1949.02.00.De Roger Mennevée.Les Documents de l'AIII.Article

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Les Documents de l'Agence indépendante d'informations internationales -                     Février 1949
La Banque Worms et Cie - Histoire générale
Deuxième partie
Hypolite Worms (2e du nom)
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Jusqu'à l'occupation allemande de 1940, le "chef" de la maison Worms et Cie, fut M. Hypolite Worms, 2e du nom.
C'est lui qui donna à l'affaire l'envergure qu'elle possédait et qui en avait fait le puissant organisme commercial et financier qu'elle était devenue.
M. Hypolite Worms était le quatrième enfant et le seul fils de M. Lucien Worms, et, partant, le petit-fils de M. Hypolite Worms, premier du nom et fondateur de la maison actuelle.
Il était né à Paris (8e arr.) le 26 mai 1889, comme le précise l'extrait de naissance suivant :
« Le vingt-six mai mil huit cent quatre vingt neuf, à une heure du matin, est né à Paris, avenue Montaigne n°53, un enfant de sexe masculin, prénommé Hypolite, fils de Lucien Worms, cinquante ans, négociant, et de Virginie Adèle Houcke, trente-cinq ans, sans profession, époux, domiciliés comme dessus.
Témoins : Hervé Henri André Josse, soixante-sept ans, négociant, 8, avenue Hoche à Paris, et Élie Louis Frédéric Baudet, quarante-neuf ans, négociant, 25, rue Marbeuf à Paris. »
M. Josse était l’associé de fondation de M. Hypolite Worms (1er du nom), et M. Baudet était l'un des associés en nom collectif et co-gérant (l'autre était M. Henri Goudchaux) de la société qui fonctionnait sous le titre de Worms, Josse et Cie, depuis le décès de M. Hypolite Worms, fondateur.
M. Hypolite Worms (II) est entré dans la maison Worms et Cie à partir du 1er janvier 1911, comme associé en nom collectif, mais sans disposer de la signature sociale, en raison de son jeune âge : il n'avait que 21 ans et demi.
Sa participation personnelle s'élevait à 150.000 F, qu'il avait acquis de M. Silvain, ancien associé-gérant s’étant retiré le 31 décembre 1910, cédant le solde de ses droits sociaux - soit encore 150.000 F - à M. Henri [Michel] Goudchaux, précédemment fondé de pouvoirs dans la maison et devenu, également à partir du 1er janvier 1911, associé en nom collectif et gérant, en même temps d'ailleurs qu'un troisième associé, M. Rouyer.
M. Hypolite Worms (II) était alors domicilié chez son père, à Paris, 22, avenue de la Grande-Armée.
Statutairement, il n'eut la signature sociale que le 1er janvier 1916, au moment de la prorogation, ou plus exactement, de la reconstitution de la société, venue à expiration fin 1915. Mais il dut cependant en bénéficier plus tôt sous une forme plus ou moins officieuse, puisque, comme nous le verrons plus loin, il négociait personnellement, dès 1913, avec le sous-secrétaire d'État à la Marine marchande, M. de Monzie.
Entre-temps, le 14 février 1912, M. Worms avait épousé en Angleterre, Mademoiselle Gladys Mary Lewis-Morgan, ainsi qu'il ressort de l'acte suivant : (traduction)
« Acte de mariage - Paroisse de All Saints Margaret Street, Marylebone – 1912. Mariage célébré dans l'église de All Saints Margaret Street, paroisse de Marylebone, dans le comté de Londres, n°41, le quatorze février mil neuf cent douze, entre Hypolite Worms, âgé de vingt-deux ans, célibataire, armateur, domicilié 22, avenue de la Grande-Armée à Paris, fils de Lucien Worms, sans profession, et Gwoladys Mary Lewis-Morgan, vingt-deux ans, célibataire, domiciliée Dyffryn Slane Street, fille de Lewis-Morgan, Sollicitor, mariés en cette Église, conformément aux rites et cérémonies de l'Église établie, avec licence, par moi, Roscow Shedden. Ce mariage a été signé entre nous. (Signé :) Hypolite Worms, Gwoladis Mary Lewis-Morgan ; en présence de nous (signé) Lewis-Morgan, Virginie Worms, Lucien Worms, H. Goudchaux, Gov. R. Barness [Burness ?]. »
Ce mariage, qui a été transcrit sur les registres des actes d'état civil du 17e arrondissement de Paris le 11 mars suivant, avait été précédé d'un contrat de mariage reçu le 13 février 1912 par Me Lhuillier, notaire à Paris.
A la suite de son mariage, M. Hypolite Worms s'était domicilié 8, rue Picot à Paris (16e) où naissait le 9 octobre 1912, une fille, prénommée Marguerite-Viviane, qui est restée sa fille unique.
M. Lucien Worms étant décédé au Vésinet le 22 juillet 1914, ses intérêts dans la société Worms et Cie furent partagés l'année suivante, par acte du 29 juillet 1915, entre sa veuve et ses quatre enfants, dans des proportions que nous avons précisées dans un chapitre précédent et la part personnelle de M. Hypolite Worms fut de 177.000 F, ce qui portait la participation de celui-ci à 327.000 F. Mais, par acte du 21 décembre suivant, il cédait à M. Michel Goudchaux - fils de son co-associé M. Henri Goudchaux - une somme de 2.000 F, ce qui ramenait ses droits à 325.000 F.
C'est avec cette somme qu'il participa à la nouvelle société constituée, comme nous l'avons dit, à partir du 1er janvier 1916, et dans laquelle il devenait associé en nom collectif et gérant avec MM. Henri et Michel Goudchaux et M. Georges Majoux.
Pendant la première guerre mondiale (1914-1918), M. Hypolite Worms fut maintenu à la tête de la société Worms et Cie, celle-ci étant particulièrement chargée du transport du charbon d'Angleterre en France.
L'importance de la maison Worms et Cie était, déjà à cette époque, telle qu'elle fut l'une des deux maisons privées d'armement qui siégèrent dans les comités consultatifs d'armateurs constitués par le gouvernement au cours des hostilités(2) et c'est dans celui créé, par M. de Monzie, alors sous-secrétaire d'État à la Marine marchande, par arrêté d'octobre 1917 (J.O. du 8) que M. Hypolite Worms y fut appelé officiellement pour la première fois.
