1971.12.16.Du Journal de la marine marchande.Compagnie navale Worms

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La création de la Compagnie navale Worms vise à simplifier et à renforcer la structure des activités maritimes du groupe

Nous avons publié dans notre dernier numéro (page 3297) un article précisant la réorganisation qui prend place entre la Compagnie havraise et nantaise péninsulaire et la Société française de transports pétroliers – à la suite de l’assemblée générale extraordinaire de cette dernière société tenue le 6 décembre. Les projets des conseils d’administration des deux sociétés au sujet de ce regroupement avaient été annoncés dans notre numéro du 26 août dernier (page 2166) ; on savait que ce rapprochement était envisagé sous la forme de l’apport à la SFTP de la flotte et des principes filiales françaises d’exploitation maritime de la CHNP, qu’en rémunération de capital réservée à la CHNP qui en acquérait ainsi le contrôle, que la SFTP deviendrait alors la Société française de transports maritimes (SFTM), tandis que la CHNP, qui aurait le caractère d’une holding, deviendrait Compagnie navale Worms.

Diversification et séparation des diverses branches d’activité de la maison-mère

C’est une nouvelle étape, très importante, qui tend à simplifier et à renforcer la structure des intérêts maritimes du « groupe Worms ». Au sommet de la pyramide, peut-on dire, se trouve Worms & Cie, qui est une société en nom collectif, et non pas une société anonyme, et dont les activités, dès l’origine (il y a cent cinquante ans) ont été diversifiées entre le négoce et l’armement. Dans l’entre-deux-guerres avaient été créées un secteur bancaire, un secteur combustibles, et cette diversification s’était étendue à la construction navale, avec le chantier du Trait. Dans le secteur maritime une participation avait été prise dans la Compagnie havraise péninsulaire, tandis que la Société française de transports pétroliers avait été créée avec divers associés, parmi lesquels l’État. Mais la structure du groupe n’était pas pour autant modifiée. Après la dernière guerre, certaines activités furent détachées, sous forme de sociétés anonymes, de la maison-mère qui se transforma en holding : Banque Worms, chantiers du Trait, etc. Worms, Compagnie maritime et charbonnière, également détachée il y a une vingtaine d’années, après avoir été une compagnie d’armement importante dans le cabotage et les lignes d’Afrique du Nord, n’était plus en dernier lieu propriétaire de navires, mais regroupait des services maritimes, d’agence, consignation, transit, etc., ainsi que le département combustibles traditionnel. La Nouvelle compagnie havraise péninsulaire, après absorption de la Compagnie nantaise des chargeurs de l’Ouest, était devenue la Compagnie havraise et nantaise péninsulaire. Le chantier du Trait (Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime) avait été cédé aux Chantiers navals de La Ciotat, à l’exception de la technique pour le transport de gaz naturel liquéfié dont l’origine remonte à la construction du méthanier Jules-Verne : c’est la société Gaz Transport, qui continue de figurer parmi les participations de Worms & Cie.
Jusqu’à ces derniers temps, Worms & Cie avait pour filiales : la Banque Worms & Cie ; Worms CMC (combustibles et activités maritimes sauf armement) ; la Compagnie havraise et nantaise péninsulaire (armateur toutes activités sauf pétrole) ; la Société française de transports pétroliers (dont le capital était réparti depuis juin 1970 entre Worms & Cie et ses filiales Pechelbronn et CHNP d’une part, et d’autre part la Société financière Desmarais pour l’industrie et le commerce et la Compagnie auxiliaire de navigation) ; Pechelbronn (propriétaire de navires pétroliers mais ne les gérant pas, ces navires étant gérés par la Compagnie de transports maritimes pétroliers, filiale à la fois de Pechelbronn et de la CHNP). Enfin Worms & Cie avait une participation minoritaire dans la Compagnie nationale de navigation, armateur pétrolier lié au groupe Elf-ERAP. Les compagnies maritimes du groupe de la Havraise étaient, bien entendu, enserrées dans un tissu d’association ou accords de coopération avec des armateurs français et étrangers, notamment les services, communs pour les lignes régulières.


