1874.05.25.Au ministre de la Marine et des Colonies.Paris

Transcription

A Son Excellence Monsieur le Ministre de la Marine et des Colonies
25 mai 1874

Monsieur le Ministre,
Nous avons l'honneur de nous adresser à vous pour vous exposer la demande qui suit et nous prenons la liberté de la recommander à votre bienveillante considération.
Établis depuis l'ouverture du canal de Suez dans les ports de Port-Saïd et de Suez où nous avons des dépôts de charbons et où nous sommes même les fournisseurs des navires de la Marine française, nous avons commencé au mois de juillet de l'année dernière, un service de navigation à vapeur entre Suez et les ports de la mer Rouge. Depuis cette date notre vapeur, le "Séphora", y a été affecté et nous nous permettons à cette occasion de vous faire observer que ce service avait jusque-là été fait par les navires de la Compagnie égyptienne, la Khédivié, et que nous avons les premiers fait connaître le pavillon français dans cette navigation des côtes de la mer Rouge.
Malheureusement une difficulté qui jusqu'à présent a été pour nous une source de grands embarras menace même de nous forcer à un moment donné de renoncer à notre entreprise, s'est rencontrée dans la composition de l'équipage et dans le choix des officiers et c'est sur ces deux points que nous venons vous exposer les conditions spéciales et exceptionnelles dans lesquelles nous nous trouvons placés, dans l'espoir d'obtenir de votre bienveillance une autorisation également spéciale et exceptionnelle.
Le climat de la mer Rouge est en toute saison, et surtout à certaines époques de l'année, meurtrier pour les hommes de nos pays. Le premier capitaine que nous avions envoyé est dans le mois de septembre mort d'une insolation ; remplacé par un homme qui avait cependant acquis l'habitude des chaleurs par un séjour de plusieurs années en Égypte, celui-ci vient de mourir également d'une attaque d'apoplexie amenée par les fatigues de cette navigation. Nous lui avons immédiatement fait venir un successeur de France, mais notre vapeur a dû l'attendre et subir de ce fait un retard de 10 à 12 jours. Malheureusement nous avons la conviction que nous ne pourrons conserver aucun capitaine français dans cette navigation, ceux qui la connaissent et qui savent quels sont les devoirs et les responsabilités d'un capitaine savent aussi qu'il n'est pas d'homme de notre pays qui puisse y résister longtemps. Il n'en est pas de même des hommes du midi ; depuis presque les débuts de notre navigation nous avons comme second à bord de notre vapeur un Autrichien qui n'a jamais été arrêté un instant, c'est, comme nous l'écrit notre Maison, un des rares hommes qui puissent tenir dans ces parages et nous avons en même temps été assez heureux pour rencontrer en lui l'intelligence et l'activité que nous en attendions.
Ce que nous venons donc vous demander, Monsieur le Ministre, c'est non pas de consentir à ce que le commandement de ce navire soit confié d'une façon permanente à cet Autrichien ou à tout autre étranger, nous entendons nous-mêmes maintenir un Français comme capitaine, mais seulement de nous autoriser en cas de mort subite, comme cela s'est déjà produit deux fois du capitaine français, à confier exceptionnellement et provisoirement pour un ou deux voyages le commandement à un capitaine étranger. Nous nous engagerions à soumettre le choix que nous ferions dans ce cas à l'approbation de Monsieur le vice-consul de France à Suez et cette condition jointe au fait que notre Maison de Suez est dirigée par un Français, comme l'est également celle que nous avons à Port-Saïd, vous donnerait, nous l'espérons, une garantie suffisante.
En ce qui concerne l'équipage les difficultés sont les mêmes, mais à cet égard Monsieur le consul de France à Port-Saïd a bien voulu se charger de vous transmettre de la part de notre Maison une demande tendant à obtenir l'autorisation de composer notre équipage avec des marins étrangers avec engagement de notre part d'y maintenir autant de Français que possible.
Nous ne nous étendrons donc pas à ce sujet les motifs étant d'ailleurs les mêmes que pour le capitaine et nous nous bornerons à espérer que notre double demande rencontrera auprès de vous l'accord favorable auquel nous lui croyons quelque titre.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'assurance de notre parfaite considération.


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