1965.02.00.De Roger Mennevée.Les Documents de l'AIII.Article

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Les documents politiques, diplomatiques et financiers

Février 1965

Les transformations de Worms et Cie

En annonçant, dans notre n° de novembre dernier, la constitution de la Société financière Worms et Cie, nous considérions cette constitution comme une nouvelle manifestation de la transformation du groupe Worms et Cie commencée de la vie de M. Hypolite Worms, par le transfert de certains intérêts du groupe dans des affaires annexes : Société maritime et charbonnière Worms et Cie, Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime, etc., auxquelles devait se joindre la nouvelle société, la société Worms et Cie n'étant plus que la holding du groupe.
Les événements ont confirmé nos prévisions puisque, par un acte subséquent, la société Worms et Cie a fait apport de son département bancaire à la Société financière Worms et Cie qui, à la suite, a pris le nouveau titre de "Banque Worms et Compagnie", cette fusion et cette modification de titre devant prendre date du 1er janvier 1965.
Nous avons donc pensé qu'il convenait de revenir un peu plus longuement sur ces affaires et de compléter les études que nous avons publiées antérieurement sur Worms et Cie par une documentation aussi précise que possible sur ces modifications.
La Société financière Worms et Cie a été constituée par acte du 14 octobre 1964, entre :
I°- la société Worms et Cie, société en commandite simple, dont le siège social est à Paris, boulevard Haussmann, n°45 (9°), représentée par M. Jean Marie Bernard Barnaud, l'un de ses associés-gérants ;
2°- Madame Gladys Lewis-Morgan, veuve de M. Hypolite Worms;
3°- M. Barnaud, Jean Marie Bernard,
4°- M. Brocard Guy Charles Eugène François Marie,
5°- M. Herrenschmidt Pierre Ernest,
6°- M. Labbé Robert Marcel,
7°- M. Meynial Jacques Marie Joseph Raimond,
tous de nationalité française et aussi - ce que ne précise pas l'acte constitutif, associés-gérants de Worms et Cie.
La Société financière Worms et Cie a été formée en nom collectif.
Elle avait à l'origine pour objet : toutes opérations financières, soit directement, soit en participation par voie de création de sociétés nouvelles, d'apport, commandite, souscription ou achat de titres ou droits sociaux, fusion, alliance, association en participation ou autrement, dans toutes affaires commerciales, industrielles financières, mobilières et immobilières, existantes ou en formation, et, généralement, toutes opérations commerciales, financières, mobilières ou immobilières, se rattachant directement ou indirectement, en totalité ou en partie, aux objets ci-dessus spécifiés ou à des objets similaires ou connexes.
Le siège social est à Paris, 45, boulevard Haussmann, adresse de Worms et Cie, avec faculté de transfert sur décision de la majorité des associés, telle que cette majorité est fixée par l'article 20 des statuts, c'est-à-dire ; deux tiers en nombre et neuf dixièmes en capital.
La durée de la société est de 99 ans à dater du 14 octobre 1964, date de l'acte constitutif.
Le capital social a été fixé à l'origine à 25 millions de francs et divisé en 250.000 parts de 100 F chacune. En réalité, ce chiffre ne représente que la moitié des apports faits tant en nature qu'en espèces, le solde de 25 millions étant considéré comme prime de réserve.
Ce capital total de 50 millions de francs comprenait : des apports en espèces pour 20.300.000 F et des apports en nature pour 29.700.000 F.
Le capital espèces avait été versé à raison de 20 millions par la Société Worms et Cie et 50.000 F par chacun des six autres fondateurs, soit ensemble 300.000 F.
Quant aux apports en nature, ils avaient été faits par la Société Worms et Cie et comprenaient un ensemble de valeurs mobilières, évaluées ensemble, au cours de la bourse du 13 octobre, à 29.700.000 F, et composées de :

- 50.000 actions de 100 F de La Préservatrice AIRD, Compagnie anonyme d'assurances = ensemble : 17.200.000 F
10.000 actions de 100 F de la Compagnie bancaire : 5.380.000 F
20.000 actions de 50 F de Cofica (Compagnie pour le financement de l'industrie, du commerce et de l'agriculture : 2.196.000 F
20.000 actions de 50 F de Socantar : 3.720.000 F
6.175 actions de 50 F de La Foncière - Compagnie d'assurances et de réassurances : 1.204.000 F
Soit le total de : 29.700.000 F