La nouvelle structure : une société maritime holding, une compagnie propriétaire des navires, des filiales d’exploitation

À la suite de la réorganisation actuelle, Worms & Cie a maintenant trois filiales cotées en bourse, où ses participations varient entre 50 et 60 % : Banque Worms, Compagnie navale Worms et Pechelbronn. Worms CMC est une autre filiale non cotée en bourse, et dont la spécialisation n’est pas modifiée. La Compagnie navale Worms ne s’occupe que d’armement maritime (du moins en Europe, car il en est autrement à Madagascar). L’ancienne CHNP devient une société de holding, qui n’est pas directement propriétaire de navires.
Elle possède 58 % de la Société française de transports maritimes, ancienne SFTP, et une série d’autres filiales spécialisées, notamment malgaches. La répartition de ces autres filiales a été publiée dans notre dernier numéro : filiales de l’océan indien, filiales de la région nantaise et filiales pour l’exploitation de navires, en général spécialisés, en association avec des armateurs français ou étrangers, parmi lesquelles il faut citer l’AGPA (Armateurs de gros porteurs associés) pour les transporteurs de vrac et FISH (Feronia International Shipping) pour le service des forages pétroliers.
La SFTM a quatre filiales directes. Deux d’entre elles, la Navale et commerciale havraise péninsulaire pour les cargos de lignes régulières et les navires réfrigérés et la Société nantaire des chargeurs de l’Ouest pour le tramping et le cabotage, étaient déjà des filiales d’exploitation de la CHNP. La nouvelle Société française de transports pétroliers, pour les navires pétroliers et transporteurs de produits chimiques, est, sur le plan purement juridique, la continuation de l’ancienne société Eurotramp également créée lors de la fusion Havraise-Chargeurs de l’Ouest ; l’un des objets principaux d’Eurotramp, la gérance commerciale de navires de tramping, se trouve d’ailleurs repris dans le groupement d’intérêts économiques Unitramp, récemment constitué avec l’Union industrielle et maritime. Enfin, la Compagnie de transports maritimes pétroliers continue de gérer et d’exploiter, en liaison avec la nouvelle SFTP, les pétroliers appartenant à la société Pechelbronn.

[Schéma montrant la place de la Compagnie navale Worms et de ses filiales dans l’ensemble du groupe Worms]

Les connexions du secteur d’armement pétrolier

La Compagnie de transports maritimes pétroliers a jusqu’ici comme président directeur général M. Pierre Poulain, de même que la Compagnie nationale de navigation, où la participation de Worms et Cie n’est que de 11 % (les autres principaux actionnaires étant Elf-ERAP et la Caisse des dépôts et consignations). Ces deux armements pétroliers, ayant d’ailleurs le même siège social, constituaient une étroite association, qui n’est pas bouleversée dans la nouvelle restructuration : c’est ce qui explique que la CTMP reste distincte de la nouvelle SFTP. En fait, la CTMP se rapproche de la SFTP du point de vue de la gestion commerciale, puisque M. Pierre Poulain, à son départ en retrait au 31 décembre, aura pour successeur M. Douxami, directeur général adjoint de la SFTP ; mais elle restera associée à la Compagnie nationale de navigation (qui sera présidée par M. Collard) du point de vue de l’unité du personnel. En ce qui concerne les autres filiales d’exploitation de la SFTM, ce problème de personnel – qui a son importance du point de vue du déroulement des carrières – ne se pose pas : la NCHP, la SNCO, la SFTP sont distinctes de ce point de vue et aucun navigant ne sera obligé de passer contre son gré d’un type de navigation à un autre ; en revanche, ceux qui le désireraient pourraient sans doute tirer parti des possibilités plus variées offertes par cette réunification.

