1916.10.16.De Gaston Bouniols.Note

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Note confidentielle

Pour qui observe attentivement la lutte de matériel qu'est devenue l'habituelle méthode de cette guerre, il apparaît que sous le rapport de l'artillerie et des munitions, les alliés ont réalisé de sensibles progrès.
Mais dans le domaine maritime, il ne paraît pas en être de même : les sous-marins allemands continuent leurs destructions systématiques, aussi bien de navires alliés que de navires neutres avec un succès que rien jusqu'ici ne semble en mesure d'enrayer.
Cette constatation est d'autant plus désolante que la destruction par sous-marin est, pour ainsi dire, la seule manifestation d'activité de la marine allemande.
Une autre remarque s'impose : l'Allemagne construit des sous-marins en nombre considérable, les perfectionne sous les rapports, les confie à des commandants de plus en plus expérimentés et entraînés ; de sorte que le dommage causé devient tous les jours plus considérable et l'Allemagne fait le nécessaire pour l'augmenter continuellement sans se laisser arrêter par aucune considération de règlements internationaux ou d'humanité.
La constatation journalière du nombre des bâtiments coulés et les cargaisons perdues démontre que les énonciations précédentes sont strictement exactes.
Les rails commencent à manquer puisqu'on les enlève sur certaines voies existantes pour les employer en des endroits où ils sont requis et le charbon menace de devenir rare.
L'ennemi a ainsi causé depuis deux ans par la guerre sous-marine des pertes très lourdes à un triple point de vue : navires, cargaisons, capital, étant entendu par là, les sommes considérables qui sont payées soit aux compagnies d'assurances à titre de primes contre les risques de guerre, soit par les compagnies d'assurances aux armateurs victimes des sous-marins.
Il est indéniable que ces dommages sont énormes :
1° - Navires. Il suffit de se reporter à la sténographie des débats à la Chambre, du 24 mars 1916, pour s'en convaincre. Le sous-secrétaire d'État a, en effet, indiqué que le déficit du tonnage à l'heure où il parlait était de 15 millions de tonnes sur les besoins mondiaux. D'autre part, l'amiral Inglefield a laissé publier par M. Huard, secrétaire du Lloyd, que les navires capturés ou détruits étaient au nombre de 652 alliés et 736 neutres, représentant trois millions de tonnes. Nous trouvons encore dans la déclaration du Dr. Macnamara, secrétaire parlementaire de l'amirauté, l'indication que les pertes totales anglaises en tonnage marchand depuis le commencement de la guerre jusqu'au 30 septembre 1916 atteignent 2,5% en ne comptant que les bâtiments de 1.000 tonnes et au-dessus ; cette déclaration contient encore le renseignement suivant : l'amirauté anglaise reconnaît que les sous-marins allemands se perfectionnent de jour en jour au point de vue accroissement de dimensions, armement et force de la coque.
2° - Cargaisons. Les allemands exécutent un plan parfaitement clair et leurs sous-marins sont employés à réaliser le but suivant :
1° Empêcher en France, Russie et Italie, l'importation des matières premières telles que l'acier, le cuivre, le charbon, de façon à arrêter ou à retarder la fabrication des armes et munitions. Ainsi, les puissances de l'Entente seraient partiellement affaiblies, au moment même où la fabrication des usines de guerre en Allemagne est portée au maximum d'activité.
2° Empêcher en divers pays et surtout en Angleterre l'importation de matières premières servant à l'alimentation, (viande, grains, riz, sucre, café, thé) pour lesquelles ils sont tributaires des pays neutres ou de leurs propres colonies, dans le but d'affamer ces pays et de les contraindre à accepter la paix.
3° Diminuer l'action des flottes de guerre de l'Entente en les occupant surtout à convoyer tous les transports et en les détournant ainsi de leur véritable objectif.
4° Détruire la marine marchande des États neutres pour les terroriser et les empêcher de ravitailler les puissances alliées, ce qui amènerait, si l'on n'y remédie énergiquement, l'isolement des alliés et la diminution ou la suppression de leurs moyens de combattre.
3° - Capital. Il n'est pas besoin d'insister sur cet élément de préjudice car le fret a augmenté dans des proportions invraisemblables tant à cause du grand nombre des navires détruits que du danger que courent tous les navires d'être torpillés. Et nous ne parlons pas des vies humaines qui représentent un capital inappréciable !
Ces faits permettent de conclure :
- que si l'on s'est armé contre les sous-marins et si l'on a réussi à détruire ou à capturer un certain nombre d'entre eux, on n'a pu jusqu'ici entraver suffisamment leur action pour conserver ou recouvrer la pleine liberté des mers,
- qu'à l'effort illimité des allemands pour perfectionner leurs sous-marins, effort reconnu par le Dr. Macnamara et rapporté plus haut, n'a pas correspondu un effort illimité ou aussi puissant de notre part contre ces mêmes sous-marins.
Personne aujourd'hui ne conteste l'avance considérable prise par l'Allemagne pour détruire sans merci par la guerre sous-marine les ressources des puissances de l'Entente.
