1950.07.00.De la NCHP.Bulletin n°1 (extraits)

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Première année
N°1. juillet 1950

Sommaire

Avant-propos
Pour que nul n'en ignore. La «Havraise» de ses origines à nos jours
M. Anatole Bucquet, directeur général, chevalier de la Légion d'honneur [manque]
M. Hypolite Worms, président, remet la croix de chevalier de la Légion d'honneur à M. Anatole Bucquet, directeur général [manque]
La "Havraise" enfin chez elle
Le "Madagascar" (ex "Ville-d’Oran"), décoré de la croix de guerre, termine sa carrière [manque]
Histoire vécue de la Belle Époque [manque]
L'humour dans la Marine marchande [manque]
Lancement du "Ville-de-Tamatave"
Quelques photographies
Lancements de l'"Île-de-La-Réunion" et du "Ville-de-Tamatave"
Le conditionnement d'air de "Ville-de-Tamatave" [manque]
Publicité
La page des poètes [manque]
Distinctions honorifiques [manque]
Examens écrits [manque]
In memoriam : [manque]
- André Grosos
- Léon Rouxel
Naissances [manque]
Mariages [manque]
Décès [manque]
Liste des états-majors [manque]

Avant-propos

Mes premiers mots, en tête de ce bulletin, seront pour saluer les états-majors et les équipages de nos navires, qui voguent sur les mers, ainsi que nos agents, établis sur les terres lointaines de l'océan Indien.
C'est d'abord en pensant à eux que nous avons décidé de créer ce bulletin. La dispersion nécessaire du personnel de notre Compagnie et la distance séparant le siège social de ses agences ont montré la nécessité d'un organe de liaison entre Paris et les agences, entre les sédentaires et les navigants, entre la terre française, les mers que nous parcourons, les ports où nous faisons relâche et les îles de l'océan que nous desservons.
Ce bulletin sera ce que tous les membres de la Compagnie voudront qu'il soit. Bulletin de liaison autant que d'information, il ne serait rien si ceux qui ont à communiquer aux autres une pensée, une réflexion, un souvenir, ne le faisaient pas. S'il s'agit d'échanges et de contacts maintenus, ils ne sauraient être à sens unique : à ceux qui sont au loin, à ceux qui naviguent, de s'en souvenir.
Ayant ainsi expliqué pourquoi la Compagnie a pensé qu'elle devait créer ce bulletin, il me reste à dire d'un mot la raison pour laquelle elle a choisi ce moment pour le lancer.
Nous avons été durement éprouvés pendant la guerre. En 1945, la tâche à entreprendre était immense, et singulièrement difficile. Cinq ans après, elle est, pour l'essentiel, menée à bien. Notre flotte, partiellement reconstituée, a vu sa qualité s'accroître très largement. Les constructions de demain achèveront d'en faire une flotte homogène, rapide, extrêmement moderne, exactement adaptée à ses tâches. Quant à notre effort de réinstallation à Madagascar, il se développe avec une ampleur sans précédent.
Nous pouvons donc détourner un instant notre attention du travail de reconstruction, si fécond déjà, et en si bonne voie, pour faire un premier bilan, et former quelques projets. Ce sera la mission de ce bulletin que de porter à la connaissance de tous nos œuvres et nos espoirs. Je n'y insiste pas davantage ici, puisque les lecteurs trouveront d'abondantes précisions dans les pages qui suivent. J'ai la certitude que tous les membres de la Compagnie, dont l'effort collectif a permis ces beaux résultats et justifient des projets plus ambitieux, seront comme moi heureux et fiers de prendre une vue d'ensemble du travail de notre Compagnie.
J'ajouterai enfin que ce modeste bulletin, fruit des pensées de quelques-uns, mais qui s'adresse à tous, saura développer encore l'esprit d'équipe qui est de règle chez nous. Puisse-t-il contribuer à donner à tous le sentiment qu'il n'y a pas de tâches fructueuses sans amitié ni sans dévouement, et pas de travail bien fait sans amour du métier.

