1938.02.07.De Robert Delteil.A Hypolite Worms

Copie de lettre

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Paris, le 7 février 1938

Note pour M. H. Worms
Compte-rendu de l'entretien de M. R. Delteil avec M. Guillet, de la Compagnie nantaise
le mardi, 1er février 1937, à Nantes

M. Guillet, dans la conversation qu'il avait eue avec Monsieur H. Worms, en présence de M. Pétin, avait présenté un programme.

On aurait pu penser que M. Guillet avait réfléchi aux moyens propres à la réalisation de ce programme et s'en serait ouvert devant moi.
Au cours de mes deux entretiens avec lui, un ce matin, en tête-à-tête, un autre cet après-midi, en présence de M. Lecourgrandmaison, administrateur de la Compagnie des chargeurs de l'Ouest, j'ai pu me rendre compte que si M. Guillet s'était donné le temps de la réflexion, il avait abouti à des conclusions un peu particulières. Le programme avait bien été présenté par lui mais il était préférable, en ce qui concerne les moyens, de nous en laisser l'initiative.
Ce programme, par ailleurs, n'était plutôt, à proprement parler, que l'expression d'un vœu.
« La Compagnie nantaise n'a pas l'intention, dans l'avenir, d'engager des dépenses pour l'acquisition d'unités de remplacement pour faire face aux nécessités de ses services côtiers dans le cadre de l'accord qui la lie à l'armement Worms.
Il est offert à la Maison Worms de siéger au conseil d'administration de la Compagnie des chargeurs de l'Ouest qui préside maintenant aux destinées de la Compagnie nantaise.
La Maison Worms qui, à l'exception de Brest, a déjà eu en mains toutes les agences de la CN sous son contrôle aura ainsi la possibilité d'élargir ce contrôle.
Au fur et à mesure que les unités de la CN actuellement en service deviendront indisponibles, il appartiendra à la Maison Worms de décider.
La Maison Worms a le choix entre cette "liquidation par étape" et une disparition immédiate de la CN après cession préalable des droits de cette dernière à l'un des nombreux demandeurs qui se sont déjà mis sur les rangs. »
En présence de la position prise par M. Guillet qui, dès le début, s'était imaginé que je serais arrivé avec un ensemble de propositions toutes plus avantageuses les unes que les autres pour la Compagnie nantaise, alors qu'au contraire, je cherchais, avant tout, à avoir certaines précisions sur "les espoirs" que comportait, pour la Maison Worms, le programme d'avenir présenté par M. Guillet, les deux entretiens, celui du matin comme celui de l'après-midi, furent assez difficiles à conduire.
On peut cependant en tirer les conclusions générales suivantes :
- Le conseil d'administration de la Compagnie des chargeurs de l'Ouest serait disposé à prendre les engagements d'avenir présentés par M. Guillet. Cette déclaration a été faite devant M. Lecourgrandmaison.
Un navire pourrait être retiré dès maintenant.
La Compagnie nantaise compte absolument sur la fermeture de notre succursale de Nantes. Elle voudrait que le principe en fût admis le plus tôt possible. Ayant fait l'acquisition d'un terrain sur lequel elle doit faire construire un immeuble dont les plans sont tout prêts, si des modifications dans les aménagements des bureaux sont à prévoir, la CN préférerait que les plans puissent être remaniés sans tarder. C'est du moins l'impression que j'ai.
Comme je faisais remarquer à M. Guillet que la succursale de Nantes représentait, pour nous, un bénéfice annuel de l'ordre de grandeur de (600.000 F) à cause des nombreuses opérations de manutentions de navires que nous faisions, M. Guillet serait d'accord, en principe, pour nous rétrocéder une partie des avantages dont la Compagnie nantaise bénéficierait mais la réflexion est faite rapidement, sans insister.
Si la proposition d'union d'intérêts avec la Compagnie nantaise doit être examinée plus à fond, je me permets d'attirer l'attention sur les points suivants :
1° - Les services côtiers de la CN, nous est-il indiqué, doivent disparaître dans un avenir plus ou moins lointain.
Il ne saurait donc être question d'apporter une modification quelconque à la répartition des zones d'activité des deux armements aussi longtemps qu'ils seront deux. Les navires de la CN devront, par suite, s'en tenir aux trafics qu'ils exploitent actuellement.
