1949.11.20.De Robert Labbé.Note sur la SFTP

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Note de Robert Labbé
sur le rachat éventuel à l'État d'une fraction de sa participation
dans le capital de la Société française de transports pétroliers

La Société française de transports pétroliers a été créée dans le second semestre de 1938, sous l'égide de MM. Worms & Cie et sous leur responsabilité, à la demande des pouvoirs publics préoccupés, dans l'état de tension diplomatique qui prévalait alors en Europe, d'assurer dans une plus forte proportion l'autonomie du pays en matière de transports maritimes de produits pétroliers.
Une lettre en date du 23 juillet 1938, adressée à MM. Worms & Cie, précisait les conditions de cette mission sous la triple signature du président du Conseil, ministre de la Défense nationale, du ministre des Finances et du ministre des Travaux publics.
II y était, notamment, stipulé, outre que MM. Worms et Cie auraient seuls qualité pour assurer, dans le cadre de la nouvelle société, la gérance technique et commerciale de la flotte à constituer, que le groupe privé, dont ils devaient prendre la tête, devrait intervenir dans la constitution de son capital pour 70% contre 30% en faveur de l'État.
L'État recevait, d'autre part, 12.000 parts bénéficiaires donnant droit, après les prélèvements statutaires et un premier dividende aux actions, à 25% des bénéfices ; cette attribution découlait notamment de la garantie accordée à l'époque par l'Office national des combustibles liquides de la bonne fin d'un emprunt obligataire à émettre de 200 millions, à qui la moitié des parts devait être remise.
La société fut effectivement créée au capital de 30 millions, dont 18.000 actions de 500 francs souscrites par l'État, le reste par le groupe privé. L'emprunt obligataire garanti par l'État de 200 millions fut émis et la flotte de la société constituée conformément aux termes de la lettre de mission.
Actuellement et compte tenu des vicissitudes qui ont été le lot de toutes les entreprises de navigation, la SFTP se trouve avec un certain nombre de ses anciens navires toujours à flot. Elle a reçu ou pu acquérir trois unités d'occasion pour combler une partie de ses pertes et doit, en outre, recevoir à titre de dommages de guerre et conformément aux dispositions de la charte-partie d'affrètement, trois tankers neufs.
Il apparaît, dès lors, et sans qu'il soit besoin d'insister à cet égard tant la chose est évidente, que le capital actuel de 30 millions de la SFTP n'est plus en rapport avec sa structure et que, compte tenu des circonstances générales du moment, il est indispensable de le porter à un chiffre plus normal.
L'existence dans le bilan au 31 décembre 1948 d'une réserve de réévaluation de F 1.768.918.874 autorise à la fois et impose une telle opération.
L'existence des parts bénéficiaires détenues par l'État et auxquelles il a été fait référence ci-dessus ne soulève par ailleurs aucune des difficultés que fait naître parfois pour des opérations du même ordre la circulation de tels titres. En effet, le principe du rachat des parts a été posé dès l'origine de la société.
La lettre de mission susvisée du 23 juillet 1938 stipulait : « en cas d'augmentation de capital, la société pourra racheter ses parts en actions, à raison d'une action nouvelle pour une part », et les statuts de la société, article 55, in fine, disposent :
« En cas d'augmentation de capital les parts pourront être transformées en action, en tout ou partie par simple décision de l'assemblée générale des actionnaires, dans les conditions prévues à l'article 40 par. 5, à condition toutefois d'attribuer une action nouvelle de cinq cents francs aux porteurs de chaque part transformée ».
La SFTP devrait, dans ces conditions, porter son capital de 30 à 36 millions par transformation des 12.000 parts en 12.000 actions de 500 francs.
Mais une telle opération aurait pour conséquence de bouleverser totalement la répartition du capital de la société entre celui détenu par l'État et celui détenu par le groupe privé. En effet, au cours des hostilités, en raison des mesures prises par Ies autorités d'occupation à l'égard de la Maison Louis Dreyfus, l'État, par le canal de la Caisse des dépôts et consignations, avait été amené, pour sauvegarder l'intérêt national, à reprendre une fraction (correspondant au pourcentage de l'État dans le capital de la SFTP) de la participation de la Maison Dreyfus, soit 2.393 actions sur un total de 60.000 existantes.
