1945.00.Note (sans date, ni émetteur ni destinataire).Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime

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Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime

Alors que les autres chantiers français sont constitués en sociétés par actions ayant pour seul objet la construction navale, les Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime au Trait se présentent comme l'une des branches d'activité d'une société de personnes, la Maison Worms & Cie, qui par ailleurs se livre à l'armement maritime, au commerce des charbons, aux affaires de banque, la condition faite à la branche Constructions navales est donc influencée, compliquée par cette liaison avec d'autres branches, notamment celle de banque, au sein de la même société Worms & Cie.
Il est apparu à différents points de vue désirable que MM. Worms & Cie séparent nettement de leurs autres entreprises les chantiers navals, pour les confier à une société anonyme (nouvelle), dont la personnalité morale distincte et les conditions de vie et d'exploitation soient semblables à celles des autres chantiers navals de notre pays.
Cette séparation ne peut être obtenue de façon satisfaisante, complète et définitive que par transfert avec tous ses éléments de la branche actuelle Constructions navales de l'activité sociale de MM. Worms & Cie, à la nouvelle société anonyme.
On songe tout naturellement à la modalité pratique d'un apport en nature que MM. Worms & Cie feraient de leurs chantiers à la nouvelle société, apport comportent paiement par cette nouvelle société au droit de 1%, majoré de 2,50% pour les éléments immobiliers.
Toutefois, cet apport doit être fait pour la valeur actuelle réelle de l'actif apporté. En raison de la baisse de la monnaie depuis l'origine des Chantiers, les immobilisations du Trait ont certainement aujourd'hui une valeur très supérieure à la valeur comptable, celle-ci de l'ordre de F 7.000.000, après amortissements au bilan.
Sous toutes réserves, vu la difficulté d'estimer dans les circonstances présentes, après les destructions de guerre, la valeur normale de cession d'un ensemble industriel aussi particulier, nous admettrons, pour le raisonnement, que le supplément de valeur par rapport au bilan serait de l'ordre de F 50.000.000.
C'est donc une plus-value de cet ordre de grandeur que ferait apparaître la comptabilisation par MM. Worms & Cie des actions qu'ils recevraient en représentation de leur apport.
L'application de l'art. 7bis du Code général leur permet bien d'éviter l'imposition immédiate de cette plus-value, mais à condition de s'engager à réinvestir dans les trois ans une somme égale au montant de la plus-value ajoutée au prix de revient des immobilisations cédées.
Ce prix de revient étant d'environ F 100.000.000, MM. Worms & Cie devraient donc, par hypothèse, réinvestir environ F 150.000.000. Si l'on admet que F 100.000.000, également, seraient remployés par la participation prise dans la nouvelle société des Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime, participation représentant plus de 30% du capital, il resterait, conformément à l'art. 7bis susvisé, pour éviter l'imposition immédiate de la plus-value, à remployer encore par MM. Worms & Cie F 50.000.000 en autres immobilisations ou participations.
Cette condition d'immobiliser F 50.000.000 à prélever sur leur trésorerie ne va pas sans être assez lourde et bien inopportune pour MM. Worms & Cie, alors qu'ils doivent faire face aux besoins de reconstitution des dommages de guerre qui ont affecté leurs différentes branches d'activité : non seulement les chantiers navals, mais encore la flotte, et les installations commerciales, l'équipement de manutention et les usines des Services charbons.
L'existence certains d'une plus-value actuelle des immobilisations du Trait par rapport à la valeur comptable présente serait attestée par la réévaluation du bilan des chantiers, et on peut se demander si l'exécution de cette réévaluation chez la société Worms & Cie ne fournirait pas la solution convenable du problème posé par la plus-value.
En l'attente du décret prévu à l'art. 74 de l'ordonnance n°45-1820 du 15 août 1945 pour fixer les indices caractéristiques du niveau des prix, nous ne pouvons chiffrer exactement ce que donnerait la réévaluation du bilan des Ateliers et Chantiers du Trait. Mais les indices en question tiendront sans doute compte des travaux à la base des échelles d'indices communiquées par le ministère des Finances les 28 février et 12 mars 1939 pour le calcul des provisions de renouvellement de l'outillage et du matériel, et si nous observons que les dépenses de construction des immeubles et d'acquisition de l'outillage des chantiers ont été faites principalement en années de faibles indices alors que la plus grande partie des amortissements a été pratiquée en années d'indices élevés, nous envisageons que la valeur compensée des immobilisations du Trait, après réévaluation, pourra dépasser F 200.000.000.
1°/ - Au point de vue de la nouvelle société, il serait excessif d'ouvrir son exploitation avec un capital de F 200/250.000.000, celui d'une grande concentration industrielle. Il excéderait manifestement la mesure d'une affaire limitée aux chantiers du Trait : les plus grands chantiers, ceux de Saint-Nazaire-Penhoët , constructeurs du paquebot "Normandie", établis à Saint-Nazaire et à Grand-Quevilly, ont un capital de F 70.000.000 ; les Chantiers de la Loire, établis à Nantes, à Saint-Nazaire et à Saint-Denis, un capital de F 140.000.000 ; les Chantiers de France, à Dunkerque, un capital de F 17.034.000. Financièrement un capital de F 200 à 250.000.000, handicaperait lourdement la nouvelle société, d'autant que pour financer la part à sa charge dans la reconstitution des dommages de guerre et pour moderniser son industrie, cette société devra encore obtenir des concours importants, se procurer des fonds et leur assurer une rémunération.
Une réduction du capital s'imposerait sans doute par la suite.
