1850.09.14.De Edouard Rosseeuw.Newcastle.Extrait

Origine : Collection de lettres reçues - liasse 1848-1854

Newcastle, le 14 septembre 1850
Monsieur Hte Worms
Paris

Mon cher Worms
En somme, il y a beaucoup à faire à Newcastle en charbon et autres marchandises. C'est une place qui n'est pas exploitée et qui mérite de l'être. Mais il faut de l'argent surtout à un étranger qui viendra s'établir inconnu. Ceci est dit, en général pour ce qui vous concerne, au point de vue du charbon, ce serait mal travailler que considérer Newcastle comme le point principal de l'opération. Newcastle ne doit et ne peut être que l'instrument ; Paris doit être le centre, d'où part toute la direction.
Newcastle ne peut pas créer les affaires ; il ne peut qu'exécuter les ordres et c'est à Paris de déterrer les affaires, établir les relations et donner les ordres : il est aussi facile d'affréter 100 navires que 10.
Et nos affrètements, quoique assez bien faits, eussent pu l'être encore mieux mais ce n'est ni la faute de Pring, ni la nôtre. C'est la faute du charbon sur lequel part la majorité, la presque totalité de nos affaires. Le Cowpen, il s'embarque à Blyth, et nous sommes à Newcastle. Là est tout le secret de notre infériorité de position.
Les hommes et les courtiers en particulier sont mus par l'intérêt. Or les courtiers de Newcastle savent bien au fond que Monsieur Pring fait beaucoup d'affaires, et qui le paient bien, mais ces affaires se font à Blyth, et qu'est-ce que cela rapporte aux courtiers de Newcastle : rien. Alors ils laissent Pring de coté, ou a peu près, et ne lui apportent des offres de navires dans la Tyne, que quand ils ont été refusés ailleurs. Nous affrétons 3 navires à Blyth, contre 1 à Newcastle.
II faut à tout prix que nous ayons le Davison [Dawson ?], car alors nous ferons nos affaires nous-mêmes, nous aurons beaucoup d'affrètements en main, et les courtiers courront après Pring, et en outre, nous aurons du charbon quand nous voudrons, ce qui n'est pas le cas à Blyth. Dans le même but de conquérir à la Maison de Newcastle l'influence qu'elle doit avoir, il faut qu'à l'avenir, Mallet ne s'amuse plus à faire des affrètements au Havre ; ils ont l'inconvénient que je vous signale, et de plus, balance faite, ils sont sans avantage comme prix de fret. J'insiste sur ce point, parce que justement Le Havre est pour Newcastle le port favori et une maison, qui donne du fret pour le Havre, est toujours bien vue, et suivie par les courtiers. Je résume tout ce qui précède en ceci : nous devons créer nos affaires à Paris, créer des relations sur la côte, en France, dans le Nord et dans l'Espagne, la Méditerranée - nous devons avoir une des grosses affaires, et Newcastle exécutera les ordres sans embarras, sans grands frais - et pourra gagner une bonne somme de commission.
Ma place n'est donc pas à Newcastle, elle est à Paris pour me concerter avec vous et aller faire une longue tournée, et créer des relations. Autrement, les affaires ne viendront pas nous trouver et les frais de Rosseeuw et Pring absorberont et beaucoup et au-delà, les bénéfices possibles de Newcastle.
Tel est le résultat de mes observations depuis un mois : mon séjour ici m'aura été utile, très utile, mais il ne fait que corroborer l'opinion, que j'avais toujours eue, d'établir des relations de tous côtés.
Je regarde aussi comme indispensable que toutes les affaires se fassent au nom de Worms. Peut être y aura-t-il moyen d'agir sans procuration, cela va dépendre de la réponse de la Banque, lundi. Jusqu'à présent, je n'ai parlé que de nos affaires charbons ; elles doivent passer les premières. À côté d'elles, il y a les affaires de commission - et en plombs, et surtout en grain, on peut faire énormément d'affaires à commission - et c'est encore à Paris que je puis les créer avec votre concours.
Je me monte l'imagination dites-vous ? Non, je suis dans le vrai, dans le positif, dans le possible. Mais sans être vieux encore, j'approche de l'âge où l'on ne travaille plus guère utilement : je suis dans une position horrible, comme passé, et je veux en sortir. Aussi je saisis avec ardeur, mais avec prudence en même temps les moyens d'utiliser ce que je peux valoir encore. Vous avez naturellement un autre point de vue, et de là vient que nous ne nous entendons guère.
Mais une lettre ne peut expliquer mes idées sur ce point ; je vous reverrai bientôt, je pense, et je vous dirai mieux ce qui est à faire, selon moi, que je ne puis l'écrire, je vous le répète que, avec toute prudence, vous avez en main votre fortune, et la mienne, et je désire ne pas perdre l'occasion.
À vous

Rosseeuw

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