1945.04.26.De Hypolite Worms.A Raymond Meynial.Original

Original

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26.4.45

Mon cher Raymond,
Dollie m'a apporté le dossier que vous lui aviez donné pour moi, je vous le renvoie avec les commentaires et pour faciliter les choses, je vais prendre chaque pièce ou chaque affaire l'une après l'autre.

1. Rapport de l'expert Bernard sur Japy et Puzenat
Pas d'observations. Il est parfait objectivité et de sincérité.
Commission rogatoire Puzenat
Pas d'observations non plus. Il confirme intégralement nos déclarations sans la moindre note discordante.

2. Commission rogatoire Japy
Au cours des communications téléphoniques que j'avais eues la semaine dernière j'avais compris qu'on avait trouvé dans ce dossier de commission rogatoire de Japy des éléments défavorables, ce qui avait amené, m'avait-on dit, une remarque désagréable du juge Thirion à l'un de nos avocats (Doublet, je crois).
Je comprends pas ! Toutes les dépositions, à l'exception de celle du nommé Rigoulot, comptable à Beaucourt, sont favorables et confirment nos déclarations. L'inspecteur Rodier, chargé par la direction de la police nationale de Belfort, chargé de l'enquête et de la commission rogatoire, donne des conclusions absolument favorables puisqu'il écrit : « Les commandes étaient imposées par les occupants, leur exécution de l'avis de tous les témoins que j'ai entendus, a été sabotée au point de vue qualité... et complètement arrêtée par destruction des machines... En ce qui concerne la relève et le STO, la direction ne semble pas s'être montrée très enthousiaste pendant les deux dernières années d'occupation, elle a agi de façon à employer les ouvriers susceptibles d'être déportés en Allemagne... Le personnel ouvrier, qui est conscient d'avoir travaillé pour l'Allemagne, pour gagner sa vie, fait montre d'une entière sympathie à l'égard de ses dirigeants directs. »
Quant à la seule note discordante, celle de Rigoulot, je relève un certain nombre de contradictions dans ses déclarations. Il dit bien : « L'usine pendant l'occupation a travaillé presque uniquement pour les Allemands », et plus loin « au début de l'occupation on peut dire que la direction ne semblait pas mécontente d'avoir exécuté des commandes allemandes » mais par ailleurs, il déclare « Les commandes furent exécutées sans empressement par les dirigeants » et plus loin « il y eut à l'usine de fréquents incidents entre les Allemands et la direction si bien qu' un contrôleur allemand fut imposé à l'usine ».
En ce qui concerne la relève et le STO, il déclare bien « on ne peut pas dire que la direction ait fréné les départs », et « d'une façon générale, on peut dire que la direction des établissements Japy avait en 1943, a eu (sic) une attitude collaborationniste », mais, par contre, à deux reprises, il reconnaît que « les ouvriers susceptibles d'être désignés pour la relève ont été placés dans des chantiers où ils étaient camouflés » et ensuite que la direction « a tout fat pour ses ouvriers réfractaires, notamment en payant ceux d'entre eux qui avaient pris le maquis ».
Vraiment, je ne vois pas comment on peut attacher d'importance aux déclarations de ce Rigoulot qui sont du reste extrêmement vagues, des suppositions plutôt que des affirmations, et dont l'inspecteur de police lui-même ne tient aucun compte puisqu'il ne les reprend pas dans les conclusions de son rapport, conclusions encore une fois qui sont absolument favorables, sans restriction.
J'ajouterai enfin que Rigoulot n'est même pas un ouvrier de l'usine, c'est un comptable qui ne pouvait rien savoir des questions de production ou du travail de l'usine. Cela donne un peu l'impression d'un employé mécontent qui en veut particulièrement à Edmond Le Roy Ladurie qu'il cite dans sa déposition.
Encore une fois, je ne vois pas quelle importance on peut lui donner, tout le reste des documents de cette commission rogatoire étant parfaits.