Hypolite Worms

Pour que nul n'en ignore

La "Havraise" de ses origines a nos jours

La Nouvelle Compagnie havraise péninsulaire de navigation a été constituée en 1930, mais ses origines exactes remontent à 1882.
A cette époque fut créée une société anonyme au capital de 5 millions de francs : la Compagnie havraise péninsulaire de navigation a vapeur, dont la flotte comprenait sept petits navires dont la portée en lourd variait de 500 à 1.800 tonnes.
Cette flotte assurait le service des lignes reliant les ports du nord de la France avec l'Espagne et le Portugal, d'où le vocable "péninsulaire" figurant à la raison sociale de la société.
Peu à peu la ligne s'allongea : les navires de la CHP allèrent en Algérie et à Marseille. Dès 1885, on les vit fréquenter le golfe Persique, les mers de Chine, l'océan Indien et le canal de Mozambique.
Le port en lourd des navires s'accrut en même temps et passa à 4.000 puis à 5.800 tonnes.
Après la conquête de Madagascar, la CHP prit immédiatement une situation prépondérante dans l'océan Indien où elle localisa et concentra désormais tous ses efforts.
Elle augmenta peu à peu et suivant les besoins croissants de Madagascar, le tonnage de sa flotte, le confort et la vitesse de ses navires. À la veille de la guerre de 1914, la flotte était composée de bateaux de 6.500 tonnes de port en lourd. Le tonnage total s'élevait à près de 100.000 tonnes.
Au cours de la guerre 1914-1918, la flotte de la CHP fut en partie réquisitionnée et participa aux transports de troupes et de matériel de guerre. Les navires disponibles furent affrétés en time-charter par les différents ministères de la Défense nationale.
Quatre vapeurs furent torpillés : "Ville-du-Havre", "Ville-de-Bordeaux", "Ville-de-Djibouti" et "Ville-de-Verdun".
Avant la fin de la guerre, pour répondre à l'extension du trafic qui s'annonçait sur nos colonies de l'océan Indien, la CHP commanda sept cargos mixtes en Angleterre d'une portée en lourd de 7.200 à 9.500 tonnes, dotés d'installations confortables pour le transport d'une cinquantaine de passagers chacun.
Ces commandes fort onéreuses, du fait que l'activité des chantiers de constructions navales était alors absorbée par la fabrication du matériel de guerre, pesèrent sur la trésorerie de la Compagnie et, plus tard, les difficultés surgies de la crise grave qui a sévi sur les produits coloniaux obligèrent la Compagnie à donner, d'abord en 1930, la gérance de sa flotte à une société fermière et, ensuite, en 1934, à en faire l'apport à la Nouvelle Compagnie havraise péninsulaire de navigation.
Outre la crise des frets qui sévissait au moment de sa création, la Nouvelle Compagnie havraise péninsulaire de navigation eut à lutter contre la concurrence sévère faite dans le même temps aux Compagnies régulières desservant Madagascar.
Ce n'est qu'à partir de 1937 que la Nouvelle Compagnie havraise péninsulaire de navigation put enregistrer le fruit de sa ténacité et de ses efforts.
Le ministère de la Marine marchande a prouvé qu'il appréciait les résultats obtenus en mettant, en 1939, à la disposition de la Compagnie, pour une durée de vingt années, le "Malgache" construit pour son compte aux Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime au Trait et qui était, à l'époque, une des plus belles unités de la flotte de commerce française.
Avant la guerre, la flotte de la Compagnie se composait des dix navires suivants :
"Ville-d'Oran" cargo mixte : 6.650 tonnes
"Bourbonnais" cargo : 7.315 tonnes
"Ville-de-Reims" cargo mixte : 7.355 tonnes
"Ville-de-Majunga" cargo mixte : 7.265 tonnes (cale frigo)
"Ville-de-Rouen" cargo mixte : 7.225 tonnes
"Ville-du-Havre" cargo mixte : 7.365 tonnes
"Ville-de-Metz" cargo mixte : 9.650 tonnes
"Ville-de-Tamatave" cargo mixte : 7.065 tonnes (cale frigo)
"Condé" cargo mixte : 8.900 tonnes (cale frigo)
"Malgache (affrété à l'État) cargo : 8.960 tonnes (cale frigo)