Nous disons "officiellement" parce qu'il y a, sur ce point, une certaine obscurité.
En effet, fin 1938, à la suite de la création par la maison Worms et Cie, sous les auspices du gouvernement français, de la Société française des Transports pétroliers, M. Worms avait invité le ministre de la Marine (M. de Chappedelaine), le ministre des Travaux publics, M. de Monzie, à venir visiter au Havre, deux navires pétroliers étrangers que la société avait acquis et qui devaient être francisés. M. de Chappedelaine ne crut pas pouvoir se rendre à l'invitation, mais, par contre M. de Monzie s'y empressa d'autant plus que, non seulement le "cas" entrait dans sa compétence ministérielle, mais aussi qu'il entretenait une amitié profonde avec M. Worms.
Et, au cours des discours d'usage, M. Worms évoqua les souvenirs communs qui le liaient à M. de Monzie depuis bien des années, en ces termes :
« ... Il y a - disait-il à M. de Monzie - vingt-six ans que j'ai la joie de vous connaître. A cette époque, j'entrais, tout jeune encore, dans une de ces vieilles maisons d'armement dont, peu à peu, le nombre diminue. Au même moment, vous faisiez vos débuts dans les conseils du gouvernement, puisque, si je me fie à ma mémoire, c'est en 1913 que vous devîntes titulaire - le premier titulaire - du sous-secrétariat d'État à la Marine marchande qui venait d'être créé. Je me souviens, comme si elles étaient d'hier, des visites que je vous fis alors dans cet hôtel vieillot du boulevard Montparnasse, où le souffle de votre intelligence, éprise de progrès, balayait les dossiers poussiéreux d'une direction un peu paradoxale. Certes, il ne vécut pas longtemps ce nouveau sous-secrétariat d'État, mais votre opiniâtreté qui l'avait créé, le faisait renaître en juillet 1917, à la suite d'un de ces discours dont votre éloquence a le secret, et par lequel, du haut de la tribune de la Chambre, vous aviez poussé un cri d'alerte. "Point de chance de gagner la guerre sans une flotte commerciale intégralement exploitée, et, par conséquent, dirigée par un chef, un seul."
Sous votre pression, l'unité de commandement se fit, et vous-même fûtes ce "chef" unique, La guerre fut gagnée, et ceux qui l'ont vécue à cette époque, où, chaque soir, se faisait l'impressionnant examen du tonnage coulé depuis la veille, savent quelle part vous prîtes aux résultats.
Ce fut l'occasion pour moi de reprendre contact avec vous et la cordialité de nos rapports devait s'accroître, comme leur fréquence : c'est au "comité des Cinq", je puis bien le dire, que, vous voyant au travail avec cette complète indépendance d'esprit qui constitue une des agréables particularités de votre caractère, avec cette facilité à chercher et à trouver aux problèmes les plus compliqués les solutions les plus simples, qui tiennent compte cependant de tous les facteurs, avec cette élégance intellectuelle et morale qui vous porte à revendiquer vos responsabilités et souvent celles des autres, c'est au sein du "comité des Cinq" dis-je, que sont nés - permettez l'expression - les sentiments d'affectation qui ont subi, avec succès, la grande épreuve du temps. »
On conçoit que la réponse de M. de Monzie n'ait pas été moins "sympathique" et, d'après le Journal de la Marine marchande (n° du 10 novembre 1938) qui rendait compte de la cérémonie, « c'était un ravissement d'entendre cet homme qu'on sait fidèle à ses amitiés, parler de M. Worms, de ses collaborateurs de ces grands commis d'État… » !!
M. de Monzie affirmait, d'ailleurs, clairement son amitié à M. Worms en l'appelant, au cours de son discours, "Mon Cher Hypolite".
II semble bien que, précisément, cette amitié n'ait pas été sans troubler quelque peu les souvenirs de M. Worms, car ce n'est pas M. de Monzie qui a recréé, au cours de la guerre, le sous-secrétariat à la Marine marchande : il n'en fut qu'un des titulaires, avec peut-être des pouvoirs un peu plus concentrés. De même, M. de Monzie ne "finit" pas la guerre dans ce poste et le sous-secrétariat disparut pour être remplacé par un "commissariat" avec comme M. Fernand Bouisson, dont le rôle ne fut vraisemblablement pas moins important que celui de M. de Monzie, quoique moins favorable aux armateurs(3).
Mais, c'est dans ces déclarations mêmes de M. Worms, que nous trouvons cette "obscurité" dont nous parlons plus haut, car M. Worms y dit qu'il a rencontré M. de Monzie au "comité des Cinq", alors que lui, M. Worms, n'en faisait pas partie.
Voici, en effet, le texte de l'arrêté du 12 juillet 1917 (J.O. 14 juillet) qui avait créé ce comité :
« Le sous-secrétaire d'État des Transports maritimes et de la Marine marchande,
Arrête :
Art. 1er . II est créé, sous la présidence du sous-secrétaire d'État aux Transports maritimes et à la Marine marchande, un comité composé de :
M. Dal Piaz, directeur de la Compagnie générale transatlantique,
M. Philippart, directeur par intérim de la compagnie des Messageries maritimes,
M. Breton, directeur de la compagnie des Chargeurs réunis et de la compagnie Sud Atlantique,
M. Stern, administrateur-directeur de la compagnie des Affréteurs réunis,
M. Majoux, directeur de la société Worms et Cie.
Ce comité est chargé d'assister le sous-secrétaire d'État pour la gestion de la flotte, l'affrètement des navires, les mesures à prendre pour assurer l'augmentation du tonnage employé au ravitaillement du pays, et, en général, toutes les questions se rapportant directement ou indirectement aux transports par mer.
Art. 2. Ce comité siégera en permanence sous la présidence du sous-secrétaire d'État ou de son délégué pour proposer toutes mesures et formuler toutes suggestions utiles. Ses membres pourront être chargés de missions spéciales en France et à l'étranger.
Art. 3. Le comité pourra s'adjoindre, soit à titre définitif, soit à titre temporaire, telles autres personnalités de l'armement français dont la consultation pourra paraître nécessaire. »
Ainsi qu'on le voit, si un représentant de la maison Worms et Cie figurait bien au "comité des Cinq", M. Hypolite Worms, lui, n’en faisait pas partie. Nous ne perdons pas de vue que l'art. 3 de l'arrêté du 12 juillet permettait au comité des Cinq de s'adjoindre telle ou telle personnalité utile de l'armement, mais ce n'était plus, alors, un "comité des Cinq".
