1948.00.Historique de la Maison Worms et Cie (1848-1874)

Note de synthèse préparatoire à la rédaction
du livre intitulé Un Centenaire - 1848-1948 - Worms & Cie,
paru en octobre 1949

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Historique de la Maison Worms & Cie
Depuis les origines jusqu'à la constitution de la Société Hypolite Worms & Cie
(1848-1874)

 

1. 1848-1851
Vers le milieu du mois de novembre 1848 arrivèrent à Dieppe deux navires, le "Henry & Elisabeth" et l’"Echo", porteurs de deux cargaisons de charbon en provenance de la région de Newcastle et formant un total de près de 425.000 kilos. Ce fait n'a en soi rien qui puisse paraître anormal dans la vie d'un port voisin de l'Angleterre, mais il prend une signification particulière si l'on tient compte que les deux chargements étaient destinés à des maisons de la région rouennaise et que leur arrivée suivait de peu la mise en service de la ligne de chemin de fer de Malaunay à Dieppe, ouverte au trafic le 1er août 1848. L'opération avait été réalisée sur l'initiative et par les soins de Monsieur Hypolite Worms, négociant à Paris, rue Laffitte n°46. C'est à elle que remonte l'origine de la Maison connue actuellement sous la raison sociale : Worms & Cie.
Grand-père du gérant actuel, de mêmes nom et prénom, lorrain d'origine, M. Hypolite Worms était alors âgé de 47 ans. Installé à Paris depuis plusieurs années, il possédait déjà une longue expérience commerciale, acquise à Rouen dans le commerce des tissus, puis à Paris dans le commerce de banque, qu'il avait exercé, d'abord comme associé des frères Goudchaux et ensuite pour son compte personnel. En dernier lieu, après avoir tenté quelque temps l'exploitation d'un entrepôt de charbons de terre belges à La Villette, il entreprit en 1845 la fabrication et la vente du plâtre, auxquelles il se proposait de donner un grand développement. Il étendit ses opérations en France jusqu'à Auxerre, Bourges, Châteauroux, Tours, Rouen, Le Havre, Dieppe, etc., chercha des débouchés en Angleterre et fut alors amené à se préoccuper de trouver un fret de retour susceptible de faciliter l'affrètement des navires.
Il est naturel de voir, dans cette dernière préoccupation, l'origine de l'idée qui provoqua son initiative relative à l'importation de charbons anglais, mais le but qu'il se proposait à la fin de l'année 1848 était bien plus large. Il ne s'agissait plus de la mise en œuvre occasionnelle d'un moyen d'action accessoire, ni d'une simple expérience : « Mon intention, écrit-il vers cette époque, est de donner un grand développement au commerce des charbons pour la France. Mais comme il faut un commencement à tout, je porte mon attention d'abord sur les vallées de la Seine inférieure où se fait une forte consommation de charbons et ces vallées je veux les desservir au moyen du chemin de fer de Dieppe à Rouen, concurremment avec la rivière la Seine et même par l'un et l'autre moyens, selon que les frets seront plus favorables soit au port de Dieppe, soit directement au port de Rouen. C'est à Rouen, continue-t-il, que viennent se vendre concurremment et les charbons anglais et les charbons belges, les premiers plus appréciés comme qualité, se vendent plus cher, les deuxièmes, quoique de bonne qualité, sont réputés inférieurs comme caloriques aux charbons anglais, mais se vendent bien moins cher. Si les propriétaires de mines de Newcastle ou Sunderland voulaient limiter leurs prix de vente aux dernières extrémités du possible, je pourrais battre les charbons belges au moyen des charbons anglais, ils pourraient être assurés d'une consommation énorme dans ce seul département (Seine inférieure). »
Cette lettre témoigne à la fois de la fermeté de sa décision et de la confiance qu'il avait dans le succès. Depuis quelques années, la France avait réalisé de grands progrès dans l'emploi de la machine à vapeur, une vigoureuse impulsion avait été donnée à la construction des chemins de fer par la loi du 11 juin 1842, qui avait fait de Paris le centre de rayonnement des voies ferrées vers les frontières. Parallèlement, la production de la fonte et du fer au combustible minéral se substituait rapidement à leur production au charbon de bois, en même temps que s'augmentait leur consommation ; l'industrie gazière bénéficiait elle-même d'un véritable engouement après avoir connu des débuts difficiles. Il en était résulté une grosse augmentation de la consommation de charbon. Pour y faire face la France faisait de plus en plus appel à la production étrangère. Les charbons belges étaient les principaux bénéficiaires de cet état de chose ; ils prenaient dans l'importation une part bien plus importante que les charbons anglais et réalisaient des progrès plus rapide(1). Ce fait était d'autant plus remarquable que les charbons anglais étaient depuis longtemps très appréciés en France et qu'à la veille de la Révolution l'importation anglaise constituait les trois quarts de l'importation totale et près du tiers de la consommation française.
Tombée à rien pendant le blocus continental, leur importation s'était trouvée fortement entravée ensuite par la législation douanière française, qui faisait bénéficier les charbons belges d'une tarification plus avantageuse. Ce n'est que lorsque cette législation a été modifiée en 1836 et 1837 par la réduction des tarifs applicables aux charbons importés par mer, que l'importation anglaise put reprendre une certaine importance. Même alors, grâce aux facilités de transport que donnait la voie d'eau intérieure, les charbons belges continuèrent à éliminer presque complètement les charbons anglais du département de la Seine et à trouver des débouchés au Havre ; à Rouen, ils continuèrent à dominer le marché, les charbons anglais n'y soutenant la concurrence que dans les cas où le prix n'était pas la seule cause déterminante du choix des acheteurs.
Ces faits n'étaient pas ignorés de H. Worms. La mise en service de la ligne de chemin de fer de Malaunay à Dieppe, qui ouvrait aux marchandises arrivées par mer une voie d'accès rapide vers la région rouennaise, semblait devoir donner des facilités pour la réalisation de ses projets. On peut la considérer comme le fait décisif qui le détermina à agir. Dès le mois d'octobre, par l'entremise de la maison de banque M. Goudchaux et Cie, de Londres, dont le directeur était frère de ses anciens associés, il se renseignait sur les charbons les plus couramment envoyés d'Angleterre en France, faisait acheter les premières cargaisons dont il envisageait l'expédition et concluait les affrètements nécessaires.
Les premières expéditions lui permirent de se rendre compte des difficultés à vaincre. Résolu à aller rapidement de l'avant il décida d'avoir immédiatement un représentant à Newcastle, pour donner ses soins au choix du combustible et surveiller le chargement des navires. L'agent qu'il choisit pour remplir cette mission rejoignit son poste le 19 décembre 1848.
Parallèlement il procédait à la mise sur pied en France d'une organisation correspondant à la première partie de son programme. Après avoir hésité entre Dieppe et Rouen, il opta définitivement pour Rouen. Il prit pour agent dans cette ville un de ses amis, M. Chabert qu'il avait chargé précédemment de procéder à une enquête dans la vallée de la Seine et dans les stations de la ligne de Dieppe. Il se contenta d'avoir à Dieppe un correspondant pour la réception des navires et les affrètements.
Peu après, il s'adjoignit un autre collaborateur, M. Rosseeuw, ancien représentant de maisons étrangères, avec lequel il était depuis longtemps en relations. Il le chargea d’abord d'étudier sur la place de Dieppe s'il y avait moyen d'y créer un mouvement important de marchandises en transit, puis il l'envoya au Havre, dans le courant du mois d'avril, pour s'occuper des charbons qu'il avait commencé à importer dès le mois de janvier. M. Rosseeuw s'installa 4, rue de la Gaffe, et loua sur le quai, vers le milieu du bassin Vauban, un chantier pouvant convenir à la fois pour le plâtre et pour le charbon.
Malgré la concurrence locale, malgré aussi les effets de la crise économique qui s'était déclarée en 1847 et les troubles politiques de 1848, H. Worms enregistra, dès le début, aussi bien à Rouen qu'au Havre, des résultats encourageants. Pendant quelque temps encore, il consacra cependant une partie de son activité au perfectionnement de son organisation qu'il désirait mettre au point, en vue d'étendre ses opérations à tout le littoral, depuis Boulogne jusqu'à Bordeaux, et de prendre part aux adjudications du gouvernement.
Dans cet ordre d'idées, il décida, à la fin de l'année 1849, de confier à M. Rosseeuw d'autres missions. Il le remplaça au Havre par un nouveau collaborateur, M. Mallet, dont le nom devait rester associé pendant de nombreuses années à l'histoire de la Maison Worms et envoya M. Rosseeuw à Newcastle avec entre autres missions celle « d'établir des rapports avec ce pays sur des bases plus rationnelles ». De ce séjour datent les premiers marchés importants conclus par H. Worms avec les mines anglaises.
Peu de temps après, en mars, il s'entendit avec un négociant de Bordeaux, qui accepta d'agir pour son compte sur cette place.
Dès les premiers mois de l'année 1850, il donna suite à son intention de participer aux adjudications des grandes administrations françaises et obtint deux fournitures importantes pour l'époque pour compte du ministère de la Marine, l'une le 28 mars 1850, de 2.000.000 de kg à faire à Cherbourg, l'autre, peu après, de 2 500.000 kg à faire à la Martinique.
A la même époque, il enregistra un autre succès non moins marquant en devenant fournisseur de la New York & Havre Steam Navigation Cy pour le charbon qui serait nécessaire au service direct de navigation que cette Compagnie s'apprêtait à exploiter entre New York et Le Havre. Il s'engageait à avoir toujours à la disposition de cette Compagnie une quantité de huit cents tonneaux de charbon aussi longtemps qu'il n'y aurait qu'un bateau en cours de voyage, à augmenter cette quantité lorsque la ligne serait desservie par deux bateaux, à mettre sept à huit cents tonneaux à bord des steamers et à les arrimer dans l'espace de cinq jours après avoir reçu la veille l'ordre d'embarquer.
La navigation transatlantique à vapeur n'avait donné lieu en France jusqu'alors qu'à des tentatives infructueuses. La dernière, celle de MM. Hérout & de Hendel, à qui le gouvernement français s'était décidé à concéder le service postal du Havre à New York, à l'occasion de l'ouverture en 1847 de la section Rouen-Le Havre du chemin de fer de Paris au Havre, avait été abandonnée dès le début de 1848.
Le service de la New York & Havre Steam Navigation Cy fut inauguré par le "Franklin" et doublé quelques mois après par le "Humboldt".
L'arrivée du "Franklin" au Havre à son premier voyage eut lieu le 19 octobre 1850. L'événement provoqua un vif intérêt et fut l'occasion de deux banquets offerts l'un par le haut commerce havrais, l'autre par les armateurs et le capitaine à bord du navire ; des notabilités parisiennes furent amenées au Havre pour la circonstance par train spécial. M. de Lesseps représentait le ministre des Affaires étrangères. Des comptes rendus pompeux et des descriptions romantiques furent publiés dans la presse. Le "Franklin" quitta le Havre le 31 octobre après avoir pris 800 tonnes de charbon au dépôt constitué par H. Worms.
Ces trois succès débordaient du cadre des succès locaux obtenus précédemment par ses agents au Havre et à Rouen et l'encouragèrent à étudier les affaires importantes qui se présentaient en France pour les différentes régions du territoire métropolitain, pour les colonies et même pour l’Amérique. Dès l'année suivante (1851) il enregistrait de nouveaux progrès qui témoignent de l'ampleur de ses vues et de l'extension qu'il désirait donner à sa Maison. Il traita d'abord un marché pour une fourniture, en participation, pour Buenos Aires, puis le 2 mai un autre du même genre avec la maison Dreyfus Aîné & Cie pour l'envoi d'un chargement à Rio de Janeiro environ tous les mois, pendant une année. Il commença, en outre, à étudier des propositions qui lui étaient faites pour des fournitures aux Compagnies de bateaux à vapeur qui assuraient le service entre Panama et San Francisco, où la fièvre de l'or régnait depuis 1848. Son attention se porta surtout sur la Méditerranée où il désirait participer aux adjudications que l'administration française ouvrait périodiquement pour le ravitaillement des navires affectés au service postal entre Marseille et le Levant. Vers le mois d'avril 1851, il fit une première tentative qui resta infructueuse, mais au mois de juillet suivant, il réussit à obtenir une fourniture pour Marseille et une autre pour Constantinople. Dans les deux cas il n'avait pas hésité à envoyer à l'avance quelques chargements à Marseille pour être mieux en mesure, en cas de succès, de remplir rapidement ses engagements. Il envisageait d'ailleurs de s'installer à Marseille si l'affaire donnait de bons résultats, car il prévoyait que dans un avenir prochain les fournitures aux vapeurs des postes allaient prendre une plus grande importance.
Créé en 1857 par le gouvernement français, ce service était devenu très onéreux pour l'état et se conciliait mal avec les besoins du commerce. Le gouvernement avait décidé de faire appel à une entreprise privée et avait engagé des négociations avec les Messageries nationales, qui depuis longtemps se consacraient aux transports par diligences, mais voyaient leur activité réduite par la création des chemins de fer. Ces négociations avaient abouti à une convention qui fut signée avec le ministère des Finances le 28 février 1851 et fut ratifiée par la loi du 8 juillet 1851.
H. Worms n'avait pas attendu pour agir. En même temps qu'il préparait les adjudications de l'état, il prenait des dispositions pour être prêt à concourir pour celles que les Messageries nationales seraient vraisemblablement amenées à ouvrir. La première eut lieu à Marseille, au mois d'août. Elle portait sur 49.200 tonnes à fournir dans ce port et dans différents autres en 15 mois, du 1er octobre 1851 au 31 décembre 1853. Elle constituait un événement commercial d'importance. H. Worms envoya son collaborateur, M. Rosseeuw, pour soumissionner. La fourniture lui fut attribuée pour tous les ports sauf pour Marseille, qui fut donnée à un concurrent de la place. H. Worms devenait ainsi adjudicataire pour 23.600 tonnes de charbon de Cardiff et 13.600 tonnes de charbon de Newcastle réparties entre Civitavecchia, Le Pirée, Athènes, Smyrne, Constantinople, Alexandrie et Malte (18.000 tonnes pour ce dernier port seul). Ce beau résultat ne pouvait manquer d'avoir d'heureuses conséquences sur le développement ultérieur de ses affaires. Le débouché qui lui était ainsi ouvert était important par lui-même et aussi pour les facilités qu'il allait lui donner pour d'autres affaires dans les régions méditerranéennes, où il entrevoyait de grandes opérations et un grand mouvement de navires à vapeur. Les correspondants qu'il eut à choisir dans les ports d'arrivée pour les soins nécessaires aux cargaisons étaient des intermédiaires tout indiqués pour la recherche d'affaires locales, mais il porta surtout ses efforts dans les ports italiens, en raison des progrès qu'y avait réalisés la navigation à vapeur et de la fréquence des relations maritimes avec Marseille.
Presque aussitôt après l'adjudication, il donna suite à son projet d'établissement à Marseille, afin d'avoir plus de facilités pour conclure des marchés avec les autres armateurs. Il installa sa nouvelle maison 26, rue Grignan, mais, peu après, dut se séparer du collaborateur qu'il avait pris pour la diriger ; il se borna alors provisoirement à faire appel au seul concours du négociant de la place auquel il s’était adressé précédemment.
Bien que la Méditerranée prit ainsi subitement une grande place de ses préoccupations, il ne se détourna cependant pas des buts qu'il s'était proposés d'atteindre sur les côtes de l'Atlantique et dans la Seine inférieure. Il encouragea les efforts de son correspondant de Bordeaux qui éprouvait de grandes difficultés mais ne désespérait pas d'arriver à de bons résultats. En même temps, il procéda à de premières démarches à Nantes et auprès du chemin de fer de Tours à Nantes dont les travaux avançaient.
Au Havre et à Rouen où ses affaires prenaient un bon développement, il apporta à son organisation un changement important qui fut l'origine d'une longue et très étroite collaboration avec des négociants de ces deux villes. Au Havre, il s'associa avec M. Hantier, de la Maison Hantier & Fils, Martin & Cie. Les deux maisons se réunirent en une seule sous la raison sociale Hantier et Mallet. H. Worms cédait ses affaires à M. Mallet, son gérant du Havre, qui devenait l'associé de M. Hantier. Il était convenu que la nouvelle maison se consacrerait uniquement au commerce des charbons anglais. H. Worms s'interdisait toute opération de charbons anglais sur la place, mais par contre les affrètements dans les ports du nord de l'Angleterre (Newcastle, Blyth et Sunderland) seraient faits par sa maison de Newcastle et celle-ci chargerait et expédierait les navires ; les mêmes avantages lui étaient réservés pour tout autre port de la Manche de Bristol pour le cas où il s'y établirait. Il fut convenu en outre que les deux maisons s'entendraient à l'avenir pour les achats aux mines de manière à pouvoir obtenir d'elles de meilleures conditions.
A Rouen il s'entendit de même, au mois de décembre 1851, avec un négociant de la place, M. Grandchamp, en vue de la vente des charbons anglais "dans la vallée". Les deux maisons convinrent de négocier en commun un traité avec les chemins de fer en vue d'obtenir une réduction des tarifs pour les transports de Dieppe à Rouen et aux points intermédiaires. Le traité en question fut effectivement négocié au début de l'année 1852 et portait sur un tonnage de 25.000 tonnes au minimum pour une année. Cette entente fut consolidée et transformée vers le milieu de l'année 1853 en une association de même genre que celle que H. Worms avait conclue avec M. Hantier. H. Worms s'engagea alors à liquider sa succursale de Rouen et s'interdit de faire le commerce sur cette place et sur celle de Dieppe. La nouvelle société prenait le nom de Grandchamp Fils & Cie, seul gérant et au nom de qui devraient être faits les achats dans les différents bassins houillers, les affrètements en Angleterre étant réservés aux maisons de H. Worms. Le capital était fixé à 200.000 F dont un quart à la charge de H. Worms.
En même temps qu'il prenait ces mesures, H. Worms apportait également quelques modifications à son organisation en Angleterre. Au début de l'année 1851, il décida de présenter sa maison de Newcastle sous le nom "Hypolite Worms" et d'en faire traiter désormais toutes les affaires sous ce nom de manière à mieux faire ressortir le lien existant ainsi entre elle et ses succursales françaises.
Quelques mois après, en septembre, il ouvrait une succursale à Cardiff. Depuis la fin de l'année 1849, il s'était efforcé de recueillir des renseignements sur les charbons de cette provenance, moins répandus et moins connus en France que les charbons de Newcastle. En mars 1850, il en avait acheté deux petites cargaisons puis, quelque temps après, en prévision du charbonnage du "Franklin", il avait conclu un marché de 1.000 tonnes à titre d'essai. Il acquit bientôt la conviction que le charbon de Cardiff était appelé à jouer un grand rôle et prit la décision d'avoir sur place une maison à lui. On peut dire que cette mesure était une nouveauté pour l'époque, car il semble que H. Worms ait été le premier exportateur de charbons anglais établi à la fois dans le bassin minier de Newcastle et dans celui de Cardiff. Si l'on tient compte du développement colossal que devait prendre par la suite l'exportation des charbons de Cardiff, on peut juger la justesse de vues qui avait inspiré sa décision et l'importance qu'elle avait pour l'avenir.

