1945.08.31.Note (sans émetteur ni destinataire).Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime

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Note

La guerre qui vient de se terminer a entraîné dans le monde d'importantes modifications dans la technique de l'industrie des constructions navales. Les différents chantiers des Nations unies ont connu au cours des dernières années une activité considérable qui leur a permis de couvrir dans une large part les dépenses relatives à l'introduction de techniques nouvelles, et de procéder sur une échelle considérable au renouvellement de leurs moyens normaux de production.
Les chantiers français ont été par contre eux depuis 1940, à la suite de l'attitude de résistance qu'ils ont constamment maintenue à l'égard de la puissance occupante, dans l'impossibilité financière et matérielle d'amorcer les programmes de modernisation qui s'avèrent nécessaires ; leurs installations ont, en outre, subi du fait de la guerre des dommages considérables.
Les départements de la Marine et des Travaux publics et des Transports ont mis dès lors à l'étude, de concert avec la Chambre syndicale des constructeurs de navires, un programme industriel et financier destiné à rétablir l'industrie des constructions navales française sur un plan de compétition internationale possible.
Mais il apparaît indispensable que l'on mette tout d'abord de l'ordre dans les entreprises elles-mêmes. La présente note vise le cas de MM. Worms & Cie, dont I'activité englobe un important chantier et qui désireraient, pour rentrer dans les vues exposées ci-dessus, confier l'exploitation de cette branche à une société anonyme nouvelle, dont la personnalité morale serait distincte et les conditions d'exploitation et de vie semblables à celles des autres chantiers de constructions navales de notre pays.
Les dispositions fiscales en vigueur rendant pratiquement impossible une telle opération, il est fait exposé ci-après des solutions que l'administration des Finances pourrait équitablement envisager en vue d'en permettre la réalisation, dans le cadre du programme de rationalisation industrielle et commerciale prévu par les départements techniques intéressés.
La séparation des chantiers du Trait des autres entreprises exploitées par MM. Worms & Cie, ne peut être obtenue de façon satisfaisante, complète et définitive que par le transfert avec tous ses éléments de la branche actuelle constructions navales de leur activité sociale à la nouvelle société anonyme.
On songe tout naturellement à la modalité pratique d'un apport en nature que MM. Worms & Cie feraient de leurs chantiers à la nouvelle société, apport comportant paiement par cette nouvelle société du droit de 1%, majoré de 2,50%, pour les éléments immobiliers.
Toutefois, cet apport doit être fait pour la valeur actuelle réelle de l'actif apporté. En raison de la baisse de la valeur de la monnaie depuis la création des Chantiers, les immobilisations du Trait ont certainement aujourd'hui une valeur très supérieure à celle résultant des écritures comptables (environ F 7.000.000 - après amortissements au bilan au 31 décembre 1944).
Pour le raisonnement et sous toutes réserves, étant donné la difficulté d'estimer dans les circonstances présentes, après les destructions de guerre, la valeur normale de cession d'un ensemble industriel aussi particulier, nous admettrons que le supplément de valeur par rapport au bilan pourrait être considéré comme étant de l'ordre de F 30.000.000.
C'est donc une plus-value de cette importance que ferait apparaître la comptabilisation par MM. Worms & Cie des actions qu'ils recevraient en représentation de leur apport.
Sans doute, l'article 7bis du Code général leur permet-il d'éviter l'imposition immédiate de cette plus-value, mais à condition que soit réinvestie dans les trois ans une somme égale au montant de la plus-value ajoutée au prix de revient des immobilisations cédées.
Une telle obligation conduit en l'espèce à des résultats contradictoires avec le but poursuivi.
Le montant des sommes à réinvestir par MM. Worms & Cie s'élèverait en effet, dans cette hypothèse, à F 30.000.000 (montant de la plus-value par rapport à la valeur en écritures) plus F 100.000.000 (montant de la valeur initiale des immobilisations des chantiers du Trait).
Or si 30.000.000 F peuvent être immédiatement remployés à due concurrence des actions d'apport remises à MM. Worms & Cie, il n'en va pas de même pour les 100.000.000 F.
