1977.12.14.De Roland Gada.Témoignage

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Souvenirs de Roland Gada

Dès la création de leur ligne de Hambourg en 1859, MM. Worms s'intéressèrent à la Baltique. Cet intérêt se précisa lorsqu'en 1895, fut ouvert le canal de Kiel qui permettait aux navires de passer directement de l'embouchure de l'Elbe en Baltique sans avoir à contourner la presqu'île du Jutland.
Peu avant 1914, un projet fut mis à l'étude et confié, tout au moins pour ce qui concernait les ports russes, au commandant Serret alors directeur de nos Services maritimes, et qui, si je ne me trompe, s'était même rendu à Saint-Pétersbourg où son ami et camarade de l'École navale, le commandant Galland, attaché naval auprès de l'ambassade de France en Russie, devait lui faciliter les choses.
Mis en veilleuse pendant la guerre de 14-18, ce projet fut repris à la fin des hostilités en tenant compte des changements politiques et géographiques survenus et il fut décidé, Petrograd étant momentanément inaccessible, de limiter notre action à la partie ouest de la Baltique.

Dantzig - 1919
C'est ainsi qu'en 1919 furent créées la ligne et la succursale de Dantzig. Ce port fut choisi comme tête de ligne parce que, surtout avec la Pologne comme hinterland, il était le plus important de cette partie de la Baltique.
La direction en fut confiée à M. F. [Longue] qui se consacra avec énergie et compétence à la mise en route de la ligne.
Comme il fallait s'y attendre, les débuts furent assez pénibles, les cargaisons devinrent plus abondants au fur et à mesure que s'organisait la vie économique de l'arrière-pays et, en sortie de Dantzig, grâce surtout aux bois arrivant par fer des forêts polonaises, les pleins chargements devinrent la règle.

Arkhangel - 1916/1918
Durant la guerre de 14-18, Arkhangel, seul port russe ouvert à l'ouest, avait rapidement pris un développement considérable.
Les services français des Transports maritimes et du Ravitaillement y établirent en 1915 une mission chargée des opérations des navires français affrétés qui y escalaient pour le déchargement de matériel généralement militaire et l'embarquement de marchandises destinées au ravitaillement de la population française.
Cette mission dépendait de la section d'Arkhangel dirigée à Paris par M. Jean Monnet.
La révolution russe de fin 1917 entravant son activité, le personnel français qui la composait et dont je faisais partie, fut rappelé à Londres où M. Monnet avait entre-temps transféré ses services et où ses collaborateurs d'Arkhangel reçurent une nouvelle affectation. Je fus pour ma part, adjoint de M. [Odon de Leebersae], chef du service Transports maritimes français de Londres, en attendant que soit résolu le problème de mon renvoi éventuel à Arkhangel où restait encore un important tonnage de marchandises destinées à la France et qu'il ne paraissait pas impossible de faire sortir de Russie.
Le voyage n'eut pas lieu malgré l'intérêt qu'y portait le sous-secrétaire d'État au Ravitaillement.
Par suite de désaccords entre M. Monnet et l'autorité militaire française, qu'il serait trop long de raconter ici, ceux des collaborateurs de M. Monnet repérés sur territoire français étaient, dans les plus brefs délais, repris sous les drapeaux. C'est ce qui m'advint dès mon premier voyage à Paris bien qu'en situation militaire tout à fait régulière.
Les démarches entreprises par mon ministère pour me récupérer n'y purent rien changer.
Par contre, la maison Worms qui, de son côté, avait demandé ma mise en sursis en vue de l'ouverture d'une agence à Arkhangel, obtint satisfaction sans difficultés.
C'est ainsi que, le 11 novembre 1918, j'entrai à son service.