2. 1851-1856
Arrivé à cette étape, H. Worms avait donné à sa maison les fondements essentiels et l'orientation qui caractérisent encore actuellement une branche importante de l'activité de la société Worms & Cie. Pour la première fois en 1851 il fit mentionner son nom dans la rubrique "charbon" de l'Almanach Bottin pour Paris avec l'indication : "charbon anglais, maisons à Rouen, Havre, Newcastle-on-Tyne, Laffitte, 46".
L’annonce qui figurait encore à cette date dans la nomenclature des "fabricants de plâtre", à la même adresse : "Fab. aux Buttes St Chaumont, machine à vapeur, dépôts sur toutes les lignes de chemin de fer et dans toutes les stations" témoigne de l'importance qu'il avait donnée également à cette branche de ses affaires, mais peu après il cessa d'en assumer la direction et, à partir de 1852, le commerce des charbons resta sa seule préoccupation. Il prévoyait pour lui de plus amples développements, non seulement par suite de l'activité économique générale, mais aussi grâce aux avantages que lui assurait l'organisation qu'il avait réalisée. Ces avantages il les voyait lui-même, d'abord dans sa qualité de négociant non inféodé à une ou plusieurs mines, qui constituait pour ses clients une garantie pour le choix des charbons les plus appropriés à leurs besoins. L'existence de sa maison à Cardiff augmentait la valeur de cette garantie, en même temps qu'elle lui permettait de lutter contre les exigences sans cesse croissantes des mines de la région de Newcastle.
D’autre part, la quantité de charbon dont il avait l'emploi lui donnait le moyen de conclure des contrats avec plusieurs mines, de sorte que, dans le cas de difficultés pour le chargement dans une d'elles, par suite de grève, d'encombrement, etc., il avait la ressource de recourir à d'autres pour éviter des retards. Assurés de trouver auprès de lui une expédition rapide, les capitaines se montraient plus disposés à lui consentir des avantages pour les affrètements de leurs navires. Enfin, les courtiers d'affrètements, sachant qu'il avait toujours plusieurs affaires en mains, s'adressaient fréquemment à lui en premier.
Les affrètements conclus dans de pareilles conditions assuraient eux-mêmes aux acheteurs plus de garanties que ceux exécutés par des agents moins connus, ou par des courtiers intéressés à favoriser les armateurs, ou par des propriétaires de mines, plus soucieux de charger le charbon que du prix du fret.
H. Worms se sentait désormais capable de livrer partout, aussi bien que toute maison anglaise et d'aborder "les grandes affaires dans tous les points du globe où l'on consommait du charbon". En fait, il continua à faire quelques expéditions en Amérique du Sud, vers la Guyane et les Antilles françaises, pour compte d'entreprises privées, puis pour le Cap de Bonne-Espérance, la mer des Indes et celle de Chine (Singapour, Macao, Shanghai, Manille) pour la Marine française. Au cours de l'année 1853, donnant suite aux études qu'il faisait depuis plusieurs mois, il effectua, en participation avec d'autres maisons, des envois importants à destination de San Francisco. Devant l'augmentation rapide des besoins de cette région, il songea même à établir un courant régulier d'affaires, mais l'instabilité du marché et la concurrence que les charbons américains, voire même australiens, ne tardèrent pas à faire dans le pays aux charbons anglais, l'amenèrent assez vite à renoncer à ce projet.
Ces affaires avec les pays lointains étaient malgré tout d'importance secondaire et irrégulières. Le marché français et le marché méditerranéen étaient de beaucoup les plus importants.
Après la crise économique de 1847, les grandes nations industrielles s'étaient remises au travail. Retardée par les troubles de 1848, la France était enfin entrée elle-même dans une période d'activité économique intense. D'autre part, sous l'influence des idées libre-échangistes, des réductions furent introduites de 1853 à 1855 dans divers postes du tarif des douanes, en particulier dans celui de la houille. Celle-ci devint le signal d'une lutte ardente sur le marché de Rouen entre les houilles anglaises et celles de Belgique et du nord de la France. En même temps, les progrès réalisés par la construction des voies ferrées dans l'ouest et le sud-ouest de la France posaient la question de leur ravitaillement par les ports de Bordeaux et de Nantes.
La navigation à hélices, qui passionnait le monde maritime, commençait à entrer dans le domaine des réalisations pratiques. Tenu au courant par sa maison de Newcastle des premiers résultats obtenus par l'emploi des navires à hélices pour le transport du charbon de Newcastle à Londres, H. Worms vit en lui de moyen de pourvoir aux nouveaux développements de ses affaires. L’arrivée à Rouen, en novembre 1852, par ce mode de transport, d'un chargement de charbon en provenance de Liverpool, puis l'annonce de projets anglais pour l’importation en grand du charbon en France et enfin l’établissement d'un service entre Cardiff et Bordeaux par un de ses principaux concurrents, donnèrent à la question un caractère pressant. H. Worms préféra cependant ne rien précipiter et ce n'est qu'en juin 1854 qu'il jugea le moment venu de prendre une décision. Il chercha d'abord à louer un navire à hélices en Angleterre pour quelques mois, mais les exigences auxquelles il se heurta ne lui permirent pas de donner suite à ce projet. Il décida alors d'étudier en commun, avec ses amis, MM. Hantier, Mallet & Cie et A. Grandchamp, ce qui se faisait en Angleterre. M. Mallet procéda à une enquête dans plusieurs chantiers de constructions navales, puis dans les différents ports de chargement de charbon.
Ils en tirèrent la conclusion que l'entreprise comportait des risques mais qu'il était urgent d'agir et prirent le parti de faire construire deux navires : un pour Le Havre pour compte de Hantier Mallet & Cie et un autre pour Rouen, pour compte de la maison A. Grandchamp Fils. Ils donnèrent la préférence à la construction anglaise qu'ils jugèrent moins coûteuse et plus expérimentée. Étant donné la législation douanière en vigueur ce choix leur assurait l'avantage de pouvoir affréter à l'occasion les navires pour des transports de port anglais à port anglais, dans le cas où ils n'en auraient pas l'emploi pour des voyages en France et, s'ils venaient à décider de les revendre, celui de pouvoir le faire en Angleterre, où ils auraient vraisemblablement plus de facilités qu'en France.
Parmi les chantiers visités par M. Mallet, ils fixèrent leur choix sur les chantiers Samuelson & C°, de Hull, à qui ils passèrent commande au mois d'août 1854. Pour réaliser l'opération, les deux maisons procédèrent immédiatement à une augmentation de capital et de la participation de H. Worms. La raison sociale de la maison Hantier & Mallet fut alors changée et devint Hantier Fils, Mallet & Cie. Ces commandes furent d'ailleurs bientôt suivies d'autres.
Pour Bordeaux, H. Worms différa sa décision. Depuis quelque temps il avait engagé avec les chemins de fer Midi des négociations de nature à influer sur ses projets. L'approche de la mise en service des tronçons de Lamothe à Dax et de Dax à Bayonne, qui achevaient la liaison directe entre Paris et Bayonne, et celle du tronçon Bordeaux Langon(2) faisaient prévoir la nécessité d'importants approvisionnements en combustible. Au cours des conversations qu'il eut avec le chemin de fer, l'utilisation de navires à hélices fut envisagée à la fois pour le transport du charbon et pour l'exportation des marchandises en provenance du réseau ferré.
Après un premier marché conclu en juillet 1854, limité à une fourniture de quelques centaines de tonnes de coke à livrer à Bayonne et à Bordeaux, un autre plus important, intervenu peu après, avait prévu que H. Worms emploierait des navires à hélices dès qu'il aurait réussi à s'en procurer. Les circonstances ne donnèrent pas lieu à l'application de cette clause, mais la question n'en continua pas moins à être envisagée. Le 24 février 1856 un nouvel accord fut conclu aux termes duquel H. Worms prenait l'engagement de fournir par an, aux chemins de fer du Midi, à leur choix, 10 ou 20.000 tonnes de charbon de Cardiff pendant 3 ou 6 ans, à l'option des chemins de fer ; dans le cas où le transport serait effectué par des navires à hélices, les chemins de fer du Midi auraient la faculté de les utiliser, au retour, pour des transports de marchandises de Bordeaux à Cardiff.
Parallèlement à ces pourparlers, H. Worms avait entrepris des recherches pour un affrètement au temps, à titre d’essai, mais ses démarches n'aboutirent pas. La guerre avec la Russie et l'activité générale avaient créé de tels besoins que ces navires étaient presque introuvables, leur rareté était aggravée par la grande faveur dont ils commençaient à bénéficier. H. Worms se décida alors à en commander en juin 1855 à MM. Samuelson & C° un semblable à ceux déjà en construction. Cette commande fut suivie d'une deuxième en octobre, puis, en novembre suivant, de l'achat de celui de la Maison Grandchamp Fils.
A Marseille et dans les régions méditerranéennes, les causes qui tendaient à accroître l'activité générale et la consommation du charbon faisaient sentir vigoureusement leurs effets ; les conditions particulièrement favorables que rencontrait en Méditerranée le développement de la navigation à vapeur contribuaient à augmenter les besoins que la guerre de Crimée allait en outre accroître subitement. Les rapports que H. Worms recevait continuaient à lui présenter Marseille comme une place où il y avait une admirable position à prendre. Il revint à son ancienne idée d'y établir une succursale ; mais en raison de la concurrence, il attachait une importance particulière au choix de son agent ; la collaboration sur laquelle il comptait lui ayant fait défaut au dernier moment, il dut ajourner cette fois encore l'exécution de son projet.
Il réussit néanmoins à entrer en relations avec plusieurs armements qui jouèrent un rôle important dans les débuts de la navigation à vapeur marseillaise. Il accepta même de participer à la création d'une nouvelle société, mais l'essai ne répondit pas à ses espérances et il finit par s'en désintéresser, préférant s'en tenir à son rôle de négociant en charbon.
La concurrence cependant pouvait atteindre d'un jour à l’autre la situation qu'il avait acquise. On vit se constituer à Marseille, vers la fin de l'année 1853, une société au capital de trois millions de francs ayant pour objet le commerce des charbons français et étrangers. Cette création peut être considérée comme une nouveauté dans ce genre d'affaires, pour l'époque, en raison du montant du capital investi et témoigne de l'importance que prenait le commerce des charbons sur la place. Elle émut les maisons locales qui envisagèrent même la constitution d'une société concurrente avec des maisons du bassin de la Loire et du Midi. Des propositions furent faites à H. Worms à ce sujet ; il envisagea lui-même, un moment, une association pour la création d'un grand commerce réunissant les charbons indigènes et les charbons anglais, mais les événements d'Orient donnèrent un autre cours à ses préoccupations.
