1934.07.00.Du Consortium national des constructions navales.Projet de rapport sur la construction navale en France

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Consortium national des constructions navales
Rapport sur la situation actuelle de la construction navale en France et sur les mesures qu'appelle cette situation

Juillet 1934

Table des matières

Exposé général

1ère partie : Situation de la construction navale française

A. Capacité de production

B. Possibilités de commandes en France

I. Marine militaire
II. Marine marchande
III. Affaires diverses - commandes pour l'étranger, les ports maritimes, les réparations et transformations
Conclusions

C. Prix de revient

Comparaison du prix de revient français avec le prix de revient international

D. Protection de la construction navale

Crédit maritime
Loi Tasso pour la protection directe des armateurs

Conclusions

2ème partie : Étude de principe des moyens susceptibles d’améliorer la situation de la construction navale

A. Variation du prix de revient

a/ Influence de la série
b/ Influence de la répétition
c/ Influence de la spécialisation
d/ Influence d’une augmentation de la production

B. Concentration (fermetures et fusions)

I. Difficultés de principe des réorganisations financières

II. Examen des conséquences techniques et financières des procédures de concentration en matière de construction navale

a/ Fermeture de l’unique centre d’exploitation d’une société

1°- Perte sur la liquidation des travaux en cours
2°- Perte sur les approvisionnements
3°- Perte sur immobilisations
4°- Perte sur portefeuille

b/ Fermeture de l’un des centres d’exploitation d’une société

c/ Concentration par voie d’acquisition par une société des installations d’une autre société

d/ Fusions entre sociétés

Conclusions afférentes à la concentration

C. Spécialisation

D. Mesures tendant à la régularisation des commandes

E. Mesures de protection de la construction navale

F. Financement des mesures de concentration

Annexe confidentielle de la 2ème partie

Étude d'un cas concret de fermeture d’un chantier

3ème partie : Conclusions générales

Projet d'un statut légal destiné à la protection de l'industrie de la construction navale

Rapport sur la situation actuelle de la construction navale en France et sur les mesures qu'appelle cette situation

Le 19 avril 1928, date à laquelle la loi du 19 avril 1906 sur les primes à la construction des navires a cessé d'être applicable, l’industrie de la construction navale en France s'est trouvée sans protection contre la concurrence étrangère, dans un pays où toutes les autres industries peuvent se développer à l'abri des droits de douane judicieusement calculés.
Dès la dépression économique qui, en 1921-1922 a suivi la période de prospérité d'après-guerre, cette situation anormale a été soumise par le gouvernement à l'examen d'une commission extra-parlementaire de la Marine marchande ; les travaux de cette commission, interrompus lors de la crise monétaire qui bouleversa l'économie française en 1925-1926 aboutirent, en février 1927, à des conclusions très nettes sur la nécessité de rétablir les primes à la construction. Une partie seulement des suggestions de cette commission fut prise en considération par le gouvernement qui fit voter par le parlement les lois sur le crédit maritime de 1928 à 1933.
Lors de la création du ministère de la Marine marchande, le premier ministre occupant ce poste, M. Louis Rollin, avait repris la question et jugé nécessaire de consulter à ce sujet le Conseil national économique. Après une enquête approfondie, conduite en France et à l'étranger, le Conseil national économique conclut, le 10 avril 1930, qu'il y avait lieu d'accorder une aide directe à la construction navale comme complément aux avantages résultant de l’application du crédit maritime, mais que les chantiers devaient étudier des mesures d’organisation et de rationalisation, comportant en particulier la concentration ou la suppression de certains chantiers.
Le Consortium national des constructions navales fut fondé en 1930 pour étudier ces mesures, qui devaient du reste suivre et non précéder l’octroi de l’aide directe jugée nécessaire. Malgré des demandes réitérées faites au département de la Marine marchande, il ne put cependant obtenir de réponses à des questions précises posées par lui sur l’orientation que le gouvernement entendait donner aux mesures de rationalisation préconisées et qui soulevaient des problèmes économiques et sociaux très complexes.
C’est seulement sous la forme des "résolutions interministérielles" du 18 octobre 1933 qu’il eut enfin connaissance des intentions du gouvernement.

Ces résolutions tendent :
1°) à réaliser la fermeture de certains chantiers ou à leur imposer une limitation dans l’importance et le tonnage des unités qu’ils construisent, limitation qui les conduirait pratiquement à la fermeture, ou pourrait tout au moins les y acculer ;
2°) à opérer des fusions étendues entre diverses sociétés.
Elles n’apportent aucune indication sur les moyens à mettre en œuvre pour réaliser le programme précité ni sur les modifications à faire subir au statut de la construction navale.
Le Consortium national des constructions navales, persuada qu’il est indispensable de faire aujourd’hui une étude d’ensemble du problème, apporte par la présente note une contribution effective à cette étude. Il espère ainsi redresser certaines erreurs commises dans le passé immédiat et préparer les éléments de la collaboration recherchée depuis longtemps avec [des mots manquent] d’ensemble comportant non seulement la recherche du pourcentage de concentration qui pouvait être utilement envisagé, mais encore l’étude des moyens de réalisation de cette concentration et des mesures à prendre pour donner enfin à l’industrie de la construction navale française le statut nécessaire à son existence.
Dans cette étude le CNCN se réfère objectivement en tant que de besoin, aux décisions ministérielles du 18 octobre, bien qu’elles aient fait l’objet d’un recours de tous les intéressés devant le conseil d’État : sans en accepter le programme, il les considère, en effet, comme une indication de la direction dans laquelle les pouvoirs publics recommandent de s’engager.

x x x

Dans une première partie de ce rapport nous examinerons la situation technique et commerciale de la construction navale française.
Dans une deuxième partie, nous examinerons les divers moyens préconisés pour l’améliorer.
Dans une troisième partie, nous présenterons une étude concrète pour la fermeture éventuelle d’un Chantier de moyenne importance.
Dans une quatrième partie, nous exposerons les mesures d’ensemble qui apparaissent comme nécessaires à la lumière des conclusions des deux premières parties de la présente étude.

1ère partie
Situation de la construction navale française

A. Capacité de production
Il existe actuellement 17 chantiers dont 14 existaient avant-guerre et 3 sont nouveaux, savoir :
- Chantiers du Trait (Worms et Cie)
- Chantiers navals français à Caen
- Chantiers du Sud-Ouest (à l’exclusion des Chantiers de Bacalan, avec lesquels ils ont fusionné depuis).
Ces 3 nouveaux chantiers représentent une capacité de production supplémentaire en coques de 15 % environ.
D'autre part, la loi de 8 heures faisant tomber le nombre d’heures de travail de 10 à 8, a fait baisser la capacité de la production des chantiers de 20 %.
La capacité actuelle serait donc inférieure de 5 % à la capacité d'avant-guerre.
Mais cette conclusion ne saurait être retenue.
Les dimensions des navires marchands ne sont, en effet, plus du tout les mêmes qu'avant-guerre. Le cargo type de 6.000 tonnes de dw est remplacé par le cargo de 9.000 tonnes et même davantage, la flotte pétrolière compte des unités s'échelonnant de 10.000 à 20.000 tonnes, les paquebots sur toutes les lignes ont également subi des augmentations de tonnage considérables.
On peut donc dire que, pour un même tonnage de navires marchands, il y a moins d’unités à distribuer, phénomène aggravé par les délais d’exécution très courts réclamés par les armateurs.
En matière de marine militaire, le phénomène est apparemment inverse : les années d’avant-guerre ont été marquées par la construction dans les grands chantiers d’un tonnage très important de cuirassés, alors que depuis 1923 l’industrie n’a construit que des unités moyennes ou petites. Mais précisément le nombre de chantiers capables de construire lesdites unités a augmenté et, par ailleurs, le tonnage unitaire des torpilleurs, contre-torpilleurs, sous-marins et croiseurs s’est accru dans une proportion également considérable.
On se trouve donc, en fait, en présence des deux phénomènes suivants :
- augmentation, pour chaque chantier, de sa capacité de construction de navires marchands décomptée en tonnage, et non en unités, à raison de l’accroissement du tonnage unitaire ;
- augmentation de la capacité totale de construction en navires de guerre de petit et de moyen tonnage.
Ajoutons pour mémoire et pour être complets, les deux faits suivants : navires beaucoup plus poussés comme vitesse, aménagements, confort, installations mécaniques de toute nature, devant normalement entrainer une augmentation considérable de la main d’œuvre par tonne et, au contraire, amélioration très sensible des procédés de production neutralisant, pour une large part, la dite augmentation.
En tout état de cause, si la thèse du gouvernement, suivant laquelle il y aurait eu augmentation de capacité par rapport à l’avant-guerre, ne saurait être formellement contredite, tout au moins doit-on affirmer que cette augmentation est certainement inférieure à 15 % de la capacité actuelle de l’ensemble des chantiers.

B - Possibilités de commandes en France
Quelles étaient avant-guerre et quelles sont actuellement les sources principales de commandes ?