Worms & Cie Arkhangel - 1919
Fidèles à leur programme d'expansion vers l'est, MM. Worms & Cie avaient décidé de s'installer à Arkhangel, faute de mieux, afin de marquer leur place sans tarder sur le trafic russe qui suscitait déjà bien des convoitises.
Se rendre à Arkhangel n'était pas chose facile à l'époque. Il me fallut attendre le départ d'un croiseur brise-glace de la Marine nationale, dont les réparations s'éternisaient dans un chantier de Newcastle, pour me mettre en route.
Le voyage (de Paris) dura trois mois et j'arrivai à Arkhangel en plein hiver - un Arkhangel bien différent de celui que j'avais connu sous l'administration militaire tsariste, puis bolchevique, à mon précédent séjour.
La ville était maintenant occupée par les troupes alliées et des Russes blancs, sous commandement britannique, combattant les communistes à quelques kilomètres de là.
La France y participait avec un bataillon de chasseurs et, sur mer, un croiseur et deux brise-glaces armés, dont celui sur lequel j'avais fait le voyage de Newcastle.
Mes instructions étaient de rechercher : 1° - un local, 2° - des bateaux, 3° - du fret à leur donner.
Il y aurait bien eu, pour la reprise de la navigation, quelques centaines de tonnes de marchandises diverses et les quais de la Dwina regorgeaient de sciages de résineux attendant preneur, mais aucun navire normalement utilisable pour leur enlèvement. Tous trop vieux, trop petits ou en trop mauvais état de navigabilité, sauf peut-être, à l'extrême rigueur, ceux de M. Bourkoff dont je ne peux résister à la tentation de raconter ici l'histoire. C'est l'ambassade de France qui, au courant de mes recherches, m'avait mis en rapport avec lui.
M. Bourkoff avait exploité avant la guerre un service de transports à la fois maritime et fluvial. Sa ligne maritime reliait Arkhangel à Saint-Pétersbourg avec une dizaine de petits vapeurs vétustes, son matériel fluvial (péniches et petits remorqueurs) desservait le cours de la Dwina jusqu'à [Kotlas] et de ses principaux affluents. Le transbordement du fret de mer sur péniches de rivière et vice versa se faisait dans le port d'Arkhangel où M. Bourkoff possédait des hangars et plusieurs centaines de mètres de quai.
Pour éviter que l'amirauté britannique ne réquisitionne ses bateaux, M. Bourkoff aurait voulu que l'ambassade trouve moyen de les faire passer sous pavillon français. Il était prêt pour cela à nous céder sous la forme convenable, la moitié de la valeur de son matériel et le contrôle de sa flotte contre le versement dans une banque de Londres, d'une somme en livre sterling dont je me souviens seulement qu'elle était peu importante.
L'affaire n'aboutit pas.
MM. Worms & Cie qui, à Paris, la suivaient avec intérêt, me firent savoir confidentiellement, alors que personne encore ne semblait s'en douter à Arkhangel, que les Anglais, laissant le champ libre aux bolcheviques, s'apprêtaient à ré-embarquer.
Il ne nous restait qu'à les imiter.

Quant à M. Bourkoff, il réussit avant le retour des communistes à Arkhangel, à réaliser seul l'opération dont nous avions envisagé avec lui l'éventualité : il expédia ses navires sur des ports écossais avec de pleins chargements de sciages de pins du nord et sans doute put-il ainsi ouvrir dans une banque de Londres le compte en livre sterling dont il rêvait.
Arkhangel

Dans les quelques mois qui suivirent la prise de pouvoir des communistes, l'ambassade de France avait réussi à entretenir à Petrograd, par personne interposée, des relations presque normales avec la nouvelle administration. Les choses se gâtèrent lorsque le Quai d'Orsay interdit à ses représentants en Russie tout ce qui pouvait être interprété comme une reconnaissance du nouveau régime.
Notre ambassade se réfugia à Arkhangel sous la protection des navires alliés.
L'ambassadeur, M. [Noullens] et quelques-uns de ses collaborateurs, ne tardèrent pas à rentrer en France. Les autres restèrent à Arkhangel.

Jean Brieule
Parmi ces derniers se trouvait un jeune attaché auxiliaire, M. Jean Brieule, qu'à la demande de l'ambassade, j'avais logé dans une pièce du vaste appartement mis à ma disposition par l'autorité britannique. M. Jean Brieule m'aidait à l'occasion dans mon travail et c'est à lui qu'avant de quitter Arkhangel, je confiai le soin de liquider les quelques affaires en cours et de ramener nos dossiers en France lorsque, quelques jours plus tard, le personnel de l'ambassade embarquerait à son tour.

Commandant Galland
L'attaché naval de France en Russie, le commandant Galland avait suivi l'ambassadeur lorsqu'il rentra en France. Il l'accompagna encore quand, peu après, celui-ci fut envoyé en Pologne comme haut-commissaire de la France.
Tous deux pensaient que la nouvelle affectation de M. [Noullens] lui conférerait une influence qui ne pourrait être que profitable au commandant Galland nommé directeur général de notre Maison en Pologne.
Une succursale fut créée à Varsovie, qui devait drainer en Pologne du fret pour la ligne de Dantzig mais, à part le bois dont les cargaisons se traitaient à Dantzig même, il y avait peu de possibilités de fret en Pologne et l'action de la succursale de Varsovie n'eut pas pour notre ligne de Baltique, tous les résultats espérés.