L’état de guerre avec la Russie fut annoncé officiellement le 27 mars 1854. H. Worms était déjà connu du ministre de la Marine pour ses livraisons à Cherbourg, à Toulon et à Alger et par ses récentes propositions pour l'Océan indien et l'Extrême-Orient ; sa qualité de fournisseur des Messageries nationales lui assurait en outre des facilités exceptionnelles en Méditerranée. Il était donc tout indiqué pour la circonstance et, en raison de l'urgence, le gouvernement français avait déjà fait appel à lui, dès la fin du mois de février, pour des livraisons importantes à Constantinople et à Alger et d'autres plus restreintes à Bône, Oran et Stora. Il lui en confia bientôt un grand nombre d'autres gui englobèrent également les besoins pour la campagne de la Baltique.
Ses livraisons s'élevèrent en 1854 a plus de 100.000 tonnes. A cet important tonnage s'ajoutaient les quantités qu'il avait à fournir aux services maritimes des Messageries nationales. Confiantes dans l'avenir, celles-ci avaient décidé de rendre ces services indépendants et constitué à cet effet, le 19 janvier 1852, une société spéciale : "la Compagnie des services maritimes des Messageries nationales" qui, le 18 février suivant, prit le nom de "Compagnie des services maritimes des Messageries impériales". Cette nouvelle société conserva sa confiance à H. Worms, renouvela chaque année son contrat du 18 août 1851, en augmenta même l'importance au fur et à mesure du développement de ses services et l’étendit à des nouveaux ports d'escale (Beyrouth, Alexandrette). A la fin de l'année 1855 elle lui remit enfin le soin de pourvoir à ses approvisionnements à Marseille même.
Les marchés du gouvernement français et ceux des Messageries nationales contribuèrent largement à étendre la notoriété de H. Worms et ouvrirent à son esprit d'entreprise de nouvelles voies dans les régions méditerranéennes. Les ports où il effectuait ces livraisons constituaient des points de départ favorables pour la recherche d'autres débouchés, mais l'Espagne et l'Italie attirèrent particulièrement son attention ; la navigation à vapeur, la construction des chemins de fer et l'industrie gazière y voyaient continuellement accroître leurs besoins. La navigation à vapeur prenait également de plus en plus d'importance dans la liaison de l'Algérie avec la métropole. C'est en Italie que ces efforts obtinrent les meilleurs résultats, favorisés par les facilités qu'il avait pour faire des propositions aux navires à vapeur italiens qui fréquentaient Marseille et pour entrer en relations avec les capitalistes français qui avaient pris des intérêts dans l'industrie gazière et dans les chemins de fer italiens. II ambitionnait également d'étendre son rayon d'action jusqu'à l'Adriatique et de devenir fournisseur du Lloyd autrichien ; ses espoirs à ce sujet ne devaient se réaliser qu'en 1868, après plusieurs tentatives, mais en 1856 il eut cependant la satisfaction d'obtenir des chemins de fer Lombards-Vénitiens une première fourniture à effectuer à Venise.
Ayant ainsi étendu son champ d'action en France et à l'étranger, H. Worms voyait ses ventes prendre de plus en plus d'importance au moment où l'accroissement général de la consommation provoquait de la part des propriétaires de mines des exigences sans cesse grandissantes. Il dut se préoccuper de chercher une autre source de ravitaillement et demanda à MM. Samuelson & C° de le renseigner sur les conditions dans lesquelles il serait possible d'entreprendre l'exportation des charbons de la région de Hull ; il se fit envoyer de petits chargements à titre d'essai. MM. Samuelson & C° lui firent valoir les avantages que le port de Grimsby, alors peu encombré, présentait sur la Tyne pour le chargement des navires et se firent auprès de lui les interprètes des propositions tendant à la mise sur pied d'une combinaison basée sur des opérations importantes.
Malgré sa situation avantageuse, le port de Grimsby était resté dans l'oubli jusqu'en 1845. Il avait été alors transformé et doté, en quelques années, d'une organisation appropriée aux exigences du commerce maritime, sous l'impulsion du Manchester, Sheffield & Lincoln Railway C° et des propriétaires de mines de la région. La démarche de H. Worms se produisit au moment même où les principaux intéressés envisageaient la création d'une société destinée à donner de la vie au nouveau port et trouva un accueil des plus favorables. Le Manchester, Sheffield & Lincoln Railway C° facilita l'envoi à Rouen et à Bordeaux de petits chargements d'essai. H. Worms se rendit alors en Angleterre et se mit en rapport avec un groupe de personnalités, dont le directeur du Manchester, Sheffield & Lincoln Railway C°; à la suite des entretiens qui eurent lieu, une offre lui fut remise pour une participation dans la constitution d'une société franco-anglaise de navigation.
Satisfait des résultats donnés par les échantillons qu'il avait reçus, il était résolu à entreprendre l'importation du charbon du Yorkshire sur une grande échelle. Il gagna à ses idées ses amis MM. Hantier, Mallet et Grandchamp et constitua avec eux un groupe français pour la création de la société en projet. Leurs pourparlers avec les promoteurs anglais aboutirent le 28 novembre 1855, à la signature d'un "mémorandum of agreement".
Fidèle alors à la politique qu'il avait déjà suivie à plusieurs reprises, il décida d'établir immédiatement sa maison à Grimsby. Il ouvrit cette nouvelle succursale le 1er janvier 1856, sous la direction de M. Henry Josse, qui était adjoint depuis l'année 1853 au directeur de sa maison de Newcastle et qui devait devenir par la suite un de ses plus intimes collaborateurs.
Dans le même ordre d'idées, il adopta une autre mesure dont les résultats ne répondirent pas à ses espoirs et qui n'eut qu'une durée éphémère, mais elle contribua à montrer l'étendue et le caractère bien arrêté de ses intentions. Suivant, semble-t-il, le courant d'opinion créé par la modification du tarif douanier de la houille et qui suscita vers la même époque d'autres initiatives du même genre, il constitua, le 10 janvier 1856, également avec ses amis, MM. Hantier Mallet & Cie et avec la maison A. Grandchamp Fils, une autre société en commandite par actions, la "Compagnie charbonnière du Nord et de l'Ouest Réunis", avec la raison sociale G. Couillard & Cie, du nom du gérant, dans le but d'entreprendre l'importation du charbon anglais sur le marché de Paris, la vente du charbon du South Yorkshire étant cependant la plus envisagée. Le capital de la société était fixé à 2.500.000 francs, H. Worms était président du Conseil de surveillance.
Peu après, le 13 mars 1856, la société franco-anglaise était elle-même définitivement enregistrée sous le nom "The Anglo-French Steam Ship Company Ltd", au capital de 100.000 livres. Son siège était à Grimsby ; elle avait pour objet statutaire la construction, l'achat et l'affrètement des navires à vapeur ou autres, le commerce et la navigation entre les ports français et les ports anglais, mais, dans les conventions préliminaires, il avait été précisé qu'un de ses buts serait le développement de l'exportation vers la France des charbons du South Yorkshire et que H. Worms et ses amis feraient tous leurs efforts pour introduire ces charbons sur le marché français et y développer leur consommation. Il avait été convenu en outre :
1°) que H. Worms, A. Grandchamp et MM. Hantier, Mallet & Cie souscriraient, réunis, le tiers du capital ;
2°) que la Compagnie accorderait aux intéressés français la nomination de quatre directeurs sur dix, trois devant être H. Worms, A. Grandchamp et F. Mallet et le quatrième un Anglais choisi à la pluralité de leurs voix ;
5°) que neuf navires à hélices seraient affectés immédiatement par la société au transport des charbons et toutes autres sortes de marchandises, pour toutes destinations, mais qu'un tiers de ces steamers serait réservé au trafic maritime du port de Great Grimsby ;
4°) que H. Worms et ses amis auraient la faculté de vendre à la société trois des navires qu'ils avaient commandés à MM. Samuelson & C° et qu'ils auraient toujours la préférence pour l'affrètement des neuf navires de la Compagnie.
H. Worms convint en outre avec la Maison Hantier Mallet & Cie et A. Grandchamp que tous les avantages que la société était tenue de leur accorder seraient divisés entre eux trois en portions égales.
En exécution des accords intervenus, la société fit l'acquisition des trois navires en construction dans les chantiers Samuelson & C° pour le compte de H. Worms et de ses amis. Elle les affréta immédiatement pour douze mois : le premier, appelé "Eugénie", à H. Worms ; le deuxième appelé "Victoria" à M. Grandchamp et le troisième appelé "Napoléon" à MM. Hantier Mallet & Cie.
Le s/s "Eugénie" quitta Grimsby pour son premier voyage le 12 avril, avec 505 tonnes environ de charbon à destination de Dieppe. Il arriva devant le port en 36 heures, malgré une violente tempête, mais chassé par elle, il fut obligé d'aller sur la rade du Havre et n'entra dans le port de Dieppe que le 19 avril.
Le s/s "Victoria" suivit quelques jours après à destination de Rouen. Le s/s "Napoléon" retardé par des avaries, ne quitta Grimsby que le 5 juillet pour Le Havre. Ces deux navires emportaient également un chargement de charbon.
Les arrangements conclus avec l’Anglo-French Steam Ship Company Ltd ayant eu surtout en vue l'utilisation du port de Grimsby et l'exportation du charbon du Yorkshire, H. Worms restait placé devant la nécessité d'assurer par ailleurs le transport des charbons d'autres provenances qu'il destinait à Bordeaux ; leur tonnage allait se trouver considérablement accru du fait de ses engagements vis-à-vis du Chemin de fer du Midi et également d'un autre contrat intervenu avec le régisseur de la traction du Chemin de fer de Paris à Orléans et de l'extension qu'il envisageait de donner à ses opérations vers la région de Toulouse et celle d'Angoulême. De différents côtés on voyait, en outre, naître des projets de création de lignes de navigation à vapeur faisant escale à Bordeaux.
Il réussit, en mars 1856, à obtenir la disposition pour 12 mois du navire à hélice "Vulture" pour des transports exclusifs entre Cardiff et Bordeaux. Ce navire quitta Cardiff pour un premier voyage le 11 avril 1856, avec 608 tonnes de charbon.
Les deux navires dont H. Worms avait conservé la propriété entière, le s/s "Séphora" et le s/s "Emma", à leur tour, furent lancés et entrèrent en service. Le s/s "Séphora" quitta Grimsby le 30 août 1856 pour son premier voyage, avec 672 tonnes de charbon, cargaison et soutes comprises, à destination de Bordeaux où il arriva le 6 septembre. Il est, sinon le premier navire à vapeur qui fut utilisé par H. Worms, du moins l'aîné de sa flotte. Il fut suivi, un mois plus tard, par le s/s "Emma", qui entreprit son premier voyage le 1er octobre, avec 651 tonnes de charbon ; moins heureux que le s/s "Séphora", il fut retardé en cours de route par un accident de machine et n'arriva à Pauillac que le 10 octobre.
Enfin, vers la même époque, le s/s "Lucien" était mis provisoirement à la disposition de H. Worms par l'Anglo-French Steam Ship Cy Ltd et se rendait également à Bordeaux.
H. Worms et ses amis se trouvaient ainsi, à peu de temps d'intervalle, avoir à leur disposition une flotte de six navires à vapeur dont il fallait assurer l'utilisation. Des problèmes nouveaux allaient se poser pour eux.

