduite de 60 à 30 centimes environ, pour compenser les 3% d'assurance que je ne payerais pas.
Seulement, et dans les deux hypothèses, comme je ferais retour à la Marine de toutes bonifications obtenues, il serait juste qu'il me fût tenu compte des intérêts de retour, navire par navire, jusqu'au paiement de mes factures.
Telles sont, Monsieur le Ministre, les conditions les plus équitables que j'ai su trouver, et que j'ai l'honneur de soumettre à votre appréciation.
Veuillez bien agréer, Monsieur le Ministre, l'assurance de ma parfaite considération.

H. Worms

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