3. Commission rogatoire Puzenat
Rapport tout à fait favorable, aucune une note discordante. M. Thirion a même pu observer que le président Puzenat a beaucoup insisté sur son indépendance complète et il ne nous reconnaît même pas cette espèce de contrôle financier sur sa société dont nous avions accepté, devant lui, Gabriel et moi, de prendre une part de responsabilité.

4. Dossier Scane et UEFEM
Pas d'observations, ce ne sont que les copies de nos déclarations ou des notes que nous avons remises.

5. Département minier Cantacuzène
Pas d'observations non plus, sinon que les dépositions des ouvriers de Charrier et Montmins, confirment avec encore plus de force et plus de netteté les déclarations de Cantacuzène.

6. Déposition Latourette
Nous la connaissions déjà. C'est l'œuvre d'un fou, il n'y a qu'à la repousser du pied comme M. Thirion l'a déjà fait lui-même.

7. Commission rogatoire du Trait
Je n'en connaissais jusqu'ici qu'une partie. Je pense pas qu'il y ait lieu d'attacher une importance quelconque à la déposition de deux ou trois ouvriers qui ont exhalé leur mauvaise humeur à l'égard de leurs chefs. Le rapport, en conclusion de la commission rogatoire, fait par l'inspecteur de police de Rouen est formel et complètement favorable. Il confirme en tous points de vue nos déclarations, celle d'Abbat et les dépositions des ingénieurs de la surveillance dépendant du ministère de la Marine.
Il serait bon toutefois de donner copie à Abbat de tout ce dossier de commission rogatoire s'il ne l'a pas déjà.