2° - Mais si la CN reprend, pour le compte de la CGT, la gérance de la ligne d'Algérie et celle de la ligne du Maroc, que la CGT exploite en accord, d'une part, avec Delmas et d'autre part, avec la Saga, il ne faudrait pas que, reprenant en même temps son projet d'autrefois, la CN nous demande, pour aider le rendement de ses lignes, de participer aux trafics des ports français se trouvant sur les itinéraires de ces lignes : Bordeaux/Nantes, Bordeaux/Rouen, Bordeaux/Dunkerque. La consignation et la manutention des navires gérés étant laissées à nos succursales, elles ne donneraient à ces dernières aucun avantage supplémentaire et nous serions privés de recettes de fret importantes.
3° - Dans les circonstances présentes, la fermeture de notre succursale de Nantes apporterait à la CN au titre des lignes Worms,
comme commissions sur fret, plus de F (125.000)
au titre des consignations, plus de F (163.000)
 (288.000)
2 ou 3 employés supplémentaires seraient nécessaires à la CN pour assurer le surcroît de travail. Le net s'élèverait encore à plus de F 200.000.
Comme opérations de transit, ce serait comme net une recette supplémentaire de F (50.000)
Au total F 250.000
Un pareil cachet est insuffisamment élevé pour conclure qu'en ce qui concerne les manutentions, nous devrions pouvoir demander de conserver le bénéfice procuré par le tonnage supplémentaire que nous apporterions à la CN et qui est de 100.000 tonnes (Worms et armements consignés). Autrement dit, le bénéfice net réalisé par le service manutentions de la CN serait partagé au prorata des tonnages procurés par chacune des parties, les frais de location des hangars entrant dans les dépenses communes.
Cette formule aurait l'avantage, en séparant nettement les résultats bureau de ceux du quai, de permettre un contrôle rigoureux de l'exploitation du quai.
Pour l'année 1937, le service quai de notre succursale de Nantes aura fait un bénéfice de l'ordre de grandeur de F 550.000.
Le partage au prorata des tonnages procurés par chacune des parties ménagerait l'avenir pour la CN, en cas de consignation des lignes de la CGT, touchant Nantes.
4° - Je croyais trouver joint au rapport du conseil d'administration rendant compte, pour la période du 1er octobre 1936 au 30 septembre 1937, des opérations de la Société des chargeurs de l'Ouest et que M. Guillet m'a remis, les renseignements concernant la CN.
Ceux-ci font défaut.
Il est à présumer que le mieux que la Compagnie nantaise puisse faire en ce moment est d'équilibrer ses dépenses et ses recettes.
Une liquidation de l'affaire à partir du moment où la question du remplacement des navires se pose, s'explique donc. Et une liquidation par étapes comme l'envisage M. Guillet, avec la possibilité de rester sur les rangs pour avoir en gérance les lignes de la CGT et d'avoir, de suite, la représentation de la Maison Worms à Nantes est certainement plus tentante qu'une vente immédiate.
Quand M. Guillet, pour ne pas en perdre l'habitude, vient dire qu'il donne toujours tout et ne reçoit rien ; il sait bien qu'il a une belle affaire en perspective à réaliser. Si l'on tient compte qu'il se réserve l'avenir, les seuls avantages à lui laisser du fait de la fermeture de la succursale de Nantes et consistant dans les commissions sur frets et les profits de transit, chiffrés à un minimum de F (250.000) sont suffisants en dehors de ceux procurés par la manutention car le fait que nous apporterons un volant supplémentaire de 100.000 tonnes fera baisser le prix de revient par tonne des propres opérations de la Compagnie nantaise, d'où un supplément de bénéfices.
5° - Pour de nombreuses raisons, la fermeture de la succursale de Nantes ne serait pas à fixer avant le 31 décembre de cette année.
Rien n'empêcherait, en revanche, de nous donner avant cette date, l'agence de Brest, y compris les manutentions, ou, ce qui serait mieux :
- la CN pourrait prendre l'engagement de ne plus desservir Brest. Cette formule éviterait tous ennuis et toutes discussions avec les agents et stevedores actuels. Nous hériterions, en ce qui nous concerne, de tout le tonnage pour Brest en provenance ou à destination des ports compris dans la zone commune Dunkerque/Nantes.
6° - La CN devrait s'engager, si nous fermions la succursale de Nantes, à prendre le personnel supplémentaire dont elle pourrait avoir besoin, aussi bien pour le bureau que pour le quai, sur la liste du personnel au mois à congédier.
7° - A signaler que bon nombre d'employés étant anciens, nous aurons, en cas de fermeture, à payer de nombreuses et importantes indemnités de licenciement.

R. Delteil


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