Prague
MM. Worms & Cie comptaient, après l'échec d'Arkhangel, m'envoyer à Dantzig pour l'organisation de la nouvelle succursale mais les lenteurs de mon voyage [de retour] firent qu'ils confièrent cette mission à M. Longue.
Je reçus celle d'installer à Prague une agence dont le rôle serait de rechercher en Europe centrale du fret pour notre ligne de Hambourg.
On redoutait en effet, au lendemain de la guerre, que les chargeurs allemands soient peu enclins à donner leur fret à une ligne française alors que la Tchécoslovaquie nous recevrait à bras ouverts. En réalité, les industriels et les puissants transporteurs de la région nous virent arriver sans joie.
Le transport international était dans cette partie de l'Europe entre les mains d'importantes maisons de transit dont les ramifications s'étendaient aux principaux ports et aux centres industriels d'Allemagne et des pays voisins. Les agences de l'intérieur recrutaient et acheminaient le fret sur celles des ports (Hambourg en la circonstance) dont le rôle était de traiter avec les armements pour la partie maritime du transport.
Ces "spéditeurs" virent d'un très mauvais oeil la maison organiser en Tchécoslovaquie un service dont le but était de les court-circuiter.
Sans doute aurions-nous dû, au lieu de continuer à nous charger nous-mêmes des transports sur Hambourg, nous contenter de prospecter industriels et transitaires de notre région en faveur de notre ligne sans nous occuper de l'acheminement sur Hambourg, comme le font actuellement les agences de fret mais ce mode d'activité était à l'époque inconnu.
Worms Prague avait la représentation des principales compagnies françaises de navigation et nous avions dû créer un service "passages" pour la vente de billets de voyage. Celui-ci fut, pendant les premières années, très actif et rémunérateur. Les facilités de trésorerie qu'il nous apporta nous encouragèrent à poursuivre, malgré ce qu'ils avaient d'ingrat, nos efforts dans le domaine transit.
Nous ne pouvions en effet pas perdre de vue que nous n'étions pas venus à Prague pour vendre des billets de passage mais bien pour épauler notre ligne de Hambourg. Notre DGSM, voyant les choses de plus haut, n'approuva pas la voie dans laquelle nous nous engagions, surtout lorsqu'il fut question pour Hambourg et certaines de nos succursales françaises de s'organiser pour l'expédition et la réception de marchandises par voie ferrée.
C'était l'impasse ! Une occasion se présenta pour nous d'en sortir.
Le directeur général de la maison Danzas, désirant réorganiser ses services en Tchécoslovaquie, nous proposa sa représentation. Notre DGSM ne nous ayant pas autorisés à l'accepter, M. [Amman] nous offrit de reprendre à son compte notre organisation qui comptait, en dehors de Prague, trois bureaux directs et quelques correspondants.
Des rendez-vous furent pris à Paris et, je crois, au Havre avec notre DGSM.
Ayant à l'époque quitté Prague pour Dantzig, je n'en ai pas su le déroulement ni le résultat.

Jean Brieule
J'avais comme collaborateur à Prague Jean Brieule qui, à son retour de Russie, était entré au service de la Maison. Il s'occupait surtout du service passages.

Varsovie
La succursale de Varsovie qui, elle aussi, représentait les compagnies françaises de navigation et vendait des billets de passage, se trouvant débordée, demanda quelqu'un de compétent pour l'aider. On lui envoya M. Jean Brieule qui s'y installa d'abord comme chef du bureau des passages puis comme directeur, deux ans plus tard.
C'est vers cette époque que le commandant Galland quitta la Pologne.