8 et 9. Rapport de la direction du Blocus au ministère des Finances et dépositions van Cabeke
J'en viens maintenant à ces deux documents que je traiterai ensemble car j'ai fait, en les lisant l'un après l'autre une découverte fort intéressante : c'est l'œuvre de la même personne.
À l'appui de sa déposition, acte d'un fou ou d'un misérable, van Cabeke a remis deux notes, l'une supposée révéler les agissements de la maison Worms contre lui, l'autre étant celle qui aurait été adressée en avril 1942 au Conseil national de la résistance par une personne dont il n'est pas autorisé à dire le nom ! Or, la juxtaposition de ces deux notes déposées par van Cabeke reproduit exactement mot à mot, sans l'omission d'une seule virgule, le rapport contre la maison détenu par la direction du blocus au ministère des Finances et que cette dernière a envoyé par une lettre du 22 janvier 1945 à M. Thirion.
Tous ces documents (rapport du blocus, ou note adressée au CNR) sont datés avril 1942, et, chose curieuse, en l'envoyant au juge trois ans plus tard, la direction du blocus ne semble pas avoir jugé nécessaire de mettre son dossier à jour.
J'ai marqué en marge de ces documents les passages qui se répètent l'un dans l'autre. Encore une fois, il n'y a pas un seul mot différent, pas une virgule changée, la seule différence est que dans sa première note relatant ses griefs contre la maison Worms, van Cabeke s'est contenté d'ajouter quelques considérations personnelles pour lui permettre d'attaquer [Nebon, Lavit & Roudié].
Par conséquent, de deux choses l'une : ou bien c'est van Cabeke qui a servi d'indicateur, c'est lui qui a fait le rapport de la direction du blocus dont il a envoyé copie, sous forme de note au Conseil national de la résistance en avril 1942, rapport qu'il s'est contenté de copier pour ses fins personnelles et de déposer sur le bureau de M. Thirion lorsqu'il a su que nous étions, Gabriel et moi, inculpés, ne se doutant probablement pas que nous aurions connaissance du rapport lui-même par l'intermédiaire du ministère des Finances. Ou bien alors un fonctionnaire du blocus, mal intentionné, ayant fait un rapport contre la maison Worms en a donné copie à van Cabeke en même temps qu'il le remettait au Conseil national de la résistance et tout le monde s'est servi de ce papier omnibus pour les besoins de sa cause. C'est effarant de machiavélisme. Les fonctionnaires du blocus, ou l'un d'entre eux, van Cabeke et la personne qui a remis le rapport au CNR, ne sont qu'une seule et même personne, ou bien ce sont tous les complices d'un seul et même complot.
Je crois que vous n'avez pas encore lu le dossier, prenez une heure ou deux, un soir, pour le faire. Vous pourriez peut-être même sur un papier, grand format, en deux colonnes, l'une intitulée "rapport de la direction du blocus", l'autre "note déposée par van Cabeke", faire taper les deux documents en reproduisant les mêmes phrases les unes en face des autres.
En tout cas, faites taper ces documents en plusieurs exemplaires pour les distribuer à tous nos avocats car je me demande s'il ne faut pas crever l'abcès. Il me semble en effet difficile de laisser passer la chose. J'ai l'impression que nous serions à la source ou à l'origine de tous nos malheurs. Peut-être ne connaîtrons-nous pas encore les inspirateurs mais nous saurons en tout cas quels sont les lampistes.
Je me demande si vous ne devriez pas réunir nos avocats ou examiner en tout cas le problème avec l'un d'eux, le plus allant, pour envisager la suite possible à donner à cette affaire, après en avoir du reste parlé à M. Thirion. Si l'auteur responsable est van Cabeke, si c'est lui qui après avoir fabriqué et envoyé un dossier à la direction du blocus d'abord, au Conseil national de la résistance ensuite, pour s'en servir enfin à ses fins personnelles contre nous, à l'occasion d'une querelle à l'intérieur de la [...], il me semble que nous pouvons, Gabriel et moi, déposer une plainte contre lui en diffamation et faux témoignage ?
Si, au contraire, le document d'origine a été fabriqué par un fonctionnaire du blocus et remis ensuite à van Cabeke pour servir à ses fins personnelles, ne pouvons-nous pas déposer une plainte contre X pour détournement de documents administratifs ou quelque chose comme cela ? Car, après tout, van Cabeke s'est procuré ainsi un document qui normalement appartient aux archives d'une administration française.
En attendant le juge d'instruction ne peut-il pas demander à la direction du blocus comment son rapport d'avril 1942 a pu tomber entre les mains de van Cabeke et d'autre part ne peut-on pas le prier d'exiger que van Cabeke révèle le nom de la personne qui a transmis le document au CNR et explique comment il se l'est procuré pour s'en servir à ses fins personnelles.
Tout s'enchaîne et s'explique : séquestre d'Alger, campagne de presse, imposition du comité de justice du C. L. R. à notre mise en liberté provisoire en octobre 1944, et aussi, nos difficultés provisoires car la direction française du blocus est certainement en contact étroit avec le Ministry of Economic Warfare, et doit lui transmettre tous les renseignements qu'il a, ou toutes les pièces qu'il fabrique.
Il me semble qu'on ne peut pas éternellement rester passifs, il y a des moments où il faut attaquer puisque les choses ne semblent pas s'arranger et que le non-lieu, ou même la levée de la résistance forcée, semble retardé.
Ne croyez-vous pas qu'on pourrait faire étudier à fond cette affaire et la suite à y donner par l'un de nos avocats, Doublet par exemple, qui semble très actif et va au fond des choses et le résultat de cette étude serait ensuite soumis à nos autres avocats avant qu'une décision soit prise.
Je pense, en tout cas, que vous remettrez copie de ces documents également à Nelson pour compléter le dossier de l'avocat de la Cettoise (dont je ne me rappelle plus le nom) car je pense que Charpentier qui défend van Cabeke va en faire état au cours du procès que ce dernier nous intente et il faut que Nelson renseigne son avocat sur tous les points de ces rapports et en établisse l'inanité.
Je m'excuse de vous donner tout ce mal et il est bien regrettable que je ne puisse vous décharger de ce travail en m'en occupant moi-même à Paris avec nos avocats mais il y a rien à faire qu'à souffrir en patience.
Bien affectueusement à vous,

H. W.

Je viens de vous avoir au téléphone et attends votre lettre annoncée. Dites-moi comment et sous quelle forme vous voulez que je prépare une note pour votre voyage à Londres.


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