La moitié des apports ayant été versée comme prime, à un fonds de réserve, et le capital officiel ayant été ainsi ramené à 25 millions, les 250.000 parts de 100 francs composant ledit capital ont été attribuées aux fondateurs comme il suit :
- à la Société Worms et Cie : 100.000 parts en rémunération de son apport en numéraire et 148.500 parts pour ses apports en nature, soit 248.500 parts, et 250 parts à chacun des six autres fondateurs.
L'article 8 des statuts prévoyait que le capital pourrait être augmenté sous des formes diverses, mais sous les restrictions imposées aux cessions des parts, ou bien être réduit pour des causes diverses, notamment par voie de rachat ou de remboursement de parts, les associés devant obligatoirement céder ou acheter des parts anciennes dans la mesure indispensable pour permettre matériellement l'opération.
Il a été précisé, par l'article 9 des statuts, que les parts d'intérêts ne pouvaient jamais être représentées matériellement par des titres négociables, c'est-à-dire qu'elles n'existaient que sous forme de comptes-courants, ou, plus exactement, de comptes d'intérêts.
Leur transmission était soumise à des restrictions que l'on comprend très bien, d'ailleurs, pour éviter la "pénétration" d'intérêts extérieurs. D'après l'article 10 des statuts, pendant le cours de la société, aucun des associés ne pourrait, en faveur ou au profit de qui que ce soit, céder ou transporter, à titre gratuit ou onéreux, tout ou partie de ses parts, soit en toute propriété, soit en usufruit, ni se faire remplacer par un mandataire, sans le consentement des autres associés à la double majorité dont nous avons parlé plus haut.
En cas de décès d'un associé, la société continuerait entre les associés survivants, les droits attachés aux parts sociales du de cujus étant, de plein droit, et du jour de son décès, transférés aux associés survivants. Les héritiers, ayants droit et conjoints du décédé ayant seulement droit au prix de rachat, par les associés survivants, des parts d'intérêts de l'associé décédé, ce prix de rachat étant fixé d'un commun accord entre le ou les héritiers et les associés décidant, à la majorité prévue ci-dessus ou, à défaut, par un expert désigné par le président du tribunal de grande instance. Les associés survivants s'entendant entre eux, pour désigner celui ou ceux d'entre eux par lesquels le rachat serait obligatoire, en cas de non-accord, la totalité des parts de l'associé décédé devrait être rachetée par l'associé propriétaire du plus grand nombre de parts.
Les associés sont - conformément aux dispositions légales - tenus individuellement et solidairement entre eux du passif social à l'égard des tiers ; entre eux, chacun d'eux n'est tenu des dettes sociales que proportionnellement au nombre de ses parts d'intérêts.
La société ne serait pas dissoute par l'interdiction, la faillite ou l'admission au règlement judiciaire d'un ou de plusieurs associés ; elle continuerait entre les autres associés, ceux défaillants ne pouvant prétendre qu'au remboursement de la valeur de leurs parts conformément à ce qui est dit plus haut.