Par contre, M. Worms fut bien l'un des membres d'un autre comité, créé également par M. de Monzie, toujours sous-secrétaire d'État aux Transports maritimes et à la Marine marchande, en octobre 1917, mais étant précisé que, à la suite de la crise ministérielle du mois précédent, (M. Painlevé avait remplacé M. Ribot comme président du Conseil) le sous-secrétariat d'État des Transports maritimes et de la Marine marchande était passé du ministère des Travaux publics au ministère du Commerce dont le titulaire était M. Clementel.
Ce comité avait pour objet d'assurer le contrôle de la flotte marchande et d'assister le sous-secrétaire d'État pour toutes les décisions qui avaient trait aux conditions générales d'utilisation de la flotte de commerce.
Composé, en principe, par parties égales de fonctionnaires et d'armateurs, ce comité comprenait à l'origine (J.O. du 8 octobre) :
M. Max Lazard, chef de service des programmes et priorités de transports,
M. Berengier, chef du service des Transports maritimes,
M. Dal Piaz, directeur de la Compagnie générale transatlantique,
M. Breton, directeur de la compagnie des Chargeurs réunis, et M. Worms, de la Maison Worms et Cie.
Mais, les décret et arrêté de création ne précisaient pas d'une façon très claire si ce nouveau comité complétait simplement l'ancien "comité des Cinq" relativement aux navires étrangers et neutres qui participaient au ravitaillement de la France, ou si, au contraire, il s'y substituait entièrement.
Peut être M. Worms avait-il confondu ces deux comités.
M. Worms devait, l'année suivante, être également appelé au sein d'un autre comité d'armateurs, le comité exécutif des Transports maritimes, créé par M. Fernand Bouisson, commissaire aux transports maritimes et à la Marine marchande, la Marine marchande dépendant cette fois du ministère du Commerce, par arrêté du 30 avril 1918, inséré au Journal Officiel du 2 mai 1918, et ainsi conçu :
Ministères du Commerce, de l’Industrie, des Postes et Télégraphes, des Transports maritimes et de la Marine marchande.
Le commissaire aux Transports maritimes et à la Marine marchande,
Arrête :
Art. 1. II est institué au commissariat des Transports maritimes et de la Marine marchande un comité exécutif des Transports maritimes.
Ce comité est saisi des programmes périodiques dressés par le comité exécutif des importations, et des décisions arrêtées à chaque séance de ce comité.
Il a pour mission d'affecter aux diverses lignes de navigation les navires au service de la France et d'arrêter la composition des chargements, de manière à utiliser dans les meilleures conditions possibles la portée en lourd et la capacité cubique de ces navires. Ces affectations et compositions do chargement sont effectuées conformément aux programme et décisions du comité exécutif des importations.
Art. 2. Le comité exécutif des Transports maritimes est présidé par le commissaire aux Transports maritimes et à la Marine marchande ou par son délégué. II est composé des armateurs ci-après désignés :
M. Breton, directeur de la compagnie des Chargeurs réunis,
M. Dal Piaz, directeur de la Compagnie générale transatlantique,
M. Fraissinet, directeur de la Compagnie marseillaise de navigation à vapeur,
M. Houet, directeur de la Société navale de l'Ouest,
M. Hubert-Giraud, administrateur directeur de la Société des transports maritimes,
M. Philippar, directeur de la compagnie des Messageries maritimes,
et M. Worms, de la maison Worms et Cie.
Art. 3. Le bureau des trafics de la direction des Transports maritimes tient à la disposition du comité tous les documents nécessaires à l'accomplissement de sa mission. Le chef du bureau du trafic remplit les fonctions de secrétaire du comité.
Art. 4. Le comité est appelé, en outre, à donner son avis technique sur les diverses questions relatives aux transports maritimes qui peuvent lui être soumises par le commissaire aux Transports maritimes et à la Marine marchande.
Art. 5. Chaque séance du comité fait l'objet d'un procès-verbal qui est notifié à la direction des Transports maritimes.
Le comité fixe à l’issue de chaque séance la date de la prochaine réunion.
Chaque membre du comité, après avoir donné tous les renseignements utiles, s'abstient de prendre part aux délibérations concernant l'affectation des unités de sa flotte. »
On le voit, si le comité exécutif, était sensiblement plus large (il comprit à un certain moment 17 membres) que le "comité des Cinq" de M. de Monzie, on y retrouvait néanmoins les principales personnalités de ce dernier.
Mais, dans des conditions différentes, sous M. de Monzie, le "comité des Cinq" avait une influence telle qu'elle ne fut pas sans soulever certaines inquiétudes, d'autant plus que la Marine marchande jouissait encore d'une liberté suffisante pour permettre aux armateurs de réaliser des bénéfices nettement exagérés.
Avec M. Bouisson, la situation avait changé : le nouveau commissaire aux Transports maritimes avait réquisitionné toute la flotte marchande - en en laissant d'ailleurs la gestion aux armateurs - et le rôle du comité exécutif des Transports maritimes ainsi créé pouvait se résumer en ces quelques lignes : « Le comité des importations a pris telle décision, arrangez-vous entre armateurs pour la réaliser dans les meilleures conditions ».
En ce qui concerne M. Worms, l'activité de sa maison pendant la guerre - on pourrait dire son activité personnelle - lui valut d'être nommé chevalier de la Légion d'honneur par décret du 11 février 1923, sur la proposition de M. Rio, alors ministre de la Marine marchande, en ces termes :
« Worms Hypolite - 16 ans de services - services exceptionnels - associé d'une ancienne et importante maison d'armement en rapports suivis avec la Marine depuis plus d'un demi siècle, a rendu pendant la guerre de précieux services en acceptant de transporter d'Angleterre en France le charbon nécessaire au ravitaillement de la flotte de guerre à des conditions très avantageuses pour le département, malgré les responsabilités qu'il assumait et les risques qu'il prenait à sa charge; depuis la fin des hostilités, a contribué à l'expansion de la Marine nationale en créant une ligne de navigation régulière entre les ports de France et la Baltique. »
Écartons les petits détails comme, par exemple, les "16 ans de services", ce qui impliquerait que M. Worms a commencé ces services à moins de dix huit ans.