I - Marine militaire. La flotte française comprenait en 1914 964.000 tonnes[1] auxquelles devaient s'ajouter 174.000 tonnes dont la construction était autorisée.
L’annuité de renouvellement, en se basant sur une durée moyenne de 16 ans, aurait donc été de 70.000 tonnes environ sur lesquelles l’industrie recevait généralement une part nettement supérieure à la moitié, soit au moins 40.000 tonnes.
La situation actuelle de la Marine française résulte du tableau ci-après :

 

Projet de statut naval de 1924

Constructions neuves commandées depuis 1928

Resterait à construire

Navires de ligne
Porte-aéronefs
Croiseurs de 1ère classe + navires légers de surface
Sous-marins

177.000
61.000

360.000
96.000

26.500
("Béarn") 20.000

272.000
84.000

150.000
41.000

88.000
12.000

Total navires limitables
Bâtiments spéciaux

694.000
162.000

402.500
65.000

291.000
97.000

 

856.000

467.500

388.000

Il résulte de ce tableau que l’effort de construction depuis 12 ans de l’ensemble industrie arsenaux, savoir environ 40.000 T par an, a été très notablement inférieur à ce qui eut été nécessaire pour réaliser la construction de l’ensemble du statut naval en 16 ans, âge moyen résultant des limites d’âge fixées par le traité de Washington.
Il convient de signaler, en outre, et sans préjuger des résultats de la prochaine conférence navale, que la France ne parait pas envisager jusqu’à présent de modification sensible au programme résultant du statut naval.
On peut donc considérer, qu’à moins d’une déchéance nouvelle, l’annuité de renouvellement de 40.000 tonnes devra être maintenue et fixer à 20.000 T environ l’annuité de construction réservée à l’industrie.
La construction de ce tonnage serait susceptible d’occuper régulièrement 9.000 hommes[2] dans les chantiers de construction navale, dont 6.500 dans les sections coques des chantiers navals.
On doit marquer, d’ailleurs, que les répartitions de commandes risquent dans le proche avenir d’être plus difficiles que dans la période de dix ans qui vient de s’écouler, du fait d’une part, de la mise en chantier de navires de ligne susceptibles pendant certaines années d’absorber tous les crédits et, d’autre part, de la réduction probable du tonnage de la flotte sous-marine.

II - Marine marchande - La moyenne de la production des chantiers français au cours de 3 périodes caractéristiques, est indiquée ci-après :
- de 1910 à 1914 120.000 tonnes[3] par an
- de 1922 à 1926 107.000 tonnes par an
- de 1928 à 1933 75.000 tonnes par an
Cette dernière statistique qui serait beaucoup plus mauvaise si elle s’appliquait aux deux dernières années, est d’autant plus navrante que pendant la même période de 1928 à 1932 les commandes de l’armement français à l’étranger ont atteint en moyenne 40.000 tonnes par an.

Quelles peuvent être les commandes de l'armement français à l'avenir ?

M. Cangardel, dans son magistral exposé à l'Association du commerce et de l'industrie, estime que la flotte de commerce devra être reconstruite dans les 15 à 20 années qui vont suivre et évalue à 6 milliards au moins les travaux qui seraient faits pour la plus grande part dans les chantiers de construction navale française.
On peut admettre, compte tenu du resserrement des échanges mondiaux ainsi que de la plus grande rapidité de rotation et de la meilleure utilisation des navires, que la flotte marchande française se stabilise à 2.500.000 tonnes, c'est-à-dire à un chiffre voisin de son tonnage d'avant-guerre. L'annuité de renouvellement en 20 ans pourrait alors être estimée à 125.000 tonnes. Si l’on admet, par rapport à ce tonnage, un pourcentage en plus ou en moins de 20 (correspondant d'une part à la possibilité de commandes à l'étranger, d’autre part à la nécessité d'une capacité circonstancielle supplémentaire par temps de guerre ou de demandes exceptionnelles) l'annuité de renouvellement se tiendrait entre 100 et 150.000 tonnes.
Un tonnage de cette importance convenablement distribué en cargos, pétroliers, paquebots, correspond à l'occupation régulière d'un effectif de 10 à 15.000 hommes dont 7.000 à 9.000 dans les sections coques des chantiers navals.
On établira plus loin qu'une alimentation de cet ordre cadre bien avec les effectifs d'ensemble que les chantiers sont susceptibles d'occuper normalement, surtout si une concentration même modérée était réalisée.
Ce résultat pourrait peut-être surprendre, d’autant que les chiffres 100 à 150.000 T de production annuelle sont bien différents de certains chiffres qui ont été articulés.
C'est ici le lieu de faire justice des chiffres, très fortement exagérés quant à la capacité de production des chantiers français en navires marchands qui ont été mis en avant systématiquement par l’administration : on a parlé d’une capacité de production de 400.000 tonnes. Or, ce chiffre qui a pu être articulé par les chantiers eux-mêmes comme capacité exceptionnelle de constructions à titre de réclame vis-à-vis de l’armement étranger, représente la capacité totale de production des chantiers en 1920, en tonnes de deadweight en supposant qu’on ne construise que des cargos, à l’exclusion de tout paquebot et de tout navire de guerre.
On constate, en effet, d’après les prix de revient moyens des chantiers français remis par la chambre syndicale à l’administration, que la construction annuelle de 53 cargos de 7.600 T dw, soit 402.800 T, permettrait d’occuper un effectif ouvrier et employé de 23.000 hommes seulement et représenterait assez bien la capacité circonstancielle des chantiers en cargos de spécification très simple. Ce n’est pas cette capacité qu’il s’agit de rechercher et de protéger, mais la capacité de construction en unités représentant harmonieusement la composition de la flotte marchande française, après que l’on a réservé les disponibilités nécessaires pour faire face aux commandes de la Marine militaire. Les chiffres énoncés dans le présent rapport en ce qui concerne les bâtiments de commerce sont établis dans ce sens et basés sur des tonnes de jauge, comme les statistiques du Lloyd et non sur des tonnes de dw.

III. Affaires diverses - commandes pour l'étranger, les ports maritimes, les réparations et transformations
On doit considérer, si les circonstances monétaires redevenaient normales, qu’un certain appoint de commandes de l’étranger pourrait être obtenu. D’autre part, un effectif important est occupé dans plusieurs chantiers à des travaux de refontes, réparations et transformations. Enfin, la plupart des chantiers se sont fait des spécialités soit dans des fabrications corrélatives à la construction navale, soit dans des industries diverses telles que celle des pétroles, et peuvent de ce fait compléter l’alimentation de leurs chantiers et ateliers.
Au total, on peut admettre que l’ensemble des affaires diverses énumérées ci-dessus correspond à un effectif de 3 à 5.000 hommes pouvant être occupés dans des circonstances normales.

Conclusions. Les prévisions logiques sont donc les suivantes :
Annuité de renouvellement de la Marine militaire de 20.000 tonnes ayant présentement un caractère aléatoire contre 40.000 tonnes avant-guerre et annuité de renouvellement moyen de la flotte marchande de 120.000 tonnes de jauge équivalente à celle d’avant-guerre. Ces chiffres sont relativement satisfaisants eu égard à ceux d’avant-guerre, car il s’agit, on l’a déjà vu, de navires beaucoup plus poussés. On constate en effet, en résumé, que si les rythmes de ces deux renouvellements étaient maintenus et si les constructions pouvaient être retenues en France grâce à une protection appropriée, les sociétés de constructions navales devraient pouvoir occuper dans les années moyennes, les effectifs suivants :
Marine militaire - 9.000 hommes
Marine marchande - 12.500 hommes
Travaux divers - 4.000 hommes
Total : 25.500 hommes

[Mots manquants] moyennes, les effectifs suivants :
Marine militaire - 10.000 hommes
Marine marchande - 12.500 hommes
Travaux divers - 4.500 hommes
Total : 27.000 hommes
Si l'on admet autour de ces chiffres les variations de +/- 20 % inhérentes aux inégalités de répartition de commandes et dont nous avons explicité les motifs pour la Marine marchande, l'effectif des chantiers oscillerait entre les effectifs circonstanciels minimum et maximum de 22 et 32.000 hommes.
Il est intéressant de rapprocher les chiffres ci-dessus du nombre d'hommes occupés pendant 3 périodes typiques, savoir :
- en 1914 (année d'activité) 31.000 hommes
- en 1930 (année normale d'après-guerre) 24.000 hommes
- en 1933 (début de la crise) 18.000 hommes
On constate, tout d'abord, que l'effectif circonstanciel maximum en cas d'augmentation simultanée des besoins de la Marine marchande et de la Marine militaire est sensiblement le même qu'en 1914. Il est donc justifié de considérer la capacité totale de production des chantiers avant-guerre comme un minimum tout au plus suffisant pour l'heure présente.
D'autre part, l'effectif circonstanciel minimum est supérieur à celui du début de 1933 et permettrait par conséquent aux Chantiers, dès qu'une protection adéquate aurait été accordée à l'industrie de la construction navale, de se trouver dans des conditions d’activité tolérables, sans qu’il soit pour cela nécessaire de réduire par principe le potentiel économique du pays.

