1945.04.18.De Robert Labbé.A Hypolite Worms.Note (sans signature ni destinataire)

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18 avril 1945

Comité Central - Dès mon retour, je me suis entretenu avec Marchegay de vos observations au sujet de la reconstitution limitée du bureau du Comité. Les statuts prévoyant expressément un bureau et ne permettant pas la création d'un autre organisme, il ne nous est pas apparu possible de faire état de vos propositions.
D'un autre côté, il est certain que l'apparition d'un organisme provisoire aurait pu paraître aux yeux de l'extérieur comme impliquant à l'intérieur au Comité certaines difficultés qui, en fait, ne sont pas réelles.
Le ministre, enfin, a demandé à Marchegay, lors de leur dernière rencontre, à pouvoir s'entretenir le plus vite possible avec les membres d'un bureau qui, selon sa propre expression, pourrait parler au nom de l'armement.
Dans la journée d'hier, la question a paru se poser sous un autre angle. Fraissinet est venu à Paris passer trois semaines. Il a, à la réunion des chefs d'entreprise, fait un exposé violent quant à son cas et, dans le privé, a indiqué à Marchegay et me l'a confirmé, son intention d'être candidat comme vice-président.
Sa position est évidemment très différente de la vôtre. Il n'a jamais été qu'en résidence surveillée. Il s'y trouve d'ailleurs toujours, mais bénéficie d'une très grande souplesse quant à des déplacements possibles. Il n'a jamais été inculpé de quoi que ce soit et n'est pas en instance devant une cour de justice. Le non-lieu qui le concerne n'a pas le caractère d'un non-lieu judiciaire comme dans votre hypothèse, mais d'un non-lieu relatif à un internement administratif.
Par ailleurs, Fraissinet n'a à côté de lui, dans son affaire, aucun collaborateur qui soit aussi entièrement associé à lui que je le suis à vous, sur le plan professionnel et Maison. Fraissinet seul peut prendre une place au bureau. Ma présence temporaire comme trésorier adjoint, au contraire, informe d'une manière éclatante, comme cela a d'ailleurs été le cas depuis quatre mois dans toutes les manifestations officielles de l'armement, que notre Maison est au premier plan des travaux et des responsabilités corporatives, comme autrefois.
Nous sommes, Meynial et moi, dans ces conditions, extrêmement nets dans le sens que vous mainteniez la position que vous aviez acceptée la semaine dernière, à savoir de rester temporairement en dehors du bureau, étant entendu que dès votre retour, je quitte automatiquement la place réservée à la Maison et tenue par moi pendant le délai considéré. Et il nous paraît absolument inutile que par une démarche fort honorable, mais probablement prématurée, vous risquiez de remettre en cause tout ce qui a été mis au point jusqu'ici.
J'ajoute que Fraissinet m'a indiqué que Paul Cyprien Fabre suivrait exactement la même attitude que vous, son cas à lui Fraissinet paraissant beaucoup plus comme dicté par un tempérament personnel que par des considérations d'ordre général.
Comme la décision doit être prise lundi après-midi, je vous serais reconnaissant si vous pouviez m'appeler avenue George V soit samedi matin avant 9 heures, soit dimanche à un moment quelconque dans la matinée, pour me confirmer votre accord aux vues identiques de vos deux associés.
J'ai vu l'Amiral B. extrêmement touché par la démarche faite en votre nom auprès de lui. Pour le moment, il n'y a pas nécessité urgente, mais il transmettra l'indication dont on sera, il n'en doute pas, extrêmement touché. Il m'a chargé de ses meilleures amitiés pour vous.
Canada - La visite de M. Doye, de Sorel Industries Ltd, s'est révélée comme une prise de contact extrêmement Intéressante. Après en avoir parlé à Courau, j'ai introduit Doye auprès de ce dernier en le faisant accompagner de Nelson qui l'a pris en charge entièrement.
Le contact semble prometteur, Courau étant particulièrement frappé du fait que ces chantiers sont prêts à construire sur plans des armateurs. Il conviendrait, bien entendu, de faire une enquête au sujet des conditions de travail de ces derniers et de la qualité des navires qui en sortent. J'ai suggéré à Courau sur le premier point d'en charger Abbat, dont le départ pour les États-Unis rebondit ; quant au second point, il sera facile de le faire élucider par le capitaine d'armement que les armateurs envoient à leur compte à New York.
Courau a chargé Nelson d'introduire Doye auprès des Pêches pour le programme des chalutiers (contact déjà réalisé et satisfaisant) et auprès de la direction des Ports maritimes.
La Sorel Industries est dirigée par M. Simard, d'origine française, dont Doye est le bras droit. Cela semble une affaire considérable. Ils ont, au début de la guerre, créé une usine de construction de pièces d'artillerie en liaison avec Schneider. Doye a vu à son arrivée ici Charles Schneider qui l'a emmené personnellement au Creusot, Saint-Sauveur, etc. Doye leur a indiqué qu'il devait me rencontrer et Schneider a manifesté toute sa satisfaction de cette prise de contact. Il n'y a aucun lien entre Doye et Schneider au point de vue bancaire mais il y a surtout un développement intéressant en perspective, c'est que Boye est, d'après ses dires, l'un des plus grands dragueurs et constructeurs de matériel de dragage d'Amérique. Il aurait, d'après lui, pris lien avec Schneider pour la reconstruction du port du Havre. Je le fais entrer en contact avec Lauret afin de voir si nous ne pouvons développer des contacts avec lui sur ce point.