Mais on nous permettra de penser que cette "citation" - si l’on peut dire - était particulièrement odieuse et qu’elle n’était rien de moins qu'un soufflet à la face de tous les anciens combattants.
Nous ne parlons pas de la nomination de M. Worms dans la Légion d'honneur, on avait décerné cette décoration à tant de "services exceptionnels" que rien ne s'opposait à ce que M. Worms en bénéficiât. Mais nous ne pouvons admettre le texte qui accompagne cette nomination.
Nous en avons souligné les passages qui nous heurtent.
Empressons-nous de dire que l'odieux n'en retombe pas sur M. Worms, mais bien sur le ministre qui l'a signé, en l'espèce M. Rio.
Mais décorer M. Worms parce que pendant la guerre il a "consenti" à transporter du charbon d'Angleterre en France, et ce "à des conditions très avantageuses" pour le gouvernement, et "malgré les risques qu'il prenait à sa charge" !! On se demande si ce n’était pas une gageure ?
En nous mobilisant le 2 août 1914 et en nous jetant plus ou moins immédiatement sur les champs de bataille de Belgique, de Lorraine ou d'Alsace, puis en nous enterrant dans les tranchées sur tout le front de la mer du Nord à la Suisse, où souvent, nous crevions de froid et de faim, en nous lançant dans les assauts meurtriers des Flandres, du Chemin des Dames, de la Croix des Carmes ou de l'Harmanwillerskop ou encore dans cet effroyable charnier humain que fut Verdun, d'où les unités ne descendaient que lorsqu'elles avaient perdu 75% de leurs effectifs, est-ce qu'on nous a demandé à nous si nous y consentions ? Et les "risques" que nous prenions à notre charge - à notre corps défendant d'ailleurs - n'étaient-ils pas autres que ceux assumés par M. Worms ? Et nos "conditions" - à nous, les poilus du front : un sou par jour pendant un an, puis cinq sous par jour - est-ce qu’elles n’étaient pas monstrueusement différentes de celles de M. Worms ?
D’autant plus que ces "conditions" de M. Worms si elles furent "avantageuses pour le département", ne furent certainement pas défavorables pour la maison Worms et Cie en général et pour M. Worms en particulier.
La Maison Worms et Cie étant une affaire privée n'a pas à publier ses comptes comme une société anonyme dont les titres sont répandus dans le public. Nous ignorons donc quels furent ses bénéfices pendant la guerre de 1914-1918.
Mais, pourtant, nous avons un certain élément d'appréciation. Nous avons signalé, dans notre fascicule de mai 1948, que, d'après l'hebdomadaire parisien d'échos le Guignol Déchainé du 25 juillet 1922, l'un des associés-gérants de la société Worms et Cie pendant la guerre, M. Majoux - le même qui avait été appelé par M. de Monzie au "comité des Cinq" - dont la fortune atteignait à peine 200.000 F lors de la mobilisation d'août 1914, possédait, au moment de l'armistice, plus de 10 millions.
Or, la participation de M. Majoux dans la société Worms et Cie, pendant la guerre, était de 100.000 F, sur un capital social de 4 millions. Si donc les chiffres du Guignol Déchaîné étaient exacts - et, sauf erreur, nous n'avons trouvé aucune rectification dans les numéros ultérieurs de cet hebdomadaire - on peut admettre que les bénéfices réalisés par la Maison Worms et Cie, pendant la guerre de 1914-1918, ont été de cent fois son capital social ; 10 millions pour 100.000 F - 400 millions pour 4 millions.
Et si même ces chiffres devaient être réduits de moitié, on constaterait que les "conditions" de ses opérations ne lui ont pas été trop défavorables. Au surplus, ces chiffres s'apparentent assez bien avec ceux des compagnies d'armement dont on a pu connaître les résultats.
Or, nous ne sachons pas qu'il ait été beaucoup de combattants qui puissent se féliciter d'être rentrés chez eux avec un tel bilan, lorsque même on ne les laissait point attendre pendant de nombreuses années - nous en avons été personnellement un exemple - la maigre pension qu'on leur avait marchandée en échange de leurs mutilations.
Au surplus, nous pensons ne point nous tromper beaucoup en estimant que ce sont précisément les bénéfices réalisés par la société Worms et Cie pendant la première guerre mondiale, qui lui ont permis de prendre son extension d'après-guerre et de devenir, en même temps, une grande banque d'affaires.
Aussi bien, la Maison Worms et Cie n'avait-elle pas attendu la fin de la guerre pour développer son activité.
Dès juillet 1917, on la trouve constituant un certain nombre de sociétés filiales ou prenant des participations dans des affaires diverses, au sein des conseils d'administration desquelles elle eut son ou ses représentants, parfois M. Hypolite Worms lui-même. Nous nous bornerons à citer ici les sociétés dont M. Worms a été personnellement administrateur, remettant à un chapitre ultérieur - celui des filiales et participations - les détails sur chacune de ces affaires.
En juillet 1917, M. Worms entrait au premier conseil de la Compagnie charbonnière des appontements de Bassens et Lagrange, filiale de Worms et Cie, à Bordeaux.
En février 1918, il entrait également au premier conseil de la Société d'études industrielles et commerciales fondée sous les auspices du groupe de la Société des huileries de Roubaix et d'Odessa et avec le concours du Consortium du Nord pour faire des affaires en Russie, tout comme le Consortium économique agricole et forestier de la Russie et de la Pologne, fondé en décembre 1918, sous les auspices du ministère de l’Agriculture et du Ravitaillement, par la Société commerciale Lambert Rivière et au premier conseil d'administration duquel figurait également M. Hypolite Worms(4).
En 1920, M. Worms fut élu membre du conseil d'administration et du comité exécutif du Comité central des armateurs de France et il en était nommé trésorier-adjoint. Il était alors domicilié 47, avenue Hoche à Paris.
Au début de 1925, il fut nommé président de la section de cabotage national et international au même comité, puis, à la fin de la même année, désigné comme trésorier titulaire du Comité central des armateurs.
Entre-temps, à la suite de la mort de Mme Mary Lucy Worms, veuve de M. Errington-Josse, survenue le 6 mars 1919, M. Hypolite Worms rachetait par acte du 21 décembre 1920 aux représentants de la de cujus la participation de celle-ci dans la société Worms et Cie - soit 59.800 F, ce qui portait le montant des droits de M. Worms à 384.800 F.