3. 1856-1874
En devenant armateur, H. Worms avait non seulement l'intention d'arriver à une diminution du prix de transport, mais aussi celle de donner aux voyages des navires une régularité et une fréquence qui lui permettraient d'éviter l’encombrement du charbon dans les ports de débarquement, d'attirer l’attention des consommateurs et d'obtenir des propriétaires de mines de meilleures conditions en échange des avantages que ceux-ci retireraient d'un enlèvement rapide aux ports d’embarquement. Le transport de marchandises diverses comme complément de cargaisons et comme fret de retour en Angleterre lui paraissait être, dès lors, un élément indispensable de succès. Dans la mesure où son plan cadrait avec les buts de l’Anglo-French Steam Ship Cy Ltd, il comptait non seulement sur l'appui de la société, mais aussi sur celui de ses promoteurs, en leur qualité soit de transporteurs, soit de producteurs de charbon.
Il hésitait cependant à sortir de sa sphère de négociant en charbon et songea tout d'abord à faire appel à l'expérience des Messageries impériales pour l'étude de combinaisons de transport. Il ne lui paraissait pas impossible de détourner par Grimsby une partie des matières premières en provenance de Liverpool et des produits manufacturés des régions de Manchester, Sheffield, etc. à destination du continent et même de la Méditerranée et de détourner également par cette voie, au retour des navires, une partie des transports du Midi, du Centre et du Nord de la France et de Paris à destination de la Hollande, de Hambourg et de la Baltique par transbordement à Grimsby.
Les Messageries impériales étaient alors absorbées par des négociations qu'elles poursuivaient avec le gouvernement français en vue de la création de services postaux transatlantiques. Elles ne crurent pas pouvoir s'intéresser immédiatement à ses projets. Pressé d'organiser son service, il prit alors le parti d'agir par lui-même.
Comme première réalisation, il envisagea l'organisation d'un service de cabotage de Bordeaux à Rouen, ou tout autre point, pour les transports sur la Hollande, Hambourg, la Baltique et même Saint-Pétersbourg par transbordement à Grimsby. Il se mit d'accord avec une maison de Dieppe à laquelle il affréta son navire "Séphora" et éventuellement "Emma", pour des voyages de Bordeaux vers Dieppe au retour vers l'Angleterre. Ces navires devaient prendre des marchandises à Bordeaux pour continuer ensuite leur route vers Grimsby. H. Worms se réservait de mettre à bord, à chaque voyage, des marchandises de Bordeaux pour Grimsby. Il espérait, en outre, en prendre à Dieppe, soit pour les chemins de fer anglais, soit pour les lignes de navigation à vapeur partant de Grimsby.
Le contrat d'affrètement fut signé à la fin du mois d’août 1856. Comme son exécution se heurtait à l'interdiction pour les navires anglais de faire du cabotage en France, H. Worms décida de faire franciser le "Séphora" et le "Emma". Son agent de Bordeaux remplit les formalités nécessaires dès le premier voyage de chacun de ces deux navires.
En même temps, H. Worms envisageait avec ses amis, MM. Hantier, Mallet & Cie et A. Grandchamp, la création de services entre Grimsby d'une part et les ports de Dieppe, Le Havre et Rouen d'autre part, pour l'utilisation des vapeurs "Eugénie", "Napoléon" et "Victoria". Ils obtinrent bientôt des résultats satisfaisants, principalement pour le coton en provenance de Liverpool à destination de Rouen. Le s/s "Victoria" et le s/s "Eugénie" partirent de Grimsby vers la fin du mois d'octobre. A cette époque H. Worms avait déjà réussi à détourner vers Grimsby un total de 2.000 balles de coton à destination de Rouen ; d'autres affaires étaient également en bonne voie.
Encouragé par ce premier résultat, il fixa avec M. Grandchamp les bases d'une entente pour l'organisation d'un service régulier entre Grimsby d'une part, Rouen et Dieppe d'autre part.
Les difficultés qu'il eut à surmonter dès les premiers jours furent nombreuses. La durée des traversées et les qualités nautiques des navires répondirent à ses espérances, mais l'exploitation se révéla très onéreuse : la distribution des cales, le mode de lestage, les appareils de déchargement, etc. étaient défectueux, l'embarquement et le débarquement entraînaient des lenteurs et le bris des charbons ; le tonnage des charbons embarqués était inférieur à celui sur lequel il avait compté ; dans les ports, il ne trouva pas au début toutes les commodités désirables. Devant les complications qui en résultèrent et devant celles qu'entraîna également l'administration de la flotte, il sentit la nécessité d'avoir à Bordeaux une personne qualifiée pour prendre soin des navires. Il mit alors fin à ses relations avec son agent local et ouvrit, le 1er janvier 1857, une succursale qu'il plaça sous la direction de Georges Schacher.
Les accords qu'il avait passés avec l'Anglo-French Steam Ship Cy Ltd constituant la base essentielle de ses projets, il étudia longuement les moyens d'en assurer la réalisation complète. Il soumit à la Compagnie plusieurs propositions dont une pour le transport régulier des charbons entre Grimsby et Rouen ; l'entente n'ayant pu être réalisée, il mit fin, en mars 1858, à ses intérêts dans la société. MM. Hantier, Mallet & Cie suivirent son exemple. A titre de rachat de leurs actions, les deux maisons obtinrent alors la propriété des steamers "Lucien" et "Victoria". Cette rupture ne modifia en rien les intentions de H. Worms concernant l'exportation des charbons du Yorkshire, mais en lui rendant sa liberté, elle ne devait pas tarder à avoir une grande influence sur ses projets.
En même temps, l'affrètement du vapeur "Séphora" avait donné lieu à quelques difficultés et H. Worms dut le résilier en mars 1857. Il continua à le faire naviguer quelque temps sur le même parcours, avec les encouragements du Manchester Sheffield & Lincoln Railway qui se montrait disposé à subventionner la ligne, puis conclut deux affrètements de courte durée, l'un du "Séphora" à une maison du Havre pour des voyages à Hambourg, l'autre du "Séphora" et du "Emma" à une maison de Dunkerque pour des voyages dans la Baltique et de Bordeaux à Dunkerque. Le "Emma" se rendit à Copenhague et à Cronstadt en décembre 1857, mais fit naufrage au début de janvier 1858. Le renouvellement de la charte-partie pour "Séphora" ne fut pas envisagé. MM. Hantier, Mallet & Cie et lui-même devenant, vers la même époque, propriétaires du "Lucien" et du "Victoria" en raison de la cession faite par l'Anglo-French Steam Ship Cy Ltd, H. Worms proposa à ses amis d'entreprendre avec les trois navires des transports directs de Bordeaux sur Le Havre et Cronstadt.
Malgré l'annonce d'un projet russe de mise en service de plusieurs navires entre Le Havre et Cronstadt, les deux maisons décidèrent, en mars 1858, de pousser vigoureusement la création de leur ligne. H. Worms en abandonna la direction à Hantier, Mallet & Cie, pour assurer l'unité de l'entreprise.
Le premier voyage semble avoir été accompli par le s/s "Lucien", qui arriva à Cronstadt vers la fin de mois de mai 1858 ; les deux autres navires devaient le suivre de 20 en 20 jours. Au mois d'août, l'annonce d'une concurrence russe fut confirmée par la publication dans des journaux français d'un avis relatif à la constitution d'une société subventionnée par le gouvernement russe. Les trois vapeurs "Séphora", "Lucien" et "Gabrielle" n'en continuèrent pas moins leur service et les résultats obtenus pendant la durée de la saison furent satisfaisants.
Les perspectives restant bonnes, H. Worms et MM. Hantier, Mallet & Cie décidèrent de renouveler l'expérience pendant la saison 1859. Le service semble avoir été maintenu quelque temps encore, mais à titre simplement occasionnel, avec des alternatives diverses qui amenèrent H. Worms MM. Hantier, Mallet & Cie à en envisager l'abandon.
Ils avaient d'ailleurs trouvé pour leurs navires une utilisation qui ne devait pas tarder à se révéler plus avantageuse. Encouragé par les renseignements que lui donnait le directeur de sa maison de Bordeaux, H. Worms s'était décidé en effet à entreprendre également des transports directs entre ce port, Le Havre et Hambourg. L'abondance des liquides à charger cette année-là semblait devoir aider au succès de l'entreprise. Jugeant que deux steamers pouvaient être nécessaires, il fit part de son idée à MM. Hantier, Mallet & Cie. A première vue, elle ne leur sourit guère. H. Worms décida alors de tenter l'expérience pour son compte personnel, d'abord par quelques voyages avec "Séphora". Le premier départ, fixé d'abord fin janvier, fut retardé par crainte des glaces et eut lieu le 16 février 1859(3). Le navire arriva à Hambourg le 22 février. Le "Lucien" suivit dès le début de mars, MM. Hantier, Mallet & Cie s'étant décidés à leur tour à envoyer également ce navire à Bordeaux charger pour cette destination. Tout semblant bien marcher, H. Worms décida de continuer la ligne ; Hantier, Mallet & Cie acceptèrent d'adjoindre le s/s "Gabrielle" pour départs réguliers. Il fut convenu que chacune des deux maisons conserverait la direction de son steamer. Elles étaient décidées à continuer la ligne jusqu’à l'hiver.
Les difficultés ne manquèrent pas et furent accrues un moment par la concurrence qui ne tarda pas à s'établir. M. H. Worms et ses amis eurent à passer par des alternatives d'espoir et de craintes. Cependant les choses ne tardèrent pas à se stabiliser. Vers la fin de l'année 1860 les résultats commencèrent à devenir satisfaisants, ils s'améliorèrent encore par la suite pour devenir magnifiques en 1865.
En 1864, H. Worms et F. Mallet avaient rendu leur collaboration plus étroite par un échange de parts dans la propriété respective de leurs navires : H. Worms cédant à M. Mallet 1/3 de la propriété de son "Séphora" en échange de 1/6 de la propriété de chacun des "Lucien" et "Gabrielle". Devant la complexité des problèmes qui se posaient journellement H. Worms avait, en outre, jugé indispensable de laisser à MM. Hantier, Mallet & Cie, mieux placés que lui par leur résidence au Havre, toute liberté pour la direction technique mais continua à collaborer étroitement avec eux à la direction générale.
L'annonce de la prochaine mise en vigueur du traité de commerce entre la France et l'Allemagne(4) vint autoriser de nouveaux espoirs ; les navires dont le service pouvait disposer devenant insuffisants, H. Worms accepta de faire les fonds nécessaires, pour sa part (2/3), dans l'achat d'une autre unité qui fut francisée en mars 1866 et reçut le nom d’"Isabelle". En 1867, la flotte s'accrut encore du "Neptune" qui reçut le nom de la petite-fille de H. Worms "Marguerite" ; il n’était pas destiné à un service régulier ; dans le cas où le fret serait peu abondant, il devait être affecté au transport du charbon pour Bordeaux et, à la sortie, charger pour Londres et Anvers. En janvier 1868, la flotte de la ligne comptait six navires portant chacun 400 à 600 tonneaux.
Après la guerre franco-allemande, le service reprit vers le milieu du mois de mars avec le s/s "Blanche". En mai suivant, un nouveau steamer, le "Président", acheté en commun par H. Worms et M. Mallet lui fut également affecté.
En juin 1873, le plus ancien navire de la ligne, le "Séphora" fut transféré à la Maison de Port-Saïd pour une navigation en Mer rouge.
A la fin de la même année, H. Worms et ses amis eurent à déplorer la perte du s/s "Marguerite", disparu sans laisser d'indices sur la nature du sinistre.
Au mois de janvier 1873, un arrêté préfectoral avait autorisé H. Worms à installer au quai des Chartrons, à Bordeaux, un embarcadère devenu nécessaire principalement pour le bon fonctionnement de la ligne.
Ligne d’Anvers. Vers le mois d'avril 1869, H. Worms fut vivement sollicité par le directeur de sa Maison de Bordeaux de créer une ligne Bordeaux-Anvers. Craignant l'insuffisance des frets de retour, il se borna tout d'abord à affréter des navires anglais simplement pour le voyage d'aller sans se préoccuper des retours, puis en décembre 1869, il fit l'acquisition d'un nouveau navire, le s/s "Marie", qui chargea pour Anvers vers le mois d'avril 1870. Après la guerre franco-allemande, ce navire reprit ses voyages le 28 mai 1871 et fut renforcé par des steamers étrangers affrétés ; mais les taux d'affrètements étant devenus trop élevés pour permettre la lutte contre la concurrence, H. Worms acheta alors le s/s "Commandant Franchetti". II eut un moment l'intention de l’affecter à ce trafic mais en fait ce navire fit d'autres navigations et eut des débuts assez mouvementés. Il fut envoyé à Sunderland, puis à Brême et, de là, à Newcastle et à Archangel charger des lins et des étoupes pour Dunkerque. Il alla ensuite (octobre 1872) à Cronstadt. Revenu à Sunderland, puis à Bordeaux, il entreprit plusieurs voyages en Méditerranée et dans le Proche-Orient.Adolf Deppe d'Anvers était l'agent de H. Worms pour la ligne d'Anvers.

