1954.10.11.De la Société française des transports pétroliers.Lancement de l'Anjou.Discours

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Discours de lancement de l'"Anjou" - 11 octobre 1954 à Penhoët

Monsieur le ministre, Mesdames, Messieurs,

J'aimerais commencer mon bref discours en vous faisant juges de mon embarras.

Nous venons d'entendre le président René Fould nous parler, avec sa grande compétence et cette étonnante verdeur que nous connaissons tous, des problèmes de la construction navale, qu'il possède mieux qu'aucun d'entre nous, et je ne vois pas ce que je pourrais ajouter à ses propos.

Je veux également m'abstenir de parler des problèmes traditionnels de l'armement, si souvent traités avec talent par tant de mes collègues. Mais il y a aussi d'autres questions plus délicates et plus actuelles le concernant : elles sont en ce moment l'objet de l'attention de tous, de vous, Monsieur le Ministre et des milieux professionnels, et je m'en voudrais de gêner leur examen par des remarques nécessairement trop brèves.

J'ai une autre raison enfin de ne pas parler de ces problèmes maritimes, c'est la présence parmi nous de Monsieur le ministre Chaban Delmas qui a fait à Bordeaux un tel apprentissage qu'il connaît très bien et autrement qu'en surface nos affaires professionnelles. Il les suit depuis dix ans, ce qui lui a permis d'en prendre sans effort la direction.

Je vais donc vous parler d'autre chose que de ces sujets auxquels je renonce pour toutes ces raisons diverses.

Et d'abord, mon cher président, je vous dois des excuses. Dans vos Chantiers où les pétroliers de 35.000 tonnes poussent comme des champignons, à une époque où nous apprenons qu'on bat chaque jour le record du monde en passant des pétroliers de 35.000 tonnes à ceux de 40, puis de 45, puis de 47.000 tonnes, à une époque où notre ami Pincson étudie certainement le futur pétrolier de 75.000 tonnes, nous vous avons demandé de construire pour nous un petit bateau de 20.000 tonnes.

En vérité, à quoi ressemblons-nous, nous qui venons d'assister à la mise à flot de ce bateau que je suis presque dans l'obligation de qualifier de caboteur ! Pourtant, je fais toute confiance à tous vos collaborateurs qui j'en suis sûr fignoleront notre "Anjou" comme les super tankers qui sortent généralement de leurs mains, et comme s'il s'agissait du plus grand bateau du monde.

Je ne me dissimule pas qu'en ne parlant ni construction navale, ni armement, je déroge quelque peu aux usages. Il est en effet habituel et on ne m'en voudra pas de le rappeler avec le sourire, que, dans les cérémonies de ce genre, à la fin des banquets, le constructeur et l'armateur se lancent réciproquement des fleurs, le premier probablement dans l'espoir d'obtenir bientôt une nouvelle commande, le second parce qu'il voudrait payer moins cher la prochaine fois. A ce concert d'éloges, je voudrais mêler aussi, une troisième industrie, celle du pétrole. Car enfin, s'il n'y avait pas autant de pétrole à transporter, il y aurait moins de tankers à construire, moins de tankers à faire naviguer et par conséquent moins de travail pour nous tous, constructeurs et armateurs. Il est donc tout naturel que je vous parle de cette industrie et notamment de celle du raffinage en France sans laquelle, les uns et les autres je le répète, nous connaîtrions des loisirs forcés.

La vitalité de cette industrie est étonnante. Elle traite aujourd'hui un tonnage près de deux fois et demi supérieur à celui de 1938, grâce à un splendide effort de modernisation et de reconstruction. L'an passé, elle a réussi à traiter près de 23 millions de tonnes de pétrole brut, couvrant ainsi les besoins de la Métropole, et permettant d'approvisionner l'Afrique du Nord et d'exporter à l'étranger. Et l'on compte qu'en 1957, elle pourra traiter 30 millions de tonnes, c'est-à-dire de couvrir la presque totalité des besoins de l'Union française, qui s'accroîtront pourtant considérablement.