[Hiatus par rapport à la page précédente] suivants des prix français :

1°- 34 % moyenne d'avant-guerre
2°- 42 % le 1er juillet 1922 (période d'élévation du cours des matériaux)
2°- 23, 5 % en novembre 1923 (période de dépréciation du franc)
4°- 33 % au 1er octobre 1929
5°- 55 % au 1er janvier 1934 (période de dévalorisation de la Livre)
Les taux 1 et 4 soit 34 % et 33 %, représentent indubitablement le taux de protection qui, d'après une expérience d'un quart de siècle et en époque de stabilité économique et financière internationale, doit être considéré comme découlant inéluctablement des répercussions de la politique protectionniste française sur les conditions de production d'un objet - le navire - qui ne subit à son entrée en France aucun droit de douane.
Cette nécessité d'une protection de base de 33 % n'a rien d'anormal. On sait, en effet, que les industries de même ordre, c’est-à-dire les industries de transformations très poussées (mécanique, électricité, automobile) bénéficient en France d'une protection douanière qui s'échelonne de 20 à 40 %.
Le taux de 55 % actuellement nécessaire correspond à une protection supplémentaire de 20 % par rapport au taux normal, à raison d'une augmentation de même ordre de la différence entre les prix de revient français et anglais. Cette augmentation n'est pas le fait de la construction navale française, elle se retrouve dans toutes les industries et a pour cause la dévaluation de la Livre et du dollar par rapport au franc.
C'est pour y faire face que les gouvernements ont dû successivement établir la surtaxe compensatrice de change, puis les contingentements, enfin envisager le renouvellement à peu près complet des systèmes d'accords commerciaux.
Sans doute, est-il difficile, dans l'état actuel d'instabilité des changes et des prix, de fixer des bases définitives pour la compensation des charges de la construction navale. On peut toutefois retenir dans l'examen de cette question les deux critériums ci-dessous :
- protection normale : 33 %
- protection actuellement nécessaire : 55 %
et chercher des modalités permettant de couvrir la partie permanente et la partie circonstancielle de cette protection.

D. Protection de la construction navale
Avant la guerre, la construction navale était protégée par la loi de 1906.
Cette loi, faite pour 12 ans, accordait des primes en francs or, qui, sur la base du coefficient 6, s'élèveraient aujourd'hui, par tonne de jauge, à :
Coque - 870 F par tonne, avec une décroissance annuelle de 27 F pendant 10 ans, la ramenant à 600 F.

Appareil moteur - 165 F par 100 k, correspondant à 140 F par HP avec une réduction de 3.80 par an pendant 10 ans.
Au total : 1.000 F par tonne de jauge avec une dégression de 8 % par an pendant 10 ans, la ramenant à 700 F.
En outre, l'armateur recevait pour chaque jour d'armement une compensation d'armement de 0.24 par tonne de jauge soit, par exemple pour 200 jours de mer, 48 F par an et par tonne.
La protection de la construction navale était ainsi complète par elle-même puisqu'elle correspondait à plus de 30 % du prix de revient français des navires et la protection de l'armement était indépendante.
Le régime actuel étant entièrement différent, la seule protection attribuée conjointement à l'armateur et au [hiatus avec la page précédente] de 27 F pendant 10 ans, la ramenant à 600 F.
Appareil moteur. 140 F par HP avec une réduction de 3.80 par an pendant 10 ans.
Au total : 1.000 F par tonne de jauge avec une dégression de 3 % par an pendant 10 ans, la ramenant à 700 F.
En ce qui concerne les navires construits pour les armateurs étrangers, les constructeurs bénéficiaient de 70 % desdites primes.
En outre, l’armateur recevait pour chaque jour d’armement une compensation d’armement de 0.24 par tonne de jauge soit, par exemple pour 200 jours de mer, 48 F par an et par tonne.
La protection de la construction navale était ainsi complète par elle-même puisqu’elle correspondait à plus de 33 % du prix de revient français des navires et la protection de l’armement était indépendante.
Le régime actuel étant entièrement différent, la seule protection attribuée conjointement à l’armateur et au constructeur est celle du Crédit maritime. Parallèlement, des études se sont poursuivies :
a) pour une protection directe du constructeur par une loi dite de compensation des charges de la construction navale.
b) pour une protection directe des armateurs par la loi Tasso.
On est ainsi amené à examiner quelle est la situation présente du constructeur en face de la seule législation existante : celle du Crédit maritime et de la loi Tasso.

Crédit maritime (loi du 26 juillet 1933).
Le système consiste dans le versement par l’État à un armateur d’allocations annuelles pouvant s’étendre jusqu’à 15 ou même 20 ans et représentant la différence entre [hiatus avec la page précédente (répétition des dernières lignes)] le montant des annuités de remboursement d’une opération de financement consentie par un tiers, à un taux d’intérêt déterminé (actuellement 8, 45 % dans le cas d’intervention du Crédit foncier de France) et le montant des annuités correspondant à un taux d’intérêt fixé par la loi et qui est de :
3.95 % pour les paquebots,
2.95 % pour les cargos,
5.95 % pour les achats de navires à l’étranger,
6.95 % pour les constructions de navires à l’étranger.
Ces allocations peuvent encore être majorées jusqu’à concurrence de 40 % sur l’avis unanime de la commission du Crédit maritime et bénéficier encore d’autres majorations, si le navire intéressé atteint des vitesses déterminées.
Ce système permet à un armateur :
a) soit, s’il désire soulager sa trésorerie, d’emprunter à concurrence d’environ 35 % du prix français les sommes nécessaires au paiement du navire à un taux net raisonnable ;
b) soit de recevoir pendant une période généralement fixée à 15 ans, des allocations dont la valeur actuelle, calculée d’après le taux de 8, 45 % qui est celui du Crédit foncier, est de 25 à 40 % du prix français pour les cargos, de 22 à 31 % pour les paquebots ;
c) soit de faire appel simultanément aux 2 méthodes sans que le total des allocations puisse être supérieur à ce qui est indiqué en b).
Ce régime est notoirement insuffisant sur les points suivants :
1°) Insuffisance de la durée d’application : 4 ans du 1er août 1933.
2°) Insuffisance du taux de protection : dans les circonstances actuelles et à raison du cours de la £, tous les navires construits en France sous le régime de cette loi ont été traités par les constructeurs avec de lourdes pertes.
Il convient en outre d'ajouter que l’obligation pour l’armateur d’assurer pendant toute la durée du versement des allocations la valeur actuelle des annuités restant dues par l’État, constitue pour lui une lourde charge dont jusqu’à présent il n’a pas été tenu un compte approprié dans le calcul du surprix français par rapport au prix étranger et par conséquent dans celui des allocations destinées à couvrir ce surplus.
Au surplus, l’administration, malgré toute la bonne volonté dont elle a fait preuve en améliorant, constamment le crédit maritime, s’est toujours trouvée en retard par rapport aux circonstances : on conçoit d’ailleurs qu’elle n’ait pu faire face totalement à la situation résultant des manipulations monétaires anglo-saxonnes et qui nécessiterait présentement comme on l’a montré ci-dessus une protection de l’ordre de 55 % pour les navires de charge.
3°) Insuffisance des opérations possibles. La somme totale des allocations annuelles correspondant aux emprunts contractés ne doit pas dépasser en moyenne F 4.000.000.
Ce montant d’allocations n’a permis de traiter en 1933-1934 que 4 navires, savoir : 2 grands pétroliers, un paquebot de 130 m et un bananier, ce qui correspond à 38.000 tonnes de jauge, alors que l’annuité de remplacement de la flotte marchande en 20 ans est en moyenne de 125.000 tonnes. En outre, il ne peut être attribué en principe qu’une annuité d’allocation de 1.000.000 par navire, ce qui dans les circonstances présentes interdit la mise en chantier d’unités dépassant 7.000 tonnes de jauge brute.
4°) Caractère onéreux pour l’État du Crédit maritime ; l’armateur, pour apprécier la valeur actuelle des allocations qui lui sont proposées par la commission du Crédit maritime, se base sur la possibilité d’emprunter soit au Crédit foncier soit à un prêteur quelconque, la différence entre le prix d’achat en France et son prix d’achat à l’étranger. Le taux de cet emprunt est évidemment toujours supérieur au taux auquel l’État est susceptible de contracter ses propres emprunts, du fait de l’impôt que l’État perçoit sur les intérêts des prêts, et du fait que le loyer de l’argent est plus élevé pour les particuliers que pour le Trésor public.
Il résulte de là que, moyennant le même sacrifice pécuniaire total, l’État donnerait à la construction navale un appui plus efficace, s’il lui allouait directement une compensation des charges qu’elle supporte, au lieu d’allouer des annuités compensatrices aux armateurs.
Le système actuel présente, en outre, l’inconvénient de grever les budgets de sommes croissantes qui ne donnent qu’une idée entièrement fausse de l’appui réellement donné chaque année aux constructeurs.