Dantzig
En 1922, M. Longue, directeur de la succursale de Dantzig, ayant eu quelques difficultés avec la DGSM, dut quitter son poste pour une faute dont il n'était d'ailleurs pas responsable.
Il fut partiellement remplacé par M. Morgat, directeur de la maison de Varsovie qui, avec le titre de sous-directeur, partagea avec M. Péquignot, passé lui-même de fondé de pouvoirs à sous-directeur, la responsabilité de la succursale.
Le résultat de ces mesures n'ayant pas, à l'usage, donné satisfaction, je fus en 1922 appelé à la direction de la maison de Dantzig, M. François [Fombonne] prenant ma suite à Prague.
La succursale de Dantzig avait été bien organisée, le personnel était compétent. L'immeuble abritant ses bureaux, parfaitement situé, avait été acquis par les soins de M. Longue, à l'époque du Mark allemand pour un prix inespérément bas.
Les sérieuses difficultés auxquelles nous avions eu et avions encore à faire face provenaient surtout de nos accords avec notre transitaire polonais et du manque d'organisation de la vie économique de l'arrière-pays. Les choses s'améliorèrent lorsqu'à Dantzig même, le Florin remplaça le Mark, complètement déprécié, et que la Pologne adopta le Zloty.
Les deux devises, au début, avaient la même valeur.
L'activité de notre ligne était satisfaisante, surtout en sortie de Dantzig où les quatre navires qui lui étaient affectés trouvaient régulièrement leur plein grâce à nos contrats de cellulose et aux sciages qui nous arrivaient des forêts de Pologne.
Nos navires faisaient aussi de fréquentes escales dans les ports voisins de : Königsberg, Memel, Libau, Riga, Reval où nous avions des agents actifs et compétents.
C'est seulement à partir de 1926 que nos bateaux poussèrent jusqu'à Leningrad.

Charbon
Vers 1926, profitant de la hausse provoquée sur le marché européen par la grève des mineurs anglais, les sociétés minières polonaises proposèrent leur charbon aux importateurs français. Notre maison, après quelques hésitations sentimentales, s'intéressa à cette nouvelle source d'approvisionnement sans oser trop espérer qu'elle serait durable. Elle le fut pourtant jusqu'au début des hostilités en 1939.
Le charbon arrivait à Dantzig par wagons ; il était, dans la mesure du possible, transbordé directement sur navire de mer à un appontement qui nous était affecté et où 3 ou 4 navires pouvaient opérer simultanément.
Nous avions pensé, au début, pouvoir utiliser pour ces transports les trois ex-charbonniers de la ligne. Nous y avons renoncé parce qu'à part, peut-être "Jumièges", ils étaient de trop faible tonnage et que tout bien calculé, leur rendement "bois" était plus avantageux que celui du fret charbon.
Il fallait de toute façon recourir à des armateurs étrangers, anglais, allemands ou scandinaves, habitués à ce genre de transport pour lesquels le problème principal était de faire coïncider l'arrivée du navire à quai avec celle des trains de charbon.
Nous y réussissions généralement.

Akotra
Afin de donner satisfaction à certains importateurs français qui achetaient leur charbon à notre maison mais désiraient faire figure d'importateur direct, MM. Worms décidèrent la création d'une société dantzikoise, Akotra, dont le nom fut donné à une partie de notre département charbon, sans qu'en fait rien ne soit changé dans son fonctionnement.

Représentations
Nous avions à Dantzig plusieurs représentations dont celles des principales compagnies françaises de navigation. Nous en vendions les billets de passage mais en beaucoup moins grand nombre qu'à Prague ou Varsovie.
La Compagnie générale transatlantique entretenait de 1923 à 1927 une ligne entre Dantzig et Dunkerque, Le Havre, qui prenait surtout des passagers, mais aussi parfois de petits lots de marchandises diverses lorsque cela ne gênait pas nos propres navires.
C'est un des bateaux de ce service Transat, le "Kentucky", qui fut à l'origine de la création du port de Gdynia.
Worms Dantzig avait aussi à s'occuper du "Pologne", petit paquebot que la Transat faisait circuler en Baltique. Il prenait très peu de fret, quelques passagers et surtout, à la belle saison, des touristes.
Nous recevions également, une ou deux fois par an, l'un ou l'autre de ses beaux paquebots de Lorient Line en croisière en Baltique.

Gdynia
Par la route, Gdynia est à une vingtaine de kilomètres de Dantzig. Nous n'y avons pas de bureau. Nos opérations portuaires étaient confiées à celui de la Bergenske, sauf en ce qui concernait les deux paquebots de la ligne Gdynia-sud Amérique des Chargeurs réunis.

