1950.02.21.De R. Villar.Rapport de voyage sur Abidjan

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Rapport de voyage à Abidjan (Côte d'Ivoire) du 30 janvier au 21 février 1950

Introduction

Le but de ce voyage était, en profitant d'un passage gratuit aller et retour offert par la Semaf, d'aller étudier sur place les possibilités de trafic aérien entre la métropole et la Côte d'Ivoire et de poser des jalons pour la désignation à Abidjan d'un agent aérien pour notre Maison.
Au cours d'un séjour de 3 semaines, nous avons pris contact avec un certain nombre de personnalités, parmi lesquelles : le directeur de la succursale de la BAO à Abidjan, le directeur par intérim du Wharf de Port Bouet, les directeurs des agences à Abidjan des Chargeurs réunis, de la Socopao, de Transafric, les secrétaires des chambres de commerce, d'agriculture, etc.
Nous croyons utile, avant d'aborder le sujet même de ce voyage, de donner quelques précisions sur la situation et les possibilités offertes par Abidjan.
1. Trafic maritime
Abidjan se trouve sur la lagune à 13 km de la mer. Elle possède 3 avant-ports :
- Grand Bassam, à 40 km au sud-est de la ville : port d'embarquement des bois coloniaux, situé à l'estuaire d'une rivière par où les troncs sont acheminés jusqu'à la mer ;
- Port Bouet, qui est l'avant-port principal et qui possède également un wharf ;
- Vridi, où l'on est en train de creuser un canal destiné à relier la lagune à la mer et où d'ores et déjà on décharge les petits cargos et les bananiers.
La présence de la barre complique énormément les opérations maritimes de déchargement et chargement des marchandises ; les cargos doivent, en effet, rester sur rade à quelques centaines de mètres de l'extrémité du wharf. La mer à cette distance est toujours légèrement houleuse, ce qui rend plus difficile le transbordement des marchandises depuis les cales des cargos jusque sur les chaloupes qui apporteront les colis au wharf, où ils seront déchargés.
Sur le wharf les marchandises sont chargées sur les wagons non fermés et acheminés plus ou moins vite jusqu'à Abidjan.
Elles sont alors déposées dans l'entrepôt maritime, grand local administratif où règne le plus grand désordre ; vols, avaries ou tout simplement disparitions des colis sont là-bas choses fréquentes et il n'est pas rare de mettre une journée entière pour retrouver une caisse.
Ce n'est qu'à la sortie des entrepôts maritimes que les marchandises passent à la douane. Tous les lots alors absents sont considérés comme manquant au manifeste et la Compagnie-transporteur est pénalisée en conséquence. Ajoutons qu'aucun recours n'est possible contre les entrepôts maritimes.
L'achèvement du canal améliorera certainement beaucoup les conditions de travail à Abidjan en permettant dès le début de décharger les cargos en eaux calmes et d'éviter le transport ferroviaire, puis dès que les installations seront prêtes, de manutentionner directement à quai.
Notons aussi que d'après les renseignements que nous avons pu obtenir de plusieurs transitaires ou commerçants, la douane est à Abidjan toute puissante, les pénalités qu'elle impose sont arbitraires et sans recours, même si après le paiement de l'amende les faits viennent prouver que l'entreprise pénalisée était dans son droit et n'avait commis aucune faute.
II nous a été cité de cette toute puissance un certain nombre d'exemples qu'il serait trop long de relater ici.
2. L'aérodrome
Situé à une vingtaine de kilomètres d'Abidjan, sur la route qui va de Port Bouet à Grand Bassam, cet aérodrome est assez rudimentaire, tant au point de vue piste qu'installations.
Une seule piste est utilisable, dont la longueur sera prochainement portée de 1.200 à 1.800 mètres. C'est une piste en terre battue.
Les installations commerciales comprennent uniquement un petit bar et une salle où ont lieu les opérations de douane et de police.
Le tout est installé dans des baraquements de bois. En bref, un terrain encore fort mal installé.
Il n'y a aucun service de douane à l'aéroport et il faut faire venir d'Abidjan, chaque fois qu'il arrive un avion, un préposé des douanes.
Les colis avion déchargés à Abidjan sont conduits aux entrepôts maritimes, mais ils sont emmagasinés dans un local spécial, entièrement clos et où les pertes, vols et avaries sont très rares.
3. Compagnies aériennes
a) Air France : Abidjan n'est pas encore une tête de ligne pour notre compagnie nationale, mais c'est une place importante et le point de convergence des lignes d'AOF (Abidjan/Lagos/Douala, Abidjan/Dakar par la côte, Abidjan/Dakar par l'intérieur).
Il s'agit donc essentiellement ici d'un trafic de transit et les marchandises embarquées et débarquées représentent peu de chose.
A noter pourtant, qu'Air France compte, paraît-il, créer une ligne directe Paris/Abidjan.
Le personnel Air France d'Abidjan est installé dans les bureaux des Chargeurs.
b) TAI : Cette compagnie, dont les appareils sont consignés à la Socopao, ne vient plus actuellement à Abidjan ; la piste est, du reste, un peu courte pour un DC4 dans son état actuel.
Son trafic essentiel a été le transport des passagers.
c) Aigle-Azur : Cette compagnie, dont les appareils sont consignés à la Socopao, exploite une ligne régulière sur Dakar, Casablanca et Paris. Il semble que le trafic essentiel se fasse au départ de Dakar, car les appareils sont généralement pleins lorsqu'ils font escale à Port Etienne et généralement fort peu chargés à Abidjan.
d) UAT : Cette compagnie n'est encore jamais venue à Abidjan. On a, du reste, récemment refusé l'atterrissage à l'un de ses "Liberator" à cause de la faible longueur de la piste.
Ses appareils seraient évidemment consignés aux Chargeurs réunis.
e) SATT : Petite compagnie algérienne, qui fait assez régulièrement des services en passagers d'Abidjan sur Alger et la métropole.
Ses appareils sont consignés à la Socopao.
f) Semap : Cette compagnie, dont l'agent consignataire à Abidjan est la SOAEM, agent de la SNO - exploite avec un Latécoère la ligne Biscarosse/Abidjan et retour - via Dakar lorsque l'occasion s'en présente.
Ne transporte que du fret à des conditions extrêmement basses.
4/ L'arrière-pays
Abidjan est le débouché naturel de toute la Côte d'Ivoire et de certaines régions avoisinantes, comme la Haute Volta.
Les voies de communication à l'intérieur de la colonie comprennent d'abord un certain nombre de routes, qu'il faudrait plutôt appeler des pistes, étant donné leur mauvais état, mais que sillonnent tout de même un certain nombre de camions, qui transportent d'Abidjan vers l'intérieur des produits manufacturés et redescendent vers la côte avec des bois, des cotons, du café, du cacao ou de l'arachide.
Par ailleurs, la régie Abidjan/Niger exploite une ligne qui d'Abidjan remonte vers Bouaké et Bobo Bioulasso.
Pour certains produits, cependant et en particulier les produits acheminés par voie aérienne et les denrées périssables, la région de Bobo Bioulasso est ravitaillée directement par Gao ou via Dakar.
5. Évolution d'Abidjan
Abidjan est actuellement en pleine transformation et il est probable que l'ouverture du port ne fera qu'accélérer le mouvement actuel.
Le nombre des commerçants augmente et celui des transitaires s'accroît avec une rapidité toute particulière.
II semble donc qu'il soit temps à tous points de vue de prendre position dans cette région.

