1949.00.D'Albert Chatelle.La Base navale du Havre.Extrait de livre.Photocopie

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La Base navale du Havre

Le 11 janvier, il inscrit à son actif le "Barsac", puis le "Mississipi", à quelques heures d'intervalle.
Le torpillage du "Barsac" fut l'épilogue lamentable d'une "affaire" pas ordinaire. Qu'on en juge plutôt :
Après une heureuse traversée qui n'a pas duré moins de cinq mois, le grand voilier "Amiral-Halgan" arrive, au début de septembre 1917, aux Açores, venant de la Nouvelle-Calédonie, avec un chargement extrêmement précieux de 3.000 tonnes de minerai de nickel dont nos usines de guerre avaient le plus grand besoin. Son premier soin est d'en informer le ministère de la Marine et de lui demander ses instructions. En raison de l'importance de la cargaison, la Marine fait immédiatement partir une escorte et un solide remorqueur, le "Regulus", pour le convoyer jusqu'à Brest.
L'"Amiral-Halgan" arrive sans encombre à Brest le 17 octobre ; on lui refuse l'autorisation de continuer, comme cela était prévu, vers Le Havre où se trouve l'unique usine française traitant ces minerais. Le refus, qui est de bonne valeur, est motivé par les dangers de la guerre sous-marine en Manche. Refus aussi pour la même raison de diriger le grand voilier vers Nantes où il pourrait être aisément déchargé.
« II n'est pas possible, disait-on, d'autoriser un voilier apportant un chargement important, arrivé à bon port, à courir les risques d'une nouvelle traversée à la voile dans une zone particulièrement dangereuse alors que cette nouvelle traversée peut être évitée par un déchargement à Brest... »
Le Ministère des Transports et les usines demandent que le déchargement soit fait d'urgence car le voilier doit repartir chercher une autre cargaison de minerai.
La marine fait des démarches dans les ministères qualifiés pour obtenir cinquante wagons par jour pour évacuer la cargaison par voie ferrée de Brest au Havre.
C'est parfait, mais brusquement, le ministère des Travaux publics qui a les transports par fer sous son autorité, s'y oppose. Il n'y a pas de wagons prévus pour des minerais de nickel dans le plan de priorité. Dès lors, les services des transports maritimes se voient dans l'obligation d'en revenir au transport par mer et, dans ce but, on fait venir sur lest, de Bordeaux à Brest, le "Barsac", de la Cie Worms.
Le "Barsac" n'est pas une coquille de noix, c'est un superbe vapeur de 80 mètres de long, placé sous les ordres du capitaine au long-cours Hunault. Son armement comprend 2 canons de 95 servis par une équipe spéciale commandée par l'enseigne de vaisseau Blétry.
Les pourparlers s'achèvent le 18 décembre. Ils n'ont duré que deux mois !... Les usines de guerre attendent toujours leur nickel.
Le "Barsac" est enfin chargé, ras du bord et quitte Brest le 9 janvier à 13 heures, avec une cargaison de 3.000 tonnes de minerai. En raison aussi de sa vitesse, les ordres qu'il reçoit avant son départ lui permettent de naviguer hors-convoi et lui prescrivent de ne pas s'arrêter à Cherbourg. Quoi qu'il en soit, il accompagne un convoi jusqu'à La Hague, puis il le quitte et fait route directement vers Le Havre. A 8 milles, au nord de Cherbourg, il est arrêté par un torpilleur qui l'oblige à faire demi-tour et à mouiller en rade de ce port.
Nouveaux palabres avec les arraisonneurs, les pilotes, le directeur du port, police-navigation, le commandant des patrouilleurs de Normandie, etc., etc. Finalement, après encore avoir perdu 24 heures, le "Barsac" appareille le 11 janvier à 11 heures du matin, double la pointe de Barfleur et met le cap sur la bouée à sifflet du Havre. Il va droit devant car, dit le capitaine, « naviguer en zigzag, c'est augmenter les chances de ramasser une mine ».
Vers 17 h. 30, il aperçoit dans le Sud, à deux milles, un convoi allant du Havre à Cherbourg et signale que tout va bien à bord. Les hommes sont à leurs pièces, les vigies aux aguets. Les moyens de sauvetage sont parés et le télémétriste à son poste.
Le bateau file ses 9 nœuds 25, la mer est grosse, il vente jolie brise S.-W. et la nuit arrive très vite. A bord, aucune lumière n'est visible.