Qu'il me soit permis à ce sujet de rappeler que cette politique du raffinage, entreprise dès 1928 par des pionniers clairvoyants, doit beaucoup à des hommes auxquels je pense aujourd'hui. Je veux parler, en premier lieu, de Louis Pineau dont la mémoire nous est d'autant plus précieuse qu'il fut un administrateur de notre société à sa création et je nommerai aussi ses dignes et récents successeurs, Monsieur Guillaumat d'abord et Monsieur Blancard qui remplit à l'heure actuelle et avec éclat les fonctions de directeur des carburants.

Nul ne peut douter qu'une pareille expansion, qui est un phénomène mondial, ne soit la cause déterminante de l'accroissement rapide de la flotte pétrolière, qui représente aujourd'hui le cinquième de la flotte marchande mondiale avec plus de 2.500 tankers contre 1.280 en 1939, transportant 36 millions de tonnes de produits pétroliers contre 15 millions avant la guerre. N'est-il pas juste que les hommes de la mer que nous sommes rendent à cette dynamique industrie le juste tribut d'hommages qui lui est dû ?

J'ai l'agréable devoir de remercier également d'autres personnes ou d'autres collectivités.

Monsieur le ministre, permettez-moi de vous dire notre fierté que vous ayez bien voulu être parmi nous, avec l'espoir que vous pourrez suivre souvent et longtemps encore les problèmes qui nous intéressent.

J'ai plaisir aussi à saluer la marraine particulièrement distinguée de ce navire, et qui nous est particulièrement chère, Madame Robert Labbé. Je vois aussi près de moi Monsieur le préfet de la Loire-Inférieure, auquel me lient des liens anciens puisqu'il a fait connaissance avec la construction navale dans les Chantiers du Trait (que j'ai des raisons de bien connaître), alors qu'il était secrétaire général de la Seine-Inférieure. Il a bien voulu ne pas oublier ces années lointaines : moi non plus.

J'aimerais aussi, Monsieur le Ministre, dire un mot des Chantiers hollandais Wilton, parce qu'ils nous ont donné de leur amitié un témoignage qui vous intéressera.

L'"Anjou" que nous venons de lancer est le troisième d'une série de quatre navires dont le premier, le "Camargue", a été construit par eux. Ils ont établi les plans de ce premier bateau en plein accord avec les techniciens de la Société française des transports pétroliers. Ce fut un succès, et nous décidâmes de calquer sur ce premier né les autres navires de la série. Les Chantiers Wilton acceptèrent immédiatement que les chantiers français qui devaient achever cette série utilisent leurs recherches et leurs plans, ce qui fut fait tant au Trait qu'ici à Penhoët. Il me semble qu'il y a lieu de saluer cet exemple de coopération européenne réaliste et qui témoigne d'une rare élégance.

Comment achever enfin ces remerciements sans se tourner vers le président des chantiers de Penhoët pour lui dire notre admiration pour son inlassable activité à la tête du plus grand chantier de France, qui a tant fait pour le renom du pavillon français. Qu'il veuille bien transmettre nos remerciements et nos félicitations à tous les directeurs, ingénieurs et ouvriers qui ont collaboré à la construction de l'"Anjou". Le bateau qu'ils viennent de lancer, sera commandé par un homme digne de ceux qui l'ont construit : il s'agit de notre ami le commandant Garnier qui va le prendre en charge pendant quelques mois, ainsi qu'il fait de tous nos nouveaux bâtiments, et que je suis heureux de féliciter ici pour la Légion d'honneur qui vient de lui être décernée à titre militaire.

Ayant ainsi parlé, il me reste à lever mon verre à la prospérité des chantiers de Penhoët, à celle de l'industrie pétrolière et à son développement accéléré.

On ne m'en voudra pas enfin de laisser parler mon cœur de vieil armateur, mêlé depuis plus de quarante ans à la vie de notre Marine marchande. Monsieur le ministre, vous êtes à la tête de tant de départements que vos heures pour penser à nous ne sont peut être pas aussi nombreuses que vous l'aimeriez : mais croyez moi, notre Marine marchande où tant de respect des traditions s'unit à tant d'esprit d'entreprise, elle est digne de retenir toute votre attention amicale et c'est à elle enfin, aux joies qu'elle donne, aux services qu'elle rend que nous boirons tous ensemble.

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