1948.00.De Worms et Cie.Historique Charbons (1857-1874)

Note de synthèse préparatoire à la rédaction
du livre intitulé Un Centenaire - 1848-1948 - Worms & Cie,
paru en octobre 1949

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[NB: Sur la chemise renfermant ce document est portée la mention : H. Worms.]

Historique Charbons
(1857-1874)

L'armement maritime ayant considérablement élargi le cadre de ses opérations, H. Worms en abandonna la direction technique à MM. Hantier Mallet & Cie qu'il jugeait mieux placés que lui pour en assurer le fonctionnement. II conserva néanmoins une étroite union avec eux pour l'orientation à donner à la nouvelle entreprise et pour toutes les décisions importantes.
Le commerce des charbons resta au contraire la base essentielle de son activité personnelle. II continua à chercher des débouchés dans les pays où le développement industriel et la facilité des relations maritimes avec l'Angleterre permettaient d'escompter la création de courants réguliers d'affaires, une de ses principales préoccupations restant celle de coordonner ses opérations maritimes et ses opérations charbons.
Navigation transocéanique. En cette période (1857-1874), la navigation maritime réalisa de très grands progrès grâce à l'emploi de l’hélice. En particulier la navigation transocéanique vit se multiplier les lignes pour les parcours les plus lointains. Jusqu'à cette époque, indépendamment des opérations qu'ils avaient entrepris en Californie et auxquelles il renonça définitivement au début de 1857, H. Worms avait traité à intervalles éloignés et très irréguliers, quelques marchés charbons en Amérique du Sud et en Extrême-Orient, en particulier avec la Marine française pour Singapour, Tourane, Hong-Kong, etc. mais ces opérations n'allaient pas tarder à prendre plus de régularité et d'ampleur.
Amérique du Sud. Lorsque le gouvernement français eut décidé, en 1857, l'établissement d'un triple réseau postal sur l'Océan atlantique, la Compagnie des Messageries impériales obtint la concession du réseau sud s'étendant, à l'origine, de Bordeaux et de Marseille, puis, définitivement, de Bordeaux seulement, au Sénégal, au Brésil et à La Plata. La première ligne régulière des navires à vapeur entre Bordeaux et Rio de Janeiro fut inaugurée le 24 mai 1860 ; dès le mois de janvier de la même année la Compagnie des Messageries impériales donna des ordres à H. Worms pour les fournitures à faire à ce nouveau service et pour la constitution de stocks à Bordeaux, Lisbonne et Rio de Janeiro.
Extrême-Orient. Peu après, en 1861, à la suite de l'expédition de Chine, cette même Compagnie acceptait de passer avec le gouvernement français une autre convention (22 avril 1861) joignant Marseille aux régions de l'Extrême-Orient. La ligne principale partait originairement de Suez, elle était reliée à Marseille par un service dont le chemin de fer d'Alexandrie à Suez portait les passagers et les marchandise de la Méditerranée à la Mer rouge. La Compagnie témoigna de nouveau sa confiance à H. Worms et lui confia le soin d'assurer l’approvisionnement du nouveau service à Aden, à Pointe de Galle et à Calcutta ; ses ordres s'étendirent à Singapour et à Hong-Kong dès que l'extension du service le rendit nécessaire.
Les dépôts d'Aden et de Pointe de Galle prirent rapidement une grande importance : en mars 1863 les ordres de la Compagnie pour ces deux ports atteignaient respectivement 20.000 tonnes et 15.000 tonnes. H. Worms acquérait ainsi une situation de premier ordre sur une des routes maritimes les plus longues et les plus fréquentées du monde, il prenait en même temps sur le marché des affrètements à destination de la mer des Indes et de l'Extrême-Orient une place en vue, mais de nouveaux et délicats problèmes se posaient à lui par suite de la durée des voyages et de l'éloignement des ports de destination. Pour assurer l'exécution de sa nouvelle mission au mieux des intérêts des Messageries impériales (et même, semble-t-il, à leur instigation), il prit le parti de se concerter pour tous ces affrètements avec la Maison Geo & A. Herring, de Londres, qui traitait elle-même des affaires avec ces mêmes pays. II entretint dès lors avec elle des relations suivies. La Maison Worms de Cardiff fut chargée des affrètements de H. Worms pour l'Atlantique et la Méditerranée et MM. Geo & A. Herring de ceux des Indes.
Les deux maisons cherchèrent d'abord à coordonner leurs opérations de manière à les rendre le moins onéreuses possible pour leur clientèle, puis H. Worms ne tarda pas à accepter de prendre une participation importante dans les affaires de charbons que MM. Geo & A. Herring traitaient, pour les mêmes destinations, avec d'autres et importantes sociétés étrangères, en particulier avec la P. & O. Cy.
Europe du Nord. Aussi bien à Hambourg qu'en Suède et en Russie, il chercha à nouer des affaires par l'intermédiaire d'agents locaux ; en 1857, il s'entendit avec une maison de Hambourg qui réussit à placer quelques charbons de Newcastle. II fait lui-même le voyage de Hambourg pour étudier la possibilité de développer ses opérations avec cette place, mais acquiert la conviction que les conditions dans lesquelles s'y exerçait le commerce des charbons ne justifiait pas l'espoir de grosses affaires : il renonça alors à y établir une succursale.
Son attention fut attirée quelques années plus tard sur Stockholm (1863) ; sa position à Newcastle et à Grimsby le mettait dans une situation favorable pour traiter des affaires avec cette place, mais le mouvement de charbon à prévoir ne lui parut pas non plus suffisant pour justifier l’établissement d'une maison. II se borna à vendre sous verge et par chargements complets. Sur cette base, il réussit à traiter quelques affaires avec ce port et d’autres de la Baltique, y compris Cronstadt. Le service de navigation qu'il avait établi entre la France et Cronstadt-Saint-Pétersbourg lui procura des relations grâce auxquelles il put également faire quelques opérations avec la Russie, y compris Odessa (un chargement pour la Compagnie du Dniepr).