Flotte et commandes de la SFTM

Le nouveau groupe de la Compagnie navale Worms, en réunissant ainsi les transports de marchandises solides et les transports pétroliers, est assez équilibré, puisque l’évaluation de l’apport de l’ancienne CHNP à l’ancienne SFTP s’est faite sur la base 50-50, compte tenu des investissements, des engagements et des résultats ; néanmoins le chiffre d’affaires « transports pétroliers ».
Nous donnons ci-après la composition de la flotte de la Société française de transports maritimes telle qu’elle se présentait encore à la date du 6 décembre :
 

 

Année de construction

Port en lourd (t)

1. Navires de ligne sous gérance NCHP (18 cargos et 2 réfrigérés)

 

 

"Ile-de-La-Réunion"

1950

10.000

"Ile-Maurice"

1951

10.000

"Nossi-Bé"

1952

10.000

"Ville-de-Djibouti"

1962

7.500

"Ville-de-Nantes"

1959

8.900

"Ville-de-Strasbourg"

1957

12.802

"Ville-de-Rouen"

1957

11.083

"Ville-de-Dunkerque"

1957

11.083

"Ville-de-Majunga"

1958

11.018

"Ville-du-Havre"

1961

12.302

"Ville-de-Brest"

1962

12.264

"Ville-d’Anvers"

1964

14.597

"Ville-de-Bordeaux"

1964

12.125

"Ville-de-Lyon"

1966

12.147

"Ivolina"

1966

3.510

"Ville-de-Reims"

1969

12.744

"Ivondro"

1969

6.625

"Ville-de-Rotterdam"

1970

13.750

"Ville-de-Sète"

1971

13.800

"Ville-de-Hambourg"

1971

13.750

Total

 

220.000

 

 

Année de construction

Port en lourd (t)

2. Navires pétroliers sous gérance SFTP

 

 

"Sologne"

1955

21.057

"Artois"

1958

21.292

"Lorraine"

1958

28.572

"Béarn"

1960

54.886

"Armagnac"

1961

53.441

"Touraine"

1964

56.399

"Berry"

1965

78.143

"Franche-Comté"

1965

79.044

"Bourgogne"

1966

75.583

"Dauphiné"

1968

117.272

"Saintonge"

1969

117.112

Total

 

702.781

 

 

Année de construction

Port en lourd (t)

3. Transporteurs de vrac et navires spécialisés sous gérance SNCO

 

 

a) Porteurs de vrac

 

 

"Pengall"

1959

21.802

"Penchâteau"

1960

8.759

"Pentellina" (quirat 65 %)

1961

12.636

"Penquer"

1966

17.990

"Penruz"

1967

5.912

"Ville-de-Metz"

1967

35.926

"Jacques-Cartier"

1967

9.944

"Penerf"

1971

25.400

"Penhir"

1971

25.400

 

 

 

b) Transporteurs de vin

 

 

"Penthièvre-II" (quirat 75 %)

1957

2.437

 

 

 

c) Porteur de gaz liquéfiés

 

 

"Hypolite-Worms" (quirat 80,50 %)

1968

17.677

 

 

 

d) Caboteurs

 

 

"Chantenay" (quirat 90 %)

1959

954

"Rèze" (quirat 25 %)

1965

319

"Roche-Maurice" (quirat 95 %)

1966

1.164

Total général

 

1.109.101


Les commandes du groupe comprennent cinq cargos du type semi-porte-containers, trois pétroliers de 240.000 t. (y compris un navire pour la CTMP), deux pétroliers-minéraliers ou OBO de 155.000-160.000 t., un transporteur de vin, 50 % des trois transporteurs d’automobiles commandés pour la Carline (en association avec la Compagnie maritime des chargeurs réunis et ATA Walon) ; et en dernier lieu un transporteur de produits chimiques de 25.000 t. (commandé en Norvège).
L’article ci-contre commente les objectifs de cette réorganisation.

Moteur diesel Sulzer utilisant le gaz d’évaporation pour la propulsion des méthaniers