Divers
1°) Ligne Bordeaux-Rouen. H. Worms donna son accord à MM. Mallet & Cie, vers le mois d'avril 1868, pour la création d'une ligne Bordeaux-Rouen. Toutefois il n'était pas d'avis d'organiser un service régulier, mais simplement d'envoyer le s/s "Dordogne" à Rouen tant qu'il y aurait de la marchandise à transporter, car il craignait que ce service ne devînt une cause d'amoindrissement pour leur navigation Bordeaux-Le Havre-Hambourg.
2°) Guerre 1870-1871. H. Worms mit une partie de sa flotte et de celle MM. Hantier Mallet & Cie à la disposition du gouvernement français pendant la guerre.
3°) Mer rouge.- Le navire "Séphora" qu'il avait mis à la disposition de sa Maison de Port-Saïd vers le milieu de l'année 1873, commença son service en Mer rouge en août 1873. Au mois de septembre de la même année, le directeur de cette succursale entreprit des démarches auprès des Messageries maritimes en vue de l'établissement de tarifs combinés entre les ports de France et de la Méditerranée jusqu'aux ports de la Mer rouge par les vapeurs des Messageries maritimes jusqu'à Port-Saïd et, de là, à destination par la voie du Canal et par le vapeur "Séphora."
4°) Traverses de chemins de fer, poteaux de mines, etc.
Le développement pris par l'emploi des poteaux de mines, des traverses de chemins de fer et des poteaux télégraphiques rendait ces produits particulièrement intéressants comme éléments de fret de retour des navires charbonniers. H. Worms songea à les utiliser et chercha à en étendre les débouchés. Il obtint une fourniture importante de traverses pour les chemins de fer en Algérie et décida alors d'en assumer la fabrication en grand dans les départements de la Gironde et des Landes. Il établit à Barsac, vers la fin de l'année 1860, le centre de cette entreprise. Ces opérations prirent une réelle ampleur et eurent une répercussion notable sur son activité en matière maritime.
Ayant trouvé un débouché aux Indes grâce aux relations qu'il s'était créées dans ce pays à la suite du développement de son commerce de charbons dans l'Océan indien, il se mit à expédier de Bordeaux un voilier par semaine, en exécution d'un contrat passé avec une maison de Bombay, complétant les navires avec des marchandises diverses. Les relations ainsi créées l'amenèrent même à étudier la création d'une ligne régulière par des steamers utilisant le canal de Suez et à entreprendre, en 1870, quelque temps avant la guerre franco-allemande, des démarches en Angleterre en vue d'un essai avec des armateurs anglais.
Pour assurer l'exécution d'un autre marché important conclu avec la Compagnie du chemin de fer des Charentes, il acheta, en 1869, le s/s "Koh I Nor" , auquel il donna le nom de "Suzanne" et qu’il affecta au transport des traverses sur Rochefort et La Rochelle. Ce service ne dura que peu de temps par suite, semble-t-il, de difficultés soulevées par le Chemin de fer des Charentes. H. Worms revendit le "Suzanne" en 1873.
De même, en 1873, pour des fournitures aux Chemins de fer égyptiens, il affecta le s/s "Commandant Franchetti" au transport jusqu'à Alexandrie d'une partie des quantités promises.