Malgré tout c'est dans le bassin Méditerranéen où par suite du rapide développement de l'industrie, de la navigation et des chemins de fer il vit s'accroître ses débouchés.
Marseille. Fort de la situation qu'il s'était déjà acquise sur cette place et encouragé par les promesses qui venaient de lui être faites pour compte d'une société étrangère, la Compagnie russe de navigation et de commerce, H. Worms décida, au début de l'année 1858, de reprendre son ancien projet d'y ouvrir une succursale, à la fois pour le commerce des charbons anglais et pour les transports maritimes. II en confia la direction générale à un de ses anciens collaborateurs, Paul Cruzel, et installa ses bureaux 29, rue du Paradis. Dès ses débuts, cette succursale fournit une grande partie des compagnies de bateaux à vapeur et les relations de H. Worms en Angleterre lui amenèrent des demandes des bateaux étrangers. Une élévation considérable des frets rendit cependant les charbons anglais très chers. Ceux-ci perdirent bientôt du terrain au profit des charbons indigènes. M. Worms décida alors de faire lui-même un plus large appel à ces derniers et chercha même à en développer l'exportation vers l'Espagne et l'Italie. II étudia même un projet de transport par service régulier de bateaux à vapeur. Mais les mines ne purent pas prendre envers lui les engagements indispensables pour assurer le chargement des navires dans les délais nécessités pour la bonne marche du service.
Bien qu'il jugeât déjà que les charbons anglais seraient prochainement et totalement exclus de Marseille, il conserva cependant sa succursale. En 1873 (août) M. Cruzel lui en demanda la fermeture, mais H. Worms ne prit pas encore de décision.
Algérie. II ne semble pas que les besoins industriels aient été bien grands. Tout paraît se limiter encore aux besoins de la navigation et des Messageries maritimes qui, depuis 1854, avaient la concession de la ligne reliant Marseille à l'Algérie et à la Tunisie.
En avril 1867, H. Worms vend 1 200 tonnes aux Chemins de fer de Paris à Lyon pour livraison à Alger pour compte du réseau algérien.
Espagne. H. Worms étend encore ses affaires avec ce pays surtout par suite du développement que commençaient à y prendre l'industrie gazière et les chemins de fer. II traite des affaires avec le Gaz de Madrid (1858), avec le Chemin de fer de Madrid à Saragosse et à Alicante, qui lui donne des commandes importantes, avec le chemin de fer de Cordoue à Séville, etc.
Ses opérations avec Barcelone prirent une certaine importance. II reçut des propositions pour l'ouverture d'une succursale, mais n'y voyant pas un grand intérêt, il se borna à réorganiser sa représentation locale sur une base plus appropriée à ses besoins.
Italie. En suite de ses anciennes opérations, il s'était trouvé un moment dans l'obligation de prendre à son compte l'exploitation d'une usine à gaz portatif de Turin, mais après avoir cherché à donner un peu de vie à l'affaire, il y renonça et décida de fermer cet établissement (1865).
Estimant que le développement de l'industrie et des chemins de fer déterminerait à Gênes un commerce considérable des charbons, il décide en 1858, d'y avoir un agent mandaté à l'effet de traiter pour son compte dans les ports italiens de la Méditerranée et de l'Adriatique. II obtint ainsi quelques ordres de la Marine royale sarde, du Chemin de fer Victor Emmanuel, etc. La guerre provoqua bientôt un grand courant d'affaires mais les troubles politiques ultérieurs le ralentirent considérablement. II décida en 1868 de céder la suite de ses affaires et ne conserva plus qu'un intérêt de commanditaire dans la nouvelle direction.
II n'en continua pas moins à traiter par ailleurs d'importantes affaires dans le reste de la péninsule, qui fut visitée à plusieurs reprises par son collaborateur, H. Goudchaux. On peut citer parmi sa clientèle, les Chemins de fer lombards-vénitiens, la Société générale des chemins de fer romains, pour livraisons à Civitavecchia, Naples et Ancône, la Société italienne pour le gaz (Turin), la Compagnie des paquebots pour le service postal (Gênes), la Compagnie napolitaine d'éclairage et de chauffage par le gaz, le Chemin de fer de la Haute Italie (Turin), la Société anglo-romaine pour l'éclairage au gaz à Rome, etc.
Autriche. H. Worms ne fit tout d'abord que peu d'opérations dans ce pays. Elles se limitèrent à peu près à des fournitures aux chemins de fer du sud de l'Autriche, en 1856 et en 1857, mais en 1868 il eut la satisfaction de devenir le fournisseur du Lloyd autrichien dont les premiers ordres furent bientôt suivis d’ordres importants ; plusieurs furent négociés par Henri Goudchaux au cours de voyages en Italie. Ces ordres s'appliquaient à Trieste et aux ports d'escale fréquentés par la Compagnie (Raguse, Corfou, Smyrne, Syra). La notoriété et la situation que H. Worms s'était acquises en Méditerranée, s'en trouvèrent notablement renforcées.
Proche-Orient. Indépendamment des fournitures qu'il était appelé à faire aux Messageries maritimes et qu'il vit s'étendre à des destinations nouvelles lorsque celles-ci étendirent leur service à la Mer noire et aux ports du Danube, ainsi qu'à différentes îles de l'archipel de l'Anatolie et à la Thessalie, H. Worms obtint d'abord quelques commandes de la Compagnie russe de navigation pour Messine, Smyrne et Odessa, puis, ceux du Lloyd autrichien.
D'autre part, en vertu d'un marché conclu avec le gouvernement égyptien et auquel il attachait une grande importance, il eut à faire des livraisons à Constantinople pour l'administration des postes Khédivié (1872) ; il en obtint également des chemins de fer roumains pour livraison à Galatz. Enfin par l'intermédiaire de son correspondant de Constantinople, il conclut plusieurs contrats pour fournitures à diverses industries à Constantinople.

