1977.02.09.De Raymond Meynial.A Francis Ley - Banque Worms.Entretien

NB : Note classée avec d'autres témoignages, dans une reliure de couleur rouge intitulée "Banque Worms (1928-1978)".

La copie-image de ce document, établi sur traitement de texte, n'a pas été conservée.

Propos recueillis auprès de Monsieur Raymond Meynial

En 1914, la Maison Worms avait comme principale activité l'importation et le commerce du charbon anglais, branche dans laquelle elle détenait un premier rang en France, et l'armement maritime dont les navires, circulaient sur des lignes régulières aussi bien dans les mers du nord de l'Europe que dans tout le bassin méditerranéen.

Pendant la grande guerre, en 1916, Anatole de Monzie, ministre de la Marine marchande, demanda à certains groupes importants de s'intéresser à la construction navale dans le but de remplacer les unités détruites pendant les hostilités et de pourvoir à la reconstitution de la flotte à la fin de celles-ci. La société Worms et Cie se trouvait parmi les affaires consultées et elle décidait, en 1917, de créer les chantiers de constructions maritimes du Trait, sur la Seine en aval de Rouen.

Ce sont donc trois départements que comptait la Maison en 1919 : ceux du négoce du charbon, de l'armement et de la construction navale dont une partie des ateliers se trouvait alors construite. La première unité, le charbonnier "Capitaine-Bonelli", devait être lancée le 23 novembre 1921.

Le cabotage entre les principaux ports de France fut développé et le nombre de comptoirs implantés en métropole atteignait le chiffre de vingt et un.
A l'étranger, la société avait également établi des succursales : en Angleterre, en Espagne, en Égypte, Belgique (Anvers), Hollande (Rotterdam), Allemagne (Hambourg) et temporairement en Argentine (Buenos Aires). Dès 1925 le nombre des succursales françaises était passé à vingt-cinq et, à l'étranger, venaient s'ajouter aux anciens les comptoirs de Beyrouth (Syrie), Duisburg (Allemagne), Dantzig et Varsovie (Pologne), Prague (Tchécoslovaquie) et Arkangel (Russie). La Maison possédait à cette date en toute propriété 23 steamers dont le "Château-Lafite" et le "Séphora-Worms".

Depuis le retrait de la société de M. Georges Majoux, en juin 1925, restaient seuls associés-gérants MM. Hypolite Worms et Michel Goudchaux. Ceux-ci pensèrent qu'il serait bon pour le développement de la Maison de s'adjoindre la collaboration d'une personnalité active dont la compétence en matière financière était reconnue. C'est ainsi que M. Hypolite Worms fut amené à prendre à ses côtés, comme directeur général, en juillet 1928, M. Jacques Barnaud, ancien élève de l'École polytechnique, inspecteur des Finances, ancien directeur au cabinet de M. Loucheur (ministre des Finances en 1925) et ancien directeur adjoint du mouvement général des fonds. Dès 1930, Monsieur Barnaud devenait associé-gérant de la Maison.

De l'étroite collaboration qui s'établit rapidement entre MM. Worms et Barnaud, naquit l'idée de fonder un quatrième département : celui des services financiers et bancaires. Depuis les statuts de 1881 "les opérations de Banque et de change national et international" figuraient explicitement dans l'objet social.

Dans un but exploratoire et d'information les associés-gérants consultèrent MM. Frédéric Bloch-Lainé et André Meyer de la Maison Lazard Frères et demandèrent à MM. Henri Ardant et Maurice Lorain (anciens inspecteurs des Finances) de la Société générale, de leur fournir, si possible, un cadre de banque : ce fut M. Ferdinand Vial.

Afin d'étoffer le nouveau département M. Barnaud fit appel à MM. Erwyn Marin et Gabriel Le Roy Ladurie en 1929, puis à MM. Jean Ragaine et Lucien Guérin, et en octobre 1932 à M. Raymond Meynial. Enfin, au début de 1937, à M. Guy Brocard.

Dès 1930 M. Le Roy Ladurie qui était précédemment directeur à la Banque franco-polonaise en Pologne, prenait la tête des services bancaires. Au sein de Worms et Cie, une dotation de 10 millions de francs fut mise à la disposition du nouveau département. Les débuts furent modestes mais grâce à la surface que représentait l'ensemble de la Maison des opérations par signature purent devenir nombreuses.

Durant la période difficile de l'époque 1929-1932, les premières opérations de "banque d'affaires" ont été en fait des investissements qui immobilisèrent rapidement la dotation relativement limitée. Tel fut le cas des participations prises dans l'Économat du centre, la Société immobilière du boulevard Haussmann (reprise au groupe Bauer-Marchal) et dans les Établissements Marret Bonnin, Lebel et Guieu. Par contre, la décision que prit M. Hypolite Worms, fin 1929, de s'intéresser à la Compagnie havraise péninsulaire de navigation à vapeur, alors en difficulté, s'avéra, par la création de la Nouvelle Compagnie havraise péninsulaire de navigation un placement qui, petit à petit, donna de bons résultats. De même, après le krach Homberg, Worms et Cie, en association avec la Banque de l'Indochine et Lazard Frères, s'assura en 1931 le contrôle de la Société française d'entreprise de dragage et de travaux publics - SFEDTP - qui fut remise convenablement sur pied.

