1945.00.De Hypolite Worms.Note (non datée) sur les accords Worms du 4 juillet 1940

Ce document est conservé aux Archives nationales - Caran, sous la cote F12 9566.

NB : Note, sans date, ni destinataire, classée après le 21 janvier 1945.

Note sur les accords Worms du 4 juillet 1940

Différents procès que la Cour d'appel vient de juger ont donné une certaine publicité aux accords de Londres de juillet 1940 appelés, dès leur origine, "Accords Worms" du nom de celui qui les avait conclus. II apparaît donc utile de donner, sur ces accords, quelques précisions et d'en faire, en quelque sorte la philosophie.
Au moment de l'armistice, la France avait à sa disposition, en time charter (c'est-à-dire en affrètement continu) pour la durée de la guerre environ deux millions de tonnes de navires alliés et neutres : norvégiens, suédois, hollandais et grecs.
Ces deux millions de tonnes représentaient la part attribuée à la France, des flottes alliées ou neutres affrétées au commun, à Londres, par le Comité exécutif franco-anglais des Transports maritimes (suite des accords Daladier-Chamberlain de novembre 1939), Comité dans lequel Monsieur Hypolite Worms siégeait comme chef de la délégation française.
Il s'agissait en fait de plus de la moitié du tonnage global à la disposition des Alliés, M. H. Worms ayant fait reconnaître par l'Angleterre la nécessité d'attribuer à la France un tonnage considérable de navires pour tenir compte de l'infériorité des ressources françaises en navires marchands.
Grâce à ces deux millions de tonnes auxquelles il fallait ajouter la flotte marchande française et un tonnage considérable de navires anglais que M. Hypolite Worms avait obtenu que le gouvernement britannique mette au service de notre pays, la France disposait d'un nombre de navires suffisant pour permettre de satisfaire à 100% l'intégralité de ses besoins d'importation estimés en 1940 à 17.000.000 de tonnes (charbon et pétrole exceptés, le transport de ceux-ci faisant l'objet d'accords particuliers). Pour satisfaire ces besoins, la France avait en fait à sa disposition un tonnage global de 7 millions de tonnes contre 3 millions de tonnes en 1939.
II y a lieu de préciser que contrairement à ce qui s'était passé au cours de la guerre de 1914-1918 lorsque l'Angleterre, seule, négociait avec les nations neutres, les accords de tonnage, et rétrocédait ensuite des bateaux à la France, en sous affrètement et au voyage, M. Hypolite Worms avait exigé dès son arrivée à Londres en novembre 1939 et obtenu du Ministry of Shipping (devenu depuis ministère des Transports de guerre) qu'aucun contrat ne serait négocié sans que la délégation française soit appelée à participer à ces négociations, que tous les accords de tonnage seraient signés conjointement par les représentants des deux pays, que tous les navires attribués à la France lui seraient affrétés directement par les armateurs intéressés et qu'elle en aurait la jouissance exclusive pendant toute la durée de ces accords, c'est-à-dire pendant la durée de la guerre.
A la signature de l'armistice, la France se trouvait donc dans cette situation : elle avait à sa charge deux millions de tonnes de navires norvégiens, hollandais, suédois et grecs qu'elle ne pouvait plus utiliser pour les raisons suivantes :
a) Les accords signés conjointement par l'Angleterre et la France avaient été conclus pour la durée de la guerre. Le gouvernement anglais qui continuait à se battre, estimait donc que tous les navires faisant l'objet de ces accords, sans exception, devaient être utilisés exclusivement aux transports destinés à la Grande-Bretagne. Il ne pouvait les autoriser à naviguer pour compte français. II avait en conséquence donné des ordres d'intercepter tous les navires attribués à la France sur toutes les mers du monde et de les ramener dans les ports britanniques.
b) Les gouvernements norvégiens et hollandais qui continuaient la guerre aux côtés de l'Angleterre se voyaient contraints d'interdire à leurs bateaux de naviguer à destination des ports français.
Quant aux armateurs neutres, les Suédois, ou encore neutres, comme les Grecs, ils étaient menacés de ne plus pouvoir naviguer devant l'impossibilité de trouver des soutes et des approvisionnements dans les ports d'escale contrôlés par l'Angleterre.
c) Tous ces navires norvégiens, hollandais, suédois et grecs, aussi bien ceux affrétés à l'Angleterre que ceux affrétés à la France, étaient assurés ou réassurés à Londres contre les risques de guerre par le War Risks Insurance Office et le gouvernement britannique se refusait à autoriser ce bureau d'assurance à couvrir les navires voyageant à destination des ports français. Les bateaux attribués à la France cessaient donc d'être assurés du jour au lendemain.
d) Saisissant les navires dans les ports anglais ou sous son contrôle le gouvernement britannique commençait à réquisitionner toutes les cargaisons et se proposait de les vendre aux enchères, non seulement les cargaisons des bateaux neutres, mais également toutes les cargaisons des navires anglais qui avaient        ; été mis à la disposition de la France - et il y en avait des centaines de milliers de tonnes - pour transporter plus particulièrement des matières pondéreuse, charbon et pétrole.
