1947.00.Note (non datée).Our Vichy Gamble.Analyse juridique

Copie

Le PDF est consultable à la fin du texte. 

NB : Note non datée, classée après le 28 juin 1947, date du courrier adressé à Me Maurice Paz, dont le document ci-après semble constituer la réponse.

I - II semble que les passages relevés constituent bien des diffamations (il faut noter d'ailleurs que le premier passage relevé ne doit être séparé ni du texte qui le précède, qui augmente sa portée, ni du texte qui suit immédiatement, page 172).
Le fait de "s'identifier tout particulièrement avec le régime Darlan" (caractérisé auparavant, et défini comme collaborateur, page 167) est une diffamation.
Le fait d'affilier à la coterie W. - car le mot anglais "clique" se traduit plutôt par "coterie", tandis que le mot français "clique" s'exprimerait plutôt par "gang" - des collaborateurs notoires, dont l'un condamné comme tel, est une diffamation (surtout lorsque l'affiliation relève de la pure fantaisie).
Le fait de dire que les hommes représentés comme affiliés sont "remplis d'intérêt personnel et dépourvus de tout scrupule" est une diffamation, tant pour ceux qui sont ainsi mis en cause que pour le groupe auquel on les relie.
Les prétendues précisions sur la "collaboration économique", que l'on fait remonter avant la guerre, sont dans les mêmes conditions, des diffamations.
De même, le paragraphe sur les "banques collaborationnistes", parmi lesquelles la banque W. est donnée en exemple, avec références à son activité nord-africaine est une diffamation.
Le deuxième passage relevé (p. 191), représentant le groupe W. comme soutenant les visées de P. - après avoir reconnu préalablement l'incertitude de la documentation et son caractère contradictoire - est encore diffamatoire.
Le troisième passage (p. 229) est plus douteux : d'après les informations publiées, le procès L.-M. (il faudrait avoir au moins le jugement rendu) aurait infirmé les allégations du texte en ce qui concerne L.-D.
Mais le passage peut servir à montrer, ou plutôt à confirmer, le caractère tendancieux et malintentionné de la publication, ainsi que ses inexactitudes.
Le quatrième passage sur les "seuls vrais collaborateurs" est nettement diffamatoire. C'est sans doute même, avec les prétendues précisions qu'il apporte, le plus grave, celui qui comporte les imputations les plus odieuses (p. 385).
Enfin, l'index lui-même de l'ouvrage, par sa référence, confirme la tendance générale des passages relevés.
Tout ceci, sous réserve naturellement des controverses et discussions juridiques que ne manque jamais d'entraîner un procès en diffamation de ce caractère et de cette envergure. II importera de situer la publication, de définir les préoccupations auxquelles répond ce plaidoyer, qui cherche à esquiver et rejeter les responsabilités d'un "jeu" fort critiqué.
Il reste, après avoir très succinctement relevé les éléments possibles d'infractions (en cas de publication d'une traduction conforme, et sous réserve encore d'un examen complet de l'ouvrage dans son ensemble, et de ses sources), il reste à examiner certaines observations qui se présentent de prime abord.
a) D'abord, il ne fait pas de doute qu'une personne morale (une société) peut être diffamée, et engager une action répressive en diffamation.
La loi a toujours reconnu ce droit aux personnes morales publiques ou privées (Barbier, "Code expliqué de la presse", 408 et 533).
En l'espèce, si une poursuite est envisagée, elle pourrait l'être à la fois au nom de la personne morale et de celles des personnes physiques qu'il conviendrait d'y associer. Ce point doit être réexaminé en ce qui concerne l'administration de la preuve, admise dans la Loi de 1881 par une disposition qui subsiste, à l'encontre des "directeurs ou administrateurs de toute entreprise industrielle, commerciale ou financière, faisant publiquement appel à l'épargne ou au crédit" (art.35, al.2).
b) une difficulté sera soulevée vraisemblablement par les défendeurs à l'action en diffamation, comme toujours lorsqu'il s'agit de faits de l'histoire contemporaine. On ne manquera pas d'alléguer les droits de l'historien. Encore faut-il que l'historien apprécie les faits "avec convenance dans la forme et sincérité dans le fond" (Barbier, op. cit., 433), ce qui n'est pas le cas apparemment !
C'est là que le pouvoir d'appréciation du juge aura la plus grande latitude : à cet égard notamment, la préparation du dossier et la conduite du procès auront toute leur importance.

II - Il ne fait pas de doute qu'une publication (livre ou périodique) peut toujours, le cas échéant, faire l'objet d'une poursuite en diffamation - dans les trois mois qui suivent le premier fait de publication - même si elle prétend s'appuyer sur des documents officiels.
La seule reproduction des documents officiels ne donne pas ouverture, en fait tout au moins, à une poursuite, mais un commentaire qui les accompagne, ou une reproduction infidèle n'y échappe pas.
Or, non seulement l'ouvrage visé ne semble pas se fonder, à proprement parler, sur des documents officiels (les brochures citées en bas de page pour les passages relevés, brochures qu'il faudrait revoir, étant des pamphlets sans authenticité), mais la documentation est faible (avouée comme telle), l'information tendancieuse ou fausse (relever la note de la page 167 sur la déposition du général Trochu ! etc.), le commérage flagrant.
Peu importe pour une poursuite procédant de la publication en France qu'il s'agisse d'une traduction ou reproduction, ce qui compte, c'est le fait de la publication.
Pour que la diffamation existe, pour que l'intention de nuire, indispensable, soit établie, il suffit que le publicateur ait eu conscience du mal qu'il pouvait faire. Les imputations diffamatoires nettement caractérisées sont réputées de droit faites avec intention de nuire.
"La circonstance que le publicateur d'articles de journaux réunissant les divers éléments constitutifs du délit de diffamation a cru à l'exactitude des faits sur la foi d'un correspondant en qui il avait confiance, ne saurait enlever à ces articles leur caractère délictueux, ni soustraire celui qui les a publiés à la responsabilité pénale de son propre fait." (Cass. 14 nov. 1903, Bull. crim. n°375). Mutatis mutandis, on voit tout l'intérêt de cette décision.
On rejoint ici la question de l'appréciation du juge en matière "d'intérêt public", lorsqu'il s'agit de faits de l'histoire contemporaine, rapportés par un étranger.
Certes, le juge peut toujours relaxer un prévenu, motif pris de ce qu'il aurait agi sans intention de nuire : la préparation et la présentation de la cause ont ici tout leur poids.

III - L'ordonnance du 6 mai 1944 a largement étendu le domaine de la preuve.
Elle ne peut plus seulement être rapportée contre les personnes publiques ou à l'encontre des directeurs ou administrateurs de toute entreprise faisant appel à l'épargne ou au crédit, mais aussi à l'encontre de quiconque (art.35 modifié), sauf :
a) lorsque l'imputation concerne la vie privée de la personne,
b) lorsque l'imputation se réfère à des faits qui remontent à plus de dix années,
c) lorsque l'imputation se réfère à un fait constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou qui a donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision.
II faut donc envisager en l'espèce, et souhaiter en cas de poursuite, l'offre de preuve adverse, et la perspective d'un débat très ample et complet.
Seul un tel débat - préparé par la constitution d'un dossier très documenté sur l'agression et sur les éléments de défense à y opposer - serait susceptible de mettre un terme à des calomnies renaissantes.
II faut noter, pour mémoire, que le gérant (directeur de publication) ou éditeur serait mis en cause ainsi que l'auteur.


Back to archives from 1947