1944.00.De Worms et Cie.Note (non datée)

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NB : Note non datée, classée après le 23 septembre 1944 en raison de la référence faite à l'inculpation d'Hypolite Worms et de Gabriel Le Roy Ladurie, événement le plus récent cité dans le texte.

Note

Monsieur Hypolite Worms, chef de la Maison Worms & Cie, a été arrêté le 7 septembre 1944 et inculpé le 23 d'atteinte à la sûreté extérieure de l'État, sous forme de commerce avec l'ennemi.
Monsieur Gabriel Le Roy Ladurie, directeur des services bancaires de la Maison Worms & Cie, a fait l'objet de la même inculpation.
La gravité exceptionnelle de cette accusation nécessite la mise au point suivante afférente à la période juin 1940-août 1944.

Chantiers du Trait
La Maison Worms dans ses chantiers du Trait (Ateliers et Chantiers de la Seine maritime) consacrait surtout ses activité à la construction des navires de guerre.
Cet important établissement qui, à l'ouverture des hostilités, comportait 8 cales de construction et employait 1.100 ouvriers en environ, avait, en juin 1940, pour le compte de la Marine militaire :

1. en construction
Les sous-marins
- "La-Favorite"
- "L'Africaine"
- "Armide"
- "Andromaque"
Les pétroliers d'escadre
- "Charente"
- "Mayenne"
- "Baïse"

2. en commande
4 sous-marins : Q 219 à 222.

Soit, au total, 8 sous-marins et 3 pétroliers d'escadre.

Toutes ces unités construites pour le compte de la Marine nationale ou commandée par elle furent déclarées prises de guerre par les autorités allemandes, en application de la convention de La Haie.
Si ces navires en construction n'étaient point détruits au 25 juin 1940, la faute en incombe exclusivement aux autorités militaires françaises. En effet, la direction des Chantiers du Trait s'était préoccupée immédiatement de la destruction des sous-marins en construction et avait demandé dans ce but des instructions et des explosifs au général commandant la région de Rouen. Celui-ci avait constamment refusé instructions et explosifs, notamment malgré une dernière demande d'instructions formulée le 9 juin 1940, jour même de l'évacuation des Chantiers.
Les autorités allemandes, qui avaient occupé Le Trait, décidèrent la continuation des constructions en cours. Mais les Chantiers refusèrent d'exécuter tout travail et demandèrent des ordres formels de l'amirauté française.
Celle-ci cependant obtenait des autorités allemandes par un accord négocié au sein de la commission d'armistice de Wiesbaden qu'un certain nombre des navires saisis dans les ports ou les chantiers français fussent restitués à la France, par dérogation aux dispositions de la convention de La Haie, les autres au contraire étant livrés à l'Allemagne ou achevés pour son compte.
C'est ainsi que fut abandonnée au Trait la construction de deux des quatre sous-marins sur cale et résiliée la commande des quatre sous-marins non encore commencés.
Par contre, la construction des deux pétroliers d'escadre, "Mayenne" et "Baïse", put être continuée pour le compte de l'amirauté française.
Seuls demeurèrent prises de guerre les sous-marins "La-Favorite" et "L'Africaine" et le pétrolier d'escadre "Charente".
"La-Favorite" devait être livrée à l'amirauté française fin 1940. Elle n'a été livrée aux autorités allemandes que le 24 novembre 1942, soit avec deux ans de retard.
"L'Africaine" devait être livrée à l'amirauté française en juin 1941. Elle n'a jamais été livrée aux autorités allemandes qui l'ont fait sauter avant leur départ en août 1944.
Le pétrolier d'escadre "Charente" devait être livré à l'amirauté française dans le courant de 1941 ; il ne fut livré aux autorités allemandes que le 15 septembre 1943, soit avec un retard de plus de deux ans et un séjour sur cale de quatre ans.
Malgré la présence d'un commissaire allemand au siège social et celle de nombreux officiers de Marine dans les Chantiers eux-mêmes, qui ne cessèrent d'exercer une pression et des menaces de tous ordres, allant même jusqu'à arrêter pendant plus de deux mois le secrétaire général et le secrétaire de la direction en accusant les Chantiers de sabotage, grâce aussi à la résistance constante apportée par le personnel et les ingénieurs, du fait également des durs bombardements acceptés avec beaucoup d'héroïsme, les Chantiers purent ainsi retarder considérablement la livraison d'un sous-marin et d'un pétrolier et empêcher définitivement la livraison d'un second sous-marin.
Ce résultat apparaît d'ailleurs comme d'autant plus dérisoire que "La Favorite" - il importe de le souligner - a été livrée sans tubes lance-torpilles orientables, avec un seul de ses quatre tubes lance-torpilles d'étrave, constituant ainsi, aux dires de tous les techniciens de l'amirauté française, un engin sans valeur militaire quelconque pour l'Allemagne.
Seuls, parmi les chantiers français, ceux du Trait n'ont enfin jamais effectué de réparations et de transformations de navires. Ils sont d'ailleurs considérés par le Comité d'organisation de la construction navale ainsi que par les fonctionnaires des services des Constructions navales au ministère de la Marine comme ayant été parmi les chantiers les plus résistants.
Sur le plan financier, leur bilan de quatre années d'occupation se solde pour eux par plus de trente millions de pertes et un montant de dommages de guerre dépassant 250 millions.