Loi Tasso pour la protection directe des armateurs

Le parlement a d'ores et déjà adopté un texte de loi destiné à accorder à l'armement une aide directe dans des conditions qui présentent une certaine analogie avec les dispositions de la loi de 1906 en ce qui le concerne.

Or, le rapport présenté au sujet de cette loi, au sénat, par le président de la commission de la Marine marchande lui- même, rappelle avec force quelques principes intéressants et bien connus dans des termes que nous croyons devoir reproduire ci-après :

[La page suivante – 18 – manque] applicables à celle-là.

Conclusions
L'industrie des constructions navales protégée de 1906 à 1918 par une loi qui versait directement au constructeur une prime équivalent à 33 % environ du prix français, se trouve aujourd'hui presque désarmée en présence d'un régime douanier devenu de plus en plus protectionniste et dont les répercussions sont écrasantes pour elle.
Si les conséquences de cette situation n'ont pas eu jusqu'ici un effet trop grave sur les résultats financiers de l’ensemble des sociétés de construction navale, cela tient :
- d'une part, à ce que lesdits résultats enregistrent les produits de commandes obtenues de trois à cinq ans avant l'époque à laquelle ils sont publiés,
- d'autre part, à ce que jusqu'en 1932, l'ensemble des commandes des armateurs et de la Marine de guerre avait un volume suffisant.
En troisième lieu, à ce que beaucoup de sociétés de construction navale, devant les difficultés de la crise, n'ont pas hésité à se créer des branches d'activité supplémentaires.
Enfin, il ne faut pas oublier que la plupart des sociétés construction navale, constituées avant la guerre, ont la plus grande partie de leur capital composé de francs non dévalués, de sorte que les taux effectifs de leurs dividendes (lorsqu'il y a des dividendes) sont extrêmement modérés.
L'étude d'un statut de la construction navale doit être d’urgence entreprise et menée à bonne fin, si l'on veut éviter la ruine de cette industrie. Ce ne sera d'ailleurs, comme il a été dit ci-dessus, que la suite logique de l'effort, qui vient d'aboutir, au bénéfice de l'armement libre.

2ème partie
Étude de principe
des moyens susceptibles d'améliorer la situation de la construction navale

Dans ces dernières années, les pouvoirs publics, dans l'examen qu'ils ont fait de la situation de la construction navale en France, ont admis que le prix de revient élevé de la construction navale provenait, non seulement du système protectionniste français, mais encore pour une part importante de la trop grande capacité de production des chantiers et serait susceptible d'une large déflation si des mesures étaient prises pour appliquer ce que l’on a appelé la concentration et qui semble consister dans la fermeture de certains chantiers ainsi que dans la fusion d'autres.
En supposant même qu’une telle concentration qui devrait d'ailleurs être modérée pour les raisons exposées précédemment, puisse présenter quelque intérêt, on ne saurait admettre qu'elle constitue une panacée, ni surtout qu'elle ait sur le prix de revient une influence aussi importante qu'on l'a proclamé.
Il convient donc de faire un examen méthodique des mesures susceptibles d'améliorer la situation de la construction navale, en étudiant leurs avantages et leurs inconvénients, ainsi que le moyen de les mettre en œuvre.
Dans cet ordre d'idées, on étudiera successivement :
A - La variation du prix de revient d'un chantier en fonction de la série, de la répétition, de la spécialisation et de l’augmentation de production
B - Les effets de la concentration telle que celle-ci a été définie ci-dessus
C - La spécialisation
D - Les mesures tendant à la régularisation des commandes
E - Les mesures de protection de la construction navale
F - Les moyens de financement des mesures de concentration

A - Variation du prix de revient d’un chantier en fonction de la série, de la répétition, de la spécialisation et de l’augmentation de production

a) Influence de la série. Lorsque plusieurs unités sont exécutées dans un même chantier, il en résulte une certaine réduction sur les matières, sur la main d’œuvre et sur les frais généraux dans la construction de la 2ème, de la 3ème ou des unités suivantes par rapport à la 1ère. Les armateurs, qu’il s’agisse de la Marine nationale ou de la Marine marchande ou de l’armement privé, connaissent bien ce phénomène et imposent aux constructeurs qu’ils soient français ou étrangers une réduction correspondante. Il en résulte que l’écart entre les prix français et étrangers reste le même, qu’il s’agisse de construire un ou plusieurs navires.
On a, d’ailleurs, tendance à ignorer que la construction navale ne connaît pas de série à proprement parler et à exagérer les effets de la répétition même immédiate d’une construction. La plus forte série construite depuis la guerre dans un même chantier est celle des 7 charbonniers de 6.300 tonnes. Elle a constitué une exception due aux circonstances de la reconstitution de la flotte charbonnière. Une série de 3 unités est, en temps normal, le maximum que l’on puisse envisager. L’économie réalisée en construisant une 2ème unité n’est pour celle-ci que de l’ordre de 3 % sur des unités simples et de 5 % sur des unités compliquées. Pour une 3ème unité, les nouvelles économies sont de 2 à 3 %.Il en résulte pour 3 unités une réduction sur le prix moyen des 3 navires de 2, 7 à 4,3 % au maximum.
b) Influence de la répétition. Si au bout de deux ans, par exemple, un armateur répète un navire déjà construit, la réduction du prix de revient par rapport à la 1ère unité est sensiblement moindre qu’en cas de construction en série : les gabarits sont pour la plupart inutilisables, le personnel ouvrier est en partie chargé; d’autre part, il est très rare que des modifications décidées en suite de l’exploitation de la 1ère unité n’interviennent pas. Dans cette espèce, l’avantage du constructeur consiste surtout dans une réduction des frais d’études et dans la réduction des aléas. Là encore, l’armateur exige toujours une réduction de la part de celui qui répète une construction, et la protection doit rester la même.
c) Influence de la spécialisation. L’influence de la spécialisation sur le prix de revient est de l’ordre de celle de la répétition; mais le bénéfice en appartient en propre au chantier spécialisé, qui se trouve ainsi "bien placé" et réalise le prix de revient normal, ayant en conséquence besoin de recevoir la protection normale. Il suffira d’indiquer que les prix de revient de la construction navale française qui ont servi de base à la recherche du taux de protection nécessaire sont les prix de revient moyens de 4 à 5 chantiers, les plus spécialisés pour chaque type de construction, pour faire apparaître qu’il ne peut y avoir dans une spécialisation modérée de raison de voir réduire lesdits prix de revient.
Les chantiers non spécialisés dans une fabrication déterminée doivent pour se qualifier pour cette fabrication, fabriquer à perte quelques unités; après quoi ils deviennent spécialisés dans cette fabrication.
d) Influence d'une augmentation de la production. L'administration de la Marine marchande considère que l’augmentation de production dans un chantier entraîne automatiquement une réduction importante du prix de revient : il suffirait alors de réduire le nombre de chantiers pour que le prix de revient dans les chantiers restants soit automatiquement amélioré dans de fortes proportions. Le Conseil national économique, sans approfondir suffisamment la question, a opiné dans le même sens.
Pour faire justice de cette thèse, il suffit de rappeler tout d’abord que le prix de revient français se décompose comme suit :
 

- matières :

50,25 %

- main-d’œuvre :

27,65 %

- frais généraux :

22,10 %

et d’examiner point par point l’influence de l’augmentation de la production sur le prix de revient.
Les prix des matières et de la main d’œuvre ne sont affectés en quoi que ce soit par une augmentation de production et les comparaisons qui ont pu être faites entre les devis des grands chantiers avec des chantiers produisant 2 ou 3 fois moins n’ont pas toujours été en faveur des premiers. On peut même dire que quand la production augmente il y a difficulté à aussi bien gérer.
C’est une occasion de signaler, une fois de plus, que la construction navale est une industrie extrêmement compliquée, qui nécessite le concours soit simultané soit successif d’un grand nombre de professions différentes, et dans laquelle une surveillance continue et une action personnelle des dirigeants est indispensable. Elle n’est donc en rien comparable aux industries de fabrication proprement dites.
Quant à l’action de l’augmentation de la production sur les frais généraux, elle n’est pas du tout celle que l’administration et le Conseil national économique ont admise.
On a semblé croire que les frais généraux d’un chanter étaient une chose fixe et, qu’en conséquence, une augmentation du chiffre d’affaires de 20 % devait se traduire par une diminution du même ordre des frais généraux.
Or, chacun sait qu’un chantier déterminé peut être conduit avec un pourcentage de frais généraux identique et avec des effectifs sensiblement différents.
Tel chantier, avec un effectif de 1.500 hommes s’est organisé de façon à avoir le même pourcentage de frais généraux que celui qu’il avait antérieurement avec un effectif de 2.500 hommes.
De même, d’autres chantiers ont été conduits à réajuster leur organisation, et doivent arriver à gérer avec des frais généraux convenables la même installation, bien que leurs effectifs aient été réduits, savoir : un deuxième chantier a réduit son effectif de 1400 à 800 hommes, un 3ème chantier de 1200 à 700 hommes.
Le phénomène qui se produit en réalité est le suivant : si un chantier de 1.000 hommes porte pratiquement son effectif à 1.500 hommes, il va d’abord voir ses frais généraux diminuer sensiblement, mais au bout de quelque temps, il doit remanier son organisation pour faire face à la gestion de 1.500 hommes, et le taux de frais généraux se trouve automatiquement porté au voisinage de ce qu’il était antérieurement.
D’ailleurs, dans les frais généraux, il existe une partie qui est presque rigoureusement proportionnelle à l’effectif engagé ; elle comprend notamment les dépenses de manutention, de magasinage, de petit outillage, etc. Une autre partie varie avec cet effectif sans lui être proportionnelle, par exemple les dépenses d’éclairage, de force motrice, de comptabilité, etc.
De nombreuses études ont montré que, pour un chantier en fonctionnement normal, l’on peut admettre avec une exactitude suffisante que les 4/10 des frais généraux sont immuables et que 6/10 varient comme les salaires dépensés.
Si donc le chiffre d’affaires d’un chantier est augmenté en moyenne de 12 % (on verra plus loin pourquoi on prend ce pourcentage), ses frais généraux seront diminués au maximum de 4,8 % et comme ils entrent dans le prix de revient du navire pour 22,6 %, ce prix de revient ne sera diminué que de 1,1 % environ.

