1945.00.Note (sans date, ni émetteur ni destinataire).Situation charbonnière en France

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NB : Note classée fin 1945.

Note au sujet de la situation charbonnière en France

Cela devient un lieu commun de dire que la question charbonnière commande la reprise économique en France et la reconstruction du pays, quarante millions de Français commencent à s'en rendre compte, mais il y en a peu qui comprennent les difficultés du problème. Nous allons essayer d'en préciser les données et d'en tirer certaines conclusions permettant d'orienter la politique à suivre pour sortir d'une situation qui est susceptible de durer pendant encore de longues années.
De tous temps, la production charbonnière française représentait environ les 2/3 des besoins du pays, l'importation des charbons étrangers fournissant le reste, soit environ 1/3 de la consommation globale.
Prenons comme exemple 1938, dernière année de référence la production française s'est montée à 47.000.000 de tonnes. Pendant cette même période, la France a importé un total de 22.800.000 tonnes de combustibles étrangers se décomposant ainsi (en chiffres ronds).

Grande-Bretagne                    6.500.000 tonnes

Pologne                                  1.600.000 tonnes

Belgique Luxembourg             4.850.000 tonnes

URSS                                         90.000 tonnes

Pays-Bas                              2.100.000 tonnes

Indochine                                  200.000 tonnes

Allemagne                             7.150.000 tonnes

Autres pays                               270.000 tonnes

En somme, les besoins français d'importation étaient satisfaits à raison de :
30% en provenance de Grande-Bretagne
30% en provenance de Belgique Pays-Bas
30% en provenance d'Allemagne
7 ½% en provenance de Pologne
7 ½% en provenance d'Indochine et divers.
Telle était la situation en 1938 ; en fait, c'est ce qui se passait régulièrement depuis près de 20 ans.
Quelle est-elle maintenant en France ?
Grâce à un effort remarquable, la production française est arrivée à approcher du niveau d'avant-guerre ; par conséquent, cette production peut subvenir à 60 ou 65% des besoins de la France, mais quoi qu'il arrive et quoi qu'on fasse, il manquera toujours 20 à 25.000.000 de tonnes pour parfaire à une consommation équivalente à celle de 1938 et sans tenir compte des besoins actuels vraisemblablement augmentés du seul fait de la reconstruction.
II est par ailleurs difficile d'envisager un accroissement sensible de la production française par rapport au niveau d'avant-guerre. Ce serait déjà très beau d'arriver à produire régulièrement et d'une façon constante les 47.000.000 de tonnes de 1938.
Mais alors, que peut espérer la France de ses fournisseurs étrangers d'avant-guerre ?
Nous allons passer ces différents pays en revue. Écartons les trois derniers de la liste, d'importance minime.
Pour l'Indochine et l'URSS, il s'agissait de faibles tonnages d'anthracite, fort utiles aux foyers domestiques, mais dont l'importation est commandée par des questions de transports maritimes, et qui ne reprendra que lorsque le tonnage redeviendra abondant et bon marché. Du reste, il s'agissait de tonnages infimes.
La Belgique et la Hollande redeviendront-elles de nouveau et bientôt exportatrices ? Nous ne le croyons pas, en tous cas avant longtemps.
En effet, ces deux pays devront conserver leur charbon pour leurs propres besoins, même la Belgique dont la production atteint maintenant son niveau d'avant-guerre, car ce pays, bien qu'exportateur vers la France, importait lui-même des tonnages de charbons étrangers, surtout anglais, pour répondre à certains besoins. II est vraisemblable que la Belgique n'importera plus de charbon anglais et gardera tout son charbon pour elle.
II en est de même de la Hollande dont la production actuelle est loin d'avoir atteint le tonnage d'avant-guerre.
La Pologne fournissait, elle, à la France un tonnage de 1.500.000 tonnes de charbon, fort intéressant car presque exclusivement destiné aux foyers domestiques.
Peut-on espérer la voir reprendre ses envois vers la France. Nous ne le croyons pas. II faudrait d'abord qu'elle reprenne sa production d'avant-guerre. De plus, la Pologne va se trouver dans le secteur de l'Europe contrôlé par l'URSS et va-t-elle comme pendant la période de 1920 à 1939 faire du dumping avec son charbon pour se procurer des devises. Le charbon polonais ne pouvait, en effet, s'exporter vers les pays de l'Europe occidentale que parce qu'il était vendu à un prix très inférieur au prix de revient, départ ports de la Baltique.
Nous en venons maintenant aux deux principaux pays fournisseurs : l'Angleterre et l'Allemagne.
D'abord l'Angleterre. La situation de ce pays est dans l'espace de cinq ans devenue absolument tragique. En 1938, l'Angleterre exportait encore plus de 30 millions de tonnes par an. Aujourd'hui, elle ne peut plus rien exporter du tout.
En 1938, sa production était de 230.000.000 de tonnes. En 1945, elle est tombée à 195.000.000 de tonnes. En 1946, elle ne sera plus guère supérieure à 180.000.000 de tonnes et elle diminue encore chaque mois.
De sorte qu'aussi longtemps que l'Angleterre, par un effort immense, n'aura pas entièrement rénové ses installations minières, adopté de nouvelles méthodes de production et rééduqué de nouvelles générations d'ouvriers mineurs ou importé de la main-d'œuvre étrangère en grande quantité, elle ne sera plus exportatrice de ce charbon qui, depuis plus de 100 ans, a été l'élément principal de sa fortune et de sa prospérité industrielle. II se passera donc de nombreuses années avant que nous ne revoyions le charbon anglais sur les marchés mondiaux et en particulier sur notre territoire.