En se plaçant seulement sur un plan matériel, cette situation était angoissante, les engagements de la France tant en ce qui concerne les contrats d'affrètement et la valeur en capital de ces deux millions de tonnes de navires qui n'étaient plus assurés, que pour les cargaisons qui saisies, allaient être vendues dans des conditions dérisoires, se montaient à un nombre considérable de milliards.
C'est dans ces conditions qu'en pleine communauté de vues avec M. Monick, alors attaché financier auprès de l'Ambassade de France, Monsieur Hypolite Worms prit l'initiative de négocier avec le gouvernement anglais un accord par lequel il lui transférait amiablement tous les engagements de la France en matière de tonnage marchand allié ou neutre, à charge pour lui d'en prendre la suite. Il lui transférait également la propriété des cargaisons.
Cet accord prévoyait :
1°- que les chartes-parties de tous les navires attribués à la France seraient reprises par le gouvernement anglais, au prix coûtant et sans qu'il puisse y avoir lieu à aucune demande de dommages et intérêts de la part des armateurs ou de leurs gouvernements,
2°- que toutes les cargaisons se trouvant à bord de ces navires seraient rachetées par le gouvernement anglais au prix coûtant fob plus le fret payé sur les bases des taux de compensation britanniques.
L'accord ne couvrait que les cargaisons des bateaux alliés ou neutres en time-charter qui seuls étaient régis par la Mission que M. Hypolite Worms dirigeait. Mais ce dernier avait obtenu au cours de ces négociations - ceci afin d'éviter de très lourdes pertes - qu'un traitement semblable pourrait être appliqué aux cargaisons se trouvant à bord des navires plus particulièrement anglais et qui naviguaient au voyage, pour compte français, à charge pour chaque mission d'achats d'en régler les modalités avec les ministères anglais compétents.
Cet accord fut signé à Londres, le [?] juillet, par M. H. Worms avec le Ministry of Shipping.
II est facile de se rendre compte des services rendus ainsi par M. Hypolite Worms qui avait agi de sa propre initiative.
1°- L'Angleterre se trouvait récupérer ainsi, amiablement 2 millions de tonnes de navires qui augmentaient d'autant ses propres ressources en navires marchands.
2°- Elle acquérait, en même temps, une quantité non négligeable de matériel de guerre, immédiatement disponible sur une partie de ces navires déjà chargés.
3°- La France ne subissait aucune perte, aucun dommage et intérêt ne pouvait lui être réclamé, la guerre finie, par les gouvernements alliés ou neutres, ou par les groupements d'armateurs de ces pays, puisque l'Angleterre prenait la suite de ses engagements. Et cela s'appliquait aussi bien à la valeur des cargaisons qu'aux navires eux-mêmes.
4°- Vis-à-vis des gouvernements étrangers, suédois, norvégien, hollandais et grec, la France montrait qu'elle tenait intégralement ses engagements et M. H. Worms reçut avant son départ de Londres les remerciements des groupements d'armateurs et, en particulier, du ministre de Suède.
Mais en concluant ces accords, il n'est pas niable que M. Hypolite Worms qui était obligé de rentrer en France occupée pour les raisons qu'il a indiquées à l'instruction, courait de gros risques. En effet il avait livré amiablement à l'Angleterre 2 millions de tonnes de navires et un tonnage considérable de marchandises, en fait de matériel de guerre, ce qui était plus grave, c'est qu'il avait signé cet accord le 4 juillet 1940, c'est-à-dire une dizaine de jours après l'armistice dont une des clauses interdisait formellement au gouvernement français de traiter ou même de négocier accord avec les puissances étrangères en état de guerre avec l'Allemagne.
Par ailleurs M. Hypolite Worms n'avait pas attendu ce moment-là pour essayer de rendre service à la cause de nos alliés anglais, au moment de la signature de l'armistice et à l'appui de cette affirmation, on peut donner l'exemple suivant.
Fort d'un pouvoir général que lui avait adressé le ministre de la Marine marchande le 21 mai 1940 au moment où la première décision avait été prise par le gouvernement d'évacuer Paris, M. Hypolite Worms adressa le 21 juin 1940, après avoir consulté M. René Mayer, alors chef de la Mission de l'armement à Londres et en plein accord avec lui, un télégramme au chef de la Mission des Transports maritimes à New York lui donnant instructions de diriger sur Liverpool les vapeurs "Dalcross" et "Tillsington-Court" dont les chargements devaient être terminés ce jour-là et qui étaient destinés à des ports français qu'on savait qu'ils ne pourraient jamais atteindre.
Ces deux bateaux prirent la mer le 22 juin à destination de Liverpool.
Le s/s "Dalcross" portait 300.000 obus et fusées de 75
et le s/s "Tillsington-Court" 260.000 fusils, 40.000 mitrailleuses, 10.000 revolvers, 1.000 tonnes de cuivre.

Signé : Worms

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