1945.04.21-22.De Hypolite Worms.A Robert Labbé.Original

Original

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21.4.45

Mon cher Robert,
Je compte vous rappeler au téléphone, demain matin, en attendant je commence à préparer cette réponse à votre lettre du 18 et je la confierai à Vignet qui m'a annoncé sa visite pour demain après-midi.
Observations préalables. Je vous ai déjà dit de ne pas m'appeler "Monsieur". Je sais que je suis un vieux monsieur mais tout le monde, même ma petite fille aînée, à trois ans, m'appelait "Hypo". Il n'y a pas de raison pour que vous n'en fassiez pas autant.
Comité central
Ma solution me paraissait plus logique mais devant vos arguments, je n'insiste pas et suis d'accord pour la formule envisagée, par conséquent, faites pour le mieux car quoi qu'il arrive ce ne sera jamais que du provisoire. J'attire toutefois votre attention sur les points suivants :
1. Vous me parlez de votre nomination comme trésorier adjoint. Or, j'étais trésorier (il n'y avait pas de trésorier adjoint au comité) je ne peux donc accepter de vous voir me remplacer à un poste inférieur à celui que j'occupais. Ceci à son importance car, si plus tard je revenais au bureau, cela ne pourrait pas être comme trésorier adjoint, l'ayant quitté préalablement comme trésorier. J'ajouterai que l'importance de la Maison justifierait la présence de son représentant au bureau comme vice-président. Pendant quinze ans, j'ai refusé la vice-présidence car j'estimais que la fonction de trésorier (il n'y en avait qu'un et on tenait les cordons de la caisse) valait mieux qu'une vice-présidence (il y en avait cinq). Mais, ceci dit, il ne peut pas être question que le représentant de la Maison Worms ne soit qu'un adjoint. Du reste, qui aviez-vous envisagé comme trésorier en titre ?
2. Je comprends parfaitement la distinction à faire dans les situations respectives de Jean Fraissinet et de moi-même mais je signale toutefois que l'inclusion immédiate de Jean Fraissinet parmi les vice-présidents pourra, elle aussi, soulever des critiques et faire échouer votre combinaison.
Jean Fraissinet n'est peut-être qu'en résidence surveillée et, pas inculpé, mais ses difficultés ne sont peut-être pas terminées. Il a été et est toujours propriétaire d'un journal important qui a paru pendant toute l'occupation ; il a en outre été pendant quatre ans conseiller national. À ce titre et conformément à la loi, il n'est pas éligible aux fonctions municipales, je crois même qu'il ne peut pas être électeur.
Alors comment va-t-on solutionner ce problème et quels vont être les 5 vice-présidents puisqu'en dehors du cas Fraissinet, il faut remplacer Paul Cyprien Fabre, le père Vieljeux et probablement le représentant des [pêches] qui lui était non seulement conseiller national mais commissaire du pouvoir sous le régime Pétain.

Caoutchoutier
Tout à fait d'accord à condition que Barrette ait toujours la confiance du groupement des caoutchoutiers. J'ajouterai que j'ai toujours pensé que la présidence de la société appartiendrait à ce groupement. Je crois même qu'il ne serait pas prudent que nous la réclamions maintenant, ou plus tard, et ce, pour beaucoup de raisons d'ordre psychologique et d'ordre politique. Du reste, n'avait-il pas été décidé que c'est le groupement qui aurait la majorité de la société, la direction technique et commerciale nous étant confiée contractuellement. La situation à cet égard est-elle modifiée ?
Et, du reste, a-t-on acheté un bateau ? Ou s'agit-il seulement de préparer un projet d'avenir ?
En tout état de cause, je suis opposé à ce que la Maison prenne dès maintenant la présidence de la société, car il y a une difficulté qui n'a jamais été réglée : celle des Chargeurs réunis. Comme vous, je suis aussi opposé à une combinaison mixte donnant 51% à l'État. C'était très bien pour une flotte de pétroliers comme la SFTP. Mais inadmissible pour une compagnie de navigation qui n'aura peut-être jamais qu'un ou deux bateaux qui ne transporteront que de marchandises diverses et qui la plupart du temps seront incorporés dans l'exportation des lignes régulières, ou naviguant en tramping.

Nantes
J'espère que vous n'allez pas vous laisser faire. Si Bucquet était président, c'est la Nantaise qui dirigeait par [Borel]. Bucquet savait-il même que la SNCG avait fait les travaux de tranchées dont vous me parlez ? J'ai toujours pensé que [Leto] était un vilain individu et si cela était nécessaire, il ne faudrait pas hésiter à mettre les choses par écrit, ne serait-ce que pour permettre à Bucquet de dégager sa responsabilité, car je n'ai guère confiance dans l'autorité du père Guillet vis-à-vis de ses collaborateurs.
Cette affaire de la Nantaise - je fais allusion à la succession de Guillet - se complique, du reste, car je viens d'apprendre indirectement qu'Hector [Pétin] était mort au début de cette semaine, à la suite d'une opération. Or, Hector [Pétin] était vice-président de la Nantaise des chargeurs de l'Ouest, et c'est lui, ou plutôt [Basse Indre] qui contrôle la Nantaise.

