1945.05.15-18.De Robert Labbé.A Hypolite Worms.Note (sans signature ni destinataire)

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NB : Note sans signature ni destinataire, issue d'un dossier contenant la correspondance d'H. Worms avec R. Labbé et R. Meynial.

15 mai 1945

Je ne vous ai pas écrit plus tôt, ayant eu plus que par-dessus la tête de travail depuis 10 jours, en tenant compte également du surcroît de présence au bureau dû à l'absence de Meynial.
Comité central - Après la constitution du bureau, nous avons eu presque immédiatement une réunion avec le ministre qui dura près d'une heure et demie et fut très cordiale. Il exprima notamment sa satisfaction de voir en face de lui des figures connues avec lesquelles il lui serait agréable de discuter. Ceci étant, il ne nous a pas caché qu'il avait l'intention de discuter ferme sur les deux points bien connus : article 11 et nationalisation.
Je passe sur le premier point, la chose étant bien connue et se résumant purement et simplement dans la détermination du quantum de financement que les compagnies devront réaliser par elles-mêmes, en dehors du régime des dommages de guerre. Une fois la décision prise, il sera facile de se mettre d'accord sur une formule. Nous nous efforcerons, bien entendu, de lâcher le moins possible en tenant compte, en particulier, de la situation faite dans le cadre général de la réparation des dommages de guerre.
Sur le second point, le problème est infiniment plus délicat. Le ministre s'oriente vers des nationalisations en fait de compagnies : CGT - MM - Fraissinet Corse - Sud Atlantique. Je ne pense pas que l'on puisse dissocier dans la Transat les cargos et les paquebots, ce qui serait cependant logique, le ministre précisant que l'on ne saurait nationaliser uniquement du déficit.
Il ne semble pas d'ailleurs aller jusqu'à la nationalisation systématique de toutes les lignes de paquebots.
Ayant précisé qu'à côté du secteur nationalisé, il y aurait un secteur contrôlé et un secteur libre, il a indiqué qu'il était incapable de dire ce que serait le secteur contrôlé et comment le contrôle serait exercé. Sur mon intervention, il a néanmoins reconnu que contrôle ne voulait pas dire ingérence dans la gestion ni présence d'un délégué de l'État dans chaque armement contrôlé. Il semblerait que cet atermoiement puisse être considéré comme l'indice de son désir de s'en tenir aux nationalisations précitées en prétextant vis-à-vis de l'opinion publique nationale des sujétions internationales.
Quoi qu'il en soit, il y a là une question fort délicate, puisqu'il nous a dit que les nationalisations devaient réussir, sinon ce serait les armateurs libres qui en pâtiraient. Je ne pense pas qu'il ait tort et je crois qu'il faut être moins définitif que dans notre conversation du 1er mai et ne pas dire purement et simplement : laissons l'État bafouiller dans son secteur nationalisé. Ceci n'implique évidemment pas une participation à la gestion des compagnies, mais comme Marchegay et Francis Fabre y inclinent avec moi, la mise au point d'un organisme bipartite, genre conférence, qui, prenant un caractère officiel et départageant la zone d'action des différents armements sur un secteur déterminé, empêcherait au cas de non-réussite d'un armement d'État que celui-ci puisse invoquer des entourloupettes faites par un armement privé.
Cette formule me paraît constructive, mais, dans mon esprit, ne devrait pas être mise en avant, avant que nous ayons des précisions sur les projets de la Marine marchande. Or, celle-ci tourne autour du pot sans atteindre aucune conclusion nette.
Ce qu'il faut en définitive, c'est régler en premier lieu la question de l'article 11.
Lignes Worms - Vous verrez par les papiers relatifs à l'UMA que le coasting n'est pas inclus dans la machinerie internationale, mais doit faire l'objet d'accords particuliers.
Je continue à m'efforcer de convaincre la Marine marchande de l'utilité de reprendre nos lignes d'Angleterre. Les récentes lettres de Burness vous auront montré que du côté anglais la position était en principe sauvegardée. Chardon partage mon sentiment, estimant que le secteur Grande-Bretagne était un des trois sur lesquels la France devait faire porter un effort particulier. Nous avons déjà avec Emo repris contact avec la General Steam. D'accord avec Chardon, je vais l'envoyer en Angleterre pour voir la chose plus avant, car il ne fait pas l'ombre d'un doute que notre avenir du côté des lignes anglaises réside dans la suite de la politique entreprise avant guerre, d'accord avec les lignes britanniques. Ceci cadrerait d'ailleurs avec les accords particuliers prévus dans les papiers de l'UMA.
Mais je voudrais aller plus loin. J'estime en effet que l'organisation de la Marine marchande n'est pas adéquate au trafic du cabotage et nous n'avons aucun intérêt à ce que la place Fontenoy s'en charge ou en charge une organisation complémentaire qui double la nôtre.
Il faudrait imiter ce qui a été fait en 1939 ou la DTM nous avait donné de larges pouvoirs de coordination sur le trafic français notamment. Je vais, dans ces conditions, aborder Charbon pour lui demander la création d'une sorte de conférence cabotage national dont nous serions les leaders et qui organiserait tout le trafic côtier qui ne manquera pas de reprendre, même avec des petits bateaux, et superviserait en même temps les chargements sur les liners qui, le cas échéant, toucheraient plusieurs ports à leur arrivée ou à leur retour d'outre-mer. Je voudrais en outre nous voir être à la clef du trafic anglais et être en quelque sorte le chef de file français opposite number de la General Steam dans l'accord franco-anglais qui ne manquera pas d'intervenir.
Il est opportun que nous ayons un entretien en ce qui concerne nos lignes et l'introduction de la France à titre exécutif dans le conseil de l'UMA nous fournit cette occasion puisque les accords particuliers de coasting vont avoir à être mis sur pied.