Pendant la guerre l'activité de la Nouvelle Compagnie Havraise Péninsulaire de Navigation a été celle de toutes les Compagnies de navigation françaises.
L'application de la loi sur l'organisation de la nation en temps de guerre a entraîné la réquisition de toute la flotte marchande française par un service d'État : le service des Transports maritimes de la Marine de commerce au ministère de la Marine marchande.
A partir de 1939, la Direction des services des Transports maritimes a procédé à l'affrètement successif des navires de la Nouvelle Compagnie havraise péninsulaire de navigation et lui en a en même temps, confié la gérance.
Pendant toute la guerre, la Compagnie a donc été le mandataire de l'État français et a reçu en exécution de son mandat des indemnités d'affrètement payées par l'État en exécution de la charte-partie du 15 septembre 1940 qui le liait à l'ensemble de l'armement français.
De septembre à juin 1940, les neuf navires de la Compagnie, ainsi que le "Malgache" appartenant à l'État, furent gérés sans heurts. Mais à partir de juin 1940, la flotte de la Compagnie commença à être éprouvée :
— "Ville-de-Reims" saisi par les autorités allemandes le 24 juin 1940 ne put être repris sous le contrôle de la Compagnie qu'en 1945, après la défaite de l'Allemagne. Il se trouvait alors à Fredrikstad en Norvège, où il procédait aux réparations de ses chaudières avariées à la suite d'un torpillage dans la chaufferie.
— "Ville-de-Metz" réquisitionné par les autorités allemandes le 4 août 1940 à Bordeaux n'a pas été retrouvé après la guerre. Il aurait été transformé en forteresse pour servir de point d'appui à la marine allemande en Baltique et coulé ensuite.
— "Malgache" réquisitionné par les autorités allemandes en même temps que "Ville-de-Metz" à Bordeaux put heureusement être retrouvé en juin 1945 à Flensbourg et conduit à Wilhelmshafen où après quelques réparations à sa chaudière de mouillage avariée à la suite de l'explosion d'une bombe à proximité du navire il fut définitivement repris sous le contrôle de la Compagnie.
De mars à juillet 1941, quatre navires arraisonnés en mer par l'Amirauté britannique passèrent sous pavillon anglais : "Ville-de-Majunga", "Bourbonnais", "Ville-de-Rouen", "Ville-de-Tamatave".
Ces deux derniers furent malheureusement coulés en mer au service des alliés, respectivement en décembre 1942 et janvier 1943.
Enfin, le 8 novembre 1942 le "Ville-du-Havre" était torpillé et coulé sous Casablanca et le "Ville-d'Oran" (appelé depuis "Madagascar") se mettait à Dakar au service des alliés.
Le dernier navire restant à la Compagnie : le "Condé" fut à son tour réquisitionné en mars 1943 par la marine allemande qui, finalement, le coula en août 1944, dans le port de Nice, pour le soustraire aux alliés. Bien que renfloué par la suite, le "Condé" reconnu innavigable fut définitivement condamné.

Après la Libération, la Compagnie eut la satisfaction de recouvrer cinq navires sur les dix qui composaient sa flotte en septembre 1939. Ce sont : "Madagascar" (ex-"Ville-d'Oran"), "Bourbonnais", "Ville-de-Reims", "Ville-de-Majunga" et "Malgache".
D'autre part, en attendant le remplacement par l'État de ses cinq navires perdus, la Compagnie s'est vu attribuer la gérance de deux cargos construits pendant la guerre, l'un en Amérique du type "Liberty" : le "Ville-du-Havre", l'autre en Angleterre du type "Empire" : le "Ville-de-Diégo-Suarez", ce dernier pourvu d'importantes installations frigorifiques.
Alors que dès 1945 l'armement étranger était doté d'un régime de libre exploitation, la flotte marchande française resta encore plusieurs années maintenue sous le régime de l'affrètement.
Ce n'est qu'à partir du 17 février 1948 que progressivement, au fur et à mesure de l'achèvement des voyages en cours, la Compagnie a recouvré sa liberté d'exploitation.
Les lecteurs trouveront dans le discours de notre président, M. Hypolite Worms, à la cérémonie du lancement du "Ville-de-Tamatave", dont un compte rendu est publié dans ce même bulletin, le détail des efforts accomplis par la Compagnie pour la reconstitution de sa flotte.