À bord des méthaniers propulsés par turbine à vapeur, des systèmes ont été mis au point pour brûler dans les chaudières le gaz naturel évaporé, concurremment avec du mazout. La société Sulzer frères, à Winterthur, a étudié les problèmes de l’utilisation du gaz naturel de cargaison en vue de la propulsion par moteur diesel. Depuis que les gros moteurs marins à deux temps, à rotation lente, peuvent fonctionner au gaz, il est possible de limiter la part de combustible liquide nécessaire, grâce au bon rendement du moteur diesel, à quelques pour cent au minimum à 5 %, pour l’allumage. Jusqu’à présent, la difficulté de construire des moteurs diesel fonctionnant au gaz d’une puissance de 10.000 à 30.000 che. résidait dans le fait que l’on ne pouvait éviter le « cognement » et maintenir la combustion sous contrôle. Grâce à des essais étendus dans les laboratoires de Winterthur, on est parvenu à atténuer cet inconvénient à tel point que l’on peut maintenant, avec une part de combustible liquide d’environ 30 %, faire fonctionner le moteur à la même puissance qu’en service diesel – alors que souvent pour les installations à vapeur, la proportion de combustible liquide nécessaire atteint 50 % et plus.
Une première installation de ce genre est constituée par le montage diesel-gaz 7RMD90 dans un transporteur de gaz naturel liquéfié ou de gaz de pétrole liquéfiés d’une capacité de 29 mm3, construit au chantier Moss pour un armateur norvégien. Ce moteur développe 20.000 ch. à 122 tr/mn, qu’il soit exploité en service diesel-gaz ou uniquement au combustible diesel.

Financement et gestion

La dernière en date des restructurations au sein de l’armement maritime, qui fait apparaître le nom de la Compagnie navale Worms, remet en mémoire toute une série de concentrations, fusions, absorptions, associations, qui ont modifié profondément depuis la guerre – et singulièrement dans les dix dernières années sous l’effet de diverses contraintes – la physionomie de cette industrie. Nous nous sommes efforcés de le montrer dans un article de notre ouvrage annuel Marine marchande 1971 intitulé Portrait de l’armement français, auquel il n’est sans doute pas inutile de se référer dans le cas présent. Mais la concentration à laquelle nous assistons, où la CHNP devient société de holding, après avoir cédé sa flotte à la SFTP, transformée en SFTM, tandis que réapparaît une autre SFTP comme société de gestion de navires pétroliers, diffère radicalement de la plupart des précédentes, en ce sens qu’il s’agit d’une « opération blanche », de caractère interne, sans disparition de l’un des éléments constituants pour motif de compression des frais généraux, et elle est sans effet pour le personnel et l’emploi. Ces opérations financières ont pour objectif, malgré leur apparente complexité, de simplifier la structure des intérêts maritimes de ce qu’il est convenu d’appeler le groupe Worms et de leur donner la dimension appropriée, mais cela sur deux plans très différents. Sur le plan financier en effet – et les financements ont acquis d’autant plus d’importance que le prix des navires a changé d’échelle – la taille optimale est la plus grande possible et l’intérêt est évident de rassembler dans une seule compagnie maritime la totalité des investissements, des résultats, des amortissements. Sur le plan de la gestion, en revanche, la dimension optimale se situe plutôt au niveau d’une quinzaine ou d’une vingtaine de navires et le gigantisme excessif n’est pas un facteur d’efficacité. Concentration financière et souplesse de gestion, pour des activités diversifiées, se trouvent ainsi réunies.
La Compagnie navale Worms, plus d’un million de tonnes de port en lourd actuellement, 2.800.000 t. en 1975, est un groupe qui compte à l’échelle mondiale. Elle occupe, du point de vue de sa diversification, une position sans doute unique sur le plan français : ses trois activités principales sont les lignes régulières, le tramping et les transports pétroliers, et c’est un triptyque qui ne se retrouve pas dans les autres cas de figure. Font défaut, par rapport à certains exemples internationaux – mais ce n’est certainement pas une lacune du point de vue de la rentabilité actuelle – les paquebots et les porte-containers (ces derniers n’étant pas appropriés aux lignes desservies, autrement que sous la forme de semi-porte-containers, qui figureront dans la flotte future). Mais la diversification, qui s’étend au service des forages pétroliers, aux transports de produits chimiques, est une recherche constante et continuera d’être développée, toujours dans le cadre d’associations – comme ce fut le cas pour les transports de vrac au sein de l’AGPA, les possibilités dans ce domaine n’étant pas épuisées.
L’étape qui vient d’être franchie dans le rassemblement des activités de transport de marchandises solides et de transports pétroliers du groupe Worms concrétise sur le plan des institutions une intégration qui se trouvait déjà en fait largement réalisée sur le plan des personnes. C’est peut-être une restructuration qui pourrait servir d’exemple dans d’autres cas alors que les problèmes de financement et de gestion jouent un rôle capital dans le succès de l’armement maritime.

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