18 mai 1945

Charbon m'a convoqué hier matin au moment même où j'allais lui demander un rendez-vous pour lui déposer une note reflétant nos vues. Son exposé n'a fait qu'anticiper sur mes propres idées et comme, en ce qui concerne les lignes anglaises, il n'avait aucune organisation pratique en vue, celle proposée dans notre note a été immédiatement retenue par lui. Il compte bien reprendre nos bateaux des Anglais (Meynial me le confirme par ailleurs) et nous détacherons Thurneyssen place Fontenoy pour servir de dispatcher. Tout semble donc ne pas aller mal de ce côté.
Nochap - Vous aurez vu par la note de Bucquet la politique que je suis en ce qui concerne l'UMA.
La réalisation de la conférence Madagascar est acquise. Deloche vient d'en être nommé secrétaire. Je pense que, même en cas de nationalisation, il ne devrait pas y avoir de drame à envisager. Nous nous retrouverons soit en face des contractuels, soit en face des libres, soit, ce qui serait plus logique, en face d'une seule compagnie qui absorberait les deux Messageries (mais c'est là où le bât blesse Francis F.).
J'ai eu d'ailleurs l'occasion de dire un mot de cette question à Chardon hier qui, est-il sincère ou non à mon égard, me fait toujours de grandes déclarations libérales.
SFTP - Rien de nouveau. En ce qui concerne les actions Dreyfus pour lesquelles, conformément à une récente ordonnance, une déclaration doit être faite avant la fin du mois. Nous nous sommes tous mis d'accord entre différents actionnaires pour rédiger à l'appui de cette déclaration, une note identique reproduisant la délibération du conseil au cours de laquelle les commissaires du gouvernement avaient donné leur accord, la lettre des Finances à Saint-Gobain autorisant également l'opération. Zaffreya doit, en outre, écrire une lettre à la société rappelant les conditions dans lesquelles la négociation a été poursuivie. Je ne pense donc pas, étant donné surtout la participation de l'État à l'opération, qu'il y ait de pépin de ce côté. Quant à Pierre L.D., je ne bouge bien entendu pas à son égard.
Vous allez recevoir le projet de rapport pour l'assemblés du 2 juillet. Estimez-ous souhaitable que, votre séjour se prolongeant au-delà de ce que nous pensions il y a deux mois, il soit satisfaisant que la Maison n'ait pas de représentant au conseil ? Nous risquons d'avoir des réunions spécialisées au cours desquelles les armateurs pétroliers seront convoqués. Il doit déjà y en avoir une chez René Mayer. Cayrol ne peut évidemment pas, étant donné sa fonction principale, être impartial comme armateur. Je n'ai aucun désir bien entendu d'accroître mes occupations. C'est l'intérêt de la Maison que j'ai seulement en vue.
En ce qui concerne les actions d'administrateur de M. Barnaud dont le quitus a dû être fourni, peut-être serait-il aussi opportun que nous les lui rachetions, étant donné l'aléa qui peut se produire.


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