Cette somme pourrait en tout ou partie être investie dans la nouvelle société par la souscription d'actions de numéraire. Mais l'on aboutirait alors à constituer une société avec un capital disproportionné, même eu égard au niveau actuel des prix, avec les besoins et les possibilités de l'industrie des constructions navales ; il est indispensable en outre que la nouvelle société n'ait pas de charges plus lourdes et ne court pas plus d'aléas financiers que ses collègues[1].
Cette somme, d'autre part, pourrait être réinvestie par MM. Worms & Cie dans leurs propres affaires (navires, commerce des charbons, etc.), mais le principe de l'opération serait entièrement vicié puisque l'on aboutirait alors à faire faire par MM. Worms & Cie un effort financier considérable pour leurs branches d'activité autres que celle pour laquelle ils entendent aménager leurs ressources en vue de renforcer son potentiel.
L'on ne saurait enfin, et dans l'une comme dans l'autre hypothèse, se dissimuler ce qu'a de paradoxal un système qui traite de même manière les plus values comptables et les plus values réelles. Si MM. Worms & Cie, au lieu d'apporter leurs chantiers à une société filiale, les cédaient contre espèces à des tiers, le problème du réinvestissement de la plus-value et de la valeur initiale ne se poserait pratiquement pas. Au contraire, s'agissant d'un apport pur et simple, il y a plus-value fictive, et, partant, remploi de capitaux qui n'existent pas ou n'existent plus.
L'opération conçue comme une mesure de bonne gestion industrielle aboutit à une catastrophe financière : elle s'avère irréalisable dans le cadre de l'article 7bis.
Une première solution consisterait, étant donné le but de l'opération et son caractère d'intérêt général, à prendre hardiment une mesure toute spéciale.
Depuis leur fondation en 1917, les chantiers du Trait de MM. Worms & Cie ont toujours fait l'objet d'une comptabilité particulière ; ils ont leur bilan propre, avec un capital dénommé "dotation", des réserves, des provisions, des immobilisations, des débiteurs et des créditeurs divers, des comptes correspondants, banquiers, caisse, etc.
II pourrait être décidé que cet ensemble comptable serait repris tel quel par la société nouvelle (y compris tous
les comptes de provisions pour stocks, outillage, entretien différé, etc.), le droit d'apport étant assis sur la "dotation" des Chantiers ; cette "dotation" représentant l'évaluation bilantielle inscrite dans les comptes de MM. Worms & Cie pourrait être transformée en actions d'apport sans qu'aucune plus-value de cession n'ait à être constatée.
Pas de gonflement artificiel du capital de la nouvelle société ; aménagement rationnel de l'emploi des capitaux disponibles de MM. Worms & Cie, tels sont les avantages de cette formule.
Une telle solution pouvant apparaître moins hardie que révolutionnaire en l'état actuel de la législation, une autre formule pourrait être envisagée, fondée sur la notion de report de l'exigibilité des droits.
Un premier aspect de la question doit au départ ne pas prêter à équivoque : il s'agit de l'assiette du droit d'apport. MM. Worms & Cie, si l'administration de l'enregistrement considère que son attitude à cet égard ne saurait être modifiée, ne contestent nullement que le droit d'apport soit calculé sur la valeur actuelle réelle des chantiers.
La véritable difficulté ne réside pas en fait dans ce problème de taxation immédiate ; elle réside dans un problème de taxation éventuelle, par le double jeu des plus-values dégagées et des montants à réinvestir.
L'opération envisagée par MM. Worms & Cie en plein accord avec les départements ministériels intéressés consistant à remplacer dans leur actif leurs chantiers par les titres d'une société filiale qu'ils contrôleront au sens le plus absolu du terme, ne pourrait-on admettre qu'en ce qui concerne l'application de l'article 7 bis, la plus-value de réévaluation ne soit pas dégagée actuellement, mais seulement dans l'hypothèse de liquidation des actions d'apport détenues par MM. Worms & Cie, actions que ceux-ci s'engageraient d'ailleurs sans difficulté à conserver d'une manière permanente dans leur portefeuille, sauf à payer l'intégralité des droits dont la suspension aurait été accordée s'il en était autrement ?
L'apport - au point de vue comptable - se ferait sur la base de la valeur en écritures des chantiers ; les droits -au point de vue fiscal - seraient liquidés sur la base de leur valeur réelle.
L'article 7 bis n'aurait pas à jouer, du moins pour le moment, et toutes les difficultés soulevées ci-dessus disparaîtraient ainsi automatiquement.

31 août 1945


[1] Chantiers de la Loire - capital 140.000.000 F - avec 3 établissements ; Ateliers et Chantiers de France - capital 17.094.000 F avec 1 établissement ; Forges et Chantiers de la Gironde - capital 30.000.000 F avec 1 établissement.


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