Malgré l'attention qu'exigèrent de lui l'administration de sa flotte et l'organisation de services maritimes, H. Worms continua à faire du commerce de charbons sa principale préoccupation personnelle. L'intense courant d'activité, qui ne cessait de s'étendre de tous côtés et de créer des débouchés nouveaux, ouvrait à son esprit d'entreprise un champ d'action de plus en plus vaste.
Les projets issus de ses accords avec l’Anglo-French Steam Ship Cy Ltd, en même temps que sa situation à Newcastle et à Grimsby, le portaient avant même la création de la ligne Bordeaux-Le Havre-Hambourg, à envisager des exportations vers l’Allemagne du Nord et dans les pays de la Baltique. Déjà, d’ailleurs, à l’occasion de la guerre avec la Russie, il avait été appelé, en 1854, par le gouvernement à livrer à Kiel du charbon pour la flotte française, en prévision de la campagne de la Baltique. En 1857, il s’entendit avec une maison de Hambourg, qui accepta d'agir pour lui, et réussit à traiter quelques affaires. Il envisagea alors d'établir une succursale dans cette ville, mais, à la suite d'une enquête qu'il fit lui-même sur place, il jugea que les conditions dans lesquelles s'y exerçait le commerce des charbons ne permettaient pas l'espoir d'y réaliser des affaires assez importantes. Quelques années plus tard, en 1863, son attention fut attirée également sur Stockholm, mais là encore, les possibilités qu'il entrevit ne lui parurent pas suffisantes pour justifier les dépenses qu'entraînerait l'établissement d'une maison. Il se borna à vendre sous verges et par chargements complets et traita, sur cette base, quelques affaires pour ce port et d'autres ports voisins, dont Cronstadt.
C’est surtout par l’importance prise par les fournitures de charbons de soutes à la grande navigation et par les développements nouveaux de ses affaires dans le Proche-Orient que furent remarquables les progrès de sa Maison vers la même époque et au cours des années qui suivirent.
Grâce à la substitution de l'hélice à la roue à aubes la navigation à vapeur commençait à sortir de la période des tâtonnements : les parcours de la navigation côtière s'allongeaient, les tentatives de navigation à vapeur long-courrier se multipliaient. En France, en particulier, la question des services transatlantiques depuis longtemps sur le tapis était reprise et, en même temps, les yeux se tournaient de plus en plus vers l'Extrême-Orient.
Bien qu'en 1857 il eut renoncé définitivement aux opérations qu'il avait entreprises en Californie, H. Worms ne renonça pas à toutes opérations avec les pays lointains ; les marchés qu'il avait traités à intervalles irréguliers pour l’Amérique du Sud, puis ceux pour le Cap et l'Extrême-Orient pour le compte de la Marine française, allaient bientôt faire place à des opérations plus suivies et plus importantes. Lorsque le gouvernement français eut décidé, en 1857, l’établissement d'un triple réseau postal sur l'Océan atlantique, la Compagnie des Messageries impériales obtint la concession du réseau sud, s'étendant de Bordeaux et de Marseille, puis de Bordeaux seulement, au Sénégal, au Brésil et à la Plata. Au mois de janvier 1860, la Compagnie des Messageries impériales donna des ordres à H. Worms pour les fournitures à faire à ce nouveau service et pour la constitution de stocks à Bordeaux, Lisbonne et Rio de Janeiro. La ligne entre Bordeaux et Rio de Janeiro fut inaugurée le 24 mai suivant.
Peu après, en 1861, à la suite de l'expédition de Chine, cette même Compagnie passait avec le gouvernement français une autre convention (22 avril) qui établissait un service mensuel de Marseille pour l’Extrême-Orient, en correspondance avec un paquebot partant de Suez, dont le Chemin de fer d'Alexandrie à Suez porterait les passagers et les marchandises de la Méditerranée à la Mer rouge. La Compagnie témoigna de nouveau sa confiance à H. Worms et le chargea d'assurer ses approvisionnements à Aden, à Pointe de Galle et à Calcutta, puis étendit ses ordres à Singapour et à Hong-Kong, dès que l'extension du service le rendit nécessaire.
Les dépôts d'Aden et de Pointe de Galle prirent rapidement une grande importance : H. Worms obtenait ainsi une situation de premier ordre sur une des routes maritimes les plus longues et les plus fréquentées du monde, il prenait en même temps, sur le marché des affrètements à destination de la mer des Indes et de l'Extrême-Orient, une place en vue. De nouveaux et délicats problèmes se posaient désormais à lui par suite de la durée des voyages et de l’éloignement des ports de destination. Il prit le parti de se concerter pour tous ces affrètements avec la maison Geo & A. Herring, de Londres, qui traitait elle-même des affaires avec ces mêmes pays. Il entretint dès lors avec elle des relations suivies et accepta bientôt de prendre une participation importante dans les affaires de charbons qu'elle traitait pour les mêmes destinations avec des compagnies de navigation étrangères, en particulier avec la P. & O. – Peninsular & Oriental Cy.
Par ces opérations, jointes à celles qu'il faisait déjà dans le Proche-Orient et pour compte des Messageries impériales à Alexandrie, H. Worms était naturellement amené à prendre un très grand intérêt à la question du transit à travers l'Égypte, qui était de nouveau à l'ordre du jour. Le service de transbordement par terre, d'Alexandrie à Suez, organisé à partir de 1840, après les essais du lieutenant Waghorn, bien que considérablement amélioré par la construction d'une voie ferrée, ne répondait pas suffisamment aux besoins du commerce. L'idée d'une voie d'eau avait été remise en faveur et avait fait de grands progrès. Par firman du 30 novembre 1854, complété le 5 janvier 1856, M. Ferdinand de Lesseps avait obtenu le pouvoir exclusif de constituer et de diriger une compagnie pour le percement de l'isthme de Suez et l'exploitation du canal.
La Compagnie fut constituée le 15 décembre 1858 et le premier coup de pioche donné le 25 avril 1859, à l'emplacement du futur Port-Saïd. H. Worms ne tarda pas à entrer en relations avec elle, puis avec M. Hardon, entrepreneur français ; ce n'est cependant qu'en 1865, lorsque la suppression de l'emploi de la main d'œuvre réquisitionnée eut entraîné l'utilisation en grand de l'outillage mécanique qu'il eut la satisfaction de voir ses offres de service acceptées par MM. Borel, Lavalley & Cie, à qui avait été confiée une partie des travaux et qui devaient devenir les principaux entrepreneurs(5).
Au mois de novembre de cette même année, il reçut d'eux une première commande, bientôt suivie d'autres, qui prirent rapidement une grande importance. Malgré les difficultés qu'il éprouvait pour les affrètements et du fait du mauvais temps et des vents contraires, il ne recula pas devant la responsabilité qu'entraînait la nécessité d'approvisionner les chantiers dans les délais imposés par la marche des travaux.
En 1867, la Compagnie du Canal elle-même lui confia l'exécution d'une fourniture de deux chargements.
Entre temps, grâce aux progrès économiques réalisés par l'Égypte et à l'activité provoquée dans tout le pays par la construction du Canal, les expéditions faites par H. Worms s'étaient également étendues à l'industrie locale, aux chemins de fer et au gouvernement égyptien. Il avait acquis le sentiment que l'Égypte présentait des perspectives d'énormes affaires. II n'était pas éloigné de l'idée d'établir une succursale à Alexandrie et l'associait à celle de la création d'une ligne de navigation que lui avaient soumise ses amis, MM. Hantier Mallet & Cie.
Les événements l’amenèrent cependant à donner à ses intentions une autre orientation. Malgré les difficultés rencontrées, les travaux du canal avançaient ; H. Worms avait la plus grande confiance dans l'avenir. Un premier résultat encourageant était d'ailleurs acquis : le 15 août 1865, la fête de l'empereur fut célébrée à Ismaïlia par l'ouverture de l'écluse mettant en communication le canal maritime, qui conduisait déjà les eaux de la Méditerranée jusqu'au lac Timsah avec le canal d'eau douce, et par le passage d'une cargaison de 300 tonneaux de houille, en chalands remorqués, traversant l'isthme par le canal maritime jusqu’à Ismaïlia et par le canal d'eau douce jusqu'à Suez. Le départ avait eu lieu le 13, le convoi entra dans la Mer rouge dans la journée du 26. Le transit par voie d'eau, d'une mer à l'autre, sans solution de continuité au cours de la traversée de l'Isthme, était ainsi un fait accompli avant l'ouverture du canal maritime à la navigation internationale. Les 300 tonneaux de houille expédiés à Suez étaient destinés à la Compagnie des Messageries impériales et à la P. & O. Ce fait témoigne de l'intérêt que présentait la nouvelle voie pour le ravitaillement des navires à vapeur partant de Suez pour les Indes et l'Extrême-Orient, moins dispendieuse que le transport par chemin de fer d'Alexandrie à Suez, la nouvelle voie avait, en outre, l'avantage de permettre la prise sous palan à bord des navires de mer à Port-Saïd et la livraison également sous palan aux navires à Suez et de mieux assurer la conservation du charbon en le mettant à l'abri du concassage et de la poussière. H. Worms s'en fit l'apôtre auprès des armateurs et eut, à la fin de l'année 1867, la satisfaction de voir la P. & O. accepter les propositions qu'il lui avait fait remettre pour des envois à Suez transitant par cette voie.
D'une manière générale, le commerce ne tarda pas à mettre à profit les commodités qui lui étaient ainsi offertes et Port-Saïd devint alors une station pour les paquebots des principales Compagnies qui naviguaient dans la Méditerranée (Messageries impériales, Fraissinet & Cie, Société générale des transports maritimes à vapeur, Lloyd autrichien, Compagnie russe de navigation et de commerce, Société Rubattino & Cie de Gênes). L'avancement des travaux permettait d’autre part de prévoir l'ouverture prochaine du Canal maritime à la grande navigation. Plus confiant que jamais, H. Worms décida, vers le milieu de l'année 1869, d'avoir un dépôt de charbon à Port-Saïd et à Suez et d'y fonder immédiatement une succursale, d'abord à Port-Saïd et, à brève échéance, à Suez. Il chargea son collaborateur de la première heure, M. Rosseeuw, du soin de procéder à sa création. Prévoyant que le passage des vapeurs produirait un mouvement de fonds considérable et que le transit par le canal provoquerait des affaires de banque très importantes, il décida que sa succursale s'occuperait également de banque, de transit, de commission et de consignation, tout en conservant le charbon comme base principale de son activité.
Son premier soin fut de s'assurer auprès de la Compagnie du Canal l'emplacement nécessaire pour l'établissement d'un dépôt à Port-Saïd et de constituer un approvisionnement en vue de pourvoir aux besoins éventuels des navires qui prendraient part aux fêtes de l'inauguration. Il appela l'attention de la Compagnie sur l'utilité de cette mesure et prit à sa charge les risques de l’opération.
L'inauguration du Canal maritime eut lieu le 17 novembre 1869.
Malgré les grandes difficultés du début que rencontra son agent local, H. Worms ne perdit pas courage à aucun moment. La confiance qu'il avait dans la réussite du Canal fut bientôt renforcée par les résultats qu’il obtint et par le revirement qui, dès le courant de l'année 1870, commença à se produire dans l'opinion publique en Angleterre où les gens au courant du trafic des Indes et de l’Extrême-Orient commençaient à construire à grands frais des navires adaptés à la nouvelle route. Dès le 2 avril 1870, il avait fait des livraisons à plus de 60 navires, y compris ceux qui avaient passé à l'inauguration.
Après la guerre de 1870-1871, résolu à faire de sa succursale une grande maison, il la dota d'un matériel important et de coûteuses installations. En août 1872, il était le seul à n'avoir pas de charbon sur le sable et était en situation de livrer vite et bien. L'importance de ses ventes lui permettait déjà de n'avoir jamais de vieux charbon ; il s'appliquait d'ailleurs à ne livrer que des charbons de première qualité.
En même temps il s'efforça de coordonner les efforts de ses succursales et de ses correspondants d'Angleterre, pour regagner le terrain perdu pendant la guerre. Dans cet ordre d'idées il fit appel à un de ses jeunes collaborateurs, Henri Goudchaux(6), attaché depuis plusieurs années à sa maison de Cardiff et dont, depuis quelque temps, il utilisait également les services en France. Il lui confia la mission de s'installer à Londres et de visiter les armateurs anglais pour l'Inde et la Chine en vue d'en acquérir la clientèle. Dès la fin de la guerre, Henri Goudchaux rejoignit son poste, en passant par la Belgique et la Hollande pour se rendre compte s'il s'y formait des sociétés pour l'organisation de services à travers le Canal et prendre contact avec elles à ce sujet. Au début de l'année 1870 Henri Goudchaux s'était déjà rendu à Rotterdam, dans le même but, semble-t-il.
Henri Goudchaux devient alors son principal intermédiaire pour la négociation d'un accord avec une importante maison de Londres, la Maison James Burness & Sons, accord qui fut l'origine, entre les deux maisons, d'une longue et intime collaboration.
H. Worms avait pu se rendre compte que les navires arrivant à Suez et à Port-Saïd, choisissaient fréquemment leurs consignataires ou leurs fournisseurs d'après les renseignements recueillis dans leurs autres ports d'escale. Il y avait donc une grande utilité à posséder dans ces ports des correspondants ou des agents susceptibles de faire connaître sa Maison. MM. James Burness & Sons lui parurent bien placés pour jouer ce rôle. "Contracteurs" pour les fournitures de charbons, ils avaient des dépôts à Gibraltar, Malte, Aden, Pointe de Galle et Singapour et pouvaient offrir aux armateurs une suite continue de dépôts entre l’Angleterre et les Indes, à l'exception de Port-Saïd où ils n'étaient pas installés. H. Worms était depuis longtemps en relations avec eux. Les deux maisons virent la possibilité d'associer leurs intérêts ; dans le courant des années 1871 et 1872 elles se mirent d'accord sur une convention aux termes de laquelle James Burness & Sons devenaient les agents exclusifs de H. Worms pour la vente des charbons aux navires à Port-Saïd et Suez, H. Worms devenant de son côté leur seul représentant dans ces deux ports pour la vente et la fourniture des charbons. James Burness & Sons ajoutaient dès lors Port-Saïd et Suez sur la liste générale de leurs stations de charbonnage et H. Worms, par contre, prenait l'engagement d'employer les efforts de sa Maison de Port-Saïd en faveur de leurs agents. Il obtenait lui-même la possibilité de donner des prix pour toute la traversée des Indes.
A la suite de ces différentes mesures, le développement de sa Maison de Port-Saïd continua à s'accélérer. A la fin de l'année 1872, H. Worms avait livré à lui seul les 3/4 des charbons pris par les navires transitant. En avril 1873 il pouvait mentionner parmi les lignes qu'il fournissait à Port-Saïd, indépendamment de la Compagnie du canal et de la Marine française, Alfred Holt, de Liverpool ; Rathborne Bros. ; Lloyd autrichien ; Compagnie Adria, de Trieste ; Compagnie Nederland, d'Amsterdam ; British India Steam Navigation, de Glasgow ; Peninsular & Oriental Cy ; P. Henderson & Cy, de Glasgow ; John Fenwick & Son, de Londres ; T. Green & Cy, de Londres ; Donald Currie & Cy, de Londres ; German Steam Ship Cy, de Hambourg.
Plusieurs d'entre elles s'adressaient à lui depuis le premier jour où elles utilisèrent le Canal, en particulier la Compagnie Holt.
Tandis qu'il étendait ainsi son action dans le Proche-Orient, H. Worms ne délaissait pas la partie occidentale du bassin méditerranéen. Fort de la situation qu'il s'était acquise à Marseille et encouragé par les promesses qui venaient de lui être faites pour compte de la Compagnie russe de navigation et de commerce, il mit à exécution, au début de l'année 1858, son ancien projet d'y ouvrir une succursale, à la fois pour le commerce des charbons anglais et pour les transports maritimes. Il installa ses bureaux 29, rue de Paradis. Dès le début cette nouvelle succursale fournit une grande partie des compagnies de bateaux à vapeur et les relations de H. Worms en Angleterre lui amenèrent des demandes de bateaux étrangers ; mais par suite d'une élévation considérable des frets, les charbons anglais devinrent très chers et perdirent bientôt du terrain au profit des charbons indigènes. Il décida alors de faire lui-même un plus large appel à ceux-ci et chercha à en développer l'exportation vers l'Espagne et l'Italie. Il étudia même un projet de transport par service régulier de bateaux à vapeur ; mais les mines ne purent pas prendre les engagements indispensables pour assurer le chargement des navires dans les délais nécessités pour la bonne marche du service. Bien qu'il jugeât déjà que les charbons anglais seraient prochainement et totalement exclus de Marseille, il n'en conserva pas moins sa succursale.
En Espagne, le développement que commençait à prendre l'industrie gazière et la construction des chemins de fer lui fournirent l'occasion de traiter quelques affaires avec le Gaz de Madrid (1658), avec le Chemin de fer de Madrid à Saragosse et à Alicante, avec le Chemin de fer de Cordoue à Séville, etc.
En Italie, à la suite de ses anciennes opérations, il s'était trouvé un moment dans l'obligation de prendre à son compte l'exploitation d'une usine à gaz portatif à Turin. Après avoir cherché à donner un peu de vie à l'affaire, il y renonça et décida de fermer cet établissement (1865). Entre temps, dans l'espoir que le développement de l'industrie et des chemins de fer déterminerait à Gênes un commerce considérable de charbons, il avait décidé, en 1858, d'y avoir un agent mandaté à l'effet de traiter pour son compte, dans les ports italiens de la Méditerranée et de l'Adriatique. Il obtint ainsi quelques ordres de la Marine royale sarde, du Chemin de fer Victor Emmanuel, etc. Accrue un moment par la guerre, l'activité de ce port ne tarda pas à décliner par suite des troubles politiques. H. Worms décida alors, en 1868, de céder sa maison.
II n'en continua pas moins à réaliser par ailleurs d'importantes opérations dans le reste de la péninsule, qu'il fit visiter à plusieurs reprises par son collaborateur, Henri Goudchaux. On peut citer parmi sa clientèle : les Chemins de fer lombards-vénitiens, la Société générale des chemins de fer romains, pour livraisons à Civitavecchia, Naples et Ancône, la Société italienne pour le gaz (Turin), la Compagnie des paquebots pour le service postal (Gênes), la Compagnie napolitaine d'éclairage et de chauffage par le gaz, le Chemin de fer de la Haute Italie (Turin), la Société anglo-romaine pour l'éclairage au gaz de Rome, etc.
Il traita très peu d'affaires avec l'Autriche. Elles se limitèrent au sud du pays, mais en 1868 il eut la satisfaction de devenir le fournisseur du Lloyd autrichien qui comptait parmi les armements à vapeur les plus anciens et les plus connus. H. Worms avait ambitionné d'entrer en relations avec lui dès le jour où il était devenu fournisseur des Messageries nationales. Ses commandes qui prirent immédiatement une certaine ampleur, concernaient à la fois Trieste et les autres ports fréquentés par ses navires : Raguse, Corfou, Smyrne, Syra et contribuèrent à renforcer la situation que H. Worms s’était acquise dans le Proche-Orient.
En Algérie, il ne semble pas que les besoins industriels aient été bien grands. Tout paraît se limiter à ceux de la navigation à vapeur qui allait d'ailleurs en s'amplifiant rapidement. H. Worms traita quelques marchés en participation avec une maison amie. En 1867 il put réaliser un marché de 1.200 tonnes avec le Chemin de fer de Paris à Lyon pour compte du réseau algérien.