La société est gérée et administrée par MM. Jean Barnaud, Guy Brocard, Pierre Herrenschmidt, Robert Labbé et Raimond Meynial, c'est-à-dire par les fondateurs, à l'exception de la Société Worms et Cie, et de Mme Veuve Hypolite Worms, la durée des fonctions de gérant étant de 5 années.
Le décès ou la retraite de l'un quelconque des gérants n'entraîne pas la dissolution de la société, étant prévu que dans le cas où, par suite de maladie, un des gérants ne pourra plus s'occuper des affaires de la société pendant plus de six mois, il pourra se retirer, cette retraite produisant les mêmes effets sociaux qu'en cas de décès.
La révocation d'un gérant ne pourra être décidée que par l'unanimité des autres associés.
Chaque gérant a droit, en rémunération de ses fonctions, à un traitement dont les modalités de détermination, sont fixées d'un commun accord par les associés, rémunération portée aux frais généraux de la société, et, en outre, au remboursement de toutes les dépenses, frais de déplacement, faux-frais et frais de toute nature qu'il fera dans les intérêts de la société.
La première année sociale s'étendra du jour de la constitution au 31 décembre 1965.
Les bénéfices nets sont constitués par les produits de l'année sociale, déduction faite des frais généraux et autres charges sociales, ainsi que de tous amortissements de l'actif social et de toutes provisions pour risques.
Sur le montant de ces bénéfices nets, il est prélevé - conformément aux dispositions légales - 5% pour constituer la réserve légale. Le solde pourra être affecté en tout ou partie à la constitution de fonds de réserve, et le surplus, s'il y en a, sera réparti aux associés, gérants ou non-gérants, proportionnellement au nombre de leurs parts d'intérêts.
Les associés peuvent, du consentement des gérants, verser dans la caisse de la société les fonds dont celle-ci peut avoir besoin, les conditions d'intérêt et de retrait de ces sommes étant fixées entre les intéressés.
A la double majorité des deux tiers en nombre et des neuf dixièmes du capital, les associés peuvent modifier les statuts en vue de la transformation de la société sous une autre forme, ainsi que sa dissolution anticipée et sa prorogation de durée. Mais l'augmentation des engagements des associés et le changement de nationalité de la société ne peuvent être décidés qu'à leur unanimité.
En cas de perte de 75 % du capital, tout associé pourra demander la dissolution de la société par lettre recommandée avec avis de réception adressée à la collectivité des gérants, dans les trente jours suivant la communication des comptes de l'exercice faisant ressortir cette perte. La société se trouvera dissoute de plein droit à l'expiration du mois suivant celui au cours duquel cette demande aura été faite.
A l'expiration de la société ou en cas de dissolution anticipée pour quelque cause que ce soit, la liquidation sera faite par les associés-gérants ou le survivant d'eux, auxquels tous pouvoirs sont donnés à cet effet. A défaut d'associé gérant, les associés désignèrent le liquidateur.
Le produit net de la liquidation, après l'acquittement du passif et des charges sociales, sera employé à rembourser aux associés le montant nominal non amorti de leurs parts d'intérêt et le surplus sera réparti entre les associés au prorata du nombre de leurs parts d'intérêt.
On notera que Madame Veuve Hypolite Worms seule parmi les associés "physiques" n'a pas été nommée gérante.

Puis, deux mois après, par acte du 10 décembre, un nouvel acte enregistrait une modification importante de la Société financière Worms et Cie par suite de l'apport que lui avait fait la société Worms et Cie de son département bancaire, avec jouissance du 31 décembre 1964 après la fermeture des guichets de la banque, date à laquelle devait s'opérer le transfert de propriété des biens apportés avec la prise de possession effective de la société.
Ces biens comprenaient :
1°- Le fonds de commerce de banque, créé par Worms et Cie en 1928 et exploité, sous le n° 200 de la liste des banques du ministère des Finances et des Affaires économiques, tant à Paris du 43 au 49, boulevard Haussmann ; 14, rue Auber, 30, rue des Mathurins ; qu'à Lyon 55 et 57, place de la République et 17 et 18, rue Childebert, et à Marseille 35, cours Pierre Puget et 12, rue Roux de Brignoles, ledit fonds comprenant notamment, à l'exception de tous éléments corporels et de tous droits à baux : la clientèle et l'achalandage y attachés, le droit de se dire successeur, pour l'activité de banque d'affaires, de la société en commandite simple Worms et Cie.
2°- Les droits d'occupation - sous certaines conditions -des locaux occupés à Paris et ailleurs par la banque.
3°- Et diverses fournitures professionnelles.
Les différents apports étaient évalués :
le fonds bancaire à : 3 millions de francs
les droits d'occupation à : 500.000 F
et les fournitures à : 88.000 F
soit ensemble : 3.588.000 F
La société Worms et Cie apportait en outre, en numéraire, une somme de : 2.412.000 F
versée au crédit du compte 38-2-822-0 de la Société financière Worms et Cie à la Sofibanque-Hoskier, rue des Mathurins, 15, à Paris
ce qui totalisait ses apports à : 6.000.000 F

Mais, comme au moment de la constitution de la Société financière Worms et Cie, le montant de ces apports ne fut capitalisé qu'à 50%, le surplus étant considéré comme prime d'apport et versé au fonds de réserve déjà constitué à l'origine, dans les mêmes conditions, de telle sorte que la société Worms et Cie ne reçut, en rémunération de ces apports, que trois millions de parts d'intérêt de la Société financière Worms et Cie, dont le capital fut ainsi porté à 28 millions et le fonds de réserves des primes à la même somme de 28 millions. La participation totale officielle de Worms et Cie s'était élevée de ce fait à : 27.850.000 francs sur les 28 millions du capital.