Nous ne tenons naturellement pas compte de la poussière de charbon ou de ces combustibles mi-pierres mi-charbon que l'Angleterre a commencé à exploiter pendant la guerre et dont elle a pu au cours de ces derniers mois nous envoyer quelques petits tonnages. Ce sont des qualités à peu près inutilisables en temps normal et d'un pouvoir calorifique insuffisant pour justifier la sortie des devises étrangères avec lesquelles il faut les payer.
Reste l'Allemagne, c'est-à-dire la Ruhr et la Sarre. Et on en arrive à cette conclusion que pour revivre la France devra dorénavant importer trois fois plus de charbon allemand qu'avant-guerre et faire passer ses importations de ces combustibles tant par voie maritime que par voie fluviale et terrestre de 7 millions à près de 20 millions de tonnes par an.
En effet, on a beau mendier du charbon dans les pays anglo-saxons et payer à prix d'or - l'expression est intrinsèquement exacte - soit des poussières de charbon d'Angleterre, comme indiqué plus haut, soit quelques centaines de milliers de tonnes, chaque mois, de charbon américain qui revient en France à des prix fous. Ce ne sont que des mesures provisoires qui ne peuvent pas durer. La France ne peut pas vivre avec du charbon américain qui doit traverser l'Atlantique et payer des frets extravagants libellés en dollars. L'Amérique consentira-t-elle même à donner 2 millions de tonnes de charbon par mois et à nous prêter de l'argent pour le lui acheter, les ports français se trouveraient vite bloqués de ces liberty-ships que peu de ports peuvent recevoir et qu'on ne pourrait même plus débarquer.
Mais ceci dit, la solution du problème du charbon allemand se trouve tout de même à Londres, car les événements nous montrent qu'en définitive, c'est dorénavant l'Angleterre qui vraisemblablement contrôlera et éventuellement répartira le charbon allemand de la Ruhr dans les pays consommateurs.
C'était du reste à prévoir : la prospérité de l'Angleterre pendant tout le 19e siècle était basée sur sa production charbonnière, une partie de la Cité de Londres vivait de son exportation. Déjà pendant la période d'entre les deux guerres, l'Angleterre avait eu beaucoup à souffrir de la concurrence que lui faisait dans le monde le charbon de la Ruhr dont la production et l'exportation étaient par contre en pleine croissance.
L'Allemagne étant battue au point de ne plus pouvoir rester maîtresse de ses destinées industrielles, il était évident que l'Angleterre s'arrangerait pour prendre le contrôle du charbon de la Ruhr (les autres bassins charbonniers allemands étant passés dans le secteur russe) et non seulement le vendre, mais le distribuer dans le monde. C'est une question de bon sens.
Actuellement, le charbon de la Ruhr est en apparence contrôlé par un "Comité européen" et exploité ou distribué par les autorités militaires sur les indications de ce Comité européen de répartition. Mais le siège de ce Comité est à Londres. II est présidé par un Anglais. En principe, la situation actuelle du Comité européen du charbon n'est que temporaire. Le sort du bassin de la Ruhr ne sera définitivement réglé qu'au moment du traité de Paix, si traité de paix il doit y avoir avec l'Allemagne.
Mais il est évident qu'un jour ou l'autre, le contrôle de la production et de la répartition passera des mains de l'autorité militaire à un organisme civile certainement anglais, qui désormais, non seulement vendra le charbon de la Ruhr mais le fera transiter, transporter, assurer, par ses armateurs ou ses courtiers. C'est l'évidence même, car c'est une partie de la prospérité de l'Angleterre qui est en jeu.
Mais alors comment procéder pour permettre à la France de recevoir sur la production de la Ruhr un tonnage deux ou trois fois supérieur aux références de ses importations d'avant-guerre.
II n'y a, à notre avis, qu'un moyen, c'est de négocier et de conclure coûte que coûte un accord particulier avec l'Angleterre pour l'associer en quelque sorte aux besoins de la France et l'intéresser d'une façon quelconque à la satisfaction de ces besoins.
II faudrait qu'un tonnage considérable de charbon de la Ruhr soit en quelque sorte réservé par priorité à la France, et ce avant toute distribution européenne ou exportation vers les pays étrangers. Il faudrait, en outre, qu'il soit bien entendu que la France, pour lui permettre de conserver son indépendance, serait maîtresse de son contingent de charbon dès la sortie des mines et puisse le transiter et le transporter comme elle l'entendra par mer, par eau ou par fer.
II s'agirait en l'espèce non pas d'une simple négociation économique, mais d'un accord politique relevant de la diplomatie et qu'il serait peut être bon d'entreprendre dès maintenant. Ce pourrait être une des conditions de cette alliance franco-britannique à laquelle le président du gouvernement provisoire de la France a fait récemment allusion. Cela pourrait coûter cher, car cela, reviendrait à acheter la complicité de l'Angleterre pour permettre à la France d'obtenir ce dont elle a absolument besoin pour vivre et qu'elle ne peut trouver ailleurs, car plus nous réfléchissons, plus nous sommes convaincus que la clé du problème est ou sera tôt ou tard entre les mains de l'Angleterre.

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