Accord de Möller
1. J'ai en effet reçu copie du dernier télégramme. Son contenu est quelque peu sibyllin. Car Möller, sans accuser réception de votre dernier télégramme, sans donner son accord formel sur les termes du contrat, se contente de vous offrir comme début d'un contrat, par conséquent non encore conclu, un pétrolier qui doit être mis sur cale, dans la deuxième moitié de 1945. Avant donc de répondre sur ce point précis, ne faudrait-il pas mettre au point de façon définitive les conditions dudit contrat ?
Sous le bénéfice de cette observation, je ne comprends pas très bien votre observation lorsque vous écrivez :
« 2. Obtention sur le même accord du n°2 puis retour à l'ancien numérotage c'est-à-dire 4, 7, etc. » Que veut dire 4, 7 ?
D'après nos accords avec la Marine marchande, nous avons le droit à recevoir un bateau sur deux en exécution de l'article 11, en commençant par le numéro 1, par conséquent, nous avions droit à 1,  3, 5, 7, etc.
Je comprends votre point de vue en ce qui concerne le n°1, si le n°1 doit être le pétrolier offert par Möller. Je suis d'accord pour l'abandonner mais alors pour retrouver nos droits et revenir à l'ancien numérotage, il faudrait que la marine marchande nous attribue 2, 3, 5, 7 au lieu de 1, 3, 5, 7. Le résultat étant que l'abandon du nº1 nous permette de recevoir 2 bateaux successifs, c'est-à-dire 2 et 3 pour revenir à notre rang des numéros impairs. Est-ce comme cela que vous comprenez la question ?
Enfin, il y avait une question financière à mettre au point. Si l'offre de Möller étant acceptée on verse 2.600.000 couronnes immédiatement en compte joint à la banque suédoise, non seulement cette somme ne pourra être libérée qu'à la fin des hostilités au profit de Möller, mais devra être reprise par nous (c'est-à-dire à l'État français). Si à la fin des hostilités Möller ne peut pas tenir ses engagements de livrer le navire, je veux dire que si pour raison de force majeure, soit parce que le chantier est sinistré, soit parce que les approvisionnements auront disparu, Möller ne peut pas construire le bateau ou le livrer dans le délai prévu au contrat, l'argent reviendra en France.
En un mot, le risque total, y compris le risque de guerre, sur le moteur actuellement terminé et les approvisionnements, est un risque qui appartient à Möller et à Möller seul. Si ce moteur ou ces approvisionnements disparaissent, Möller devra les remplacer, sans paiement supplémentaire et devra les remplacer dans le délai prévu au contrat, faute de quoi :
1. Nous avons le droit de résilier ledit contrat, et
2. Nous avons le droit de récupérer l'avance versée de 2.600.000 couronnes.
Enfin, dernière observation : le télégramme du 10 avril parle encore d'un contrat de 7 - 10 ans. Or, nous avons, d'accord avec l'État, exigé de ramener la durée à 7 ans. Möller l'avait, au début, accepté. Il me semble qu'il n'y a pas à revenir là-dessus, et cela aussi il faut préciser.

Schiaffino
Votre allusion à sa prochaine visite m'amène à revenir sur la question du bureau du comité.
A-t-on pensé à offrir une place à Schiaffino dans la constitution de ce nouveau bureau puisque nouveau bureau il y a ? Le tenir à l'écart me semblerait une grave erreur. Par l'importance de sa flotte, par le fait qu'il représente seul l'Afrique du Nord, par les services qu'il a rendus depuis 1942, par la qualité de sa personnalité, il a droit à un poste de vice-président, et j'insiste tout particulièrement sur ce point. Ce serait, de plus, habile, politiquement. Je sais que cela ne ferait pas plaisir à Marchegay, et peut-être à d'autres armateurs mais tant pis ! Il y a beaucoup de gens en ce moment qui font des choses qui ne leur plaisent pas - à commencer par moi. Je regrette du reste d'avoir omis de vous parler de cette question à votre dernier passage.

Canada. Très intéressant.

22.4.45

Je n'avais pas clairement compris la formule envisagée pour le comité ou j'en avais oublié les grandes lignes sans cela je n'aurais pas écrit tout ce qui précède et qui ne tient pas devant à ce que vous venez de me dire au téléphone. En tout cas, je suis tout à fait d'accord sur la formule du bureau restreint Nicole - Pilliard - Francis et vous à condition que votre titre soit "trésorier" tout court. Quant à Jean Fraissinet, il faut qu'il se résigne à attendre comme moi, et pour les raisons que j'indique plus haut son cas est peut-être meilleur que le mien sur le plan judiciaire mais je l'estime moins bon sur le cas politique. J'ajouterai que, du moment qu'il s'agit d'un bureau restreint qui n'est du reste qu'une délégation d'un bureau qui n'a pas été [mot illisible], l'avenir et la situation personnelle de chacun de ses membres n'ont [mot illisible] nullement compromis.
Bien affectueusement à vous

Hypo


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