1935.01.08.Projet de loi - aide à la construction navale.Note explicative

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8 janvier 1935

Primes et crédit maritime
(note explicative)

Il a été démontré que, pour un navire de charge d’environ 7.500 tonnes deadweight, 5.000 tonneaux de jauge, à machine alternative, la protection doit actuellement atteindre un pourcentage de 53 % du prix normal français. Cette protection peut être divisée en deux parties : la première, qui résulte de considérations économiques qui n’ont jamais varié, doit être estimée à 33 % du prix français ; la seconde, qui est la conséquence de la dépréciation des monnaies étrangères, correspond à la différence des deux chiffres précédents, soit 20 % du prix français.

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On évaluera tout d’abord la protection motivée par la situation économique des Chantiers, soit 33 % du prix normal français. Ce prix, mis à jour à la date du 1er janvier 1934, peut être estimé à 2712 F par tonneau de jauge pour le navire de charge ci-dessus, soit 12,82 % de moins que le prix établi par l’enquête effectuée en 1929 par la Chambre syndicale des constructeurs de navires et de machines marines. La protection nécessaire aujourd’hui s’obtiendrait donc en réduisant de 12,82 % les chiffres calculés à la suite de cette enquête, ce qui donnerait les résultats suivants :
1° - Protection proportionnelle à la jauge brute :
- 960  F par tonneau pour les 1200 premiers tonneaux
- 870  F par tonneau pour les 1000 tonneaux suivants
- 720 F pour les tonneaux suivants.
2° - Protection proportionnelle au poids :
- 61 F par 100 k d’appareil moteur.
3° - Protection proportionnelle à la puissance :
- 87 F par CVI d'un appareil à machine alternative
- 130 F par CVE d'un appareil à turbines
- 175 F par CVl d'un appareil à combustion interne.
L'examen attentif de ces chiffres, et leur application à des exemples récents de navires commandés ou en cours de commandes, montrent toutefois que, tout en s'attachant à conserver la valeur moyenne de protection qu'ils représentent, on doit les amender en tenant compte des considérations suivantes :
1° - La protection de l'appareil moteur se trouve ci-dessus répartie entre les trois rubriques : jauge brute, poids et puissance, ainsi qu'il résulte du rapport de 1930. Il paraît préférable, à raison de l'importance croissante du rôle des appareils moteurs dans l'exploitation de l'armement et de sa répercussion sur le prix de construction des navires, de donner à ces appareils une protection qui soit mieux en rapport avec cette importance, et qui soit fonction seulement de leur poids et de leur puissance. Ceci conduit à réduire, en moyenne de 10 %, les chiffres ci-dessus proportionnels à la jauge et à augmenter par contre les chiffres proportionnels au poids et à la puissance de l'appareil moteur, dans une mesure appropriée à chaque type d'appareil.
2°- La protection proportionnelle à la jauge brute, même réduite, comme il vient d'être dit, est trop élevée pour les grands navires, dépassant par exemple 6.000 tonneaux de jauge, et par contre très insuffisante pour les petites unités, notamment pour les chalutiers. Il est possible de concilier ces exigences en subdivisant la tranche des 1200 premiers tonneaux en 4 tranches de 300 tonneaux pour chacune desquelles seraient fixés des taux majorés, mais dégressifs, et en introduisant une catégorie supplémentaire, à taux réduit, pour les tonneaux au-delà de 6.000.
3° - Si la protection ainsi établie convient aux navires de charge, objet même de l’étude du rapport de 1930 de la Chambre syndicale, elle se révèle insuffisante pour les paquebots, auxquels il apparaît nécessaire d’accorder un supplément de protection proportionnel à l’importance des emménagements à passagers en cabines. Il suffira de convenir que cette protection supplémentaire s’appliquera aux navires transportant plus de 12 passagers, conformément à la définition de la convention de Londres, et qu’elle sera particulière à la partie de la jauge brute correspondant à tous les emménagements pour passagers : cabines, salons, salles à manger, cuisines, offices, locaux sanitaires, coursives, etc. L’étude de la question, dans quelques cas concrets, montre qu’il faudrait, pour cette partie de la jauge, accorder un taux de protection supplémentaire égal à la valeur moyenne par tonneau de jauge de la protection calculée, pour le navire considéré, suivant le barème admis pour les navires de charge.
Les trois ordres de considérations ci-dessus conduisent à adopter les nouveaux chiffres suivants pour définir la protection nécessaire à l’industrie française de la construction navale.
1° - Protection proportionnelle à la jauge brute :
- 1470 F par tonneau pour les 300 premiers tonneaux
- 1230 F par tonneau pour les 300 tonneaux suivants
- 1030 F par tonneau pour les 300 tonneaux suivants
- 860 F par tonneau pour les 300 tonneaux suivants
- 780 F par tonneau pour les 1000 tonneaux suivants
- 650 F par tonneau pour les 3800 tonneaux suivants
- 550 F par tonneau pour les tonneaux suivants
Pour les navires transportant plus de 12 passagers, la protection résultant de l’application de ces chiffres sera multipliée par le coefficient de 1 + j/J, J étant la jauge brute totale du navire et j la partie de cette jauge correspondant aux emménagements des passagers en cabines.
2° - Protection proportionnelle au poids :
- 100 F par 100 k d’appareil moteur.
3°- Protection proportionnelle à la puissance :
- 150 F par C.V.I. d’un appareil à machine alternative
- 200 F par C.V.E. d’un appareil à turbines
- 200 F par C.V.I. d’un appareil à combustion interne.