Aussi ces États qui luttent pour l'existence et la liberté ont-ils le droit et le devoir, de recourir à l'emploi de tous les moyens de défense et de salut, de consacrer tous leurs efforts à la découverte et à la mise en oeuvre rapide de ces moyens.
S'il est malheureusement vrai que les efforts émanant des marines de guerre alliées ont été jusqu'à ce jour insuffisants, n'y aurait-il pas lieu de faire appel à l'union et à l'initiative de tous les intéressés, à l'intervention et à l'esprit d'invention de "tout le monde" sans considération de nationalité, de parti ou d'école, en un mot, de donner comme préoccupation constante à "tout le monde" la destruction ou la diminution d'action et de puissance des sous-marins allemands par des moyens appropriés dans tous les domaines ?
L'émulation convenablement sollicitée peut faire des merveilles : Comment la solliciter ?
Il existe déjà, dira-t-on, une commission présidée par un homme éminent, et qui est chargée de recevoir, et d'examiner les inventions intéressant la défense nationale. Elle est donc qualifiée pour proposer ce problème à la sagacité de tout le monde et c'est même déjà fait puisque toutes les inventions qu'on lui présente sont examinées.
Oui, sans doute, mais ce n'est pas tout le monde qui ose présenter des projets à cette commission dont les suffrages vont, semble-t-il, de préférence à certains savants jouissant d'une autorité déjà reconnue ; les formalités y sont plus ou moins longues, la rémunération d'efforts quelquefois réels incertaine. Des inventeurs modestes peuvent être effrayés par la perspective d'une comparution devant une réunion de savants et leur timidité s'accommoderait mieux de rapports avec un groupement non officiel.
C'est en effet cela que nous désirerions instituer, un groupe s'élevant, par la personnalité de ses membres et le but poursuivi, au-dessus des préoccupations purement scientifiques, accueillant au point de vue pratique toutes les idées et en tirant, le cas échéant, parti au mieux de l'intérêt général. Autre avantage, cette commission concentrerait ses efforts sur les inventions intéressant seulement les sous-marins ; un champ moins vaste risque d'être mieux exploré.
Pour cela, il faut mettre en mouvement les principaux intéressés, c'est-à-dire ceux qui subissent plus directement les préjudices que nous énumérions en commençant, soit : les industriels, les armateurs, les compagnies d'assurances. Ces intéressés, groupés, admettraient l'idée d'un sacrifice pécuniaire important et réuniraient ainsi un fonds, administré par eux-mêmes, destiné à constituer des prix qui récompenseraient les auteurs d'une découverte ou d'un procédé reconnu pratique. Le groupement ferait appel à tous, alliés et neutres, dont il susciterait l'émulation par une propagande appropriée.
Cette propagande devait être développée par tous les moyens possibles. Elle s'exercerait par la presse, par des affiches, par des notices adressées aux ingénieurs, aux inventeurs connus, aux associations, aux syndicats, aux écoles professionnelles. Pour pénétrer la masse, un moyen merveilleux de diffusion existe, qui touche tout le monde, petits et grands, c'est le cinéma. Il est aisé de concevoir un film montrant d'une façon saisissante les ravages des sous-marins, les pertes énormes qu'ils nous font subir et aussi les avantages matériels que seraient appelés à recueillir l'inventeur qui réussirait à les empêcher ou à les diminuer. On susciterait ainsi l'émotion et la sagacité de tous.
En ce qui concerne le fonctionnement de ce groupe, nous ne pouvons que nous en rapporter à ce qu'il déciderait, lui-même, toute étude de détail, toute ébauche de règlement étant quant à présent prématurée.
Toutefois, nous nous permettons d'indiquer que, dans notre pensée, il ne s'agirait pas d'un concours banal, clos après une découverte satisfaisante, mais bien d'un concours permanent ouvert pendant toute la durée de la guerre, quel que soit le résultat obtenu, de façon à ajouter à l'attention toujours en éveil un moyen qui l'excite, sans répit et sans interruption.
Des primes seraient accordées par une commission qui, de par l'autorité de ses membres, pourrait recommander avec efficacité l'exécution du ou des projets adoptés, ou même favoriser par avance la mise au point ou la réalisation matérielle d'une idée reconnue a priori susceptible d'une application pratique. Les inventeurs abandonneraient à la commission la propriété de leur projet, ce qui permettrait à celle-ci d'amalgamer totalement ou partiellement plusieurs projets s'ils devaient assurer en commun le but poursuivi.
Enfin, il ne s'agirait pas uniquement de découvrir un moyen de destruction, mais il faudrait accueillir et retenir tous les moyens de parer aux effets destructeurs des sous-marins ou de les amoindrir (soit par une protection plus efficace, soit par des moyens de découverte et d'avertissement plus précis ou plus sensibles, etc.) de sorte que l'esprit d'invention de tout le monde pourrait, avec un but unique et défini s'exercer dans ce domaine assez vaste.
Dans la situation présente, l'appel à l'initiative générale ne semble pas devoir être négligé.
Si l'on veut bien y recourir, la conscience du danger et la nécessité urgente de le conjurer sont des mobiles assez puissants pour susciter une découverte de nature à diminuer l'action des sous-marins.


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