Mais ce qui est exact, et c’est ce qui a dû frapper le Conseil économique, c’est que, si, en sens contraire, ce même chantier voit son effectif tomber brutalement de 1.000 à 600 hommes, il en résulte une perte de frais généraux considérable, jusqu’à ce que la direction ait trouvé le moyen d’ajuster son organisation au nouvel effectif.
Une alimentation plus régulière des chantiers français n’aura donc pas pour effet de réduire sensiblement le prix de revient normal des chantiers normalement alimentés, mais seulement d’éviter les pertes qui se produisent dans des chantiers qui se trouvent momentanément ou habituellement sous-alimentés.
Il est intéressant, à ce sujet, de calculer quelle serait l’augmentation du chiffre d’affaires des chantiers restants si, conformément à la décision ministérielle du 18 octobre les cinq chantiers visés par cette décision ne recevaient plus que des commandes réduites à de petites unités.
Le total des commandes de coques enregistrées pendant les années 1928 à 1933 incluses, pour les 5 chantiers visés s’est élevé à :
Marine marchande : 37.000 T de jauge
Marine militaire : 20.000 T de déplacement.
Le chiffre d’affaires correspondant visant d’ailleurs principalement les coques et en partie seulement les appareils évaporatoires et moteurs.
On calcule que si les décisions ministérielles avaient été appliquées dès le 1er janvier 1928, le chiffre d'affaires des 12 chantiers restants aurait augmenté au total de 12 % environ. Cette augmentation, d'après ce que l'on a montré ci-dessus, aurait eu pour effet de diminuer de 1,1 % au maximum le prix des chantiers insuffisamment alimentés et n'aurait eu aucun effet sur le prix de revient des chantiers convenablement alimentés pendant la période en question.
A plus forte raison la fermeture d'un seul chantier ne présente qu'un intérêt à peu près nul pour les chantiers restants et c'est ce qui explique que l'on ne puisse envisager de demander à ceux-ci de lourds sacrifices pour parvenir à des résultats aussi minimes.
Il résulte, en outre, de tout ce qui précède, que le Conseil national économique et l'administration, en envisageant l'application à la loi de compensation d'une dégression rapide basée sur la réduction des prix de revient qui résulterait de la fermeture d'un certain nombre de chantiers, ont fait une erreur d'appréciation qu'il est indispensable de redresser.

B - Concentration

Normalement, la concentration dans une industrie doit s'effectuer par le jeu des conditions économiques, les chantiers en surnombre manquant de travail et se voyant dans l'obligation de fermer. C’est ce qui s'est produit déjà en France, où depuis 1925, ont été fermés : les Chantiers navals d'Harfleur, les Chantiers de Couéron et les Chantiers de Sète.

[Les 2 pages suivantes – 25, 26 – manquent] maximum possible de 1,1 % le surprix indéniable de 53 %.

B - Concentration (fermetures et fusions)

La concentration dans une industrie ne doit normalement se concevoir que comme une conséquence des conditions économiques ; les chantiers en surnombre manquent alors de travail et se voient dans l'obligation de fermer ou de fusionner. C'est ce qui s'est produit en France où, depuis 1925, ont été fusionnés le Sud-Ouest avec Dyle et Bacalan et ont été fermés les Chantiers navals d'Harfleur, les Ateliers & Chantiers du Havre, les Chantiers de Couéron et les Chantiers de Sète. Il n'est pas inutile de rappeler que la création de la plupart de ces chantiers avait, en 1917 et 1918, été encouragée par le gouvernement.
C'est ce qui se produit actuellement en Angleterre où l'action de la National Shipbuilders Security Ltd consiste uniquement à racheter des chantiers en liquidation ou dont la fermeture a été décidée par les propriétaires. Cette méthode est économique, car elle a permis d'une manière générale d'acheter les chantiers strictement à leur valeur liquidative et de faire disparaître définitivement sans crainte qu'elles puissent être réutilisées 125 cales pour un coût moyen de l'ordre de 650.000 F par cale.
Les pouvoirs publics en France envisagent le problème sous un aspect très différent qui procède de l’économie dirigée, et les décisions ministérielles du 18 octobre envisagent ouvertement des fermetures de chantiers en exploitation, des fusions de sociétés sans se soucier des contrecoups qu'entrainent des opérations de cette envergure.
Il est donc nécessaire de montrer à quoi conduirait la réalisation des intentions des pouvoirs publics en matière de concentration, et de fixer, en principe, les règles et les résultats d'une semblable opération.
L'administration semble avoir en vue une ligne de conduite théoriquement très simple, savoir :
- suppression a priori de certains chantiers de coques, sans se préoccuper de savoir si ces chantiers sont l’objet principal ou unique d’activité d’une société

- fermeture de chantiers de coques secondaires par les sociétés qui possèdent plusieurs chantiers
- fusions entre les chantiers de coques situés dans un même port, de manière à ramener à un seul le nombre de chantiers dans chaque port.
C’est ainsi qu’en résultat des décisions administratives, la répartition géographique des chantiers restants serait la suivante :

Dunkerque

Chantiers de France

Le Havre

Augustin Normand

Le Trait

Worms

Saint-Nazaire

Penhoët-Loire

Nantes

Bretagne-Loire

Bordeaux

Gironde-Sud-Ouest

La Ciotat

Société provençale de constructions navales

Toulon

Forges et Chantiers de la Méditerranée

Cette règle simpliste ne tient aucun compte de ce que pour profiter des ressources en main d’œuvre que présentent certaines régions, les sociétés de construction navale fixées dans Iesdites régions pourraient être amenées à prendre des développements qui en feraient des organismes vraiment trop lourds et d'une gestion difficile ; c’est ce qui est apparu en Allemagne, où la crise a durement frappé les ensembles très lourds résultant d’opérations de concentration étendues tels que Deschimag, Howaldt-Vulcan.
La même règle ne tient pas compte davantage de l’importance commerciale d’autres régions, qu’il peut paraître malavisé de priver des moyens industriels parfaitement sains et viables, créés sur place bien avant la guerre en prévision même de leur extension croissante.
Un programme rationnel devrait tenir compte d’autres considérations et en particulier :
- répercussions industrielles et financières
- répercussions nationales (situation stratégique des chantiers en vue de leur collaboration à la Défense nationale, besoins des ports maritimes, disponibilités locales de la main d’œuvre spécialisée)
- répercussions sociales (chômage).

En laissant de côté ces deux dernières considérations, on se bornera à exposer ici la question particulièrement complexe des répercussions financières et industrielles d’opérations de cet ordre.