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Il faut ajouter à la protection ci-dessus une compensation des dépenses que le CNCN aurait à engager pour financer les opérations de concentration éventuellement imposées par le gouvernement.
Cette compensation qui serait établie sur la base de 2 % du prix français, s’obtiendrait en majorant de 6 % la protection ci-dessus, qui représente, en moyenne, 33 % du prix français.
En totalisant cette compensation et la protection précédente on aboutit aux chiffres suivants :
1° - Protection proportionnelle à la jauge brute :
- 1560 F par tonneau pour les 300 premiers tonneaux
- 1300 F par tonneau pour les 300 tonneaux suivants
- 1090 F par tonneau pour les 300 tonneaux suivants
- 910 F par tonneau pour les 300 tonneaux suivants
- 825 F par tonneau pour les 1000 tonneaux suivants
- 690 F par tonneau pour les 3800 tonneaux suivants
- 585 F par tonneau pour les tonneaux suivants
La majoration pour les navires transportant plus de 12 passagers demeure comme ci-dessus.
2° - Protection proportionnelle au poids :
- 105 F par 100 k d’appareil moteur.
3°- Protection proportionnelle à la puissance :
- 160 F par C.V.I. d’un appareil à machine alternative
- 210 F par C.V.E. d’un appareil à turbines
- 210 F par C.V.I. d’un appareil à combustion interne.
Il serait logique d’admettre que ces chiffres seraient réduits à 1/1,06 de leur valeur, dès que la compensation ci-dessus ne serait plus nécessaire. Mais il paraît impossible, dans un texte de loi du Crédit maritime, où il ne peut être question que d’aide à l’armateur, sans condition de rationalisation des chantiers, de faire allusion à cette compensation et à sa suppression éventuelle. Aussi, semble-t-il préférable d’inclure cette compensation dans la protection à réaliser, et de ne pas envisager le cas de sa disparition.
Le versement de cette compensation au fonds commun du CNCN serait convenu entre les Chantiers et l’État sous une forme indépendante de la loi.

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Dans le nouveau régime envisagé, il est opportun de maintenir le principe d’une aide destinée à l’armateur, tel qu’il est déjà inscrit dans la loi du Crédit maritime, et qui résulte de la disposition prévoyant qu’une allocation est éventuellement accordée même dans le cas des navires commandés à l'étranger. Dans ce cas, l’allocation de l’État étant aujourd’hui de 85.598 F pendant 15 ans pour un prêt de 10.000.000 de francs qui correspond pratiquement à un prix de construction d’environ 30.000.000 de francs, elle équivaut à une valeur actuelle d’environ 730.000 francs au taux de 8 %. L’aide à l’armateur est donc de l’ordre de 730.000/30.000.000, soit 2,5 % du prix de construction : appliquée à un prix de 2712 F par tonneau de jauge, elle correspond à une participation d’environ 70 F par tonneau de jauge au prix de construction.
L’aide que l’on retiendra pour l’armateur sera de 70 F par tonneau de jauge.