Puis, par acte du 24 décembre 1920, M. Hypolite Worms acquérait sur les droits de Mme veuve Delavigne une somme de 90.200 F, et sur ceux de M. Michel Goudchaux une somme de 125.000 F, de telle sorte qu'à partir du 1er janvier 1921, date à laquelle une nouvelle société prenait la suite de celle venue à expiration le 31 décembre 1920, la participation de M. Hypolite Worms s'élevait à 600.000 F.
Au 30 juin 1925, M. Majoux quittant la société, M. Hypolite Worms acquit partie de ses droits à concurrence de 200.000 F, jouissance au 1er janvier 1926, si bien qu'au moment de la reconstitution, à cette dernière date, de la société, expirée fin 1925, les droits de M. Hypolite Worms atteignaient 800.000 F.
M. Worms acquérait, vers la même époque, un hôtel particulier, 4, avenue Émile Deschanel à Paris (VII°), où il allait, dès lors, se domicilier.
Cette année 1925 apportait dans la société Worms et Cie une modification fondamentale.
Sous les auspices de la Banque Lazard Frères, le département bancaire de Worms et Cie allait prendre un développement considérable et devenir une importante banque d'affaires.
Nous reviendrons plus longuement sur cette question dans un chapitre ultérieur, mais nous allons déjà donner quelques détails ici, à l'occasion de l'entrée de M. Hypolite Worms aux conseils d'administration de diverses affaires.
C'est ainsi qu'en 1925, M. Worms fut appelé en même temps que certaines personnalités du groupe Lazard, au conseil d'administration de la Société financière française et coloniale, holding du groupe Octave Homberg, et sa nomination soumise à l'assemblée générale des actionnaires du 23 février 1926, était présentée en ces termes :
« Nous vous proposons d'appeler aux fonctions d'administrateur M. Hypolite Worms, négociant armateur, chef de la maison Worms et Cie, qui vous apportera le concours de son expérience et qui représentera un élément d'activité extrêmement intéressant pour l'avenir de notre société. »
Malheureusement, l'accord entre les groupes Homberg et Lazard ne dura pas très longtemps : les représentants de ce dernier quittèrent la Société financière française et coloniale fin 1926, et M. Hypolite Worms les suivit dans leur retraite.
Le rapport de la SFFC à l'assemblée du 22 mars 1927, rendait ainsi compte de ces incidents :
« A la suite de divergences de vues que, malgré notre bonne volonté réciproque, nous n'avons pu complètement aplanir, les représentants de MM. Lazard Frères ont donné leurs démissions d'administrateurs. Nous nous sommes séparés d'eux, ainsi que de M. Hypolite Worms, non pas seulement amiablement, mais tout à fait amicalement. »
Au moment où il était associé à la Société financière française et coloniale, M. Worms avait été nommé administrateur d'une filiale de celle-ci : la Société française d'entreprises de dragages et de travaux publics. Il quitta cette affaire fin 1929, mais après le krach Homberg (1930), la Banque Lazard Frères, la Banque de l’Indochine et la société Worms et Cie ayant repris l'affaire, M. Worms en redevint administrateur, et sa nouvelle nomination fut ratifiée par l'assemblée du 17 décembre 1931.
Fin 1925, au moment où M. Majoux quittait la société Worms et Cie, M. Hypolite Worms prit sa place au conseil d'administration d'une filiale de sa maison, dite Compagnie charbonnière de manutentions et de transports, à Rouen, transformation en 1917, en société anonyme sous ce titre, de la société en commandite par actions Basile Have et Cie.
En même temps, M. Worms devenait également administrateur de la Compagnie rouennaise de déchargements, fondée aussi en 1917, mais à Paris, pour exploiter une concession d'un quai ou d'un appontement et d'un outillage public pour la réception des charbons au Grand-Quevilly, près de Rouen, accordée par M. Desplas, alors ministre des Travaux publics, à la société anglaise Wm Cory and Son Ltd, à Londres, par convention du 10 juillet 1917 et qui, conformément aux prescriptions du cahier des charges dut se substituer, dans un délai de six mois, une société anonyme française.
Fin 1924, la Compagnie rouennaise de déchargements était entrée, par l'intermédiaire de la Compagnie charbonnière de manutentions et de transports, dans le groupe des filiales Worms, et, à cette occasion, elle transférait son siège social, 4, rue Buffon à Rouen.
Les deux sociétés devaient revenir à Paris au cours du premier semestre 1930, Hypolite Worms appartenant toujours à leurs conseils d'administration.
Au cours de l'année 1926, M. Worms devint administrateur, en avril, de la société Huilcombus (Société française des huiles combustibles ), à la suite de la réorganisation financière de cette affaire, réorganisation à laquelle Worms et Cie avait participé.
La maison Worms et Cie avait sur Huilcombus une créance de 1.504.500 F, dont elle fit remise moyennant 3.900 actions de 500 F d'Huilcombus, cette participation entraînant l'entrée au conseil de cette dernière société d’un représentant de la Maison Worms et Cie.
Puis, en 1928, encore sous les auspices du groupe Lazard Frères, la société Worms et Cie abordait les grandes affaires internationales : elle participait à la constitution, au Canada, de la French and Foreign Investing Corporation au conseil d'administration de laquelle M. Hypollte Worms fut appelé, en même temps que M. Barnaud, alors directeur général de Worms et Cie.
L'année suivante, en octobre 1929, M. Hypolite Worms était nommé président du premier conseil d'administration de l'Union immobilière pour la France et l'étranger, créée par Worms et Cie, la Banque Lazard Frères et la Société générale. Chacune des sociétés fondatrices avait deux représentants au conseil, M. Joseph Barnaud y accompagnait M. Worms.
Vers le milieu de 1930, la maison Worms et Cie prit la tête d'un groupe devant réorganiser financièrement la Compagnie havraise péninsulaire de navigation à vapeur. Dans ce but, le groupe constitua d'abord une Société d'exploitation de la compagnie havraise péninsulaire de navigation à Vapeur, dont M. Hypolite Worms était administrateur, en même temps que deux autres représentants de sa maison : MM. Barnaud et J. R. Denis.
Puis fut créée une Nouvelle Compagnie havraise péninsulaire de navigation à vapeur, dont MM. Worms, Barnaud et Denis furent également administrateurs, M. Worms devant être appelé à la présidence du conseil d'administration.