Société Hypte Worms & Cie
Le développement donné par H. Worms à son commerce de charbon s'était traduit, dès 1857, par une exportation au départ d'Angleterre de plus de 400.000 tonnes. Après l'ouverture du canal de Suez, elle prit encore plus d'ampleur : pour l'année 1871 elle dépassa 900.000 tonnes, soit presque le douzième de la quantité totale qui s'expédiait des ports anglais. Suivant sa propre expression, il avait réussi, lui Français, à enlever à des maisons anglaises des affaires leur revenant naturellement.
En France il était en possession d'une grande partie de l’exportation qui se faisait par Le Havre, Dieppe et Bordeaux. Vers 1866, jugeant qu’il ne fallait plus songer à l'emploi des voiliers pour le transport des charbons anglais à courte distance, il put envisager l'acquisition de navires de plus en plus gros tonnages pour l'importation dans ces ports, ne doutant pas qu'il aurait pour eux l'aliment nécessaire.
Dans le bassin méditerranéen, non seulement il avait réussi à devenir le fournisseur attitré d'importantes entreprises de gaz, de chemins de fer ou de navigation, mais par l'ouverture de sa maison de Port-Saïd et ses accords avec James Burness & Sons, il avait en quelque sorte donné à sa Maison une physionomie nouvelle en la classant parmi celles qui prirent à tâche, lors du développement de la navigation à vapeur long-courrier, d'assurer le ravitaillement des navires en charbon dans les ports d'escale des grandes lignes maritimes.
Dans le domaine purement maritime, sans parler d’entreprises secondaires auxquelles il fut amené à s'intéresser, c'est à son esprit d'initiative et à son énergie qu'est due la création de la ligne de navigation Bordeaux-Le Havre-Hambourg, dont le succès et l'utilité n'ont cessé de s'affirmer jusqu'à nos jours et dont il disait lui-même, avec fierté, vers 1874, qu'il n'existait pas en France de Compagnie ayant un service plus régulier. Elle comportait chaque semaine au moins un départ de Hambourg pour Le Havre et Bordeaux et de Bordeaux et Le Havre pour Hambourg.
A cette époque, il avait plus de 70 ans ; il appartenait à la génération des grands esprits réalisateurs du siècle dernier auxquels la France doit la création et l'essor de plusieurs de ses plus importantes entreprises commerciales, industrielles ou financières.
Témoin de la grande révolution industrielle et maritime qui marque le milieu du 19ème siècle, il n'avait cessé d'en suivre les progrès et d'en étudier les conséquences pour y adapter l'organisation de sa Maison.
L'extension prise par ses affaires entraînait un labeur énorme que les événements de 1870-71 compliquèrent singulièrement. Il fut chargé d'importantes fournitures de charbons anglais à faire à la Marine française à Cherbourg, à Brest et à Toulon. Quelques-uns de ses navires furent en outre pris en affrètement par le gouvernement.
Redoutant un désarroi complet de ses affaires s'il venait à être privé de communications avec ses agents d'Angleterre et ses autres succursales, il se décida, après avoir demandé l'avis du ministre de la Marine, à quitter Paris et à établir son centre d'affaires au Havre, lorsque les menaces d'investissement se précisèrent. Quand cette ville fut à son tour menacée, il le transféra à Bordeaux. A son départ de Paris, il avait laissé ses bureaux dans cette ville sous la direction de son gendre, M. Franchetti(7), et de son fils, Lucien Worms. En décentre 1870, il eut la douleur de perdre son gendre, commandant aux G.M., qui décéda à la suite de graves blessures reçues au combat de [Champigny ou près de Paris]. A l'époque de la Commune, il dut à nouveau quitter Paris et transférer ses bureaux à Saint-Germain-en-Laye.
Depuis quelques années déjà il avait appelé auprès de lui, pour le seconder, Henry Josse qui avait géré pendant plusieurs années sa maison de Grimsby. Vers la fin de l'année 1873, il décida de se l'adjoindre d'une façon plus étroite et de le prendre comme associé. Par acte en date du 16 mars 1874, il constitua avec lui une société en nom collectif, sous la raison et signature sociales : Hypte Worms & Cie, dont ils étaient les seuls associés. L'objet de la société était défini : "Armement et commerce des charbons pour continuer les opérations de la maison de commerce fondée par H. Worms à Paris, avec des comptoirs à Bordeaux et Marseille en France, Newcastle, Great Grimsby et Cardiff en Angleterre et Port-Saïd en Égypte". La durée en était fixée à 12 années à compter du 1er janvier 1874. Le siège social était rue Scribe, n°7, où H. Worms avait transféré ses bureaux en octobre 1864.
La société n'a cessé d'exister depuis, après plusieurs prorogations et quelques modifications apportées à ses statuts. Sa raison sociale est devenue par la suite successivement Worms Josse &. Cie, en 1881, et Worms & Cie en 1896.
Le capital social avait été fixé à 4.500.000 F dont 4.000.000 F fournis par H. Worms étaient représentés notamment par la propriété entière du steamer "Emma" et celle des deux tiers des steamers "Lucien", "Isabelle", "Gabrielle", "Président", "Blanche" et "Marguerite" et le surplus (500.000 F) était fourni en espèces par M. Josse.