I. Difficultés de principe des réorganisations financières. Il convient d’abord de dire que presque tous les chantiers français sont exploités par des sociétés anonymes comportant schématiquement un conseil d’administration tenant ses pouvoirs de gestion de l’assemblée générale des actionnaires, collectivité anonyme et dont les intérêts doivent être gérés en bon père de famille, et non dans l’intérêt d’une autre société ou collectivité. Les liquidations, absorptions ou fusions ne peuvent donc être décidées qu’en fonction de l’intérêt des actionnaires. En ce qui concerne les cessions d’actif, la loi de 1867 sur les sociétés anonymes a voulu, d’ailleurs, très légitimement, qu’une société anonyme ne puisse faire apport à une autre d’aucun élément d’actif sans une rémunération légitime.
Dans le même ordre d’idées, les actionnaires peuvent résister aux prétentions d’un groupe apportant l’argent frais nécessaire à la réorganisation d’une société si cette réorganisation comporte des conditions trop dures à leur égard : par exemple la réduction du capital ancien à zéro.
Dans tous les cas, les fusions ou réorganisations techniques entrainant des réorganisations financières ne peuvent être poursuivies par les conseils d’administration qu’en ayant en vue les intérêts des actionnaires intéressés et en tenant compte de tous les éléments d’actif et de passif, sans oublier la valeur du portefeuille technique et commercial et les possibilités d’avenir. Et c’est dans cette pesée d’éléments présents et futurs que git le point sensible de semblables opérations.
De même, les groupes industriels et bancaires qui ont assumé la charge financière et morale de la gestion d’un chantier sont obligés de peser les conséquences de semblables réorganisations et peuvent conclure qu’elles sont inopportunes, soit parce qu’elles entraînent immédiatement pour eux des charges trop élevées, soit parce qu’elles se traduisent par une véritable liquidation d’une politique industrielle estimée nécessaire à l’activité d’ensemble de ces groupes.
Enfin, les réorganisations envisagées peuvent porter atteinte aux droits de créanciers privilégiés, concordataires ou obligataires, et se heurter par conséquent aux rigueurs du régime qui protège en France ces catégories de créanciers.
Il convient de rappeler à ce sujet que la capacité des sociétés civiles d’obligataires ne fait encore l’objet d’aucune jurisprudence précise, et que, si les assemblées d’obligataires peuvent voter un moratorium d’une courte durée moyennant l’attribution de sécurités complémentaires, elles ne peuvent accepter pour tous les obligataires la réduction de la dette : il en résulte que si les réorganisations envisagées ne permettent pas de continuer le service desdites obligations, la société intéressée est dans l’obligation d’en passer par une liquidation judiciaire.

II. Examen des conséquences techniques et financières des procédures de concentration en matière de construction navale
Certaines opérations de réorganisation qui ont eu lieu depuis 1925, constituent des précédents à la lumière desquels on peut faire ressortir les conséquences des diverses modalités de concentration. A cet effet, on a établi les bilans théoriques ci-après de trois sociétés : A, B, C, dérivés de ceux de plusieurs sociétés existantes, de manière, toutefois, à éviter toute personnalité, savoir :

Bilan théorique de trois sociétés de constructions navales
Bilan A
[Voir PDFp. 29]
Bilan B
[Voir PDFp. 29]
Bilan C
[Voir PDFp. 29]

- La société A, dont le bilan est lourd eu égard au peu d’importance des installations et à des pertes antérieures qui ont empêché de pratiquer des amortissements suffisants
- La société B, qui est le type de la société qui n’est pas encore sortie des difficultés d’après-guerre et est sujette à une réorganisation financière inévitable
- La société C, qui a pu faire des amortissements suffisants et dont la situation de trésorerie est satisfaisante.
Dans le cadre de ces références et sans perdre de vue les réalités, on étudiera successivement les différents cas ci-après :
a) fermeture de l’unique centre d’exploitation d’une société
b) fermeture de l’un des centres d’exploitation d’une société
c) concentration par voie d’acquisition par une société des installations d’une autre société
d) fusions entre sociétés
En examinant les diverses hypothèses qui peuvent se présenter au cours d’une réorganisation de la construction navale de grande envergure comme celle qui fait l’objet des décisions ministérielles du 18 octobre, on verra qu’il est nécessaire de faire appel à de puissants moyens pour les réaliser et pour surmonter les difficultés financières qu’elles soulèvent.
Une société qui veut mettre fin à son exploitation doit tout d’abord examiner quelle est sa valeur liquidative.
Les opérations de liquidation des chantiers navals donnent lieu à trois sortes de pertes qui résultent de la consistance particulière de leur actif :
1°) Perte sur la liquidation des travaux en cours
Le chantier qui ferme se trouve en présence d’un effectif qui diminue rapidement et dont le rendement diminue, de frais généraux élevés qui ne sont pas instantanément compressibles, d’indemnités de licenciement. De ce fait, la liquidation d’un portefeuille de travaux peut se trouver grevée d’une perte ou d’un manque à gagner de 3 à 5 %. Même dans le cas où le chantier qui ferme fait appel à un chantier immédiatement voisin pour l’achèvement de ses travaux, il en résulte, du fait des différences d’appréciation inévitables dans l’état des travaux en cours et du flottement qui se traduit dans la transmission des travaux, des pertes sensibles.
C’est pour ce motif que la fermeture d’un chantier est d’autant plus facile à réaliser que son portefeuille de travaux est aussi réduit que possible.
2°) Perte sur les approvisionnements
Suivant la nature des constructions, chaque chantier dispose de stocks d’une valeur de plusieurs millions dans lesquels figurent une large part de marchandises invendables et qui ne seront écoulées que dans 2, 3, 5 ans, lorsque des constructions analogues se reproduiront. Même si d’autres chantiers rachètent les stocks, ils ne peuvent le faire qu’à des prix nettement inférieurs aux prix d’inventaire, leurs propres stocks étant déjà chargés de marchandises d’utilisation tardive et aléatoire. De ce fait, la valeur liquidative du stock d’un chantier ne sera guère que de 30 à 50 % de sa valeur au bilan, en admettant même que ce stock ne soit pas encombré de matériaux inutilisables.
3°) Perte sur immobilisations
La valeur liquidative du terrain, des bâtiments et de l’outillage est généralement très inférieure à la valeur au bilan de ces installations.
C’est qu’en effet, dans un chantier une grosse partie des dépenses réside dans l’infrastructure (cales, routes, voies ferrées, canalisations) dépenses qui, loin d’augmenter la valeur des terrains, les rend moins propres à un usage industriel.

[Page 32 manque. Début page 33 identique à la page 30.]

a) Fermeture de l’unique centre d’exploitation d’une société
Une société qui veut mettre fin à son exploitation doit tout d’abord examiner quelle est sa valeur liquidative.
Les opérations de liquidation des chantiers navals donnent liai à trois sortes de pertes qui résultent de la consistance particulière de leur actif :
1° - Perte sur la liquidation des travaux en cours
Le chantier qui ferme se trouve en présence d’un effectif qui diminue rapidement, et dont le rendement diminue, de frais généraux élevés qui ne sont pas instantanément compressibles, d’indemnités de licenciement. De ce fait, la liquidation d’un portefeuille de travaux peut se trouver grevée d’un manque à gagner ou pis encore d’une perte qui, dans certains cas atteindrait des chiffres considérables. Même dans le cas où le chantier qui ferme fait appel à un chantier immédiatement voisin pour l’achèvement de ses travaux, il en résulte, du fait des différences d’appréciation inévitables dans l’état des travaux en cours et du flottement qui se traduit dans la transmission des travaux, des pertes sensibles.
C’est pour ce motif que la fermeture d’un chantier est d'autant plus facile à réaliser que son portefeuille de

[Hiatus entre les pages : foliotage ou classement erronés ?]

L'outillage, lui-même, puisque par hypothèse les outillages de ce genre sont surabondants dans le monde entier, n'a guère que la valeur de la ferraille.
En fait, les réalisations de chantiers poursuivies en France de 1925 à 1930 n'ont produit que 10 à 20 % des dépenses de construction :
Un chantier dont la construction avait coûté 30 millions a été vendu 5.600.000 F.
Un autre, dont la construction avait coûté 50 millions a été vendu 9.000.000.
Un troisième plus petit, où il a été dépensé 15 millions s'est vendu 1.500.000.
Si l'on admet que, malgré la situation actuelle, beaucoup plus mauvaise qu'en 1930, les valeurs liquidatives des chantiers petits, secondaires et moyens, s'échelonnent entre 1 et 9 millions, on s'aperçoit, en consultant les bilans des sociétés de construction navale petites et moyennes qu'une liquidation forcée entraine sur ce seul poste des pertes considérables.

4°) Perte sur portefeuille
Le portefeuille ne comporte le plus souvent que des valeurs industrielles en rapport avec la continuation de l'exploitation, telles que des actions de sociétés d'habitation à bon marché : leur liquidation entraine le plus souvent des pertes élevées.
Si l'on applique les considérations qui précèdent à la société A, possédant un chantier d'importance moyenne et assez lourdement chargée, on constate qu’elle se trouvera obligée d'envisager, en cas de fermeture et de dispersion de son chantier, des pertes de l'ordre de grandeur ci-après :
 

Perte sur liquidation des travaux

2.000.000

Perte sur approvisionnements

2.000.000

Perte sur immobilisation

20.000.000

Perte sur portefeuille

1.000.000

Total

25.000.000

perte qui atteint le montant du capital social.
La société ne peut envisager, en cas de fermeture de son chantier, que de liquider ses engagements, et, tout au plus, de rembourser ses obligations.
Le groupe dont fait partie la société se voit obligé d’incorporer à son bilan une perte de 25 millions, s’il est détenteur de la totalité du capital.
On comprend que ce groupe ne puisse accepter une semblable éventualité, alors que la filiale est en posture de continuer son exploitation sans faire appel à de nouveaux concours et peut espérer réaliser des bénéfices si les circonstances viennent à s’améliorer.
Si l’on applique les mêmes principes à la liquidation de la société B, qui n’est pas encore sortie de sa réorganisation financière et qui ne subsiste que par la bonne volonté de ses créanciers, on obtient une perte de l’ordre de 50 millions pour un capital de 16. C’est la liquidation judiciaire ou la faillite si un concordat est en cours, à moins que des interventions extérieures basées sur les dépréciations et les pertes qu’entraine- par rapport à leur valeur normale la liquidation de certains éléments d’actif, du fait d’une fermeture imposée, ne permettent de couvrir une large partie de la perte et que des arrangements puissent intervenir avec les créanciers.

