1945.03.23.De Hypolite Worms.Note 02 (sans signature ni destinataire)

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NB : Note sans signature ni destinataire, issue d'un dossier contenant la correspondance d'Hypolite Worms avec Robert Labbé et Raymond Meynial.

Le 23 mars 1945

Les derniers rapports hebdomadaires reçus m'incitent à vous transmettre certaines idées que je soumets à vos réflexions et à faire certaines observations, vous chargeant, si vous le jugez bon, d'en faire part aux différents départements intéressés.
Aviation
J'ai lu très attentivement le "White paper" du gouvernement anglais sur l'organisation de l'aviation civile après la guerre et que le "Times" du 14 mars a publié en intégralité.
C'est une œuvre considérable que je considère comme tout à fait remarquable et il serait à souhaiter que le gouvernement français en fasse son profit. Ceci m'amène à vous demander si vous savez ce qui se passe, ici, en cette matière. Air France existe-t-il toujours ? Ou va-t-on détruire cette œuvre du passé ?
Je vous rappelle que nous avons jusqu'ici joué la carte Air France et la carte Chargeurs réunis. C'est Monsieur Barnaud et moi-même qui avons, il y a un an, fait la liaison entre les deux et, en quelque sorte, présidé au "gentlemen agreement" conclu entre ces deux sociétés.
Si Air France disparaît, ou si le gouvernement provisoire lui enlève toute activité ou toute initiative, cet accord tombe naturellement, les Chargeurs réunis vont voler de leurs propres ailes sur le domaine africain et on assistera à la foire d'empoigne pour tout ce qui concerne l'Europe, la Méditerranée et l'Extrême-Orient.
Pour l'Europe, la SNCF et la Saga étaient candidates au service de Londres et les compagnies de navigation à celui du trafic nord-africain, en concurrence éventuelle avec Air France.
Or, nous ne pouvons pas rester en dehors des lignes d'aviation sur certains secteurs de l'Europe, de l'Afrique du Nord et de Madagascar (Havraise). Si Air France disparaît, il faudra que nous trouvions autre chose et en attendant que nous nous manifestions jusqu'au moment où le sort d'Air France sera réglé.
Je crois qu'il serait bon que Robert voie Francis Fabre à ce sujet, s'il ne l'a pas déjà fait. Je crois, en outre, qu'il devrait parler de la question à la SNCF, car si, copiant la formule anglaise, cette dernière tentait de mettre sur pied un projet d'exploitation des lignes anglaises, sinon des lignes européennes, avec le concours des lignes de navigation, il ne faudrait pas que nous soyons oubliés.
Angleterre
Pierre Grédy est-il revenu ? J'attends son rapport. Je pense qu'il a profité de son long séjour pour visiter tous les armateurs anglais ou étrangers, domiciliés à Londres, non seulement en vue des affaires de Port-Saïd, mais aussi pour tous les ports français couverts par le service consignations et manutentions qu'il dirige maintenant.
Je vous remercie de la copie de la lettre de Chambers et vous envoie, sous ce pli, original de celle que j'ai reçue de Tomluison auquel je vous prie de transmettre ma réponse incluse.
Trafic pour la Suisse
J'approuve absolument que vous fassiez revivre l'agence de Toulon pour essayer de prendre part au trafic suisse, dont nous ne devons, à aucun prix, nous désintéresser.
Pour moi la formule Toulon ne peut pas durer, on s'apercevra très vite - à moins qu'on y construise un port de commerce exprès pour les Suisses - qu'il faut trouver autre chose, si même on n'en vient pas à cette conclusion avant même de commencer.
Mais en attendant le trafic suisse passera par la France, et restera en France la guerre finie. Il faut donc que les Services maritimes prennent contact avec tous leurs amis transitaires suisses pour participer à cette nouvelle activité, tant pour le transit des marchandises que pour les manutentions et la consignation des navires.
Consignation des navires britanniques à Rouen
Je me réfère à la lettre de Rouen du 13 mars et je ne vois pas pourquoi cette succursale abandonnerait à Taconet la consignation coque des navires britanniques, ce serait un amoindrissement de son activité, puisque son métier principal est d'être consignataire de navires. Les courtiers maritimes opèrent la mise en douane des navires, il n'y a pas lieu de les aider à faire la concurrence aux consignataires, ce contre quoi je me suis élevé depuis 30 ans.
Syndicat des capitaines au long cours de la Manche
Je suis très heureux que le syndicat Ragault ait réussi à se faire reconnaître officiellement par la Marine marchande et je pense que vous lui faciliterez la tâche.
Il y aura grand intérêt, dans l'avenir, à opposer ce syndicat aux Marseillais.
Charbons d'importation
Me référant à la note de Vignet du 3 mars, je suis entièrement d'accord sur ce qu'il écrit, il faut à tout prix renforcer notre position du côté des charbons de la Sarre, Ruhr, Hollande et Belgique.