La "Havraise" enfin chez elle

Elle songeait à le faire depuis l'acquisition en 1943 d'un immeuble situé 14, rue Auber, puis celle du 31, boulevard Malesherbes, réalisée en 1944 par échange avec le précédent. Le transfert et l'organisation à Paris de nos services armement, technique et contrôle statistique, avait, en effet, condamné les locaux de la rue de Châteaudun, trop exigus pour abriter tout le monde.
Dès 1947, il fallut avoir recours à une solution de fortune : l'installation boulevard Malesherbes des services comptables et du contrôle et statistiques.
L'intérêt de la Maison commandait de mettre fin à cette séparation extrêmement gênante.
Dans le même temps, tous les services — les anciens comme les nouveaux — voyaient s'enfler leur effectif pour faire face aux tâches de l'après-guerre : plus intense activité commerciale, reconstitution de la flotte, réorganisation financière, multiplicité des servitudes administratives, formation des stagiaires pour les agences et la société du Wharf à Madagascar. De 30 employés en 1939, l'effectif du siège passait en 1949 à 70 personnes. Dans ce cadre étriqué et vieillot, comment songer à améliorer les conditions de travail du personnel : lumière, espace, ameublement et entretien des locaux qui préoccupent, à juste titre, les chefs d'entreprises ? Clients et fournisseurs, avant d'être introduits, stationnaient dans la pénombre, au milieu du va-et-vient continuel, à tel point que la direction évitait de recevoir au siège des visiteurs de marque. Vis-à-vis des étrangers surtout, appelés à juger les entreprises sur l'aspect extérieur qu'elles offrent, le haut standing commercial de la Compagnie havraise risquait de s'en ressentir.
Devant ces inconvénients, la nécessité devint impérieuse d'abandonner la rue de Châteaudun et dès 1946, les recherches d'immeubles vacants furent poussées davantage pour installer, aussitôt que possible, le nouveau siège de la Compagnie.
[Vue de la façade de l'immeuble.]

Lancement du "Ville-de-Tamatave"

Le 23 septembre 1949 a été pour la "Havraise" une date mémorable. C'est ce jour-là, en effet, que fut lancé, sous la présidence de M. André Colin, ministre de la Marine marchande, entouré de ses principaux collaborateurs, notre navire mixte à moteur de 9.000 tonnes le "Ville-de-Tamatave".
[Vue du "Ville-de-Tamatave" sur sa cale de lancement.]
La présence du ministre, de M. Courau, secrétaire général de la Marine marchande, de M. Sigmann, directeur des affaires économiques et du matériel naval, de M. l'ingénieur général Genon, de M. Fould, président de la Chambre syndicale des constructeurs de navires, de M. Bourges, président du Bureau Veritas, de M. Grivaz, représentant de M. Peters, directeur des affaires économiques au ministère des Colonies, de M. Nicol, président du Comité central des armateurs de France, des parlementaires et des autorités civiles, militaires et religieuses de la Seine-Inférieure, ainsi que de nos principaux chargeurs, donna à ce lancement un éclat incomparable.
Les Ateliers et Chantiers de la Seine Maritime étaient représentés par leur président, M. R. Labbé, leur directeur général, M. H. Nitot et leur directeur général de l'exploitation au Trait, M. P. Abbat.
Enfin la "Havraise" était représentée, de son côté, par son président, M. Hypolite Worms, entouré de MM. les Administrateurs, de notre directeur général, M. A. Bucquet, de notre directeur, M. A. Deloche et de notre sous-directeur, M. F. Deschodt. Une importante délégation du personnel de la direction générale, des agences coloniales, ainsi que des états-majors et équipages était également présente à ce lancement qui fut parfaitement réussi, gratifié, au surplus, d'un temps merveilleux.
Dès leur arrivée au Trait, M. Colin et sa suite visitèrent, sous la conduite de M. Abbat, les nouveaux ateliers et les cales de lancement reconstruits depuis la Libération, car, on le sait, les Chantiers du Trait furent complètement détruits au cours de la guerre.
Un conseil des ministres devant avoir lieu dans l'après-midi, M. André Colin fut empêché d'assister au déjeuner et c'est au vin d'honneur qui précéda le lancement que les discours d'usage furent prononcés.
M. Robert Labbé, président des Ateliers et Chantiers de la Seine Maritime, prit le premier la parole. En souhaitant la bienvenue à M. Colin, il le félicita du concours que ce dernier a apporté à la reconstruction de la flotte marchande française.
« Sous l'égide de votre département, un travail considérable a été effectué et constamment des unités nouvelles viennent grossir les rangs de la Marine marchande française. Cinq années d'une politique cohérente et suivie se manifestent ainsi par des résultats concrets dont trop peu, en dehors du milieu maritime, connaissent l'importance. »
[Vue du "Ville-de-Tamatave" avant son lancement.]
M. R. Labbé mit ensuite l'accent sur l'effort considérable accompli par les Chantiers du Trait pour combler un retard technique dû à dix années de guerre et d'occupation. Mais ce faisant, « nous sommes sûrs, dit-il, d'avoir créé un instrument économique adapté aux besoins du pays ».
Après avoir rappelé les relations étroites qui existent entre le Trait et la "Havraise", M. Labbé porta enfin les toasts traditionnels au "Ville-de-Tamatave" et à la Marine marchande française.