b) Fermeture de l’un des centres d'exploitation d'une société
Les inconvénients de la fermeture d’un chantier ne sont pas moindres, lorsqu’il s’agit d’un chantier qui est un des centres d'exploitation d’une société qui en possède 2 ou 3.
On peut citer, à ce propos, le cas d’une société possédant 3 centres d’exploitation, et, qui, persuadée de la nécessité d'une politique de concentration en fermait deux, réduisant en quelques années son personnel ouvrier et employé de 5.300 à 2.000 unités. La perte résultant de cette double fermeture put être évaluée à 56.000.000 malgré de larges amortissements antérieurs.
Mais, en outre, dans ce cas, on vit apparaitre un genre de pertes propres aux sociétés importantes et qui diminuent brusquement leur activité : les charges financières et les impôts faisant brusquement boule de neige vinrent augmenter les engagements en quelques années de 12 millions. Au surplus, une réduction d’activité de cette importance amène inévitablement une diminution de recettes considérable, cependant que le passif résultant des engagements antérieurs devient plus pressant, entrainant une crise de trésorerie très sévère, et la nécessité de nouveaux emprunts à court terme particulièrement onéreux.
On concevra que des pertes de cette importance doivent entrainer une procédure de liquidation.
Si, au contraire, la société se trouve munie d’assez larges réserves, la fermeture d’un de ses établissements peut avoir pour effet de les absorber complètement.
C’est le cas de la société qui présenterait le bilan C et qui, fermant un chantier d’importance moyenne, perdrait dans l’opération 25 millions, comme on a vu en a).
D’autre part, il ne faut pas croire que le chiffre d’affaires du chantier fermé puisse se reporter dans tous les cas sur le chantier restant : l'activité du chantier fermé comprend totalement des fabrications spécialisées soit géographiquement (réparations et constructions de petites unités pour l’établissement maritime dans lequel il se trouve) soit techniquement (turbines d’un type déterminé) qui ne peuvent être déplacées ou qui, si elles peuvent être déplacées, entraînent des dépenses de regroupement importantes.
On constatera dans de nombreux cas que la fermeture d’un établissement secondaire diminue sensiblement le chiffre d'affaires de la société.
Donc, pertes élevées et réduction du chiffre d'affaires total entraînant un déséquilibre financier accentué inacceptable, si une partie au moins des dépréciations réelles d'actif n'est pas couverte par des interventions extérieures.

c) Concentration par voie d'acquisition par une société des installations d'une autre société
Une semblable opération ne présente d’intérêt pour la communauté que si elle a pour but la fermeture de tout ou partie des installations de la société absorbée.
La société acheteuse, si elle ne veut pas faire de pertes, doit acheter les installations de la société venderesse à leur valeur liquidative, majorée d'une valeur de convenance, dépendant de l'intérêt que présente au point de vue commercial le patrimoine absorbé (fonds de commerce, licences, chiffre d'affaires supplémentaire résultant directement avec certitude de l’absorption). Dans bien des cas cette valeur de convenance sera faible. Les commandes qui allaient au chantier vendeur se répartiront à la communauté ou à la région s'il s'agit de réparations. Le portefeuille des spécialités fera souvent double emploi ou sera inutilisable si, par exemple, une société disposant de licence Parsons absorbe une société construisant des turbines Rateau.
La société venderesse, au contraire, si elle est en cours d’exploitation, demandera pour céder ses installations un prix très élevé couvrant les pertes entraînées par la fermeture ; s’il s’agit d’une société en cours de réorganisation financière, elle n’hésitera pas à demander des sommes suffisantes pour apurer son passif.
Dans une négociation, qui a d’ailleurs échoué, les créanciers d’une société demandaient pour la cession de leur actif constructions un prix égal à 3 fois la valeur liquidative.
On a pu voir, au contraire, des ventes de chantiers en exploitation, réalisées à un prix supérieur de 40 % seulement à cette valeur liquidative.
On conçoit donc que des négociations de cet ordre ne puissent pas aboutir si elles n’ont pas pour origine la nécessité absolue de cession de la part de l’établissement cédé ou si elles ne sont pas appuyées, comme les fermetures directes de chantiers, par des moyens extérieurs aux établissements en cause.

d) Fusions entre sociétés
L’absorption d’une société par une autre pose de nouveaux problèmes. Il ne peut être question pour une société saine comme la société C d’absorber une société malsaine comme la société B, dont les disponibilités sont inférieures aux exigibilités de plus de 30 millions, ni même une société lourdement chargée, comme la société A, dont les disponibilités couvrent à peine les exigibilités. Dans ces deux cas, la société qui est en mesure d’absorber l’autre préférera proposer l’acquisition des installations de construction navale ou même seulement les cales de construction navale et le fonds de commerce en laissant le soin à la société qui disparait de procéder à la liquidation de ses engagements actifs et passifs.
C’est seulement entre deux sociétés également in bonis et dont les actifs nets représentent une valeur certaine, qu’une fusion peut être recherchée : mais encore faut-il qu’elle présente des avantages certains pour les deux sociétés. S’il s’agit de fermer les établissements de l’une d’elles, il en résultera un affaiblissement de l’ensemble, à moins, encore une fois; que des concours extérieurs ne couvrent la perte correspondante.
S’il s’agit de maintenir les 2 centres d’activité ainsi fusionnés, on se heurtera rapidement à des difficultés commerciales.
Par exemple : la décision du 18 octobre exige la fusion de deux chantiers voisins A et B. Par hypothèse, A va absorber B. Pour que les actionnaires de A ne soient pas lésés, il faut qu’ils tirent un rendement acceptable du capital investi sous une forme ou sous une autre, dans l’achat de B. Il est pour cela nécessaire que B apporte à A un contingent normal de commandes rémunératrices, telles que peuvent l’être celles de navires de guerre, de paquebots subventionnés dont la construction est réservée au marché national, ou de navires marchands dont la construction soit protégée par une loi contre la concurrence étrangère.
S’il n’y a pas d’accord, entre tous les chantiers, cette condition ne pourra pas être réalisée, même s’il y a des promesses gouvernementales, toujours précaires puisqu’elles dépendent de l’évolution de la politique et qu’elles ne peuvent, en tout cas, empêcher la baisse de prix qui résulterait de la concurrence. A aura donc assumé toutes les charges d’entretien et d’amortissement de B, et risquera de n’avoir aucune compensation. Au bout de quelques années, on s’habituera du reste à ne considérer l'ensemble de A et de B que comme un seul chantier ; et, alors qu'actuellement chacun d'eux est considéré comme au moins équivalent à C, on en viendra, pour des raisons politiques à vouloir traiter sur le même pied A + B, qui est dans une certaine région, et C, qui est dans une autre, et qui peut se trouver momentanément appuyée par une action très efficace de ses représentants locaux.
Quant à prétendre que les commandes viendront plutôt à A + B, parce que les prix de revient y seraient plus bas du fait de la fusion, ce serait une erreur. La réduction des prix de revient, dont la quotité, dans les circonstances les plus favorables, ne peut atteindre que 1 à 2 % (voir ci-dessus) ne pourra exister que si le chiffre d'affaires reste en rapport avec les capitaux totaux investis. Il y a donc là un véritable cercle vicieux.
Par ailleurs, la réduction de certains frais généraux dans les services commerciaux et techniques, du fait des concentrations, se produirait aussi bien dans le cas d'un accord entre tous les chantiers, sans nécessiter les combinaisons financières coûteuses et difficiles entraînées par la fusion.
Il ne faudrait du reste pas oublier les frais fiscaux élevés occasionnés par ce genre d'opérations.

Conclusions générales
Sous quelque forme qu'elles soient réalisées, les mesures de concentration qui, pour être utiles à la communauté, doivent se traduire par la fermeture de tout ou partie des installations d'une ou plusieurs sociétés, entrainent des pertes considérables.
On a montré qu'elles sont de l'ordre de 25 millions pour un chantier moyen. Elles seraient d'au moins 10 millions pour un chantier secondaire et 50 millions pour un chantier important.
De semblables pertes entraineraient la faillite pour des sociétés lourdement obérées, la perte de toutes ses réserves pour une société saine. Elles posent de graves questions où la responsabilité de gestion des dirigeants se trouve engagée, notamment vis-à-vis des obligataires.
On doit donc conclure que les mesures de concentration, si elles ne sont pas imposées aux intéressés par leur situation technique ou financière, ne peuvent être imposées par la collectivité ou par l’État que si cette collectivité ou l’État prennent à leur charge une large fraction des dépréciations réelles d’actif qui en résultent inévitablement.
Les fusions pour exploitation en commun de deux ensembles présentement indépendants, outre qu’elles ne conduisent à aucun profit pour la communauté, entrainent un alourdissement commercial et peuvent difficilement être envisagées sans une entente commerciale générale permettant de garantir le maintien en faveur de la société nouvelle des commandes antérieurement exécutées par les 2 sociétés fusionnées, condition d’ailleurs contraire à l’intérêt des autres sociétés.