C'est à la même époque que, à la suite de la création du Mérite maritime, M. Hypolite Worms figura dans les premières nominations au grade d'officier, en sa qualité de chef de la Maison Worms et Cie" (décret du 14 août 1930 - Journal Officiel du 15 août).
En décembre 1930, M. Hypolite Worms était nommé l'un des premiers administrateurs de la Compagnie financière maritime, petite holding financière fondée par la société Worms et Cie, le Crédit foncier d'Algérie et de Tunisie et le groupe Schneider. Elle fut dissoute au début de 1939, mais la maison Worms et Cie s'en était désintéressée auparavant.
Entre-temps, M. Hypolite Worms avait été nommé à diverses fonctions administratives officielles ou privées, de telle sorte qu'en 1932, on le trouvait, en dehors de ses qualités de membre du conseil d'administration et du comité exécutif du Comité central des armateurs de France, dont il était également, comme nous l'avons dit, trésorier titulaire depuis le 1er janvier 1926 :
président de la section de cabotage national et international du même Comité central des armateurs de France,
membre du comité de coordination des transports par fer et par navigation intérieure,
membre du conseil supérieur des transports (comme représentant des entreprises de cabotage),
membre du comité consultatif de l'exploitation technique et commerciale des chemins de fer,
et trésorier de la Chambre syndicale des constructeurs de navires (après l'armistice, les chantiers de constructions navales du Trait, sur la rive nord de la Seine, près de Rouen, qui fonctionnaient auparavant sous le titre de Société auxiliaire de constructions navales et sous la direction de M. Majoux, avaient été constitués en "département" spécial de la Maison Worms et prirent le titre de "Ateliers et Chantiers de la Seine maritime - Worms et Cie").
Le 21 juin 1932, Mme Veuve Lucien Worms, mère de M. Hypolite Worms décédait, à Paris ; ses droits dans la société Worms et Cie furent partagés entre son fils et sa fille survivante (Mme Razsovich) qui reçurent chacun 203.000 F, et les héritiers de son autre fille décédée (Mme Leroy) qui reçurent 201.000 F.
La participation de M. Hypolite Worms dans la maison Worms et Cie fut ainsi portée à 1.003.000 F.
Par décret inséré au Journal Officiel du 24 juillet 1934, sur la proposition de M. William Bertrand, ministre de la Marine marchande, M. Hypolite Worms fut promu officier de la Légion d'honneur, sous les qualifications de "armateur, constructeur de navires, chevalier du 11 février 1923, officier du Mérite maritime".
Le Journal de la Marine marchande du 26 juillet qui annonçait cette promotion, la commentait en ces termes :
« M. Worms est un des hommes les plus complets de l'armement : armateur, constructeur de navires, banquier, il a des vues générales et particulières d'une netteté et d'une étendue remarquables. Son vieil armement familial de cabotage s'est adjoint, ces années dernières, la Havraise Péninsulaire, que son groupe a relevée de la ruine, et ses chantiers ont fait un effort technique et social incomparable. »
Le 20 avril 1935 avait lieu au Cap Ferrat (Alpes maritimes) le mariage de sa fille unique, Mademoiselle Marguerite Viviane Worms, avec M. Robert Wilfrid Kennet Clive, fils de l'ambassadeur d'Angleterre au Japon, comme le précise l’extrait d'acte suivant :
« Extrait du registre des actes de mariage de la commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat.
Le vingt avril mil neuf cent trente-cinq, seize heures, devant nous, ... ont comparu publiquement Robert Wilfrid Kennet Clive, sans profession, né à Tokio (Japon) le six février mil neuf cent neuf, demeurant à Londres (Angleterre), fils majeur de Robert Henry Clive, ambassadeur d'Angleterre au Japon, et de Magdalen Agnès Muir-Mackenzie, sans profession, domiciliés à Londres,
Marguerite Viviane Worms, sans profession, née à Paris (16°) le neuf octobre mil neuf cent douze, demeurant à Saint-Jean-Cap-Ferrat, fille majeure de Hypolite Worms, armateur, et de Gladys Mary Lewis-Morgan, domiciliés à Paris, avenue Émile Deschanel, n° 4, ici présents.
Les futurs époux déclarent qu'il a été fait un contrat de mariage passé par-devant Me Maurice Rivière, notaire à Paris, le premier avril mil neuf cent trente-cinq.
... Et Robert Wilfrid Kennet Clive et Marguerite Viviane Worms, aucune opposition n'ayant été faite, les contractants ont déclaré l'un après l'autre vouloir se prendre pour époux, et nous avons prononcé au nom de la loi qu'ils sont unis par le mariage. Dont acte, en présence de Pierre Gounod, industriel à Neuilly-sur-Seine, boulevard Richard Wallace, Adrien Fauchier-Magnan, sans profession, domicilié à Neuilly-sur-Seine, rue Perronet, Jacques Barnaud, armateur, domicilié à Paris, Square Lamartine, Vicomte Bearsted, industriel, domicilié à Londres, témoins majeurs qui, lecture faite, ont signé avec les époux et nous Joseph Giordan, maire de Saint-Jean-Cap-Ferrat. » (Suivent les signatures.)
Ainsi que nous l'avons dit, cette union ne pouvait que resserrer les liens déjà étroits qui unissaient la maison Worms et Cie et M. Hypolite Worms avec certains milieux anglais très puissants. La présence, comme témoin, du vicomte Bearstad, dont les initiés dans la politique internationale connaissaient la particulière influence, était très caractéristique à cet égard.
C'est d'ailleurs pour cette raison que nous avons cru devoir parler du mariage de Melle Worms.
Par arrêté inséré au Journal Officiel du 7 novembre 1936, M. Hypolite Worms était, à nouveau, nommé membre du conseil supérieur des transports comme représentant des entreprises de cabotage, puis par un autre arrêté du 22 décembre (J.O. du 25 décembre) il était confirmé dans ces fonctions comme représentant du comité de coordination des transports par fer et par cabotage.
En septembre 1938, M. Hypolite Worms prenait la présidence du premier conseil d'administration de la Société française des transports pétroliers, fondée, comme nous l'avons dit plus haut, à cette époque, sous les auspices du gouvernement français pour la création d'une flotte de navires-citernes, par la maison Worms et Cie, la maison Louis-Dreyfus et Cie, la société Desmarais Frères, Saint-Gobain, la Compagnie auxiliaire de navigation et la Compagnie navale des pétroles.