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L’application des taux de protection ci-dessus respectivement au tonnage brut, au poids et à la puissance de l’appareil moteur, pour le navire dont on étudie le devis, détermine la protection totale P qu’il s’agit de réaliser.
Si l’on désigne par a l’annuité d’amortissement, payable par semestre, d’un capital de 1 franc pendant n années au taux d’intérêt t, n et t étant à déterminer, le régime à instituer devra prévoir que l’État versera à l’armateur une allocation égale à aP pendant n années.
Le nombre n sera pris égal à 15, conformément à la pratique actuelle du Crédit maritime, un plus grand nombre d’annuités devant d’ailleurs rendre le financement plus difficile.
Pour déterminer t, on considérera tout d’abord celle des rentes françaises qui, au cours moyen des trois derniers mois écoulés avant la demande du bénéfice de ce régime aura produit le plus fort taux de capitalisation ; ce taux sera majoré de 2 et le total ainsi obtenu sera divisé par 0,83, de manière à inclure l’impôt de 17 % dont l’attributaire des allocations serait redevable sur la part des annuités qui correspond à l'intérêt du capital avancé.
Ainsi défini, le taux d’intérêt servant au calcul des 15 allocations sera variable en fonction du taux des rentes. Il sera donc utile de prévoir un barème donnant la valeur de l’annuité a en fonction du taux d’intérêt t.
Pour cette même raison, il sera également indispensable, afin que l’État ne se trouve pas exposé à des dépassements sur ses prévisions, de limiter à un maximum le total des allocations annuelles pouvant être engagées chaque année.

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Ces allocations devront pouvoir être déléguées par l'armateur au constructeur, de telle manière que ce dernier reçoive par délégation, une allocation semestrielle pendant 15 ans, représentant au moins l'annuité, au taux d'intérêt t, d'un capital égal au surprix de la construction française.

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Ces allocations devront être irrévocables pour tout navire construit en France pour un armateur français, même si le navire est, par la suite, perdu, désarmé, ou vendu à un autre armateur français : la délégation des allocations au constructeur ayant été faite une fois pour toutes, ce dernier recevra jusqu'à la fin des 15 années les annuités sur lesquelles il a compté depuis l'origine.
Si le navire est vendu à un armateur étranger, ces allocations devront être également irrévocables, sauf en ce qui concerne la part de ces allocations correspondant à l'aide apportée à l'armateur et qui devra cesser à cette date.
Mais, en outre, si cette vente à l'étranger intervenait avant l’expiration d'un délai de deux ans à partir de la francisation du navire, il serait convenu, par analogie avec le régime de 1906, que les allocations afférentes à la protection de l'industrie française et restant à verser seraient réduites aux 7/10 de leur valeur précédente.
Cette disposition permettra de régler le cas des navires construits en France pour un armateur étranger. En effet, le Chantier qui aurait à construire un navire pour un armateur étranger, pourrait toujours trouver un armateur français qui se substituerait provisoirement à l'armateur étranger pour commander la construction, recevoir les allocations, les déléguer au constructeur et faire transférer le navire, aussitôt après sa construction, sous le pavillon de l'armateur étranger pour le compte duquel il aurait opéré.

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Le calcul de P nécessitant la connaissance exacte de 3 caractéristiques : jauge brute, poids et puissance de machine, qui ne sont déterminées qu'après la construction, il devra être prévu que, néanmoins, les allocations afférentes à la protection de l'industrie française pourront être versées par l'État à l'armateur dès le début de la construction mais sur la base de valeurs approchées par défaut à 10 % près des caractéristiques précédentes, et certifiées par le Bureau Veritas. Un redressement de ces allocations aura lieu aussitôt après la mise en service du navire.

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Il conviendra, d'autre part, d'étendre la protection ci- dessus définie pour les constructions neuves, au cas des transformations de navires. L'article 1 de la loi du 19 avril 1906 spécifiait que "toute transformation d’un navire ayant pour résultat d'en accroître la jauge donne droit à une prime calculée conformément au tarif des constructions neuves, d'après le nombre de tonneaux d’augmentation de la jauge." L’article 2 de cette loi ajoutait que les constructeurs de machines recevraient une allocation de 20 F par 100 k "pour les parties neuves des machines qui subiraient des transformations ou des réparations, ainsi que pour les machines, chaudières et appareils auxiliaires, qui seraient placés à bord à l’état neuf pendant l’existence du navire".
Les dispositions de principe ci-dessus rappelées de l’article 1 de la loi de 1906 doivent être maintenues dans le nouveau régime à établir; quant à celles de l’article 2, il parait difficile, en l’état actuel, d’espérer obtenir que toute pièce remplacée d’un appareil moteur donne droit à une protection proportionnelle au poids de cette pièce ; il est par contre logique de retenir que la protection proportionnelle au poids s’étendra au cas des machines, chaudières et appareils auxiliaires qui seraient placés à bord à l’état neuf pendant l’existence du navire, et qu’en outre toute transformation de l’appareil moteur conduisant à une augmentation de puissance donnera droit à une protection proportionnelle à cette augmentation.