M. Hypolite Worms prononça, à son tour, une brillante allocution.
Nous sommes heureux de pouvoir reproduire ici, in extenso, le texte du discours de notre président :
« Monsieur le ministre,
Mesdames,
Messieurs,
En ma qualité de président du conseil d’administration de la Nouvelle Compagnie havraise péninsulaire de navigation, il m'est particulièrement agréable, Monsieur le ministre, de m'associer aux souhaits de bienvenue que vous adresse M. Robert Labbé, ainsi qu'à ses remerciements. Laissez-moi ajouter que tous les amis de la Marine marchande, réunis aujourd'hui autour de vous, suivent avec une entière sympathie les efforts couronnés de succès que vous déployez à la tête de votre département. Comment oublieraient-ils que sous votre administration la Marine marchande française, qui possédait, le 1er septembre 1948, 556 navires jaugeant 2.340.357 tonneaux, en comptait, le 1er septembre 1949, 641, pour une jauge brute de 2.643.975 tonneaux, marquant ainsi une progression d'une exceptionnelle importance.
C'est également un plaisir pour moi de remercier de sa présence M. Aymard de Courson, collaborateur immédiat du haut-commissaire de la République à Madagascar, et dont l'éminente compétence en matière financière a eu tant d'occasions de s'exercer pour le plus grand bien de la colonie.
Je salue également en M. l'Administrateur de 1ère classe des colonies Louis Guesde, le chef de la province de Tamatave à laquelle nous pensons spécialement aujourd'hui; en M. Allaix, président de la Chambre de commerce de Tananarive, et en M. Jules Venot, président de la Chambre de commerce de Mananjary, deux des plus anciens et des plus respectés colons de Madagascar, où ils représentent la Charente et la Bourgogne, c'est-à-dire les deux provinces qui fournissent sans doute le plus de Français à la Grande Île de l'océan.
Nous prenons donc livraison aujourd'hui du troisième "Ville-de-Tamatave".
Je dis bien le troisième. Le premier fut construit en 1899 par M. James Laing à Sunderland. Il jaugeait 3.750 tonneaux et fut mis en ligne sur l'océan Indien. Il termina sa carrière vingt-deux ans plus tard, après vente à un armateur marseillais.
Le second, avec ses 4.992 tonneaux de jauge brute, fut lancé ici même, en 1931 et, comme son prédécesseur, mis immédiatement en ligne sur l'océan Indien. Il devait trouver une fin glorieuse le 24 janvier 1943, au service de l'Amirauté britannique.
Le "Ville-de-Tamatave", troisième du nom, prend aujourd'hui sa place dans notre nouvelle flotte, gravement atteinte par la guerre, mais qui se reconstitue rapidement. Il est à peu près le sister-ship du "Malgache", dont les qualités sont connues, mais il a bénéficié d'importantes améliorations, dont je vous épargnerai le détail car un examen sommaire des superstructures les révèle à l'œil le moins initié. Je me bornerai à noter que nous sommes passés du navire de charge à 12 passagers au navire mixte à 30 passagers, et que nous avons donné un soin particulier à leur installation.
C'est notre certitude que toutes ces transformations seront appréciées et qu'elles contribueront à améliorer les liaisons de la France avec les possessions de l'océan Indien. Notre Compagnie voudrait les développer au maximum et dans ce dessein elle travaille en plein accord, et en toute amitié, avec la Compagnie des messageries maritimes, dont je suis heureux de saluer ici son président : M. Anduze-Faris.
Aussi, notre Compagnie aura-t-elle bientôt en service trois autres navires semblables au "Ville-de-Tamatave", ce qui portera à cinq unités homogènes et rapides sa flotte modernisée. L'exécution d'un service efficace de liaison entre la France et l'océan Indien sera dès lors largement facilitée. Notre Compagnie mettra à l'assurer tout le dévouement dont elle a donné tant de preuves depuis près de trois quarts de siècle. Son personnel à tous les échelons, à bord comme à terre, en France ou à Madagascar, continuera à servir avec cette conscience exemplaire dont il me plaît de le remercier ici, sous les ordres de M. Anatole Bucquet, notre directeur général, dont la valeur, le labeur et le dévouement vous ont paru tels, Monsieur le ministre, que vous avez tenu à les récompenser par une nomination dans l'ordre de la Légion d'honneur.
Pourtant cette exploitation dépend aussi d'autres facteurs.
Il ne s'agit pas seulement, en effet, d'avoir des bateaux bien construits, pourvus des derniers perfectionnements de l'art nautique, il faut aussi, et je serais presque tenté de dire surtout, que des conditions d'exploitation satisfaisantes permettent à ces navires de rendre les services qu'on attend d'eux.
C'est ici que les problèmes de l'armement rejoignent ceux de l'économie générale. A quoi servent des cargos rapides si les ports ne sont pas équipés pour qu'on puisse, sans perdre de temps, les charger et les décharger rapidement, et si les heures gagnées en mer sont perdues à terre ? A quoi sert d'accroître le tonnage et d'améliorer la vitesse de rotation des unités en service si le réseau des communications terrestre : routes, canaux, voies ferrées, est insuffisant pour assurer entre la mer et l'hinterland les communications rapides, sûres et de grand débit, qui sont indispensables au plein emploi des navires ? II est urgent d'en revenir au moins à la situation de 1938 où le pourcentage des jours à la mer était de 58 et le pourcentage des jours au port de 42, alors qu'en 1948 la situation est rigoureusement inversée, avec un pourcentage à la mer de 41 et au port de 59.
Nul n'apprécie plus que moi l'effort entrepris depuis de longues années pour doter Madagascar des voies de communication et de l'équipement portuaire qui lui sont nécessaires et auquel M. de Chevigné a donné une impulsion nouvelle dont on lira le détail, avec grand intérêt, dans le discours qu'il a prononcé à Tananarive le 17 août 1949, à l'occasion de l'ouverture de la deuxième session ordinaire de l'assemblée représentative de Madagascar. Par la même occasion on verra le bilan réconfortant d'une gestion qui a réussi à ramener l'ordre après les troubles, créant ainsi les conditions indispensables au renouveau économique de la Grande Île. On ne m'en voudra pas, je l'espère, d'indiquer pour conclure ce qui mériterait, à notre sens, d'être réalisé aussi promptement que les circonstances le permettront.
S'agissant des routes, celle de Tananarive à Majunga nous paraît devoir être l'une des premières à améliorer.
S'agissant des chemins de fer, comment ne joindrions-nous pas nos vœux à ceux de M. le haut-commissaire souhaitant voir rétablir, dès cette année, le grand pont de Brickaville sans lequel les relations entre Tamatave et Tananarive sont si dangereusement ralenties ? Nous voudrions même que cette rupture des communications montrât l'intérêt que présenterait l'établissement d'une ligne Antsirabé-Fianarantsoa-Manakara, qui rendrait plus sûres et plus importantes les relations entre la côte et les hauts-plateaux.
S'agissant des ports, nous accueillons avec satisfaction les travaux d'amélioration du port de Tamatave et l'assurance du commencement prochain de ceux de Diégo-Suarez, Tuléar et Fort-Dauphin. Enfin, nous attendons avec le plus vif intérêt la construction du canal des Pangalanes, dont l'économie de Madagascar peut espérer de si fécondes conséquences.
Il va sans dire qu'on trouvera toujours notre Compagnie aux côtés de ceux qui entendent moderniser l'installation et l'outillage des ports et plus généralement développer la prospérité de l'Île. Elle ne leur refusera pas plus son concours dans l'avenir qu'elle ne l'a marchandé dans le passé. Et je pense n'avoir pas besoin d'ajouter que nous portons le même intérêt au renouvellement du matériel ferroviaire de La Réunion, dont la vétusté est certaine, au projet d'équipement d'un port nouveau capable de remplacer Port-des-Galets et à l'accroissement des liaisons entre les Comores et Madagascar qui ne peuvent qu'améliorer la situation économique de la Grande Île et de ses dépendances.
C'est au retour définitif de cette prospérité, dont le rayonnement de la France tirera le plus grand éclat, et pour laquelle tant de nos compatriotes, depuis Gallieni, ont donné le meilleur d'eux-mêmes, et souvent leur vie, qu'il me plaît de vouer le "Ville-de-Tamatave", au moment où il quitte ces chantiers et où il se prépare à voguer vers les mers chaudes et les terres lointaines de l'hémisphère austral où flotte, depuis près de trois siècles, le drapeau de la France. »

