1943.12.16.De Worms et Cie.Au contre-amiral Blehaut - secrétariat d'Etat à la Marine.Paris

Copie de lettre

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16 décembre 43

Amiral,
Nombreux sont les Français qui, depuis l'Armistice, ont eu leur part de dévouement et de sacrifices dans les épreuves que traverse la Patrie.
Les collaborateurs de notre Maison, dont l'aspect principal est d'ordre maritime, ont accompli depuis près de quatre années dans les différents ports où ils résident, leur entier devoir.
Je voudrais néanmoins attirer plus spécialement votre attention sur la personnalité de M. Pierre Abbat, directeur de nos Ateliers et Chantiers de la Seine maritime, au Trait, Seine inférieure, dont les épreuves ont été singulièrement lourdes et dont l'attitude me paraît, tant dans le cadre de notre entreprise que sur le plan national digne d'éloges particuliers.
En juin 1940, lors de l'avance de l'armée allemande en Seine inférieure, M. Pierre Abbat a assuré l'évacuation de l'ensemble du personnel des Chantiers vers le sud-ouest de la France dans des conditions que rendait difficiles la précarité des liaisons avec les autorités françaises. L'Armistice seul a empêché que fussent remis à la disposition des autorités chargées de la Défense nationale l'ensemble des ouvriers, des employés et des cadres de nos Chantiers, au service des installations nouvelles dont le développement était projeté à l'époque.
Dès que fut connue la nouvelle de la suspension des hostilités, M. Pierre Abbat regagna Le Trait ; il fut en fait l'un des premiers chefs d'industrie non seulement à reprendre son poste de commandement en Seine inférieure, mais aussi à renouer avec les autorités françaises des deux zones les contacts indispensables.
Cette période néanmoins, pour angoissante qu'elle ait pu paraître à l'époque, devait s'avérer comme relativement facile en comparaison des situations tragiques auxquelles a dû faire face M. Pierre Abbat depuis cette date.
Nos Chantiers en effet ont subi, entre le 6 juillet 1941 et le 11 septembre 1943, 9 bombardements aériens entraînant, outre de nombreux blessés, la mort de vingt-huit de nos ouvriers ; 215 bombes ont été dénombrées dans l'enceinte de l'usine qui a subi des destructions dont le plan annexé à cette lettre permet d'apprécier a priori l'étendue.
Après chaque bombardement les dégâts matériels devaient être réparés au prix des difficultés les plus grandes comme le moral de la population ouvrière, travaillant dans des conditions particulièrement délicates, devait être l'objet des soins attentifs de notre directeur. A la veille du bombardement du 4 août 1943, en dépit de quasi-impossibilités dans le domaine matériel, en dépit également de l'atmosphère créée par le détachement d'une fraction appréciable de notre effectif ouvrier, nos Chantiers fonctionnaient à un rythme satisfaisant.
Ce résultat est essentiellement l'œuvre de M. Pierre Abbat qui a su créer parmi ses collaborateurs de tout rang l'atmosphère indispensable pour que fussent surmontées les épreuves subies.
Le 4 août et le 11 septembre derniers, deux bombardements massifs perturbaient gravement la marche de notre entreprise. Mais une fois de plus, nous remontons la pente.
Je me permets dans ces conditions, Amiral, et avec une franchise complète, de vous demander de bien vouloir examiner la possibilité d'élever M. Pierre Abbat à la dignité d'officier de la Légion d'honneur. Ingénieur du génie maritime du cadre de réserve, M. Pierre Abbat, qui est entré dans notre Maison en 1926 et dirige nos Chantiers depuis 1937, a été fait chevalier de la Légion d'honneur en 1935.
Une telle promotion, en récompensant sur le plan le plus élevé le courage civique et les qualités professionnelles d'un de nos collaborateurs les plus estimés et les plus chers, consacrerait outre l'intérêt qu'attache votre département à l'un des établissements les plus éprouvés d'une branche particulièrement importante de l'activité nationale, établissement dont le souci sera demain comme il avait été hier de collaborer à la prospérité de la flotte française.
Veuillez agréer, Amiral, l'expression de ma haute considération et de mes sentiments dévoués,

Contre-amiral Blehaut,

Secrétaire d'État à la Marine et aux Colonies

Services de la Marine marchande Place Fontenoy - Paris
 

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