1876.01.21.De F. Mallet et Cie.Le Havre.A la Chambre de commerce de Paris

Retranscription

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Le Havre, le 21 janvier 1876
Monsieur le président de la Chambre de commerce
Paris

Monsieur le président,
Nous avons organisé depuis 18 ans des services réguliers de bateaux à vapeur entre Bordeaux, Le Havre et Hambourg, et vice-versa.
Afin d'être toujours à même de répondre aux besoins du commerce, nous avons progressivement augmenté le nombre et le tonnage de nos steamers et nous pouvons dire qu'il n'existe de ligne au cabotage en France ou à l'étranger jouissant d'une réputation supérieure à celle dont jouissent les nôtres, comme régularité, excellence du matériel et choix du personnel.
La Compagnie générale transatlantique vient d'inaugurer un service côtier en concurrence avec nos lignes. Rien ne justifie cette détermination de sa part, puisque les ports côtiers qu'elle veut desservir sont tous reliés entre eux par des lignes particulières. Elle ne peut prétendre raisonnablement y trouver un avantage quelconque puisque les steamers qui desservent déjà ces lignes sont plus que suffisants pour transporter le fret qui peut être destiné à ses grandes lignes et que le transport par ses propres moyens lui coûtera sensiblement plus cher que le prix qu'elle payait.
Pour prouver ces deux points il nous suffira de dire que pendant l'année 1875 la Compagnie générale transatlantique avec laquelle nous avions un traité ne nous a pas même donné 1.000 tonneaux en tout de Bordeaux au Havre, du Havre à Bordeaux, de Hambourg au Havre et du Havre à Hambourg, alors, cependant que nous avions consenti un taux de fret n'excédant pas beaucoup celui des voiliers.
II est donc bien évident que l'idée de relier ses grandes lignes avec les ports côtiers n'est en réalité qu'un prétexte. Du reste, elle offre déjà de prendre du fret d'un port à un autre comme le font toutes les lignes au cabotage et cela à un fret inférieur au nôtre. Il s'agit donc bien de la création d'un service ayant pour but de concurrencer les steamers français qui font le cabotage.
Cette détermination de la Compagnie générale transatlantique nous paraît être, tout à la fois, une injustice envers les armateurs particuliers, une dérogation à l'esprit des contrats postaux et au but que le gouvernement a eu en vue en subventionnant très largement la Compagnie générale transatlantique, et aussi offrir un grand danger au point de vue de l'avenir de la marine et du commerce français.
En subventionnant la Compagnie générale transatlantique, l'État a eu en vue de créer des relations sous pavillon national entre la France et les États-Unis et les Antilles et de faciliter ainsi nos transactions commerciales. Aucun service à vapeur français n'existait alors sur ces lignes et les subventions de l'État ne portaient aucun préjudice à des armateurs particuliers.
Le but que proposait le gouvernement était donc parfaitement clair. Les agissements actuels de la Compagnie générale transatlantique ont pour conséquence de dénaturer l'esprit du contrat, car il n'a jamais pu entrer dans I'esprit du gouvernement d'imposer au pays un sacrifice considérable qui dût avoir pour conséquence de permettre à la Compagnie générale transatlantique de venir après coup concurrencer les armateurs particuliers alors qu'à leurs risques et périls et avec leurs seules ressources ils ont engagé leurs fortunes dans les armements maritimes pour desservir des lignes au petit et au grand cabotage.
C'est à l'aide des impôts que l'État est en mesure de subventionner la Compagnie générale transatlantique. Les armateurs particuliers ont à supporter une portion de ces charges. Il ne saurait dont être permis à la Compagnie générale transatlantique subventionnée en partie, quoique indirectement par eux d'abuser de cette situation exceptionnelle pour venir les concurrencer sur leurs propres lignes.
C'est à tort que la Compagnie générale transatlantique prétend créer ses lignes côtières à l'aide de ses propres ressources. En effet, les subventions de l'État servent à couvrir tous ses frais généraux. C'est donc avec raison que nous disons que les subventions qu'elle reçoit serviront également à couvrir les frais généraux de son service côtier. Si du reste on tient compte des subventions qui lui ont été payées jusqu'à ce jour par l'État, il est facile de constater qu'elles dépassent de beaucoup le capital même de la Compagnie. Si donc, elle était réduite à ses propres ressources, elle ne serait pas en mesure d'établir un service côtier.
Nous disons que si les agissements de la Compagnie générale transatlantique devaient être tolérés, ce serait la ruine de la marine marchande et que le commerce en éprouverait également un préjudice considérable.
Depuis très longtemps on se préoccupe de l'état de la marine marchande en France. Mais qui donc oserait maintenant y engager ses capitaux avec la possibilité de voir un jour une Compagnie subventionnée venir faire concurrence à des armateurs particuliers ? Tout le monde s'abstiendrait et, si un jour les grandes compagnies subventionnées venaient à disparaître pour une cause ou pour une autre, le pavillon étranger remplacerait partout le pavillon national ; car une Marine ne se crée pas du jour au lendemain, il faut de nombreuses années pour lui permettre de se constituer solidement.
Le jour où les armateurs particuliers auront disparu et où les compagnies subventionnées existeront seules, elles poseront leurs conditions au commerce en demandant des frets exagérés. L'intérêt commercial bien entendu veut que la lutte entre les armateurs ait lieu à armes égales de manière à ce que il n'y en ait pas quelques unes assez fortes pour rester seuls maîtres de la mer.
Que la Compagnie générale transatlantique renonce à sa subvention et nous n'avons plus rien à dire.
C'est avec confiance, Monsieur le président, que nous nous adressons à la haute impartialité et à l'esprit éclairé de la Chambre de commerce de Paris pour lui demander de transmettre à Monsieur le ministre des Finances et à Monsieur le ministre de la Marine les deux lettres ci-incluses. Nous croyons pouvoir espérer qu'elle voudra bien les appuyer de sa haute autorité, ainsi que vient de le faire la Chambre de commerce du Havre.
Recevez, Monsieur le président, l'assurance de notre parfaite considération.

Mallet


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