1948.04.00.De Hypolite Worms.Alger.Discours

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[Note manuscrite : Exemplaire emporté par M. Worms. Départ de M. Worms le 28 mars 1948 de Marseille sur "Ville-d'Oran".]

Mes chers amis,
S'il n'avait tenu qu'à moi, je n'aurais pas attendu si tard pour venir vous voir et vous apporter l'hommage mérité par votre magnifique effort durant les longs jours de la séparation où votre succursale eût à tenir et à défendre le pavillon de la Maison et son honneur.
Les circonstances m'en ont empêché. Je m'en excuse sans trop le regretter d'ailleurs puisque, ainsi, j'ai pu faire coïncider ma visite avec l'anniversaire du Centenaire de notre Maison.
La belle page que vous venez d'écrire ajoute ainsi à votre histoire déjà longue, et puisque j'ai fait allusion au Centenaire de notre Maison et qu'à cette occasion nos vieilles archives ont été ouvertes, il vous intéressera sans doute de parcourir avec moi, très vite d'ailleurs, les principales étapes de votre activité.
Évoquer le passé c'est d'ailleurs, voyez-vous, le meilleur moyen de ne pas trop se laisser décourager par le présent et d'y puiser, au contraire, de nouveaux motifs d'espoir dans l'avenir.
C'est en 1851 que le nom de la Maison Worms apparaît pour la première fois à Alger, à l'occasion d'une première affaire d'approvisionnement de charbons de Cardiff, traitée pour la Marine nationale.
Trois ans plus tard, en 1854, les préparatifs de la guerre de Crimée sont l'occasion pour nous, de constituer des stocks dans différents ports de la Méditerranée, dont 600 tonnes encore pour votre port.
Mais ce n'est qu'en 1891, devant le développement continu de nos affaires charbonnières, que se réalise notre installation définitive en Algérie, par l'ouverture d'une succursale dont les bureaux étaient situés tout près d'ici, au 19, boulevard de la République.
A peine installée, la nouvelle succursale emporte sur ses concurrents locaux une adjudication particulièrement importante de la Marine nationale, pour Alger, Oran, Bône et Philippeville, les contrats s'étalant sur trois ans.
Ce succès, comme vous le pensez, n'est pas sans susciter l'envie des rivaux évincés, qui n'hésitent pas à porter leur dépit sur la place publique. D'où, l'origine d'une polémique de presse intéressante à noter, à titre d'anecdote.
Le journal "La Bataille", du 24 février 1892, avait intitulé son article :
"L'Amirauté d'Alger - Les fournitures de charbon pour la flotte française, confiées aux Anglais."
Vous voyez qu'en ce temps-là, déjà, on n'était pas très difficile sur les procédés dont on usait.
Ceci ne nous empêcha d'ailleurs pas de subir, quelques années plus tard, à Port-Saïd, des critiques semblables mais inverses, encore que plus fondées cette fois, les plaignants n'étant plus des Français, mais des maisons anglaises, qui reprochaient véhémentement à leur amirauté, d'utiliser les services d'un fournisseur français. Scandale intolérable, comme vous pensez, qui eut des échos jusqu'aux bords de la Tamise, au Parlement lui-même.
Au cours de ces premières années d'ailleurs, la Maison noue de solides et précieuses amitiés en Algérie. Une des premières est celle qui nous lie avec la Maison Schiaffino, et vous savez que nos relations avec elle n'ont cessé de se fortifier et de s'amplifier.
C'est la Maison Schiaffino qui avait organisé la première réception de charbons que nous avions traitée pour les Chemins de fer algériens, et je rappelais, il y a quelques années, lors du lancement du "Charles-Schiaffino", dans les Chantiers du Trait, que c'était précisément avec ce Charles Schiaffino, père de notre ami, Laurent Schiaffino, que nous avions eu notre premier contact.
Si j'évoque ces souvenirs et cette amitié, c'est pour les montrer comme l'exemple de ce que peut donner l'entente profonde de maisons qui s'appuient l'une et l'autre sur de vieilles et nobles traditions.
Puis, après les affaires charbons, c'est la participation de plus en plus active de notre succursale dans les affaires maritimes.
