1917.09.11.De M. Loucheur, ministère des Fabrications de guerre.A la chambre de commerce du Havre

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Paris, 11 septembre 1917
Le sous-secrétaire d'État des Fabrications de guerre
à Monsieur le président de la chambre de commerce du Havre

J'ai l'honneur de vous accuser réception de votre lettre du 5 septembre. Je désire répondre à sa seconde partie.
Vous voulez bien me dire que "si la question de la répartition des charbons vous semble importante, l'essentiel n'en reste pas moins son importation, surtout pour vous qui ne devez être alimentés que par des charbons anglais".
Vous m'exposez, en même temps, comment, jusqu'à présent, s'effectuait l'importation, et vous me déclarez comme indispensable que rien ne vienne contrecarrer l'action des groupements importants de votre port.
Sur le premier point, il va sans dire, M. le président, que je partage complètement votre manière de voir, mais je ne sais si votre Chambre de commerce s'est bien rendu compte de la position du problème, et je dois même en douter, d'après le contenu de votre lettre.
Je ne crois pas que l'initiative privée puisse réussir à faire venir le combustible nécessaire. Il n'y a pas, vous le pensez bien, de plus grand partisan que moi de l'initiative privée, et si j'y voyais la solution de la question du charbon, je serais trop heureux de me reposer sur elle. Malheureusement, il n'en est rien, et c'est précisément en laissant faire l'initiative privée qu'on est arrivé à la confusion actuelle.
Certes, elle peut, dans certains cas particuliers, comme celui des industries de la région du Havre, résoudre très heureusement et très complètement le problème, mais il vous apparaîtra, comme à moi, que nous avons à faire face aux intérêts généraux du pays et que, par conséquent, il faut bien équilibrer nos besoins avec la totalité des ressources dont nous disposons, qu'elles soient sous le contrôle de groupes privés, ou sous le contrôle des administrations.
Or, cette initiative privée n'a réussi à introduire, en charbons domestiques, que la moitié des quantités nécessaires, parce qu'elle s'est appliquée à solutionner des cas particuliers, auxquels elle s'est trouvée plus spécialement intéressée, ou qui étaient plus lucratifs.
Il vous aura certainement échappé, par exemple, que malgré le plus large appel fait à cette initiative privée, un déficit important subsiste en charbon à gaz, et qu'il faut bien trouver quelque part les bateaux nécessaires pour importer ces qualités.
Puisque l'Angleterre ne peut mettre à notre disposition de tonnages supplémentaires, qu'elle a même envisagé le retrait d'une partie importante de la flotte qu'elle nous allouait, il faut bien prendre ces bateaux sur des groupements les possédant, et, par conséquent, au détriment de certaines industries. Celles là ne manqueront pas de crier à la spoliation, et que l'on empêche l'initiative privée de se développer normalement. J'avoue que je ne vois pas le moyen d'éviter cet écueil.
Vous voulez bien attirer mon attention sur ce que la modification projetée du système des licences d'importation ne soit mise en vigueur que lorsque la nouvelle méthode aura été suffisamment étudiée et comprise.
J'ai l'habitude, comme vous, Monsieur le président, de porter tous mes soins à l'étude des questions, et de ne prendre de décision qu'après y avoir réfléchi, et surtout qu'après avoir consulté toutes les personnes compétentes, ce que je n'ai pas manqué de faire en l'espèce.
La modification au régime des licences n'a d'autre but que d'importer le charbon de la qualité qui est nécessaire, dans les ports où il doit être transporté. Nous ne recherchons pas d'autre résultat. Nous sommes donc certains d'agir en harmonie avec les désirs de votre Chambre de commerce, mais je désirerais savoir comment il est possible de réaliser le voeu que vous émettez dans votre lettre, pour que le Bureau national des charbons s'organise le plus rapidement possible pour importer tout au moins les quantités nécessaires pour les secours individuels urgents, et le remplacement des quantités qui disparaîtront du fait de la guerre sous-marine.
J'aimerais avoir, sur ce point, l'avis des hommes éclairés qui composent votre Chambre de commerce, car vous vous doutez que c'est là aussi un de ceux qui me préoccupe le plus.
J'ai trouvé, en ce qui me concerne, un remède partiel possible c'est dans le développement à outrance de la production des mines françaises ; c'est à quoi je m'emploie énergiquement, mais si vous aviez quelques suggestions à me faire pour la réalisation de votre voeu, je les accueillerais avec grand plaisir.
Je ne puis donc, en terminant, que vous confirmer qu'il est indispensable de changer les conditions d'importation, pour amener le charbon là où il est nécessaire, et que, par conséquent, je ne trouve pas les moyens de remplacer au même moment ce que je dois supprimer.
Ces quelques considérations, que je m'excuse d'avoir
faites aussi longues, vous montreront, j'en suis certain, les grandes difficultés du problème. Toutes les décisions qui sont prises pour le résoudre appellent immédiatement des critiques, parce que souvent elles vont à l'encontre d'intérêts privés. Je suis décidé, en ce qui me concerne, à ne pas m'arrêter à ces considérations. J'ai le devoir de satisfaire aux besoins généraux du pays, et j'essaierai de mon mieux de remplir cette tâche ; je vous remercie de l'aide que vous voulez bien me promettre à cet effet.

Loucheur

 
 

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