1938.06.17.De Hypolite Worms.Au ministre de la Marine marchande.Paris

Copie de lettre

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17 juin 1938
Monsieur le ministre de la Marine marchande,
Ministère de la Marine marchande
Place Fontenoy -Paris

Monsieur le Ministre,
Le décret paru dans le "Journal officiel" du 4 juin 1938 ramène de 8 à 3 le coefficient de l'aide à l'armement pratiquant la navigation au cabotage, et ce, pour une durée de six mois à compter du 1er janvier 1938.
En ma double qualité de président de la section du cabotage du Comité central des armateurs de France et de chef de la Maison Worms & Cie, j'ai l'honneur de vous exprimer ici mon très profond regret de voir prise une mesure que rien ne faisait prévoir et qu'au surplus, rien ne justifie.
Déjà la loi du 12 juillet 1934 avait traité fort mal cette catégorie de navigation, en lui attribuant le coefficient 1, mais seulement pour une partie très faible de son tonnage. La loi du 26 août 1936, bien qu'atténuant légèrement son sort, ne lui avait point accordé l'aide dont elle avait le plus pressant besoin, dans l'impossibilité dans laquelle elle se trouvait de lever ses taux de fret, à cause de la concurrence du chemin de fer.
Mais cette deuxième loi Tasso, du 26 août 1936, devant venir à échéance le 31 mars 1937, j'eus l'occasion de faire remettre à vos services, et sur leur demande, le 19 mars 1937, une note établissant la situation qui résultait, pour le cabotage, de l'application de la nouvelle législation sociale. Au surplus, pendant le cours de cette année 1937, je donnais, sur sa demande, à votre département, les renseignements chiffrés les plus précis - sauf qu'ils n'étaient pas comptables à cause de leur actualité - sur les résultats de l'exploitation d'une flotte naviguant au cabotage.
L'examen de ces documents, particulièrement complets et que vraisemblablement, bien peu d'armateurs ont dû fournir, avait conduit le ministre de l'époque à profiter des dispositions du décret du 25 août 1937 relatif aux modifications éventuelles des coefficients pour porter à 8 - décret du 19 octobre 1937 - celui du cabotage et ce, rétrospectivement à compter du 1er juillet 1937.
C'est que le département avait compris que, non seulement il convenait de lui accorder l'aide compensatrice des nouvelles charges, mais aussi l'aide dont le principe était envisagé dans la loi du 12 juillet 1934. Il convient de souligner, d'ailleurs, que cette décision avait été prise après un premier relèvement - de 25% - des tarifs du chemin de fer, car les précisions que j'avais fournies, notamment le 11 août 1937, tenaient compte de cette heureuse modification. Vos services, en effet, s'étaient aperçus qu'il eût été vraiment injuste de traiter plus mal une catégorie de navigation qui n'avait pas pu profiter de la hausse mondiale des frets, accrue d'ailleurs par la dévaluation de la devise française.
Tout à fait au début de l'année 1938 - le 10 janvier - et toujours pour répondre au désir de vos services, j'ai remis une nouvelle note sur la situation réelle du cabotage, avec tous les chiffres à l'appui et c'est alors que votre département, qui avait eu momentanément l'intention de diminuer substantiellement le coefficient du cabotage, pour tenir compte de l'autorisation qui lui était donnée d'augmenter ses taux de fret, prit la décision de fixer à 5 le coefficient qui serait en vigueur pour trois mois, à compter du 1er janvier 1938.
Cette décision était d'une sévérité d'ailleurs excessive car l'augmentation correspondant des taux de fret était loin de compenser les nouvelles charges survenues au cours des derniers mois de 1937. Quoi qu'il en soit, l'armement au cabotage avait accepté ce chiffre de 5, faute de mieux, mais il comptait absolument sur lui, c'est-à-dire sur le traitement qui lui avait été annoncé, officieusement, sans doute, mais très nettement quand même.
Au cours des mois qui viennent de s'écouler d'ailleurs, chaque fois que les caboteurs, étonnés de ne pas voir paraître le décret annoncé, demandaient des explications à vos services, ceux-ci, sans pouvoir donner les causes du retard ont, en revanche, toujours déclaré que le coefficient 5 était bien maintenu dans le texte du décret et qu'à son sujet, rien n'était changé.
Vous comprendrez sans doute quelle déconvenue causa aux intéressés la lecture du décret du 4 juin 1938 car la stupéfaction du traitement sévère qui leur était infligé était d'autant plus grande que leur déception était plus profonde, après tout ce qui leur avait été dit.
Ce traitement se comprend d'autant moins qu'ainsi que j'ai eu l'occasion de le préciser, il s'agit de la seule navigation qui n'a pas eu un jour meilleur que l'autre, qui a dû vivre constamment avec des taux de fret insuffisants et vos services vous diront qu'au moment où le coefficient 8 avait été attribué au cabotage, une société assez importante avait décidé de cesser son exploitation et que d'autres avaient déjà, depuis des semaines, désarmé des bateaux.
C'est pourquoi, au nom de tout le cabotage, et confiant en votre haute équité, je viens vous demander instamment de bien vouloir faire examiner cette question avec tout le soin qu'elle mérite ; vos services me trouveront toujours à leur entière disposition pour répondre à toutes Ies demandes qu'ils pourront faire et pour leur fournir la preuve de la sincérité de toutes les précisions qu'ils ont déjà reçues ou que je donnerai.
Je reste absolument convaincu qu'ensuite, vous n'hésiterez pas à reporter le coefficient du cabotage au taux qui avait été promis pour le premier trimestre 1938 et à donner ainsi satisfaction à une navigation qui, plus particulièrement que tout autre, fait vivre les ports et dont le pays a le plus grand besoin en temps de paix, sans doute, mais singulièrement en temps de guerre : on se demande comment les armées du N.O. auraient été approvisionnées, de 1914 à 1918, si le cabotage n'avait pallié la carence des transports par fer et par route.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'assurance de ma haute considération.

H. Worms


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