C. Spécialisation

Il y a différents degrés dans la spécialisation.
Dans les pays qui disposent d’un très large marché de constructions navales, cette spécialisation peut être très poussée.
En Angleterre, les exemples abondent :

- Yarrow, Thornycroft, White and C°, qui construisent presque uniquement des torpilleurs et petites unités pour les marines militaires
- Cammel Laird, spécialisé avant la guerre dans la construction des paquebots mixtes
- Swan Hunter dans les constructions de paquebots rapides
- Denny, petites unités du type channel boat et ferry boat
- Lobnitz, matériel de dragage
- Napier & Miller, cargos de 6000 tonnes
- Lithgows, pétroliers.
La première discrimination éventuelle dans la production est le classement en navires de guerre et navires de commerce. La construction des navires de guerre nécessite une organisation toute spéciale et très onéreuse qui, lorsqu'on l'applique à des constructions de navires de commerce, grève le prix de revient d'une façon sensible.
Or, même sur le marché anglais, les circonstances n'ont pas permis de maintenir le classement en constructeurs de navires de guerre et de navires de commerce.
Swan Hunter spécialiste en paquebots, s'est vu contraint à construire des contre-torpilleurs et des croiseurs.
Fairfield et Beardmore, spécialisés en construction de cuirassés, ont dû se mettre à la construction de paquebots et la deuxième de ces firmes n'a pu résister à l'insuffisance d’alimentation en navires de guerre et a fermé ses portes.
Napier & Miller et de nombreuses firmes spécialisées dans la construction de cargos n'ont pu résister à la crise de la construction navale et ont dû fermer leurs portes.
On peut donc dire que, même sur un marché très large comme le marché anglais, une spécialisation excessive, avantageuse pendant les périodes de large production, a conduit de nombreux constructeurs à la ruine, dès que les compartiments ressortant de leur spécialité sont venus à manquer de commandes.
Dans un marché très étroit comme le marché français qui représente le 1/10 du marché anglais, une spécialisation accentuée n’est possible que dans des cas très particuliers (chantier appartenant à un armateur lui-même spécialisé, contrat réservant pour plusieurs années à un chantier les constructions d’une compagnie de navigation). Il est facile de voir qu’un chantier français qui se serait rigoureusement spécialisé à la construction des sous-marins serait aujourd'hui fermé, de même un chantier qui se serait spécialisé à la construction des cargos (il n’a pas été commandé un seul cargo genre "tramp" en France depuis fin 1931).
On peut dire que, d’une façon générale un chantier français pour pouvoir vivre doit être capable de construire des unités de plusieurs ordres. Il pourra rechercher une spécialité, par exemple les torpilleurs et les engins de dragage (Chantiers de Bretagne), les sous-marins (Augustin Normand), mais il ne devra pas accepter de se limiter à cette seule spécialité sous peine de courir les plus grands risques.
Un autre genre de spécialisation consiste dans la limitation dans chaque catégorie de navires à des dimensions déterminées.
Certains chantiers – les 4 chantiers dits de cuirassés d’avant-guerre notamment - ont été conçus pour la construction des grandes unités.
D’autres chantiers, au contraire, sont limités à la production des unités moyennes ou petites.
Une politique, tendant à attribuer des cuirassés, des porte-avions, des croiseurs et des paquebots grands ou très grands aux chantiers de la 1ère catégorie, des contre-torpilleurs, sous-marins, petits paquebots et cargos aux chantiers de la seconde catégorie, serait une politique rationnelle. Mais même cette politique ne pourrait être rigoureusement suivie. Tel grand chantier, pour faire l'intérim entre deux grandes unités, peut se contenter d’une unité de petites dimensions ; de même tel chantier moyen, en l’absence totale de petites unités, est obligé d’envisager la construction d’unités d’une catégorie dépassant son niveau habituel de production.
Tout au plus, peut-on demander aux chantiers français de tendre à la limitation du nombre de leurs spécialités, et sans même considérer qu’une semblable limitation puisse avoir un effet quelconque sur le prix de revient des navires, puisqu’elle ne peut avoir pour effet, comme on l’a montré ci-dessus, que de faire tendre le prix de revient des chantiers qui pourraient voir leur spécialisation s’accentuer dans un genre de fourniture vers le prix de revient moyen arbitré dans les calculs de la Chambre syndicale relatifs à la protection.

D - Mesures tendant à la régularisation des commandes

Ces mesures constituent un des points les plus importants à envisager dans la réorganisation de la construction navale, car elles sont de nature à permettre une amélioration considérable du fonctionnement technique de la construction navale, sans entrainer les pertes et les difficultés de tous ordres qu’entraine nécessairement toute tentative de concentration.
I. Régularisation des programmes de construction
On a vu, dans la 1ère partie, que le renouvellement rationnel de la flotte de la Marine marchande et de la Marine militaire permettrait, même avec un coefficient d’irrégularité de +/- 20 % d’alimenter convenablement l’ensemble des chantiers français.
Toute politique de la construction navale française doit avoir comme frontispice un programme de renouvellement de la flotte française.
En ce qui concerne la Marine militaire, on doit mettre en vedette l’influence bienfaisante du statut naval faisant l'objet du projet de loi de 1924 qui a servi de base aux mises en chantier depuis cette époque, et qui a permis de maintenir jusqu'à ces dernières années, des commandes annuelles de l'ordre de 20.000 tonnes aux chantiers français.
Il serait nécessaire que, suivant sur ce point, les avertissements répétés des commissions de la Marine militaire de la chambre et du sénat, et notamment du dernier rapport de M. Émile Borel, le département de la Marine dégage la situation actuelle de notre flotte, et les nécessités de renouvellement.
Il serait ainsi possible, comme cela à été fait en 1928, de faire ressortir l'annuité de constructions neuves à commander à l'industrie, sauf imprévu, pour les 3 ou 4 années qui vont suivre.
En ce qui concerne la Marine marchande et notamment l'armement libre, il est plus difficile d'agir dans le sens d’une régularisation des commandes : les armateurs ont tendance à supprimer toute commande en période de crise et à commander trop de navires dès que se présente une amélioration du fret.
C'est la loi portant statut de la construction navale et de l'armement qui, à l'instar de la loi modèle de 1906, à laquelle on a renoncé sans mettre rien à sa place de durable et de bien étudié, qui doit favoriser le remplacement régulier des unités vieillies.

II – Ententes commerciales
Les ententes commerciales sont indispensables pour obtenir des résultats dans la voie d'une spécialisation modérée et de la réduction corrélative assez faible mais néanmoins intéressante du prix de revient général des chantiers qui en résulte, notamment par la réduction des doubles emplois dans les études.
Mais il faut bien préciser que des ententes commerciales ne peuvent intervenir que sur la base d’un programme suffisamment régulier, et qu’elles sont pratiquement impossibles lorsque, comme depuis 1931 les commandes de la Marine marchande n’atteignent pas 30.000 tonnes par an ; en outre, les ententes faites en vue d’une période de prospérité devraient pourvoir être résiliées dès que l’alimentation deviendrait notoirement insuffisante pour la communauté. Mais alors il y a avantage pour ceux qui viennent d’être servis et désavantage pour les autres. Cela montre assez les difficultés de semblables ententes.
En fait, les ententes commerciales ne peuvent être envisagées que dans un marché national au préalable protégé et régularisé. Elles ne peuvent même dans ce cas être considérées comme devant faire partie d’un statut obligatoire, mais plutôt comme une discipline consentie ayant pour but d’éviter la suralimentation et la sous-alimentation, toutes deux génératrices de pertes.

E. Mesures de protection de la construction navale
Le but à remplir est précis : il s’agit de réunir les moyens budgétaires nécessaires pour retenir en France par une compensation appropriée aux charges résultant du régime protectionniste et à l’absence de tout droit de douane à l’entrée des navires de la flotte marchande qui ne sont pas obligatoirement construits en France d’après les conventions en vigueur.
L’annuité de renouvellement de 120.000 tonnes qui a été envisagée dons la première partie de cette étude comporte en fait environ 105.000 tonnes de navires dont la construction en France est facultative et dont le prix normal français aux cours actuels des matières et de la main d’œuvre est d’environ 400 millions.

[Suite du document – à partir de la page 47 – voir PDF.]

 

[1] Il s’agit ici de tonnes de déplacement.

[2] Dans le corps de la présente étude, les effectifs visés comportent l’ensemble du personnel ouvrier et employé correspondant à chaque évaluation.

[3] Il s’agit ici de tonnes de jauge.

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