1911.03.21.De Georges Majoux - Worms et Cie Le Havre

Double de courrier

NB : La copie image de ce document n'a pas été conservée en raison de sa mauvaise qualité.

Worms & Compagnie

Le Havre, 21 mars 1911
Messieurs Worms & Compagnie
Paris

Messieurs,
Nous venons de recevoir la visite de M. René Chevillotte ; il ne lui a pas été possible de différer son voyage car d'un instant à l'autre il va être père pour la douzième fois. Il nous a répété les arguments que nous avait présentés son frère Jean et nous nous sommes efforcés de lui démontrer que notre prise de possession des lignes exploitées par la Compagnie brestoise ne pouvait être considérée par la Maison Chevillotte que comme un événement heureux puisque nous sommes bien résolus à ne pas lui faire concurrence alors que la situation serait toute différente si c'était, par exemple, la Maison Picot & Julia qui reprenait la suite de la Brestoise. Nous lui avons en outre exposé que l'escale de Brest était nécessaire pour nous puisqu'elle nous permettait sur la nouvelle ligne Dunkerque-Bordeaux d'organiser notre service à la mer à 2/4 comme cela a lieu sur toutes nos autres lignes, alors que si nous brûlions Brest comme la durée de la traversée entre Dunkerque et Bordeaux excéderait 68 heures, nous serions obligés pour la loi du 17 avril 1907 de marcher à 3/4 ce qui représenterait pour nous un surcroît de frais d'exploitation considérable. Nous avons ensuite par des exemples démontré à M. René C qu'il serait plus intéressant pour lui de transporter le même tonnage que celui qu'il transporte actuellement avec une majoration F 3 par tonne que de devoir maintenir les taux actuels parce que toutes les fois qu'il y aurait à Dunkerque, à Boulogne ou à Bordeaux un lot d'une certaine importance il se trouverait un outsider pour le prendre au prix réduit. M Chevillotte n'est pas bien certain que la Compagnie brestoise et nous-mêmes sommes engagés et il a plaidé le faux pour savoir le vrai, cherchant à nous faire entendre que M. Omnès aussi bien que M. Rolland voudraient amener la Maison Chevillotte à formuler une proposition ferme qui serait examinée par l'assemblée générale du 8 avril concurremment avec la nôtre. Nous avons déclaré à M. René C. que nous étions dès à présent assurés de la majorité à l'assemblée générale du 8 et que le conseil d'administration ayant accepté la proposition que nous lui avions soumise était absolument lié vis-à-vis de nous. Quand nous avons eu bien discuté nous avons demandé à notre visiteur s'il était pleinement convaincu par nos arguments : il n'a pas osé nous dire oui, mais il n'a pas voulu non plus nous dire non et comme notre interrogation était formulée d'une façon pressante, il s'en est tiré en nous répondant qu'en fin de compte c'était seulement l'oncle qui est actuellement à Menton qui pourrait décider et que cet oncle après avoir reçu le rapport que lui avait adressé Jean C. aurait déclaré que puisque la Maison Worms voulait tout absorber, il ne restait qu'à lui proposer d'acheter l'armement Chevillotte. A cette ouverture nous avons répondu qu'il ne pouvait être question pour nous de tout absorber parce que cela n'était pas de notre intérêt et que si nous devions un jour ou l'autre reprendre les lignes Chevillotte, il faudrait que nous trouvions une combinaison pour continuer à les exploiter sous leur ancien nom parce que nous estimons qu'en matière de navigation, il ne faut pas songer à se créer un monopole car ce serait édifier un colosse aux pieds d'argile qui se trouverait toujours à un moment quelconque à la merci d'une concurrence ; que cela avait été toujours notre manière de voir ; que nulle part nous n'étions pas seuls et que c'est parce que nous estimions dangereux de laisser seuls MM. Chevillotte entre Dunkerque-Brest et Bordeaux-Brest que nous reprenions la Compagnie brestoise parce qu'entre nos mains ce ne sera pas une concurrence et que les concurrences sont néfastes aussi bien pour ceux qu'elles touchent directement que pour ceux qu'elles frappent par ricochet. L'oncle Chevillotte est âgé, c'est l'ancien député ; il peut difficilement quitter Menton à cette époque de l'année et sa femme ne le laisse pas remonter dans le Word avant le mois de mai. C'est lui qui est le véritable propriétaire des lignes et ses deux neveux signent du reste toute la correspondance par procuration. René nous ayant dit qu'il serait heureux de nous voir nous-mêmes convaincre son oncle, nous lui avons dit que c'est bien volontiers que nous nous rendrions, par exemple, à Marseille si M. Chevillotte croyait cette entrevue utile. Au moment où M. René allait monter dans le train nous lui avons demandé encore une fois s'il était convaincu et comme toujours il ne nous a encore répondu ni oui, ni non. Nous l'avons poussé à nous dire ce qui le chiffonnait: il nous a alors avoué que c'était de nous voir nous installer à Brest où jusqu'à présent il n'y avait eu qu'un seul armement sérieux, la Maison Chevillotte A cela nous lui avons dit qu'il ne nous était pas possible de prendre à Brest comme agents MM. Chevillotte à moins que ceux-ci nous confient par réciprocité leurs agences à Dunkerque et à Bordeaux car malgré toute la confiance que nous avons en leur loyauté nous ne pouvions pas nous dispenser de contrôler le trafic au moins à un des bouts de la ligne. Enfin comme la portière se refermait nous nous sommes séparés de M. René en lui disant : "Vous allez bien réfléchir à tout ce que nous vous avons dit et nous sommes certains que lorsque vous descendrez du train vous reconnaîtrez que l'alliance que nous vous offrons est bien la solution la meilleure que vous pouviez espérer". Nous ajouterons pour vous que nous sommes absolument convaincus de cela et c'est certainement dans cette conviction intime que nous trouvons la persuasion qui a gagné à notre cause d'abord Jean puis son frère René comme elle gagnera plus tard l'oncle.
De M. Rolland nous recevons un sympathique télégramme dans lequel il nous propose d'ajourner l'entrevue à Paris au mercredi 29. Comme nous venons de vous le dire nous croyons plus politique de ne pas lui demander par lettre l'engagement des administrateurs et de M. Bassut auquel nous avons songé. Noue devons considérer la Brestoise comme définitivement engagée avec nous par la correspondance que nous possédons comme nous sommes engagés avec elle par ce que nous lui avons écrit.
Nous ne pouvons pas croire que les administrateurs aient l'illusion que leur matériel vaut actuellement 250 à 300.000 francs, ils doivent bien être édifiés sur ce point ; mais jusqu'à la dernière minute ils veulent leurrer leurs actionnaires. Lorsque ceux-ci se réuniront pour la dernière fois, c'est-à-dire le 8 avril, ils seront encore sous l'impression qu'ils n'ont rien perdu puisque les experts n'auront pas encore fixé la valeur de la flotte et lorsque la liquidation aura lieu le conseil d'administration qui ne sera plus rien n'aura pas à redouter les critiques de l'assemblée puisqu'il n'y en aura plus.
Veuillez agréer, Messieurs, nos salutations empressées.

Georges Majoux

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