En résumé :
1° - La protection proportionnelle à la jauge brute, dans le cas des constructions neuves, devra être étendue au cas d’une transformation conduisant à une augmentation de jauge.
2° - La protection proportionnelle au poids d’appareil moteur s’appliquera au cas des machines, chaudières et appareils auxiliaires mis à bord pendant l’existence du navire.
3° - La protection proportionnelle à la puissance sera acquise également pour toute transformation d’appareil moteur donnant lieu à une augmentation de puissance.
La protection ainsi calculée donnera lieu à un versement d’allocations définies comme dans le cas des constructions neuves, pendant 15 ans à compter du moment où la transformation aura été entreprise; ces allocations seront également susceptibles d’être déléguées au constructeur, et irrévocables dans les mêmes conditions que celles qui correspondent aux constructions neuves.

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Il paraît enfin nécessaire de prévoir un encouragement aux armateurs qui entreprendraient la démolition de leurs navires, sous réserve toutefois que ces navires soient âgés de plus de 20 ans à compter de leur mise en chantier, et qu'il y ait engagement de construire par exemple 1 tonneau neuf pour 3 tonneaux démolis. Cet encouragement serait déterminé en fonction de la jauge brute démolie, à raison de 125 F par tonneau, chiffre qui est déduit du système anglais, dans lequel l'armateur s'étant tout d'abord procuré à ses frais les navires âgés devant être démolis, le gouvernement finance environ 75 % du prix de construction par un prêt remboursable en 12 ans et dont le taux ne dépasse pas 3 %. La subvention ainsi calculée donnerait lieu à un versement de 15 allocations annuelles irrévocables, se cumulant avec celles qui correspondent à la construction du tonnage neuf de remplacement, et pouvant, comme celles-ci, être déléguées au constructeur ou au chantier de démolition.
Il ne serait pas obligatoire que l'armateur des navires démolis soit le même que celui des navires construits ; il faudrait d'autre part, prévoir un décalage maximum de 2 ans par exemple entre la démolition et la construction, les allocations de démolition étant bloquées pour n'être versées à l'armateur qui fait construire qu'en même temps que les allocations de construction.

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Le statut de la construction navale étant ainsi réglé d’une manière stable, il convient d’y apporter la correction que nécessite la dépréciation des monnaies étrangères.
Pour l'instant, le correctif sera une majoration correspondant comme indiqué au début de cette note, à 20 % du prix français, soit 60 % de la protection ci-dessus, qui représente 33 % de ce prix. Cette correction s’appliquera exclusivement à la protection du constructeur, soit pour une construction, soit pour une transformation de navire.
On conviendra par exemple que le montant des allocations à déléguer au constructeur pendant 15 ans sera majoré de 60 % pour les navires mis en chantier ou en transformation dans un délai de 2 ans à compter de la promulgation de la loi. Tous les 2 ans, l’incidence de la dépréciation des monnaies sera déterminée à nouveau. En cas de circonstances économiques exceptionnelles, il conviendrait de réduire ce délai, à la demande de l’une ou l’autre des parties.

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Le nouveau régime devra être établi pour une durée de 15 années. Pendant chacune de ces 15 années, le total des allocations engagées au cours de l’année ne devra pas dépasser 18.000.000 de francs, chiffre qui représente, jusqu’à concurrence d’environ 17.000.000, l’annuité au taux de 7 % d’un capital de 155.000.000 de francs correspondant approximativement à la protection nécessaire à la construction de 100.000 tonneaux, y compris la majoration ci-dessus pour compensation de change, et arrondi à 18.000.000 de francs pour tenir compte des cas de transformation et de démolition de navires. Ce maximum varierait donc éventuellement pour tenir compte de la révision de compensation de change.

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L’annexe jointe comprend l’exposé des motifs et le projet de loi traduisant en texte législatif les principes posés par la présente note. Dans la rédaction de ce projet de loi, on s'est attaché, par raison d’opportunité, à conserver intégralement la convention du Crédit foncier et les allocations accordées à titre de bonification d’intérêt aux armateurs bénéficiant des prêts dans les conditions fixées par l’article f de cette convention, et l’on a simplement ajouté aux dispositions légales actuelles celles qui doivent assurer le fonctionnement du nouveau régime envisagé. Il est bien certain que ce nouveau régime, plus avantageux que celui des allocations accordées dans le cadre de la convention précitée, sera seul appliqué en pratique.

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