A peu près à la même époque(5), il entrait au conseil d'administration de la société La Réunion française et la Compagnie d'assurances universelles réunies, vieille compagnie d'assurances, alors au capital de 10 millions, et il devient administrateur des Distilleries de l'Indochine, importante affaire coloniale liée à la Banque de l’Indochine. Cette dernière nomination fut ratifiée par l'assemblée générale du 20 avril 1939.
Au mois de mai 1939, avec M. Jacques Barnaud, agissant tous deux en qualité d'associés gérants de Worms et Cie, M. Hypolite Worms fondait la Société centrale d'achats pour le nord de l’Europe, au capital d'un million de francs, et, ayant pour objet toutes affaires d'importation, d'exportation, de transit, etc., avec la Norvège, l’Islande, le Danemark, la Finlande et les États baltes.
Enfin, M. Worms devenait administrateur de la Compagnie nantaise des chargeurs de l'Ouest.
Et ce fut la guerre !
Dans son livre "Ci-devant", M. de Monzie a exposé avec beaucoup de précisions le rôle de M. Worms.
M. de Monzie était alors ministre des Travaux publics, et M. Rio, ministre de la Marine marchande.
Après avoir signalé que la question des transports maritimes et du ravitaillement avait attiré l'attention des deux ministres, M. de Monzie ajoutait :
« L'expérience des années 1914-1915 et 1916 nous rend attentifs à l'importance de ce comité des transports maritimes dont nous sommes chargés, Rio, ministre de la Marine marchande, et moi, de désigner les représentants. C'est ainsi que nous sommes amenés à choisir comme chef de la délégation française (devant résider à Londres en liaison avec les autorités anglaises) M. Hypolite Worms, armateur, l'un des trois ou quatre armateurs expérimentés que possède encore le haut personnel de notre flotte marchande. Je connais Hypolite Worms depuis vingt-deux ans, pour avoir éprouvé ses mérites quand j’étais, en 1917, sous-Secrétaire d'État à la Marine marchande.
Dans cet intervalle, il a perfectionné sa technique, accru son autorité, affermi son crédit en Angleterre où il a pris femme et gendre. II hésite, discute ; Rio et moi insistons. Ce 29 novembre, il part avec l'ordre de mission suivant :
"Monsieur Hypolite Worms est chargé d'une mission spéciale en Angleterre. Il est désigné comme chef de la délégation française à l'exécutif franco-anglais des transports maritimes, et sera, dans ses fonctions, assisté de M. Cangardel, chef de la mission des transports maritimes à Londres. En cette qualité, il sera plus particulièrement chargé des négociations avec les représentants anglais et des arrangements qui devront être étudiés par l'exécutif des transports maritimes, conformément au programme qui lui sera transmis par MM. Daladier et Chamberlain.
M. Hypolite Worms, assisté de M. Cangardel, sera chargé de représenter la France dans toutes les négociations interalliées relatives à l'achat et à l'affrètement des bateaux-neutres. » (Op. cité p.178-179).
C'est cette mission qui valut à M. Worms, d'être l'objet, après l'armistice, d'une violente campagne des journaux parisiens collaborateurs, de L'Œuvre au Pilori et plus particulièrement de Paris-Soir qui ne lui consacra pas moins de quatre grands articles dans ses numéros des 21, 22 et 23 octobre 1940 et 3 novembre 1940.
On nous permettra de reproduire une partie du premier de ces articles dont on jugera tout de suite le caractère lorsque nous aurons précisé que ce premier article était intitulé : "II faut supprimer les trusts" – « Des Juifs ont renié leur origine. Ils n'ont pas pour cela changé de méthode. C'est un de ces convertis qui permit à l'Angleterre de s’emparer de notre flotte de commerce."(6)
On y lisait entre autres, sous la signature de M. Rudy Cantel :
« II est particulièrement intolérable de penser que certaines firmes grâce à la conversion de leurs chefs, pourront continuer leur activité pernicieuse.
Comment peut-on tolérer, par exemple, que M. Hypolite Worms, qui fut, pendant la guerre de 1939-1940, chef de la délégation française à Londres, puisse encore exercer une activité quelconque ?
Hypolite Worms a, par son action raisonnée, centralisé toute l’œuvre de la flotte de commerce française en Angleterre.
Volontairement, cet étrange catholique frais teint(7), avait quitté la mission française, située 2, Dean Stanley Street, pour installer son bureau au siège même du Ministry of Shipping, Berkeley-Square, juste au-dessous du bureau du ministre britannique. La flotte de commerce française, dont les intérêts avaient été confiés à ce bizarre représentant, se trouvait ainsi entièrement placée entre les mains de l'Angleterre.
Cette main-mise préparait le coup le plus cruel qui ait atteint notre flotte de commerce et nos marins : la séquestration de la plus grande partie de nos bâtiments et de leurs équipages dans les ports britanniques.
Alors que les autres membres de la mission française restaient, à Dean Stanley Street, Hypolite Worms emmenait avec lui au Ministry of Shipping son neveu Labbé (de la famille Goudchaux) et M. Meynial, l’un des fondés de pouvoirs de la Banque H. Worms.
Hypolite Worms avait d'ailleurs pris soin de placer tous ses protégés dans des postes importants. M. Louis Vignet, l'un des directeurs de la maison Worms était également pendant la guerre, l'un des grands chefs et des organisateurs du service de la répartition en France. Il était attaché au service de MM. Blum-PIicard et Weil…
M. Fenez, l'un des chefs de services de la Socap (Société de courtage et d'affrètement pétroliers), société appartenant 100% à la maison Worms et à John Isaac Jacob (de Londres) était attaché à Londres, à la mission des charbons, où il est resté d'ailleurs. »
Et dire que cela n'empêcha pas M. Hypolite Worms d'être arrêté à la Libération et poursuivi pour sympathies pro-allemandes, collaboration, etc., etc., alors que, tout de même on savait fort bien qu'en zone occupée, le siège central de Paris et toutes les succursales avaient été pris sous contrôle par les autorités d'occupation.