M. Paumelle, sénateur, dit ensuite quelques mots pour féliciter les chantiers de leur résurrection et M. Colin, ministre de la Marine marchande, termina en brossant un tableau de la reconstruction de la flotte marchande française.
S'adressant plus particulièrement à la construction navale et appuyant sur la nécessité pour elle de se mettre, en matière de prix de revient, au niveau de la concurrence étrangère, il dit combien il avait été favorablement impressionné, en visitant les Chantiers du Trait, par l'effort accompli par ces derniers. Il tint à rendre à tous un sincère et vibrant hommage.
A 13 heures, Mgr Lemonnier, évêque auxiliaire de Rouen, bénit le navire. Il prononça les formules rituelles : « Seigneur Dieu, Père tout-puissant, Créateur de toutes choses, voyez ce travail de vos enfants, les hommes. Tous y ont mis leur soin et leur fierté et en ce moment ils vous demandent de bénir cette construction que leurs mains et leur travail ont faite et obtenez qu'elle serve à votre plus grande gloire. »
[Vue de M. André Colin, ministre de la Marine marchande et Mgr Lemonnier, évêque auxiliaire de Rouen, s'entretenant avant le lancement du navire.]
Enfin, c'est à 13 h 30 exactement que Madame H. Worms, la marraine du navire saisit la traditionnelle bouteille de Champagne et la lança d'un geste énergique sur la coque du "Ville-de-Tamatave" qui glissa doucement vers la Seine, tandis que la fanfare des gardiens de la paix de Rouen attaquait la Marseillaise.
[Vue de Mme H. Worms, marraine du navire, brisant la traditionnelle bouteille de Champagne.]
Des remorqueurs saisirent alors le navire qui mit aussitôt le cap sur Rouen où il arriva en cours d'après-midi.
Parti de Rouen le 6 décembre pour Anvers, Alger, Marseille, Port-Saïd, Djibouti, Majunga, Nossi-Bé, Diego-Suarez, Tamatave et la Pointe-des-Galets, le "Ville-de-Tamatave" reçut dans chacun de ces ports la visite des principales notabilités et des chargeurs de l'endroit qui admirèrent l'harmonieuse réussite, technique et artistique, des installations du bord.
Les réceptions qui eurent lieu à Tamatave, dans le port dont le navire porte le nom, revêtirent naturellement, le plus grand éclat.
[Vue du "Ville-de-Tamatave" au moment où il abandonne la cale sur laquelle il a été construit.
Et vue du "Ville-de-Tamatave" entrant dans son élément.]
Réception à bord le 4 février des personnalités marquantes des diverses administrations et des compagnies de navigation de Tamatave, réception le 6, par M. Bordier, administrateur-maire, de l'état-major du navire dans la grande salle du Cercle de Tamatave, avec toutes les personnalités de la ville : clergé, administration, commerce ; réception à bord le 8 février du personnel de notre agence, la société du Wharf de Tamatave.