Caoutchoutiers - J'ai eu la visite ces jours-ci de Barratte, ancien collaborateur de Pétavy, qui a mené une grande partie des négociations relatives aux caoutchoutiers. Il commence à s'impatienter, ce que Nelson et moi trouvons ridicule, étant donné les conditions délicates de la négociation. En fait, il se sent incertain maintenant chez Dunlop et voudrait consolider sa situation par la bande. Il m'a indiqué que le contrôleur financier de la Caisse de compensation des caoutchoucs a émis la possibilité de faire prendre par l'État ou un organisme analogue 51% du capital de la société. Je lui ai indiqué que la Maison ne marcherait jamais sur une formule de cet ordre, car nous ne voulions point être les mains liées entre celles de l'État. II a d'autre part posé la question de la présidence de la société. C'est là pour lui le gros problème. Il m'a demandé une réponse rapide. Il est inutile que je développe le pour et le contre. Je balance personnellement, comme Meynial, entre présidence caoutchoutiers ou présidence Worms. Voudriez-vous par très prochain courrier arbitrer cette question ?
Nantes - Certaines difficultés psychologiques avec la Nantaise lors du dernier voyage de Bucquet. La SNCG est citée pour les profits illicites. Il y en a eus évidemment beaucoup (dans les derniers temps creusement de tranchées), Bucquet s'est trouvé en présence de Leho et consorts lui disant : « Nous ne voulons pas nous mêler de la question, car la SNCG est présidée par Worms et c'est vous qui irez en prison si nécessaire ». Violente réaction de Bucquet qui a précisé qu'il avait toujours été entendu entre les deux maisons que toute la politique et toute la gestion de la SNCG étaient entre les mains des gens de Nantes. Bucquet, dans une conversation avec Guillet, précise notre point de vue. Guillet s'est naturellement défilé en donnant satisfaction à Bucquet.
Par ailleurs, comte je vous l'avais déjà indiqué, il a renouvelé à Bucquet des protestations relatives à sa succession, en disant qu'il devenait très vieux, etc.
Comme je veux reprendre sans tarder l'affaire des terrains, j'ai l'intention dans une dizaine de jours de descendre, avec Bucquet et Vinson, que j'ai chargé de négocier l'affaire immobilière, à Nantes, et de mettre au point toutes ces questions pendantes dans le sens notamment de notre dernière conversation.
Accord Möller - Vous avez certainement reçu le dernier télégramme faisant une nouvelle proposition pour la mise à notre disposition d'un pétrolier n°98 dont la quille pourrait être posée à la fin de l'année. Courau est entièrement d'accord. Nous pensons avoir rapidement l'accord d'A. F. qui est rentré de Londres hier soir et celui des Finances because argent.
Je ne suis pas très chaud pour, malgré les termes de notre accord avec la Marine, réclamer le premier pétrolier pour nous. La SFTP conserve un bon nombre de navires. Poulain recevra son "Floréal" n°91. Alors qu'au contraire, nous sommes à la Havraise dans une situation tragique. Je préférerais opérer une vaste négociation sur les trois termes suivants :
1°- abandon de notre n°1 sur l'accord Möller
2°- obtention sur le même accord du n°2, puis retour à l'ancien numérotage c'est-à-dire 4 - 7, etc. dans la mesure où ces 4 - 7 , etc.. pourraient être des 9.000 tonnes
3°- abandon des réparations du "Condé" moyennant arrangement forfaitaire en marge de l'article 11, en fonction de l'importance des réparations du "Condé", comme cela semble d'ailleurs, d'après ce que m'a indiqué Courau, être d'ores et déjà envisagé dans d'autres cas.
Bien entendu si le premier numéro des bateaux Möller ne pouvait couvrir les besoins de la Havraise, je réclamerais le premier pétrolier. J'estime néanmoins qu'étant donné les possibilités que l'on aura certainement du côté des pétroliers américains, le problème est beaucoup moins tragique pour Duret et Poulain que pour la Havraise où la situation est très grave.
Je vous serais reconnaissant de me faire part de votre sentiment à cet égard pour que je puisse négocier dans le sens prévu.
En ce qui concerne les navires Worms, la situation paraît s'éclaircir. Nous avons deux "Château" dans le programme de démarrage à Graville et l'on vient de nous offrir des 1.300 tonnes dont la construction serait effectuée en Angleterre. Si ces derniers types correspondent à nos besoins (Coré se trouvant sur place pourrait facilement le déceler), je préférerais abandonner les petits cargos allemands du Trait dont les délais de construction seraient vraisemblablement plus longs et le prix surtout beaucoup plus élevé.
Il reste en outre la possibilité d'une construction Cockerill pour laquelle on attend un ordre de mission pour Achard.
Divers - La Marine marchande, la Marine militaire et le Crédit national sont, en principe, entièrement d'accord pour les transformations envisagées en ce qui concerne le Trait.
Grédy a revu Glénat pour l'agence des Messageries. Vous aurez probablement reçu une note de sa part. En un mot, les choses continuent à se développer favorablement.


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