Services maritimes
La Maison Worms n'avait plus depuis le 1er septembre 1939 la disposition de sa flotte, réquisitionnée par le gouvernement français ; cet état de choses subsiste à l'heure actuelle. Tous ses navires encore à flot naviguent soit sous contrôle britannique, soit pour le compte des alliés.
Ses succursales françaises sont en sommeil depuis juin 1940, sauf celle de Marseille qui put travailler jusqu'en novembre 1942 en dehors de toute ingérence allemande.

Services charbons
La Maison Worms, importatrice de charbons étrangers, a, depuis juin 1940, vendu ou distribué à sa clientèle uniquement les faibles tonnages de charbon français mis à sa disposition par les Répartiteurs. Ses exploitations de forêts et de tourbières lui ont permis d'éviter le chômage de son personnel et sa déportation en Allemagne. Elle a dû céder aux autorités allemandes sur réquisition de celles-ci un tonnage insignifiant de sa production de charbon de bois.

Banque
La Maison Worms, qui a été l'objet de pressions nombreuses de la part des services allemands, a pu jusqu'au bout éviter toute cession de titres ou participation quelconque à des Allemands. Elle n'a jamais constitué de société ou de syndicat avec des entreprises allemandes. Elle a pu obtenir le même résultat en ce qui concerne ses filiales ou les sociétés contrôlées par elle. C'est ainsi que des pressions très violentes ont été exercées en vue d'obtenir des cessions de participations notamment dans les sociétés suivantes :
Franconed (filiale hollandaise)
Société de Produits chimiques de Terres rares
Fournier-Ferrier
Société des Mines de Montmins (tungstène)
Chantiers des Œillets (molybdène)
Ces cessions ont toutes été refusées avec persévérance et succès.
Les relations de la Maison Worms se sont bornées, malgré la présence chez elle d'un commissaire allemand, à l'ouverture de crédits documentaires ou de comptes de dépôts, au paiement de lettres de crédit, à l'escompte de factures, etc. que toutes les banques françaises durent accepter.
Un chiffre suffira à illustrer l'importance minime de ces opérations. Le montant du chiffre d'affaires avec des ressortissants allemands passés par l'intermédiaire de la Banque de France n'atteint pas 1 ½% du chiffre d'affaires total des opérations de même ordre traitées par les banques de la place de Paris. Sur l'ensemble des opérations traitées en France, cette proportion est encore beaucoup plus faible.

Il est donc possible d'affirmer que, dans toutes les branches de son activité, la Maison Worms, placée dans une position particulièrement difficile par suite de la présence d'un commissaire allemand dans ses chantiers, n'a cessé d'opposer pendant quatre ans une résistance tenace et efficace à toutes les exigences de l'ennemi : elle a toujours fait preuve du patriotisme le plus désintéressé et le plus scrupuleux, n'ayant travaillé pour les autorités allemandes qu'au Trait et sur les ordres formels du gouvernement français, n'ayant point hésité à mettre en sommeil au prix des plus lourds sacrifices ses départements maritimes et charbonniers.


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