Vincent Rakotomoely représentant le personnel autochtone de l'agence générale à Tananarive, descendit spécialement à Tamatave à cette occasion. Il prononça le discours suivant :
« Désigné, en ma qualité d'un des plus anciens serviteurs de la Compagnie, pour représenter le personnel autochtone de l'agence générale, c'est un grand honneur et un vif plaisir pour moi de saluer et remercier très sincèrement en son nom et au mien personnel, tous ceux qui ont bien voulu songer à nous faire participer à cette cérémonie solennelle. Cette marque de sympathie et d'estime nous touche beaucoup au cœur, nous en garderons un souvenir ineffaçable.
Cette journée est trop unique pour que nous la laissions passer sous silence, car je ne pense pas que c'est seulement pour prendre un verre de whisky et admirer les belles qualités du "Ville-de-Tamatave" au double point de vue de la technicité et du confort, qu'on nous a conviés ici. La présente manifestation, sans précédent à Madagascar, où l'élément autochtone est largement représenté, revêt, à mon sens, une signification beaucoup plus profonde ; celle de la communion d'esprit, de la franche collaboration, de l'union et de l'amitié sincère franco-malgache.
Cela est vrai et se voit. Les noms de "Ville-de-Reims", "Ville-du-Havre", "Ville-de-Majunga", "Ville-de-Diégo", "Malgache", "Ville-de-Tamatave" et bientôt "Ville-de-Tananarive", ne sont-ils pas la preuve que la France et Madagascar sont à jamais unies et que leur bonheur, leur prospérité et leurs destinées se confondent ?
Et justement, ce sont les dirigeants de la "Havraise" qui sont aujourd'hui au premier rang de ceux qui veulent que cela soit une réalité vivante et palpable.
En cette journée mémorable, formons donc les souhaits que le "Ville-de-Tamatave", réalisation purement française, dédié à la seconde ville de Madagascar pour marquer la vitalité de la "Havraise" et symboliser la fraternité franco-malgache, soit heureux dans la mission qui lui est confiée, que le pavillon de la NCHP qui flotte à son mât, protégé par le drapeau tricolore qui frissonne à son arrière, soit toujours présent dans les eaux malgaches. Que la chance soit constamment du côté du commandant Benoit et de son équipage.
Enfin, qu'il me soit permis de renouveler notre reconnaissance à ceux, ici et en France, qui sont à la tête de cette Compagnie en les assurant qu'à Madagascar, il y a — et ils sont très nombreux — des cœurs qui sentent et savent apprécier les bienfaits de la civilisation française. »