La prise de contrôle de la Compagnie havraise péninsulaire par notre Maison, en marque une phase particulièrement intéressante pour vous, en vous permettant d'intervenir dans le trafic de et pour l'océan Indien et, d'autre part, de la Méditerranée sur les ports du nord et vice versa.
C'est encore votre succursale qui inaugure l'activité de la Maison dans le domaine aérien, avec la représentation générale d'Air France : expérience heureuse dont vous profitez largement aujourd'hui.
J'aurai ainsi à peu près restitué votre physionomie au moment où, après les tristes événements de 1940, le centre de gravité de l'activité maritime française va se trouver refluer sur la Méditerranée, laissant prévoir le rôle particulièrement important qu'allait jouer votre port dans la succession des événements.
Mais avant que ceux-ci ne se déclenchent, une extension nouvelle est donnée à vos affaires par la création d'une branche importante des Services bancaires qui, très vite, joue sa partie et se taille une place enviée.
Ainsi, par une évolution continue et logique, votre succursale se trouve constituer une reproduction presque exacte du siège, à la veille des graves événements qui, ainsi que je le rappelais au début, ont fait d'elle son prolongement et, en quelque sorte, son second cœur. Et c'est novembre 1942.
De fait, les épreuves ont pu surgir et naître les difficultés, tout était paré, et la barre a été tenue par des mains vigoureuses et fermes.
Il est juste que ma reconnaissance aille d'abord aux pilotes, à vos deux directeurs d'alors : Dhorne et Guérin.
Si le premier est en ce moment loin de nos yeux, à Dunkerque, où il s'est rapproché du berceau de sa famille, à un poste que nous n'avons pu que lui accorder, où il réalise enfin ses plus constants désirs, je suis sûr qu'il est présent dans nos pensées à tous. J'ai du moins la joie d'avoir à mes côtés Lucien Guérin. Je leur rends ainsi publiquement hommage pour le dévouement, le courage et l'intelligence qu'ils ont déployés pendant toute cette période véritablement cruciale.
A la propre angoisse que nous ressentions nous-mêmes, tandis que dans la métropole augmentaient les difficultés et les épreuves de toutes sortes, s'ajoutait encore l'inquiétude de les savoir isolés, livrés à eux-mêmes. Nous nous imaginions bien ce qu'allait représenter pour eux cet afflux de responsabilité, ces nécessités de résoudre à chaque instant des problèmes complexes et délicats, où n'étaient pas seulement en jeu les intérêts matériels qui leur étaient confiés, mais la réputation même et les intérêts moraux de notre Maison.
Notre anxiété ne portait d'ailleurs nullement atteinte à notre confiance, et il m'est agréable de dire que vous avez satisfait, les uns et les autres, au poste qui vous était imparti, à toutes les exigences de notre fierté.
C'est vous, mon cher d'Avezac, qu'il me faut féliciter maintenant, vous qui, après avoir brillamment oeuvré aux côtés de vos chefs successifs, avez été désigné pour recueillir leur héritage.
C'est également votre camarade d'équipe, Reumaux, qu'il me faut mentionner. Vous connaissez tous les deux, mieux que quiconque, le secret de toute réussite. Il n'est que de continuer dans la même voie tracée par vos devanciers.
Puis, c'est Dubost, qui a également marqué son passage parmi vous et qui, depuis, a été appelé à assumer d'autres responsabilités.
Je sais, mon cher Lelièvre, qu'en lui succédant vous ne faillirez pas vous-même, à la tête des Services bancaires d'Alger, à cet esprit d'équipe qui s'est fortifié et grandi au feu des réalités. Le maintien de cette cohésion est le plus sûr garant, je vous le répète, des victoires de demain.
Je vois également Pascal Rougé et son lieutenant, Jean Rambaud, à qui j'ai demandé de se joindre à nous, n'ayant pu prévoir, dans la suite de mes déplacements, et je le regrette, un crochet sur la Tunisie. Je vous demande, lorsque vous y retournerez vous-mêmes, de vous faire mon interprète auprès de votre personnel, et de lui dire tout le plaisir que j'aurais eu à prendre contact avec eux.