(1) Tandis que la part des charbons belges était de 978 milliers de tonnes en 1842 et 1 687 milliers de tonnes en 1847, celle des charbons anglais n'était que de 491 milliers de tonnes en 1842 et 586 milliers de tonnes en 1849.

(2) L'ouverture du tronçon de Lamothe à Dax eut lieu le 12 novembre 1854, celle de Dax à Bayonne le 26 mars 1855 et celle de la ligne de bordeaux à Langon le 26 mai 1855.

(3) L'avis suivant fut publié dans la presse : "Ligne directe de bateaux à vapeur entre Bordeaux, et Hambourg sans aucune escale. Au commencement du mois de février, le bateau à vapeur "Séphora", capitaine Trottel, du port de 600 tonneaux, partira directement de Bordeaux pour Hambourg. Fret 35 F et 15% par tonneau. Départs tous les 20 jours. S'adresser pour fret et passages, à Bordeaux, à : H. Worms, armateur, représenté par G. Schacher, 21, pavé des Chartrons et à M. Jude, courtier maritime. A Hambourg, à MM. Cellier & Paran, courtiers."
(4) Traité du 2 août 1862 entre la France et le Zollverein. Traité du 4 mars 1865 entre la France et les villes anséatiques de Lubeck, Brême et Hambourg ; ce traité prévoyait qu'il recevrait son application en même temps que le traité du 2 août 1862 entre la France et Zollverein. 

(5) Le cubage total des terrassements et dragages effectués pour le Canal et ses ports s'élevait, le 20 décembre 1869, date à laquelle fut arrêtée l'entreprise générale, à environ 74 millions de mètres cube, répartis comme suit : régie directe intéressée 12,5 millions de m3 ; entrepreneurs divers 4,7 millions de m3 ; entreprise Borel Lavalley & Cie 56,8 millions de m3.

(6) Fils de Léon Goudchaux, notaire à Paris, et de Célestine Cahen, Henri Goudchaux est né le 14 septembre 1846 à Paris. Il entre dans la Maison en 1863 (le 23 octobre ?) et est attaché à la succursale de Grimsby jusqu’en mai 1865, date de son affectation à la succursale de Cardiff qui vient de changer de direction. Il a épousé Jennie, Sophie, Henriette Levyllier dont il aura 2 enfants : Marie, née le 1er juillet 1872, et Michel Joseph, né le 5 mars 1880.

(7) Léon Franchetti a épousé Emma Worms le 16 mars 1864.


 

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