Leningrad - 1926-1930
L'idée de prolonger notre ligne de Baltique jusqu'à Leningrad n'avait pas été abandonnée et, à Paris, notre secrétariat général, à l'affût d'une occasion de reprendre les négociations, gardait le contact avec la représentation commerciale soviétique.
Cette occasion se présenta en 1926 lorsque les Russes, manquant de tonnages pour le transport de leurs marchandises sur la France et quelques ports intermédiaires, firent appel à nous.
Un premier voyage Leningrad ayant donné des résultats plutôt satisfaisants, notre maison conclut avec l'organisation russe Sovtorgflot un accord par lequel elle mettrait 2 navires en service entre les ports français et Leningrad.
À la DGSM, les sentiments étaient partagés quant à l'opportunité de la création de cette nouvelle ligne.
C'est l'opposition qui chez nous l'emporta malgré des gestes de bonne volonté de Sovtorgflot, notamment en ramenant, avec effet rétroactif, à 5% sa bonification sur fret fixée au contrat initial à 15%.

Allemagne - 1945-1950
C'est en 1945, alors que se négociait à Berlin l'application des clauses du traité de Postdam que je fus appelé à m'occuper à nouveau de la Baltique.
Les alliés avaient divisé l'Allemagne en quatre zones d'occupation dont les Russes s'étaient attribués celle couvrant l'est du pays et les côtes de la Baltique. Il était prévu que chacun des occupants administrerait seul sa zone mais que les autres alliés y auraient néanmoins accès.
La France avait désigné pour suivre les questions navales en zone soviétique, le capitaine de vaisseau Peltier. Je lui fus adjoint au titre de la Marine marchande acquis MM. Worms m'avaient momentanément prêté.
À Paris, les services Allemagne de la Marine marchande était dirigés par M. Nicol (Chargeurs réunis, Comité central des armateurs de France).
En arrivant à Hambourg où je devais retrouver le commandant Peltier, j'appris qu'à la demande des Russes, les alliés groupaient leurs services de contrôle à Berlin, que les Soviétiques ne voulaient pas de représentants étrangers dans leur zone et que le commandant Peltier m'attendait à Berlin.
Ces dispositions m'entraînaient bien loin de mon objective Baltique mais elles pouvaient n'être encore que provisoires.
Elles le furent pas.
À Berlin, je retrouvais le commandant Peltier à la tête d'un embryon d'organisation marine qui s'étoffa rapidement pour former deux groupes distincts : celui de la Marine nationale et celui de la Marine marchande avec, au début, filiale commune à Hambourg.
C'est à celle-ci que j'aurais voulu être affecté, lorsqu'il fut établi que les Russes n'admettraient pas de représentants français dans leur zone ; il m'eut été facile, de là, de suivre la remise en route de notre succursale de Hambourg mais l'administration dont je dépendais s'opposa à ce que je quitte Berlin. Cela n'empêcha pas MM. Worms & Cie de procéder sans trop de difficultés à la réorganisation de leurs services de Hambourg sous la nouvelle forme qu'ils avaient choisie et dont la lecture des quelques pièces annexées peut donner une idée.
C'est en 1948, lorsque cessa la bonne entente entre Russes et alliés occidentaux, obligeant la majeure partie des effectifs français à quitter Berlin, que je pus me replier sur Hambourg où la Marine marchande avait un bureau.
Quelques mois plus tard, Paris ayant décidé d'incorporer, pour les affaires économiques, la somme française à l'organisation bi-zonale américaine/anglaise, je fus avec l'accord de M. Hypolite Worms appelé à la JEIA (Joint Export Import Agency) Francfort.
Bien qu'en soi sans grand intérêt, le petit dossier ci-annexé peut donner une idée de ce qu'y furent mes occupations et, en particulier, celles touchant les démêlés de nos succursales du Benelux avec la Communauté rhénane. Cette association qui groupait les six compagnies fluviales françaises du Rhin, avait au cours des dernières années, réaliser des bénéfices considérables. Elle ambitionnait d'étendre son activité au domaine maritime, ce qui était une menace directe pour nos succursales d'Anvers et de Rotterdam.
Pour l'immédiat, notre directeur d'Anvers, M. Potocki, réussit avec l'appui de la JEIA a conservé dans les ports du Benelux les opérations de marchandises destinées à la zone française, mais, pour l'avenir, c'est-à-dire lorsque la JEIA rendrait au domaine public le soin de l'approvisionnement de cette région, la Communauté ne cachait pas son intention de profiter des positions qu'elle occupait dans le pays et sur le Rhin pour reprendre son expansion maritime.
Pour y faire face, la Maison décida de prendre de son côté position sur le Rhin et installa pour commencer une succursale à Strasbourg.

Le 14 décembre 1977,

R. Gada

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