D'ores et déjà, les pouvoirs publics détiennent donc 20.393 actions sur 60.000, au lieu des 10.000 prévues initialement. Ce chiffre même et la proportion correspondante, seraient considérablement accrus par la transformation des parts en actions prévue ci-dessus, puisque la participation de l'État augmentée de 12.000 actions délivrées gratuitement en contrepartie de l'annulation des parts, s'élèverait à 32.393 actions sur un nombre total nouveau de 72.000 actions, soit 45% du capital social.
Le groupe privé, représenté par MM. Worms & Cie, demande, dans ces conditions, pour que soit respecté l'esprit de l'accord intervenu en 1938 lors de la création de la société, matérialisé par la lettre de mission du 23 juillet de la même année, que lui soit rétrocédé le nombre d'actions nécessaire pour que la participation de l'État (y compris le holding de la Caisse des dépôts et consignations) soit ramenée au pourcentage initialement prévu.
Ce pourcentage de 30% sur un nouveau capital, après transformation des parts, de 36 millions donnerait 10.800.000 F, soit 21.000 actions. Le groupe privé devrait, dès lors, racheter la différence entre ce chiffre et la nouvelle participation de l'État dégagée ci-dessus, 32.393 actions, soit un nombre de titres à racheter de 10.703.
L'incorporation au capital nouveau de 36 millions d'une fraction de la réserve de réévaluation, à concurrence de 576 millions (chiffre actuellement envisagé) et par élévation du nominal de chaque action de F 500 à F 8.500 ne modifierait en rien les calculs et explications donnés ci-dessus. II importe seulement de souligner qu'une telle opération devrait impérativement intervenir avant le 31 décembre 1949 afin, sur une incorporation aussi importante, que la société puisse bénéficier des dispositions fiscales qui doivent cesser d'être applicables à cette date.
Les trois mesures préconisées par MM. Worms & Cie, responsables de la gestion de la SFTP et chefs de file du groupe privé qui y participe aux côtés de l'État :
1°- transformation des parts en actions,
2°- rachat par le groupe privé du holding de l'État, dépassant les 30% initialement prévus,
3°- augmentation du capital de 30 à 612 millions par incorporation d'une fraction de la réserve de réévaluation,
sont, dans leur esprit, indissolublement liées. La seconde est par conséquent la mesure essentielle à l'égard de laquelle il est demandé à l'État de prendre position le plus rapidement possible, puisqu'elle implique une décision, alors que les deux autres, en l'état des statuts et de la législation en vigueur, sont d'ordre quasi automatique. Mais il est bien précisé qu'en l'absence d'une décision positive quant à cette seconde mesure, la première ne saurait être envisagée puisqu'elle aboutirait à bouleverser les données initiales du pacte social, ni la troisième qui se heurterait à des difficultés de calcul insurmontables.
Ceci étant exposé, comment évaluer d'une manière équitable pour les deux parties en présence, et compte tenu de l'incorporation des réserves pratiquées, l'action de la SFTP ?
1°- Évaluation par comparaison avec les cours de l'Auxiliaire de navigation
La valeur mathématique d'une action, valeur dégagée des situations comptables, ne constitue que l'un des éléments d'appréciation retenus pour arbitrer la valeur réelle d'un titre. Les tribunaux ont actuellement une tendance de plus en plus marquée à s'écarter de cette base dont la rigidité mathématique leur apparaît inconciliable avec les facteurs incalculables et impondérables, tels notamment que la conjoncture économique, qui exercent également une influence décisive sur la valeur de négociation d'un titre (I. et S. n° 30 - juillet 1947).
La valeur vénale des titres non cotés ne doit se confondre, ni avec leur valeur liquidative, ni avec leur valeur de productivité, mais être déterminée en fonction de l'ensemble des éléments qui peuvent exercer une influence sur le cours des titres (Tribunal civil de la Seine - 10/5/1946).
Attendu qu'il résulte de l'examen qui a été fait des bilans de quelques sociétés, dont les titres sont admis à la cote, que la valeur mathématique excède sensiblement la valeur vénale, que celle-ci n'a aucune commune mesure avec la valeur vénale réelle ; que lors de la nationalisation des grandes banques, l'État a acquis les actions ou cours moyen enregistré à la Bourse et non à la valeur mathématique ; que c'est dire que celle-ci ne correspond pas à la valeur vénale réelle (Tribunal de 1ère instance de Rouen - 29/6/1948).