2°/ De son coté la Maison Worms & Cie se trouverait dans la situation anormale de disposer en écritures d'une plus-value dégagée par la réévaluation d'éléments qui cesseraient de figurer à son bilan. L'avantage de la réévaluation est de permettre de pratiquer dans les 8 ou 20 ans à venir, les amortissements prévus à l'art. 73 de l'ordonnance 45-1820 du 15 août 1945 : or cet avantage n'intervient pas pour la Maison Worms & Cie qui, ayant cédé ses chantiers navals, n'en poursuivra évidemment pas l'amortissement. Il est sans intérêt pour elle, société de personnes à responsabilité indéfinie, de disposer de la réserve spéciale (dont le montant serait très important sans aucun doute) prévue à l'art. 71 de l'ordonnance n°45-1820 du 15 août 1945, et notamment sans aucun intérêt de l'incorporer à son capital social.
En présence des difficultés rencontrées pour réaliser l'apport des Chantiers du Trait, on s'est demandé si le but proposé ne pourrait être suffisamment atteint, en se bornant à confier à la nouvelle société anonyme l'exploitation des chantiers, MM. Worms & Cie conservant la propriété des installations et les donnant seulement à bail.
Cette solution limitée resterait évidemment incomplète et provisoire.
La nouvelle société n'étant pas propriétaire des chantiers qu'elle exploiterait aurait moins de crédit personnel.
Sur le plan professionnel et national elle ne réagirait pas avec les mêmes moyens, la même indépendance, que les autres sociétés de constructions navales, la Maison Worms & Cie devrait encore intervenir à ses côtés.
La formule de bail soulève pour l'application pratique une série de problèmes. Le bailleur donne ordinairement en location, moyennant un prix qui se règle par comparaison avec les taux de loyer en vigueur dans le pays, des biens qui ne se modifieront pas durant le bail, dont le preneur devra seulement jouir en bon père de famille, et opérer en fin de bail la restitution pure et simple sans dommage par sa faute.
Il en va différemment des chantiers navals : la concurrence exige que l'équipement industriel, non seulement reste en bon état d'entretien, mais encore suive les progrès techniques. La société exploitante, bien que locataire ne devra pas être arrêtée pour effectuer l'agrandissement des chantiers, ou des améliorations ou des adjonctions de matériel : elle demandera la garantie d'une indemnité équitable en fin de location pour les dépenses qu'elle n'aura pas eu le temps d'amortir. Mais, d'un autre côté, le bailleur, fondé à réclamer qu'on lui rende un établissement en bon état de fonctionnement, ne voudra pas être tenu de payer des installations et travaux qui ne lui conviendraient pas.
Les dépenses de renouvellement, celles de grosses réparations, celles d'entretien même, ne pourront pas se régler comme dans une location ordinaire.
Si le bailleur décide d'entreprendre la reconstitution des dommages de guerre, et s'il veut obtenir un loyer suffisant pour couvrir l'amortissement de la part des frais de reconstitution qui restera à sa charge, le loyer risque d'être porté à un taux excessif bien supérieur à la valeur locative raisonnable des installations industrielles.
La dation à bail des chantiers navals constitue une opération anormale. Quel que soit le soin avec lequel on étudiera le contrat de location, les formules qu'on trouvera, sans toujours couvrir le propriétaire, ne donneront pas à l'exploitant locataire la libre et définitive disposition qui lui est nécessaire pour aménager les chantiers au mieux des besoins de son industrie. En réalité, le moyen d'une location ne serait qu'un pis aller pour remettre à plus tard la solution effective ; par lui-même il ne résout nullement la question.
On est conduit à se demander s'il y a bien lieu de chercher plus longtemps dans la technique des contrats ordinaires un procédé satisfaisant pour réaliser dans les circonstances actuelles la séparation des Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime, des autres activités de la Maison Worms & Cie.
Le but à atteindre est extrêmement simple en somme : conférer une existence juridique distincte à un ensemble industriel en activité qui possède déjà son nom commercial, ses moyens de production, sa comptabilité autonome. On imagine facilement la réalisation de ce but sens y mettre pour condition l'exécution d'autres opérations financières ou comptables chez la société nouvelle ou chez la Maison Worms & Cie.
Le projet de détachements actuel des Chantiers n'obéit pas à une simple convenance de MM. Worms & Cie, mais répond aux besoins généraux de la profession de la construction navale, et à la convenance de l'État lui-même. On est donc conduit à demander à l'État de permettre que la décision de séparer les chantiers du Trait et leur bilan de la société Worms & Cie et du bilan de cette dernière, soit réalisée avec la simplicité naturelle du but à atteindre, et par conséquent :
que le bilan des Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime soit séparé, détaché de la Maison Worms & Cie, et repris par la nouvelle société anonyme, tel qu'il se comporte actuellement. Sa réévaluation suivant faculté offerte par l'art. 69 de l'ordonnance susvisée du 15 août 1945 serait l'affaire de la nouvelle société. Le droit d'apport serait calculé sur les valeurs comptables du bilan transféré comme indiqué ci-dessus. Les actions seraient attribuées à MM. Worms & Cie pour la valeur même qui ressortirait dudit bilan ; elles devraient rester bloquées entre leurs mains jusqu'à liquidation de l'une ou de l'autre des deux sociétés, et l'imposition des plus-values éventuelles serait différée jusqu'à cette liquidation.
Au moment où l'État porte au premier plan de ses préoccupations la reconstitution des entreprises sinistrées et le développement de la production, il parait conforme à l'esprit de confiante coopération qu'il est en droit de rencontrer, de lui suggérer une décision simple qui permettrait de placer, conformément à ses propres vues générales, les chantiers du Trait dans des conditions semblables aux autres chantiers navals de notre pays.


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