En effet, la presse parisienne du 9 septembre 1944 annonçait l'arrestation de M. Hypolite Worms et d'un de ses principaux directeurs, M. Gabriel Le Roy Ladurie et les commentaires dont certains journaux accompagnaient ces arrestations ne différaient pas tellement, dans leur esprit, de ceux qu'avaient antérieurement publiés Paris-Soir, Au Pilori, Je Suis Partout, et autres.
Nous avons déjà reproduit, par ailleurs, la lettre courageuse que M. Barnaud avait écrite aux associés de la maison Worms et Cie au lendemain de l'arrestation de M. Worms, et par laquelle M. Barnaud, craignant que sa participation au gouvernement de Vichy n'ait pas été étrangère à l'incarcération de M. Worms, donnait sa démission d'associé gérant de la société Worms et Cie.
M. Worms aurait été remis en liberté provisoire en janvier 1945, ainsi que MM. Gabriel Le Roy Ladurie - décédé d'ailleurs en 1947 après avoir bénéficié d'un non-lieu - et Barnaud qui avait été arrêté peu après ses associés, et qui vient, lui aussi, d'être mis hors de cause fin 1948.
Bien qu'aucune information n'ait été publiée à cet égard, il est vraisemblable que M. Worms a dû bénéficier d'une même mesure.
En ce qui concerne la synarchie, nous ne pouvons que confirmer notre sentiment très net que si la maison Worms et Cie était devenue, et pas seulement dans son département bancaire, une véritable pépinière de recrutement et d'action synarchiques, ce fut à l'entier insu de M. Hypolite Worms et même de ses associés familiaux.
En janvier 1940, la société Worms et Cie avait procédé à l'augmentation de son capital de 4 à 40 millions par répartition de réserves et plus values.
M. Hypolite Worms, dont la participation dans le capital était de 1.003.000 F, reçut ainsi - et conformément aux articles statutaires réglant la répartition des super-bénéfices - une somme de 11.304.692 F, et sa participation sociale fut ainsi portée à 12.307.692 F, chiffres auxquels elle serait encore - à nous en tenir aux documents officiels – actuellement.
Fin 1948, M. Hypolite Worms était président du conseil d'administration des sociétés suivantes :
Société française des transports pétroliers,
Nouvelle Compagnie havraise péninsulaire de navigation à vapeur,
et administrateur de :
Compagnie nantaise des chargeurs de l'Ouest,
Distilleries de l’Indochine,
Société française d'entreprises de dragages et de travaux publics,
La Réunion française et Compagnie d'assurances universelles réunies.
Nous rappelons que nous ne nous référons, à cet égard, qu'aux annuaires publics et aux documents officiels ou officieux. Rien d'étonnant, dans ces conditions, que certaines omissions se glissent dans notre étude.
(A suivre.)
R. Mennevée
P.S. Pour contrôler la présence actuelle de M. Hypolite Worms au conseil d'administration de la Société française des transports pétroliers, nous avions fait demander à cette société un exemplaire du dernier rapport de son conseil d'administration. Le secrétaire général de la SFTP a refusé la remise de ce document en déclarant que le public n'a rien à voir avec les affaires de cette société, oubliant que la SFTP est une société d'économie mixte puisque, si le gouvernement n'est pas actionnaire, il possède des parts de fondateur et a, en outre, donné sa garantie à la société particulièrement en ce qui concerne les appels de capitaux éventuels, et, d'autre part, que la SFTP a fait appel à l'épargne publique pour ses obligations, et sans que cette épargne ait eu spécialement à s'en féliciter. Nous reviendrons sur cette société dans les chapitres "Filiales et Participations", mais nous pouvons déjà demander les raisons d'une telle discrétion. Nous n'oublions pas, en effet, que dès les premiers mois de la création, certaines méthodes d'activité de la SFTP soulevèrent les protestations à peu près unanimes de la presse - de l'Action française au Peuple (syndicaliste) en passant par Nouvel Âge, Messidor (socialiste) et même la presse technique (voir l'Usine), et les explications fournies par le ministre de la Marine - M. de Chappedelaine - en réponse à l'intervention de M. Henri Nader qui s'était fait l'écho de ces protestations à la tribune de la Chambre (19 décembre 1938) étaient d'autant moins convaincantes que le même ministre, invité, comme nous l'avons dit, à la cérémonie d'arrivée au Havre des navires achetés par la SFTP à l'étranger (c'était cet achat qui avait surtout soulevé les protestations) avait excipé des "engagements antérieurs" pour laisser M. de Monzie, ministre des Travaux publics et ami personnel de M. Worms, aller seul accueillir la "flotte" de la SFTP.
Doit-on croire que cette société n'est pas sans craindre de soulever quelque nouvelle ire ? Car, si elle n'avait rien à dissimuler pourquoi ferait-elle preuve d'une telle discrétion, qui, quoiqu'on en puisse penser boulevard Haussmann n'est compatible ni avec le fait de bénéficier d'une garantie de l'État français, ni, et, encore moins, avec celui d'avoir fait appel à l'épargne publique.
Aussi, M. Hypolite Worms, président de la Société française des transports pétroliers, nous permettra-t-il de lui suggérer d'inviter le haut personnel administratif de la SFTP à faire moins preuve d'un tel esprit de "clandestinité" qui n'est certainement plus de saison.
R. M.

(1) La première partie de cette histoire de la Banque Worms et Cie a été publiée dans nos Documents de 1948, fascicules de janvier, février, mars, mai, juin, août et décembre.

(2) L'autre était la maison Nunzi et Cie.

(3) Sur la Marine marchande voir les débats parlementaires de 1915-1918 et spécialement pour la Chambre des députés : séances des 23, 24 et 27 novembre 1916, 22 juin 28 et 30 juillet 1917, 1er et 2 août, 21 et 26 novembre 1918.

(4) Bien entendu, nous ne prétendons pas être absolument complet dans cet exposé : d'une part il n'existe pas de recueils centralisant les affaires constituées en province, et, d'autre part, comme nous l'avons déjà dit, et comme nous le montrerons encore, la société Worms et Cie oublie souvent de se conformer aux prescriptions légales concernant la publicité des sociétés.

(5) Exactement ce fut au début de 1937 - nomination ratifiée par l'assemblée du 21 avril 1937.

(6) Une autre édition du même n° portait le titre résumé suivant : "Grâce à un Juif converti les Anglais avaient accaparé notre marine marchande".

(7) M. Worms était catholique de naissance.

 

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