Recherche d'un transitaire

Bien que ce soit cette question que nous ayons abordée la dernière au cours de notre voyage, c'est pourtant le point le plus important à notre avis. Sans agent sur place, il nous sera pratiquement impossible de travailler efficacement.
Comme nous désirions, toutefois, n'agir qu'avec prudence, il nous fut nécessaire d'abord de nous renseigner discrètement auprès d'un certain nombre de personnalités de tous les milieux pour connaître les transitaires auxquels nous pourrions nous adresser avec le plus de chance de succès.
Il y a à Abidjan 3 grosses sociétés de transit maritime :
- la Socopao - filiale de la Scac française,
- la SOAEM - associée à la Maison Smith & Cran,
- Transafric - société filiale des Chargeurs réunis.
Nous pouvons également ajouter la Société navale Delmas Vieljeux.
En second rang se trouvent un certain nombre de transitaires indépendants, installés depuis plus ou moins longtemps dans la ville et y jouissant de réputations très diverses.
Nous avons déjà dit que le travail maritime à Abidjan était très difficile; les transitaires, en particulier, sont surchargés de travail par suite des très nombreuses avaries dont ils ont à s'occuper.
Nous avons immédiatement éliminé :
- la Socopao, qui travaille déjà avec sa maison mère : la Scac ;
- la Société navale Delmas Vieljeux, correspondant à Abidjan de la Maison Jonemann ;
- la SOAEM, qui soigne les intérêts de la Semaf et qui, de plus, semble s'intéresser fort peu aux questions aériennes.
Au bout de quelques jours, 3 noms restaient seulement :