Cette société, comme la SFTP exploite uniquement une flotte de navires citernes ; ceux-ci sont également affrétés à des raffineries françaises selon des modalités non identiques mais au fond comparables quant à la garantie des recettes d'exploitation et à leur permanence pendant une période relativement longue. Si l'on ajoute que l'Auxiliaire de navigation est plus vieille de près de 80 ans que la SFTP et a pu dès lors se constituer d'importantes réserves réelles (le portefeuille de la SFTP comprend des rentes et bons du Trésor, tandis que celui de la Can, porté au bilan pour 18.715.156 F est composé d'actions Compagnie africaine d'armement, Compagnie française des pétroles, SFTP), il semble que l'on doive s'en tenir à la comparaison entre :
a) le tonnage des deux flottes compte tenu de leur ancienneté,
b) le bénéfice net réalisé,
c) le bénéfice réparti aux titres.
a) Comparaison des deux flottes
Pour ce calcul, nous avons pris le port en lourd en l'affectant d'un coefficient de vétusté. L'amortissement comptable se fait en 15 ans, toutefois il semble que pratiquement un bateau rend des services durant une période de 25 ans environ. Un amortissement annuel de 4% a donc été pratiqué.
D'après ce tableau, on peut conclure que la valeur de la flotte SFTP correspond à : environ 92.271 / 134.632 de celle de la Can. La capitalisation boursière de l'Auxiliaire de navigation ressort :
- sur le cours moyen du 1/1/1949 au 15/11/1949 à 6.555 X 216.000 = 1.415.800.000
- sur le cours au 15/11/1940 à : 5.300 x 216.000 = 1.144.800.000
Avec ce dernier chiffre, en fonction de la comparaison des deux flottes, la valeur de la SFTP ressortirait à :
1.144.800.00 x 92.871 / 134.632 = 784.596.832
Le résultat brut d'exploitation porté au compte PP est de :
164 millions pour la Can
114 millions pour la SFTP
D'après ces chiffres, la valeur SFTP serait de : 1.144.800.000 x 114 / 164 = 795 millions
peu différente du chiffre ci-dessus.
b) Comparaison d'après le bénéfice net réalisé par chaque société
Au bilan de 1948 le bénéfice net ressort :
- pour l'Auxiliaire de navigation à 67.795.039 + (provision pour impôt 1948) 10.257.596 = 78.052.635
- pour la SFTP à 41.204.857
d'après ces chiffres, la valeur de la SFTP serait de : 1.272.240.000 x 41.204.857 / 78.052.635 = 671.629.692
Moyenne entre 1.415 et 1.144 : 1.415 + 1.144 / 2 = 1.279.000.000
[Voir PDF, le tableau des caractéristiques des navires composant les flottes des deux compagnies.]
c) Comparaison d'après le bénéfice réparti aux titres :
- Auxiliaire de navigation
122 brut par action x 216.000 = 26.352.000
(la répartition a été de 100 F net)
- SFTP =
180 brut par action x 60.000 = 10.600.000
250 brut par part x 12.000 = 3.000.000
Ensemble : 13.800.000
En fonction de cette répartition, la valeur de la SFTP serait de :
1.272.240.000 x 13.800.000 / 26.352.000 = 666.245.901
La moyenne entre ces trois résultats donnerait une valeur de :
784.596.832 + 671.629.693 + 666.445.901 = 707.490.808
soit pour une action : 707.490.808 / 72.000 = 9.826
Toutefois, ce taux devrait subir un abattement du fait de sa non cotation.
« Attendu qu'il n'est pas douteux que l'absence de cotation au parquet et au marché en banque rend plus difficile la négociation des titres, que ceux-ci en effet, ne peuvent atteindre qu'une clientèle restreinte et que leur propriétaire peut avoir de la peine à les réaliser, qu'il en résulte logiquement que le titre non coté se traite à un cours inférieur (Tribunal civil de la Seine - 16/3/1945 - 10/5/1945 - Tribunal de première instance de Rouen - 29/6/1948 confirmé par un jugement identique du Tribunal d'Évreux le 15/4/1949) qu'un jugement antérieur de ce tribunal a apprécié à un tiers en moins environ (Tribunal civil de la Seine 16/3/1945 - 10/5/1948).
En acceptant ce principe avec un abattement limité à 10%, la valeur vénale de l'action serait de (9.826 X 9) / 10 = 8.843
2°- Évaluation comptable de la valeur vénale de l'action SFTP
Si les arguments donnés en faveur d'une évaluation par comparaison avec une entreprise similaire ne paraissent pas convaincants, et si l'on préfère rechercher la valeur de l'affaire d'après ses éléments propres, il est possible de calculer la valeur liquidative de l'action.
D'après le bilan au 31/12/1948 après répartition, l'actif net de la société, après transformation des parts en actions, se décomposerait ainsi :