 

Conclusion.
Société Hypolite Worms & Cie
Après l’ouverture du canal de Suez, au lendemain de la guerre de 1870-1871, les opérations de H. Worms prirent une grande ampleur. Les expéditions de charbon qu'il faisait d'Angleterre et qui avaient déjà dépassé 400.000 tonnes en 1857, s’élevèrent à 900.000 tonnes en 1871, soit presque 1/12 de la quantité totale qui s'expédiait des ports anglais. Suivant sa propre expression il avait réussi, lui Français, à enlever à des maisons anglaises des affaires leur revenant naturellement. Témoin de la grande révolution industrielle et maritime qui marque le milieu du 19ème siècle, il ne cessait d'en suivre les progrès, d'en étudier les besoins et d'y adapter l’organisation de sa Maison. Il en était résulté un labeur énorme que les événements de 1870-71 vinrent compliquer singulièrement. Afin de pouvoir continuer à correspondre avec ses succursales il dut quitter Paris lorsque les menaces d'investissement se précisèrent. Il s'installa d'abord au Havre, puis à Bordeaux quand la première de ces deux villes fut à son tour menacée. Enfin à l'époque de la Commune il transféra ses services à Saint-Germain-en-Laye . A son départ de Paris il avait dû laisser ses bureaux de Paris sous la direction de son gendre, M. Franchetti, et de son fils, Lucien Worms. En décembre 1870 il eut la douleur de perdre son gendre Commandant des G. M. qui décéda à la suite de graves blessures reçues au combat de [Champigny].
À cette époque H. Worms avait près de 70 ans. Depuis quelques années déjà, il avait appelé auprès de lui à Paris, pour le seconder, Henry Josse qui avait géré pendant plusieurs années sa maison de Grimsby. Vers la fin de l'année 1873, il décida de se l'adjoindre d'une façon plus étroite et de le prendre comme associé. Par acte en date du 16 mars 1874, H. Josse et lui constituèrent une société en nom collectif dont la raison et la signature sociales était Hypte Worms & Cie ; ils en étaient les seuls associés et avaient tous deux la signature sociale. L'objet de la société était défini : "armement et commerce des charbons pour continuer les opérations de la maison de commerce fondée par M. H. Worms à Paris avec des comptoirs à Bordeaux et Marseille en France, Cardiff, Newcastle et Great Grimsby en Angleterre et à Port-Saïd en Égypte". La durée en était fixée à douze années, mais elle avait commencé à courir le 1er janvier 1874.
Cet acte est resté l'acte constitutif originaire de la Maison Worms & Cie actuelle. La société n'a cessé d'exister depuis, après plusieurs prorogations et diverses modifications apportées à ses statuts et à sa raison sociale.
Le capital social fixé originairement à 4.500.000 F était fourni par H. Worms pour 4.000.000 F comprenant pour partie la propriété entière du steamer "Emma" et celle des deux tiers des steamers "Lucien", "Isabelle", "Gabrielle", "Président", "Blanche" et "Marguerite". Le surplus (500.000 F) était fourni en espèces par H. Josse.

 

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