1945.04.27.De Robert Labbé.A Hypolite Worms.Note (sans signature ni destinataire)

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NB : Note sans signature ni destinataire, issue d'un dossier contenant la correspondance échangée d'H. Worms avec R. Labbé et R. Meynial.

27 avril 1945

Comité central - Tout s'est passé dans les meilleures conditions, exception faite de l'intransigeance de Fraissinet qui a voulu à toute force se porter comme vice-président et qui avait indiqué à Marchegay que, si on ne le laissait pas être candidat, il ferait un esclandre à la réunion ou tout au moins un long discours.
Le bureau, dans ces conditions, se trouve constitué de :
Nicole - président
Pilliard - vice-président
Fraissinet - vice-président
Fabre - secrétaire
Labbé - trésorier.
Votre place est ainsi gardée à la bonne température.
Nous avons eu hier une première réunion du bureau, au cours de laquelle on a examiné les problèmes pendants qui se résument à trois :

1°- Nous allons faire une démarche officielle auprès du ministre la semaine prochaine, démarche de présentation, au cours de laquelle nous insisterons sur le désir qu'a l'armement de jouer un rôle actif, en liaison et à côté des pouvoirs publics.
La Marine marchande est d'ailleurs déjà entrée dans cette manière de voir en nous demandant l'autre jour de désigner, le cas échéant, des armateurs chefs de maison pour participer aux conférences de trafics qui auront lieu sous l'égide de l'UMA.

2°- La question de l'article 11 est la plus cruciale. Le ministre a répété qu'il entendait la résoudre le plus rapidement possible. Il a précisé ce point à Fould lundi dernier qui, venu l'entretenir du problème de la reconstruction des chantiers, s'est entendu rétorquer que rien ne pourrait être définitivement mis au point dans ce domaine avant que la position État armateurs ne soit nette.
R. M. entend en vérité discuter sur la clause de vétusté. Peut être mettra-t-il en avant les 10% des lignes régulières, mais, d'après mes renseignements, il lâcherait sur ce point. Selon ce que j'ai pu comprendre, l'idée du département intéressé serait d'arbitrer une valeur effective des navires au 1er septembre 1939, en fonction de leur spécification, de leur âge et des prix du marché international, l'administration pendant que les valeurs agréées au 31 août 1939 comportent pour les armateurs un avantage excessif par rapport à la situation actuelle.
D'après les études préliminaires que j'ai entreprises, et si les idées de R. M. se précisaient comme indiqué, la modification envisagée ne tournerait pas pour nous à une catastrophe étant donné la politique de valeur agréée que nous avons suivie.

3°- Nationalisation - La question est toujours à l'ordre du jour. Les idées les plus saugrenues se font jour, que nous allons essayer les uns et les autres de combattre. Généralité de la nationalisation des paquebots - Annexion de cette mesure aux lignes exploitées en connexion avec des paquebots -Nationalisation du minimum vital des besoins maritimes français. Toutes formules dont il est inutile de démontrer l'absurdité.
Fraissinet pencherait pour un léger jet de lest en admettant l'incorporation au sein de l'ensemble des armements d'un commissaire du gouvernement. Appuyé par Fabre, je me suis violemment élevé contre cette manière de voir, estimant que, si nous devons être mangés, ce doit être en dernière analyse.
Ceci étant, nous sommes tous d'accord pour admettre la création d'une espèce de comité mixte de l'armement, qui permettrait aux pouvoirs publics d'orienter notre politique pendant les années à venir dans le sens le plus large, mais sans que les pouvoirs de cet organisme puissent aller jusqu'à pénétrer de près ou de loin dans la gestion même des entreprises. L'on pourrait, au sujet de la composition de ce comité, envisager plusieurs formules. L'une très large, genre Conseil général des transports, l'autre ne comprenant que l'armement et les représentants de l'État, une dernière enfin qui réunirait les activités étroitement liées à l'armement (armateurs, constructeurs de navires, réparateurs, ports maritimes, manutentionnaires, assureurs, etc.).
Nous avons le temps de réfléchir à la question, mais vos idées sur le problème me seraient précieuses.
J'avais, bien entendu, pensé à Schiaffino comme l'un des vices-présidents, mais comme nous désirons que notre bureau soit un bureau de travail qui puisse parler effectivement avec le ministre, il serait mauvais que, au départ, plusieurs de ses membres ne participent jamais à nos entretiens. Mais, dans la constitution du Conseil exécutif, Schiaffino a été désigné alors qu'auparavant il n'y avait jamais figuré.