Et voici qu'à 18 h. 35, étant à moins de 14 milles dans le N.-72-E. de la bouée à sifflet du Havre, une torpille frappe le "Barsac" par bâbord arrière. Personne ne l'a vue venir, personne n'a vu le sous-marin. L'explosion défonce sa cale arrière, l'eau envahit les machines et le navire commence rapidement à s'enfoncer par l'arrière, aucune manœuvre n'est possible. Il va couler en trois minutes, les survivants se jettent dans les canots et s'efforcent de s'écarter de la coque. L'enseigne de vaisseau Blétry se précipite vers un des radeaux réservés à une équipe de canonniers, les aide à partir, mais demeure à bord pour assurer le sauvetage du reste de son personnel. A ce moment, le "Barsac" coule, l'entraînant dans son remous, avec six hommes[1].
Le capitaine a réussi à s'accrocher à une épave. Au bout d'une demi-heure, il est ramassé par une de ses embarcations qui recueille encore deux hommes et réussit à prendre en remorque un radeau portant sept des canonniers de l'enseigne de vaisseau Blétry ; mais la mer est si mauvaise qu'il faut abandonner le radeau après avoir embarqué les hommes. La baleinière, avec ses 25 hommes, dont plusieurs blessés, tente de hisser une voile de fortune, lance des fusées dès qu'elle aperçoit des silhouettes de navires et, finalement, les naufragés sont recueillis un peu après minuit par l'arraisonneur Pétrel qui les débarque au Havre, à 9 heures du matin.
La baleinière de tribord n'a pas pu s'écarter à temps ; elle est prise dans le remous du bâtiment qui s'effondre sous l'eau et chavire; de tout son équipage, quatre hommes seulement réussissent à s'accrocher à la quille du canot et l'épave part à la dérive. Le second maître canonnier Le Bars se jette trois fois dans les vagues pour repêcher Le Tutour, second mécanicien de Lorient, qui, épuisé, lâche prise. Vers 21 heures, le matelot Cheenne, de Dinan, se laisse glisser à l'eau en poussant un cri lugubre que la mer étouffe d'une vague glauque. Vers minuit, c'est le chauffeur Daligne, d'Honfleur, qui subit le même sort ; et vers 3 heures du matin, c'est Le Tutour qui disparaît.
Dans cette nuit d'épouvanté, Le Bars reste seul agrippé à l'épave, attendant son tour, recommandant son âme à Dieu. L'aube grisâtre est venue, sous un ciel bas, et les heures passent. Il va se laisser glisser, non, il tient, il tient, il veut vivre, vivre encore..., et le miracle s'accomplit ; après une agonie de seize heures, il est aperçu et ramassé, à 10 heures du matin, par un patrouilleur anglais qui le ramène au Havre où on le transporte à l'hôpital.
Le drame ne s'arrête pas là. Lorsque le "Barsac" a coulé, le second capitaine, Demudder, de Saint-Valéry, a pu se hisser dans le youyou du bord. Il part à son tour en perdition dans les lames de plus en plus grosses d'où émergent encore quelques appels désespérés qui s'éloignent et bientôt se taisent.
Puis, dans la nuit, il aperçoit nettement « une silhouette de bâtiment ras sur l'eau ». C'est le sous-marin qui est en surface, faisant des routes diverses à 4 ou 500 mètres du naufragé. Il se garde bien de l'appeler à son secours.
Par contre, il criera désespérément lorsqu'il apercevra les feux réglementaires de deux chalutiers passant non loin de lui sans le voir. A 7 heures du matin, un drifter anglais apparaît et disparaît à son tour et, plus tard, il dira : « La mer était grosse et il est probable que les hommes de veille ne purent m'apercevoir. »
Ce n'est que vers 9 h. 30 du matin, le 12 janvier, que le torpilleur Harpon, qui avait quitté Cherbourg presque en même temps que le "Barsac", le retrouva. Son odyssée avait duré quinze heures.
Sur les 27 hommes d'équipage, officiers compris, il y avait 20 morts et quatre blessés. Quant aux survivants, après quelques jours de repos, ils repartirent courageusement à la mer.
Le "Barsac" avait coulé presque droit par des fonds de 20 à 25 mètres. C'est là que se trouve encore le minerai de nickel amené à grand peine de la Nouvelle-Calédonie et qui sombra en arrivant au port.
Les quatre ministères intéressés se mirent d'accord pour déclarer que c'était là un événement très fâcheux.

 

[1] Le lieutenant de vaisseau de Cuverville, président de la commission d'enquête, rendra compte à l'amiral commandant de la Marine au Havre, en ces termes : « Au moment de l'explosion du bâtiment qui coula en trois minutes, ne songeant qu'à ses hommes, cet officier se précipita vers le radeau avant et embarqua son personnel, aidant lui-même à le mettre à la mer, refusant d'y prendre place malgré leurs prières. Avec le plus grand courage et le plus noble sentiment de ses devoirs, il voulut se rendre sur l'arrière en vue d'y assurer de nouveau le sauvetage du restant du personnel. A ce moment, le bâtiment sombra, l'engloutissant dans son remous », et il ajoutait : « Cet acte simplement accompli restera un bel exemple de devoir et d'abnégation... »

 
 

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