Je sais, mes chers amis, la part que vous avez prise à la création de nos deux succursales de Tunis et Sfax. J'ai d'ailleurs encore présent à l'esprit le télégramme que, sous la forme familiale autorisée à ce moment, nous adressait le pauvre Lebrun-Desoie, pour nous annoncer la naissance de ces deux nouvelles "filles".
Il ne m'eût pas été permis, au cours de ces évocations, d'oublier de mentionner le nom de celui qui fut un de vos grands directeurs et qui sut imprimer à votre succursale, au lendemain du départ de M. Charles Rouyer, que quelques-uns d'entre vous ont certainement connu et que je me garderais aussi d'oublier, une activité qui l'égala bien vite à nos plus importantes succursales de la métropole.
... Lebrun-Desoie : collaborateur d'élite, dont la disparition par trop prématurée nous a causé une des plus grandes peines que nous ayons éprouvées. Je le vois, toujours tourmenté d'action, inlassable, et comme brûlant d'un feu intérieur que révélait parfois l'éclat de ses prunelles.
Mais l'entente entre les chefs ne serait rien si elle ne se complétait de la confiance qui doit les unir à tous leurs subordonnés.
Vous comprendrez donc mon désir d'associer à l'hommage collectif que je veux vous rendre, tout le personnel ici présent, que je suis heureux d'avoir pu réunir autour de moi, pour lui dire toute ma reconnaissance et toute ma sollicitude et, d'entre vous tous, comment ne mentionnerais-je pas, d'une façon toute spéciale, notre vieil ami Hérand, que je vois ici après 51 années déjà passées au service de notre Maison, et qui font certainement de lui le doyen de nos collaborateurs.
Qu'il soit remercié pour ses bons et loyaux services.
Et après lui, Honakaer, qui vient ensuite au palmarès avec 44 ans d'ancienneté, suivi de Fourrey, qui tout de même peut aligner 31 ans de présence. Ils attestent à la fois la fidélité du collaborateur et la pérennité de la Maison à laquelle ils se sont attachés.
Au regard de tant de dévouement et de tant d'attachement, dont vous nous donnez ici et ailleurs si souvent la preuve, comment pourrais-je ignorer ce que sont pour vous toutes les difficultés de l'heure ?
Je puis vous assurer, mes chers amis, qu'elles sont l'objet de nos préoccupations constantes et que nous y appliquons tous les moyens que veut bien nous laisser une législation dont il s'agit beaucoup moins de suspecter les intentions que de souligner combien elle alourdit et entrave des initiatives qui devraient être fécondes.
Continuez à nous faire confiance, et sachez ne laisser porter aucune atteinte à la cohésion qui a fait Jusqu'ici votre force et celle de la Maison.
J'ai sans doute suffisamment parlé et il serait temps que je termine ce bavardage.
S'il fallait, mes chers amis, par un propos plus concis résumer le sentiment que j'éprouve, il me suffirait de vous rappeler les mots qui terminaient le premier rapport que nous avons reçu de vous, après la Libération : « Nous espérons avoir réussi à sauvegarder cette part importante du patrimoine de la Maison qui nous est échue en 1942, et surtout avoir maintenu l'esprit d'équipe que nous avons toujours connu. »
Oui, soyez-en certains, cela n'a pu être sauvé que par ceci.
Ne laissez donc pas perdre cet esprit d'équipe, fortifiez-le, au contraire.
Votre succursale se trouve aujourd'hui en pleine possession de tous ses moyens. Avec nos installations tunisiennes, marocaines et égyptiennes, elle fait partie d'un ensemble puissant, qui peut être mis au service, non seulement de notre Maison, mais je ne crains pas de le dire, au service de la France et de son empire. Vous êtes donc encore à pied d'œuvre pour affronter toutes les tâches.
Soyez convaincus, en tout cas, que si des difficultés nouvelles devaient s'offrir à nous, nous en viendrions à bout encore une fois, en les considérant, ainsi que le conseille la sagesse, comme la matière même de nos efforts. Mais retenez que c'est dans votre esprit d'équipe que vous trouverez le soutien nécessaire et, comme il a été la clé de vos réussites d'hier, c'est lui encore qui commandera vos succès de demain.


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