  • Transafric, dont nous avons déjà parlé;

  • deux transitaires individuels: M. Saintain et M. Diot. Nous avons pris contact avec ces trois firmes.

Transafric, en la personne de M. Marcou et du commandant Perret - ses dirigeants - nous a donné son accord de principe réservant, toutefois, bien entendu, l'avis de sa direction générale de Paris.
C'est une grosse affaire solide, sérieuse, mais qui présente pour nous, semble-t-il, l'inconvénient d'être justement trop importante. II est à craindre qu'elle se désintéresse, en effet, d'une représentation aérienne qui ne lui procurera, au début tout au moins, qu'assez peu de travail et surtout peu de bénéfices.
M. Saintain est, à notre avis, le mieux placé pour s'occuper de nos intérêts. Installé depuis très longtemps à Grand Bassam, il jouit à Abidjan d'une grosse réputation.
Le secrétaire de la Chambre de commerce, le directeur de la BAO, M. Carus - directeur par intérim du wharf de Port Bouet et armateur maritime - nous ont, entre autres, donné d'excellents renseignements sur son compte.
M. Saintain compte transférer ses bureaux de Grand Bassam à Abidjan ; il occupera lui-même au début du mois d'avril un bureau dans cette dernière ville et sera complètement installé dans un immeuble neuf au cours des derniers mois de l'année 1950.
M. Saintain, à qui nous avons demandé s'il serait intéressé par la représentation aérienne de notre Maison, nous a répondu qu'il ne voulait pas s'engager actuellement et préférait attendre, avant de nous donner une réponse, de voir comment il pourrait s'organiser à Abidjan, tant au point de vue personnel, qu'au point de vue matériel et de juger dans quelle mesure il pourrait nous aider efficacement. Il nous a promis, en tout cas, de nous écrire d'ici deux ou trois mois.
M. Diot, enfin, avec qui nous avons également pris contact à 2 reprises différentes, nous a, lui, donné son accord de principe sur la représentation de notre Maison.
Nous avons également obtenu de forts bons renseignements sur le compte de ce Monsieur, spécialement par M. Chasseriau, directeur de la BAO Abidjan.
Installé depuis longtemps déjà à Abidjan, il pourrait commencer dès maintenant son travail avec nous.
Il nous a signalé, mais ceci n'est pas à notre avis un empêchement grave, qu'il était correspondant pour les transports aériens de la liaison Danzas et des Messageries nationales, mais ne s'occupait nullement de rechercher du fret en liaison avec elles ; il se contente d'effectuer pour leur compte les opérations de transit et livraison des marchandises qu'elles lui adressent. Il fait aussi, sans accord officiel, les opérations de douane pour le compte d'Air France.
Il nous semble que M. Diot soit lui-même bien placé pour s'occuper d'aérien.
Une question, il est vrai, importante serait à débattre avec lui : celle du personnel qu'il pourrait affecter à son activité aérienne.