Mais autant je pense que la France sera un pays "majeur" pour ce qui est de la Sarre, de la Hollande et de la Belgique, traitera directement et importera elle-même ces charbons, autant je suis convaincu que le charbon de la Ruhr sera pris en mains par un organisme interallié, probablement même anglais, que ce sera l'Angleterre qui vendra le charbon de la Ruhr ou qui en contrôlera la distribution et que, par conséquent, ce seront les exportateurs anglais qui l'exporteront, ne serait-ce que pour les indemniser de la perte de leur trafic normal puisqu'ils ne pourront exporter du charbon anglais qu'en quantités tout à fait réduites. Ce sera la formule que les Allemands avaient adoptée pendant l'occupation puisque c'était à leurs exportateurs qu'avait été donné le monopole de la distribution en France.
II faut donc rester en contact avec les Anglais - même pour les charbons de la Ruhr - et une conversation à Londres avec Lord Hindley, qui certainement est très bien disposé à notre égard - car c'était un ami personnel pour moi - serait très utile.
Compensation coke-poteaux de mines avec la Hollande
Si cette affaire avait une suite, j'estime que c'est par Bayonne que le trafic devrait passer beaucoup mieux que par Arcachon, auquel le département "charbons" avait également songé.
D'après les renseignements reçus le port de Bayonne va être libéré et pourra commencer à fonctionner ces jours-ci. Or, nous avons beaucoup plus d'intérêt à faire travailler Bayonne, où nous avons notre propre succursale et où nous faisons nous-mêmes les manutentions (et ce trafic amènera une double manutention) qu'Arcachon où nous ne sommes pas installés et où je ne pense pas que vous ayez l'intention d'ouvrir une succursale.
La seule autre solution serait Bordeaux, mais le port n'est pas praticable. En tous cas, si nous avions le trafic en mains par Bayonne, il serait toujours possible, plus tard, de le faire passer par Bordeaux lorsque ce port sera nettoyé.
Salaires
Je demande des explications à Simoni, dont je comprends mal les résultats matériels auxquels il aboutit dans sa note à propos de Marseille, lorsqu'il dit que l'augmentation demandée pour le personnel du seul département "charbons" de Marseille aboutirait à une aggravation du déficit de 5 à 7 millions, selon la formule adoptée.
En attendant, j'estime que l'activité principale de cette succursale est l'armement et la consignation. C'est donc le régime des salaires des compagnies de navigation - ou, à la rigueur des maisons de consignations - qui doit être appliqué indistinctement à tout le personnel de Marseille, personnel charbons compris, il n'est pas possible d'admettre un régime particulier pour ce dernier et comme disent les Anglais "if they don't like it, they can lump it". Si la même chose se produisait dans d'autres ports, Bayonne par exemple, où l'activité principale est le charbon, le personnel employé à l'armement ou à la consignation devrait être aligné sur le personnel charbons.
Du reste la solution, en ce qui concerne ce problème marseillais est celle que Robert m'a indiquée dans une de ses dernières lettres ; la mise en veilleuse du département charbons dont le personnel est pléthorique pour une activité réduite et qui restera telle pendant probablement encore longtemps.
Rouen
Je reçois aujourd'hui la copie de la lettre de Rouen du 17 mars. Il n'est pas possible d'abandonner la manutention des bateaux américains dont la consignation nous est apportée par les Chargeurs réunis. Ce serait un aveu de faiblesse au moment où nous demandons tant aux Chargeurs qu'aux Messageries de nouvelles consignations et de nouvelles manutentions, au regard des Américains, pour l'avenir, ce serait une faute.
Il n'est pas possible non plus de refuser la manutention des bateaux de la General Steam qui nous est donnée en même temps que la consignation au Havre et à Rouen, opérations d'autant plus intéressantes que nous ferons certainement, après la guerre, des accords de fret - cabotage avec la General Steam. Par contre l'abandon d'une manutention de la SNA importe moins.
Mais il faut trouver un moyen de calmer les esprits rouennais, car, la formule du pool dans ce port s'avère fâcheuse pour nous. Je regrette de voir à cet égard que notre nouvel associé de transit, M. [Canu], semble le plus acharné de nos opposants. Robert ne pourrait-il pas trouver un moyen de le calmer ?
Je pense par exemple à une formule qui existe à Port-Saïd depuis 50 ans et de par laquelle les maisons qui dépassent leur pourcentage paient à la masse une partie de leurs bénéfices calculée sur leur dépassement, sorte d'amende dont le produit est réparti entre ceux qui n'atteignent pas leur pourcentage, et au prorata.
Il faut tout faire pour maintenir le principe du droit aux armateurs gérants britanniques de choisir leurs consignataires et leurs manutentionnaires de disposer des manutentions, ou de charger leurs consignataires de disposer des manutentions comme ils l'entendent. Et en vue de l'avenir il faut tout faire pour conserver à nos succursales la manutention des bateaux dont ils sont consignataires.


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