capital

36.000.000

divisé en 72.000 actions

réserve légale

3.000.000

réserve facultative

20.600.000

réserve spéciale

5.800.000

réserve de reconstitution

29.713.000

réserve de réévaluation

1.762.918.874


1.858.031.874

Cette somme diminuée des impôts réglés par la société :
pour son propre compte : BIC
pour le compte des actionnaires : IRVM
par les actionnaires : impôt général sur le revenu
donnera la valeur liquidative de l'action.
BIC
1.858.031.874 - 36.000.000 = 1.822.031.874 x 24% = 437.287.650
IRVM
1.822.031.874 - 437.287.650 = 1.384.744.224 x 18% = 249.253.960
impôt général
En raison de l'incidence de la situation personnelle de chaque actionnaire sur le taux de cet impôt, II est impossible de l'évaluer avec précision. Toutefois, on peut sans exagération prendre une moyenne de 30%.
1.384.744.224 - 249.253.960 = 1.135.490.264 x 30% = 340.647.079
Total des impôts récupérés par l'État et venant en déduction de l'actif net réalisé : 1.027.188.689.

Le montant net restant aux actionnaires sera donc de : 1.858.031.874 - 1.027.188.689 = 830.843.185
soit pour une action : 830.843.185 / 72.000 = 11.539
compte tenu d'un abattement de 10%
11. 539 x 9 / 10 = 10.385
3° Résumé des différentes méthodes d'évaluation ci-dessus
- Valeur comparative

d'après la flotte

784.596.832

d'après le bénéfice net

671.629.692

d'après le bénéfice distribué

666.245.901

moyenne

707.490.800

valeur de l'action après abattement de 10%

8.843

Valeur comptable

Valeur liquidative

830.843.185

pour une action

11.539

après abattement de 10%

10.385

Sur la base de la moyenne arithmétique, la valeur de chacune des 10.793 actions dont la rétrocession a par l'État au groupe privé, représenté par MM. Worms & Cie est demandée pourrait être fixés à 9.600 F. Une autre formule pourrait être de fixer sur la même base un chiffre global pour le rachat de la part excédentaire de l'État en prenant également en considération la disparition de la garantie d'obligations pour un montant total de 300 millions stipulée dans les statuts et que pourrait concrétiser le remboursement des obligations actuellement encore en circulation.
En tout état de cause, la date du 31 décembre 1949 à laquelle il a été fait référence dans la première partie de cette note ne saurait être perdue de vue.

20 novembre 1949


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