Sous l'impulsion de M. Le Roy Ladurie l'action des Services bancaires s'exerça surtout du côté des moyennes et petites entreprises, les grosses affaires étant déjà bien en main auprès des plus importantes banques de la place. Les premiers clients furent principalement recrutés parmi les bonnes connaissances des associés et dans le cercle des relations nordiques et scandinaves, que possédaient MM. Le Roy Ladurie et Guérin.

Grâce à ces dernières la Maison conservera une situation plutôt privilégiée dans les échanges avec les pays scandinaves. Les opérations par signature (escompte d'acceptations) amenèrent aussi progressivement des dépôts qui permirent de nouvelles transactions. D'autres participations furent prises comme celles dans la Société d'entreprise des grands travaux hydrauliques - EGTH - et dans l'Entreprise Albert Cochery en 1934, de même que dans des affaires de moindre importance comme les Parfums d'Orsay.

En 1938, devant l'armement intensif de l'Allemagne hitlérienne, le gouvernement français s'inquiéta de la faiblesse de nos moyens de ravitaillement en pétrole. M. Anatole de Monzie, alors ministre des transports, demanda à M. Hypolite Worms de créer une société de transports pétroliers qui puisse doubler la capacité du ravitaillement français en pétrole (en fait 45 à 50%). Mais en période de vacances parlementaires il était impossible de faire voter des crédits et la charge de l'achat de nouveaux pétroliers devait être assumée par la seule société à créer. Worms et Cie accepta de constituer cette entreprise qui prit pour raison sociale Société française de transports pétroliers, SA au capital de 30 millions (70% aux groupes privés - 30% à l'Office national des combustibles liquides). Le groupe privé était constitué par Worms et Cie, Desmarais Frères, Louis Dreyfus et Cie, Saint-Gobain, la Compagnie auxiliaire de navigation et la Compagnie navale des pétroles.
Devant l'urgence que réclamait la situation la Maison Worms négocia d'une part une avance auprès de la Caisse des dépôts et consignations sur l'emprunt obligataire de 200 millions qui devait être émis et d'autre part l'achat de pétroliers dans les pays scandinaves et anglo-saxons. Très rapidement le tonnage requis pour doubler les moyens de transport du pétrole fut acquis et le solde du règlement des navires assuré à terme par des banquiers hollandais amis. Par réquisition l'État s'assura le concours de ces nouvelles unités pétrolières.

Fin 1939, au début de la deuxième guerre mondiale, M. Hypolite Worms fut nommé par le gouvernement chef de la délégation française à l'Exécutif franco-anglais des transports maritimes, c'est-à-dire responsable de l'emploi en temps de guerre de l'ensemble de la flotte marchande française.
Il se rendit à Londres pour y remplir ses nouvelles fonctions, accompagné par MM. Robert Labbé et Raymond Meynial.

Après l'effondrement militaire de la France et au moment de l'armistice du 25 juin 1940, M. Hypolite Worms, en vertu des pleins pouvoirs que le ministre Rio lui avait délégués, signa avec l'Angleterre, début juillet, les accords dits "accords Worms" qui cédaient au gouvernement anglais l'ensemble des affrètements de notre flotte marchande réquisitionnée. Ces accords permirent à l'Angleterre de bénéficier, entre autres, de l'apport de la flotte pétrolière française dont le concours lui fut si utile pour la poursuite des hostilités.

Bien que des liens familiaux étroits eussent pu retenir M. Hypolite Worms en Angleterre (Mme Worms était d'origine britannique), celui-ci estima qu'il était de son devoir de revenir en France pour assumer la responsabilité de la Maison qui portait son nom. Accompagné de MM. Labbé et Meynial, M. Hypolite Worms gagne alors le continent par le Portugal, passe à Vichy où il rend compte à l'amiral Auphan de sa mission à Londres, et revient à Paris en pleine occupation.

Menacée par les lois raciales d'un contrôle allemand permanent, Worms et Cie demanda à la Banque de France la présence simultanée d'un commissaire français qui fut M. Olivier de Sèze. Le premier commissaire allemand se nommait M. von Ziegesar ; il fut bientôt remplacé par M. von Falkenhausen (en 1941) qui se conduisit d'une façon correcte envers la Maison.

Dans les années 1940-1941, les Services bancaires se sont intéressés à la réorganisation et au contrôle d'importantes affaires comme les Établissements Japy Frères, la Manufacture centrale des machines agricoles C. Puzenat, la Société de courtage maritime et d'études, devenue la Socomet, les Peintures Astral-Celluco et au travers de la Société générale des matières grasses, les Établissements Fournier-Ferrier.

Afin de se dégager en partie de l'étreinte de l'occupation et de permettre à la clientèle d'effectuer ses dépôts et ses opérations avec plus de sécurité, les associés trouvèrent opportun d'établir des succursales bancaires en dehors de la zone occupée. Ainsi virent successivement le jour les agences de Marseille (1940) et d'Alger (1941), toutes deux hébergées à leurs débuts dans des locaux prêtés par les Services maritimes établis depuis longtemps déjà dans ces villes.

Le 9 février 1977

Back to archives from 1977