Caoutchoucs - Étant donné une réponse rapide à faire à Barrette, j'avais anticipé sur votre réponse. L'individu qui est médiocre a été tout de suite transformé et s'est répandu en amabilités ininterrompues. Aucun engagement, bien entendu, en ce qui concerne la gestion technique et commerciale qui doit rester entièrement entre nos mains. Il s'agit d'ailleurs d'un projet d'avenir puisque le bateau sur lequel Nelson a une option a 1948 comme date de [livraison].
Möller - La Marine marchande est d'accord pour accepter que le contrat Möller commence par le pétrolier 98. Il est bien entendu, et je le confirme dans le télégramme en réponse, qu'il s'agît de notre contrat d'origine, contrat qui, vous vous en souviendrez certainement, était de 10 ans et qui, à la suite de votre demande, a été ramené à 7 ans, non pas comme durée fixe mais à titre d'option le contrat pouvant, à notre demande, le cas échéant, être prolongé jusqu'à 10 ans.
En réalité, toutes les discussions depuis décembre tournent autour de la clause de résiliation. La Marine marchande comme moi-même ne désirons pas entrer dans un contrat dont l'exécution pourrait être retardée indéfiniment. C'est pourquoi nous avons, en tout état de cause, maintenu une date finale de résiliation au 30 juin 1946, si rien n'était commencé.
Toutes les autres conditions du contrat, c'est-à-dire celles que vous aviez discutées en juin-juillet, sont acceptées par Möller dans ses télégrammes précédents, et sont à la base de notre réponse puisque je me réfère à votre lettre fondamentale du 8 juin et au télégramme d'accusé de réception de Möller. Il n'y a pour moi, comme pour Courau et pour Nelson également, aucun doute permis.
Je ne partage pas votre sentiment sur la question financière à mettre au point. Il ne peut pas être question de laisser à Möller le risque total, y compris le risque de guerre, sur ce que nous allons payer immédiatement, soit 2.600.000 couronnes suédoises. En effet, nous allons nous trouver, si Möller est d'accord sur notre réponse, comme si Möller avait, dès le mois de juin 1944, commencé à construire un bateau dans le cadre de notre contrat. Or, il n'a jamais été discuté par vous que les risques de construction et notamment le risque de guerre soient à la charge de l'acheteur, ceci étant spécifié expressément dans le projet de contrat que nous avons eu entre les mains il y a un an. Tout ce passe comme si rétroactivement notre contrat partait de juin 1944, notre risque, ou plutôt celui de l'État, étant le montant de sa prime que nous allons avoir à payer en sus du prix convenu pour la construction du navire, si tout le matériel approvisionné est détruit, l'assurance de guerre rembourse le montant assuré et nous perdons la prime. Si rien n'a pu être mis sur cale avant le 30 juin 1946 par suite de dommages aux chantiers, nous n'avons aucun engagement ultérieur.
Il valait la peine, et nous avons tous été d'accord à la Maison, Courau étant d'ailleurs lui-même de cet avis, d'essayer d'avoir un bateau plus tôt au prix du risque de perdre quelques dizaines de milliers de couronnes de prime.
Quant à nos droits dans le contrat, j'ai eu un lapsus intellectuel. C'est bien un sur deux comme numérotage pour nous, c'est-à-dire que si nous ne prenons pas le premier pétrolier en vue de favoriser la Havraise, je demanderai 2 puis 3 puis 5 etc.
Havraise - Je me bats avec Courau et Anduze pour que l'on oublie pas, comme on en a trop tendance, les 9.000 tonnes dans le programme immédiat. Les Victory commencent à être mis en doute et la Marine ne pense qu'à commander des navires pour le trafic colonial (Afrique du Nord ou AOF). J'attire tout particulièrement l'attention sur la nécessité de reprendre le plus rapidement possible les lignes où la concurrence étrangère, comme Madagascar, n'est pas un leurre, et où seuls les 9.000 tonnes peuvent tenir le coup. Il y a évidemment eu un cornard à savoir que le type "Malgache", même amélioré en CGA, 3 et 4, est un drôle d'instrument, mais j'ai répondu à Courau que nous avions dans nos cartons un type beaucoup plus omnibus, (celui étudié par Achard) qui pourrait pallier aux reproches faits par Courau. J'espère pouvoir vous mettre au courant au plus tôt du résultat de ces démarches.