L'objet social dut être modifié, il devint :
« Toutes opérations de banque, dans l'acception la plus étendue, toutes opérations et entreprises se rattachant à ce commerce, sa participation par voie de création de sociétés nouvelles, d'apport, commandite, souscription ou achats de titres ou droits sociaux, fusion, alliance, association en participation ou autrement, dans toutes affaires commerciales, industrielles, financières, mobilières et immobilières, existantes ou en formation, et généralement toutes opérations commerciales, industrielles, financières, mobilières et immobilières se rattachant directement ou indirectement, en totalité ou en partie, à l'un quelconque des objets ci-dessus spécifiés ou à des objets similaires ou connexes ».

En même temps, le titre était lui aussi complètement modifié et devenait :

Banque Worms et Compagnie

Mais, comme dans ses apports antérieurs à la Société maritime et charbonnière Worms et Cie et aux Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime, la société Worms et Cie s'était réservée certains droits.
En la circonstance elle avait réservé expressément la propriété et la jouissance de tous les éléments de son actif non compris dans les apports précisés et qui existeraient au 31 décembre 1964, notamment : les éléments corporels de son fonds de commerce de banque et tous droits à baux, tous biens mobiliers et droits immobiliers, tous titres de participations, droits sociaux et autres valeurs immobilisées, ainsi que le portefeuille-titres de placement.
Toutefois en ce qui concernait les autres actifs disponibles et réalisables, parmi lesquels : les comptes de caisse, Trésor public, banque d'émission ; les comptes de banques et correspondants, le portefeuille-effets, y compris les effets financiers, les comptes-courants, les comptes d'avances, garanties et non garanties, les comptes débiteurs divers, et les comptes débiteurs par acceptation, il avait été convenu que les actifs disponibles et réalisables, ainsi désignés seraient cédés le 1er janvier 1965 à la Société financière Worms et Cie, moyennant la prise en charge, par celle-ci, des éléments du passif bancaire Worms et Cie pour un montant correspondant exactement aux actifs cédés.
Conformément aux dispositions légales la société Worms et Cie apporteuse, avait dû faire diverses déclarations, particulièrement en ce qui concernait le fonds apporté. Elle déclara donc que le fonds bancaire avait été créé par elle en 1928, que ce fonds n'est grevé d'aucun privilège de créancier ; que les chiffres d'affaires et bénéfices afférents au fond de commercé apporté et réalisés pour la période courue depuis le 1er janvier 1964 font l'objet d'un relevé indicatif et estimatif annexé au présent acte.
Malheureusement, la société Worms et Cie trop habituée à la discrétion, a "oublié" de joindre à l'acte déposé au greffe du tribunal de commerce de la Seine, le relevé soi-disant annexé audit acte.
Et disons-le très nettement, ce n'est pas digne de ce qui est, ou, tout au moins, a été Worms et Cie, car Worms et Cie ce n'est pas, tout de même, n'importe qui.
Nous avions déjà écrit, dans cette revue, en étudiant les modifications survenues à la suite du décès de M. Hypolite Worms, que la nouvelle société Worms et Cie ne serait certainement plus la vieille affaire Worms et Cie, animée par l'homme d'affaires que le défunt avait été. Nous en avons ici une autre preuve.
Il est regrettable que les nouveaux dirigeants de Worms et Cie ne se soient pas inspirés de l'exemple d'une autre très grande banque privée - dont on aurait pu dire, à l'époque, que Worms et Cie y était "spirituellement" l'associée - et qui, lors du décès du principal de ses associés, n'a pas craint de "révéler" justement les renseignements que les associés de Worms et Cie ont pensé, à tort, pouvoir dissimuler en ne déposant pas - contrairement aux dispositions légales - l'annexe II dont parlait l'acte d'apport.
"A tort" disons-nous, parce que Worms et Cie a l'habitude d'adresser aux banques avec lesquelles la société est en relations, un luxueux "triptype" portant le bilan de fin de chacun des exercices sociaux.
Nous essayerons d'obvier à la discrétion de Worms et Cie puisque les circonstances ont mis certains de ces documents entre nos mains.
Mais ce que l'on constatera, curieusement, c'est que dans les bilans Worms et Cie, il n'est jamais question de bénéfices, mais de "surplus" (?)
Avouons que c'est là une formule curieuse, obscure et complaisante.

(A suivre.)

R. Mennevée

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