Enfin, réception à bord, le 9 février, des chargeurs de Tamatave qui répondirent en masse à nos invitations. Réussite complète de cette réception qui restera parmi les meilleurs souvenirs de ceux qui y participèrent.
Il n'est pas exagéré d'affirmer que l'arrivée du "Ville-de-Tamatave" à Madagascar a constitué pour la Grande Île un événement de première importance.
Longue et heureuse carrière au "Ville-de-Tamatave" !

Lancements de "Île-de-La-Réunion" et du "Ville-de-Tananarive"

"Île-de-La-Réunion"
Le 23 octobre 1949 le navire mixte "Île-de-La-Réunion" a été lancé au Chantier d'Odense.
Ce navire inaugure une série de trois sister-ships, dont le second sera également construit par le Chantier d'Odense, le troisième par les Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime au Trait, et constituera avec "Ville-de-Tamatave" et "Ville-de-Tananarive" la flotte nouvelle de notre Compagnie.
[Vue de l’"Île-de-La-Réunion" glissant vers le fjord.]
La cérémonie du lancement a été agrémentée par le soleil d'automne, et l'absence de vent, cependant fréquent au Danemark, a permis d'effectuer le lancement sans aucun incident.
Au signal donné par la marraine Madame H. Worms le navire s'est ébranlé sur son ber, et est descendu dans les eaux du fjord. Il a été amené ensuite au quai d'armement du chantier qui se trouve immédiatement à proximité des cales de construction, et permit une opération rapide et sans risque.
L'"Île-de-La-Réunion" est le premier navire à passagers construit par le chantier d'Odense, mais le lancement a cependant conservé un caractère intime sans personnalité officielle.
[Vue de l’"Île-de-La-Réunion" à quai, après son lancement.]
Y assistaient, en dehors de notre président et Madame H. Worms, de notre directeur général M. A. Bucquet, et de notre ingénieur en chef, M. J. Neufville, le président A. P. Mœller, son fils et Madame Mœller, M. Ringstedt, directeur du Chantier et ses collaborateurs immédiats parmi lesquels nous ne devons pas oublier M. Tom Petersen, sous-directeur, M. Mersk Mœller et M. Jacobsen.
Pendant son court trajet de la cale de lancement au quai d'armement il fut possible, quoique la construction des superstructures ne soit pas achevée, de juger des différences entre nos deux séries de navires, les superstructures de l'"Île-de-La-Réunion" étant moins importantes et beaucoup plus ramassées que sur "Ville-de-Tamatave" quoique l'effectif à bord soit pratiquement le même.
Après ce lancement réussi, un déjeuner — suivant la coutume danoise — rassembla les artisans qualifiés qui avaient construit le navire, et les armateurs chez qui il aura, souhaitons-le une carrière heureuse.
Nous espérons tous que les constructions nouvelles actuellement en projet pour la Maison Worms par les Chantiers d'Odense constitueront un lien nouveau affermissant l'amitié qui unit les deux pays.
Au moment où nous mettons sous presse l'"Île-de-La-Réunion", complètement achevé, nous a été livré définitivement après de brillants essais et a entrepris son voyage inaugural sur l'océan Indien.

"Ville-de-Tananarive"
Ce navire a été lancé avec un plein succès, aux Chantiers et Ateliers de la Seine-Maritime au Trait le 31 mai dernier.
Nous rendrons compte de la cérémonie dans notre prochain bulletin.

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Affiches
Afin de remplacer notre vieille affiche qui datait et représentait la silhouette d'un navire hors d'âge, nous avons fait exécuter, par deux peintres de la Marine, deux maquettes d'affiches qui sont actuellement à l'impression.
L'une est due au pinceau de Roger Chapelet et évoque notre "Île-de-La-Réunion" mouillant, à l'aurore, sur une rade de l'océan Indien.
L'autre est l'œuvre de M. A. Brenet. Elle s'inspire de la silhouette de "Ville-de-Tamatave" et il nous est agréable de pouvoir, ici, en reproduire le cliché.
[Vue de l’affiche d’A. Brénet.]

 

 

 

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