Trafic Cote d'Ivoire/métropole

C'est là, nous nous en sommes vite rendu compte, le problème le plus épineux.
II est, en effet, beaucoup plus difficile encore de recharger un avion en AOF qu'en Afrique du Nord. Les produits exportables sont les suivants :
1°- Ananas. Produit très fragile, très difficilement transportable par mer et dont le transport par voie aérienne présente lui-même quelques difficultés.
Produit de luxe, il ne dispose que de faibles débouchés.
Le prix de vente au kilo est de 30 F CFA, rendu magasin Abidjan - emballé.
Le fret qu'il peut supporter est d'environ 50 à 60 F CFA par kilo.
C'est le produit essentiel qui puisse être transporté par avion au départ d'Abidjan.
2° - Pamplemousses. Ce produit peut payer le fret aérien et il en existe des plantations à Adzope. Reste à savoir si les bananiers ne font pas une concurrence trop sévère pour le transport de ce produit.
3° - La kola. Produit riche payant facilement 25 à 30 F CFA pour le transport Abidjan/Dakar par avion. Ce trafic est sujet à des grosses variations suivant les prix de vente à Dakar.
Il nous a été signalé que l'intendance de cette ville en réexpédiait parfois sur Marseille pour la consommation des troupes sénégalaises cantonnées en France.
Tout est consommé frais par les indigènes et aucune industrie n'utilise ce produit.
4° - Mangues - papayes - avocats. Ces trois produits pourraient certainement constituer un fret aérien intéressant à condition de les faire connaître au public français. Les deux derniers, en particulier, seraient appréciés comme hors-d'œuvre au printemps avant le début de la production métropolitaine.
Le problème de la production devra être résolu et ce ne sera pas facile, car actuellement aucun planteur ne s'en préoccupe. Le marché local est alimenté par les indigènes, qui gaulent les mangues ou avocats (les rendant ainsi intransportables) et ramassent les papayes au fur et à mesure des besoins.
L'avocatier et le manguier. Tous les deux plus répandus en Guinée - ne produisent qu'au bout de 7 ans. Le papayer, lui, pousse en un an.
Dans quelle mesure un planteur ou un commerçant accepterait-il et pourrait-il se procurer les fruits de belle qualité permettant d'éduquer le public français ? C'est là un problème que nous n'avons pu aborder.
5° - Bananes. S'expédient évidemment par bananiers. Les prix de transport sont actuellement de :
sur wagon Abidjan, sur wagon Marseille ou Bordeaux : 41 F le kg assurance comprise.
De février à mai, les fruits ayant souffert de la sécheresse sont plus délicats ; il y a donc plus de déchets, surtout en mûrisserie.
Ces circonstances permettraient peut-être à l'avion de jouer un rôle d'autant plus intéressant que les fruits pourraient être expédiés plus mûrs, ce qui entraînerait une réduction notable des frais de mûrisserie.
Ce sont les mûrisseurs qu'il faudrait contacter dans ce but. On nous a cependant précisé que Paris était ravitaillé, non pas par Bordeaux ou Marseille, mais par les bananes des Antilles importées au Havre ou à Dieppe.
6° - Café et cacao. Ce sont des produits bruts dont la valeur est de ce fait réduite. Le prix de transport est d'environ 14 à 15 F métropolitains par kilo sur camion Abidjan à bord Le Havre -assurance comprise.
Le café a une valeur légèrement supérieure au cacao, mais ce dernier produit est plus délicat.
7° - Ivoire. Les négociants en ivoire jouent actuellement sur les cours de bourse, achètent longtemps à l'avance et ne sont donc jamais pressés. Seule ici la question sécurité et assurance pourrait jouer.
8° - Peaux. Situation analogue à celle de l'ivoire.

Trafic métropole/Côte d'Ivroire

Nous nous sommes moins étendus sur cette partie, car les produits que la Côte d'Ivoire peut importer de France sont ceux que nous connaissons déjà : les produits industriels, les textiles et les denrées périssables ; pour ce dernier trafic, cependant, il faut signaler la concurrence des bananiers, qui redescendent à vide de France en Côte d'Ivoire et chargent à des prix assez bas des légumes et fruits.
Signalons, enfin, la possibilité que pourrait offrir l'embouteillage du port d'Abidjan, phénomène actuellement assez fréquent et qui provoque des retards de plusieurs semaines, quelquefois même de 2 mois dans les délais d'acheminement. Pendant cette période, l'avion pourrait probablement profiter d'un volume de marchandises plus important.

Conclusions

De ce rapport, nous tirerons les idées suivantes :
1° - Abidjan est une ville qui va certainement prendre au cours des années à venir un très grand développement.
2° - Sur le plan aérien, nous estimons qu'il y a beaucoup à faire dans cette région, tant pour augmenter le fret importé en Côte d'Ivoire, grâce à une prospection rationnelle que pour rechercher et exploiter au maximum les possibilités de fret exportable.
3° - Il est indispensable de posséder sur place un représentant sérieux et actif, qui accepte de travailler en liaison étroite avec nos services métropolitains. En effet, ici comme en Afrique du Nord, il n'est possible de travailler efficacement qu'à condition de pouvoir agir simultanément au départ et à l'arrivée.

R. J. Villar


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