Nantes - La question est complexe et risque d'évoluer très rapidement. Mais je crois qu'il y a un "misunderstanding" entre nous. Si nous laissons le cas Bucquet de côté pour la facilité de l'exposé, je crois que les mutations que j'ai mises sous vos yeux et qui, bien entendu, sont peut-être spéculatives dans mon esprit, la décision ne relevant que de vous, donneraient des résultats très satisfaisants. Je crois notamment que Simoni, qui n'a pas grand chose à faire au secrétariat général, s'adapterait très facilement à un poste de succursale. Je pensais que Grédy au poste que j'envisageais pour lui continuerait à être grand maître de Port-Saïd et des consignations étrangères.
Mais encore une fois, tout ceci ne sont que des hypothèses pour lesquelles aucune urgence n'est à envisager.
Ceci étant, j'ai mardi matin à la première heure, c'est-à-dire avant d'avoir reçu le mot que m'a rapporté Vignet, la visite du Père Guillet. J'ai trouvé celui-ci très vieilli, les pommettes saillantes, assez vieillard, très frappé par la mort d'Hector Pétin dont le dernier mois a été vraiment affreux.
Après des paroles vagues, j'en suis venu au cœur du sujet. J'ai mis au point la question de la Nantaise de consignation et de gérance pour laquelle tout est arrangé et les responsabilités nettement délimitées. Puis je lui ai demandé ce qu'il allait advenir des Chargeurs de l'ouest à la suite du décès de Pétin. Il m'a demandé à me parler très franchement, comme paraît-il, il n'a jamais eu jusqu'ici l'occasion de le faire. Il avait eu la veille une conversation pendant presque la totalité de la journée avec les gens de Carnaud ou Jean Pétin devient président, assisté de François Poncet et de son cousin Drillon. Aucun changement chez Carnaud, les Wendel, en raison de la situation actuelle de la grosse métallurgie, ne désirant pas se mettre en flèche.
Carnaud désire que les affaires des Chargeurs de l'ouest continuent comme par le passé. Ils ont manifesté leur intention de voir la politique de rapprochement avec la Maison être non seulement maintenue, mais développée pour un certain nombre de raisons, mais ils préféreraient que ce resserrement de liens ne prenne pas une forme trop apparente, notamment pour ménager les transactions.
Le Père Guillet, par ailleurs, considère qu'il y a beaucoup de questions qui, à l'heure actuelle, ne peuvent être réglées qu'à Paris. Il voudrait avoir quelqu'un qui puisse ici parler au nom de la société et l'engager sans avoir besoin de communiquer avec Nantes. Il envisagerait qu'à l'occasion du remplacement d'Hector Pétin au conseil des Chargeurs de l'ouest, la Maison soit invitée à désigner un deuxième représentant au sein du conseil qui serait Bucquet, désigné comme vice-président en résidence à Paris auquel on donnerait un collaborateur de Nantes. Bucquet serait chargé de la liaison avec la Marine marchande. Ne travaillant pas à côté du Père Guillet, la crainte que vous manifestiez de le voir étouffé par celui-ci ne se produira pas, puisque, le cas échéant, Bucquet ne prendrait en charge la société que lorsque le Père Guillet serait hors-circuit.
Cette désignation qui améliorerait l'activité de notre Maison aux Chargeurs de l'ouest s'accompagnerait d'un accord avec Carnaud précisant les conditions dans lesquelles nous prendrions cette responsabilité.
Dans mon esprit, une telle décision ne pourrait être envisagée, et elle présente de très gros avantages, que si elle était assortie d'un accord financier avec Carnaud nous permettant, à l'occasion d'une augmentation de capital notamment, d'accroître notre participation de manière à nous permettre d'occuper un tout premier rang comme actionnaire. Pour votre gouverne, sur environ 56.000 titres, Carnaud en a 10.000, la CGT 4.500 et nous 3.500.
Nous sommes tous les deux ici très séduits par cette formule, qui ne compromettrait rien à l'heure actuelle, laisse Bucquet en place à la Havraise pour le démarrage et nous donnerait quand même des avantages considérables en vue d'intégrer définitivement les Chargeurs dans notre orbite.
J'ai précisé au Père Guillet que je ne prendrai aucune initiative dans ce domaine sans m'être concerté avec vous. J'estime que la question mérite une sérieuse attention et, étant donné les dispositions de Carnaud, mériterait d'être suivie assez rapidement.


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